BULLETIN DE L UNION DES PHYSICIENS 903 Comment accorder une guitare? par Laboratoire de physique et mécanique des milieux hétérogènes ESPCI - 75005 Paris malegend@pmmh.espci.fr RÉSUMÉ La physique des ondes est souvent abordée de manière calculatoire et abstraite dans les lycées, notamment dans les classes préparatoires. Si l optique ondulatoire est très nettement privilégiée (au moins expérimentalement), assez peu d expériences d acoustique sont généralement proposées. Pourtant, la notion d onde acoustique est certainement plus facile à appréhender que celle d onde électromagnétique. Nous proposons dans cet article quelques expériences faciles à mettre en œuvre et qui permettront aux professeurs d illustrer des points importants de la physique des ondes. 1. INTRODUCTION Tout bon guitariste doit savoir accorder son instrument de façon précise et rapide. Pour cela, plusieurs méthodes sont possibles et utilisées au choix par les musiciens. Ces techniques sont fondées sur des principes physiques différents. Cet article pourra aider le guitariste débutant à accorder son instrument. Il proposera surtout quelques expériences simples, nécessitant peu de matériel (une guitare!) et permettant d illustrer des notions de physique importantes : la résonance, les battements et les modes propres d une corde vibrante. Outre leur simplicité, ces expériences ont l avantage d être illustratives et d avoir une application directe. Elles sont donc particulièrement pédagogiques. 2. POURQUOI ACCORDER UNE GUITARE? Une corde de guitare de longueur L est fixée à ses deux extrémités. Les ondes se propageant le long de cette corde vibrante sont des superpositions d ondes stationnaires monochromatiques de période spatiale λ n et de fréquence temporelle f n quantifiées. Ce sont les modes propres d oscillation de la corde vibrante : c0 λ0 2L fn= nf0 = n et λ 2 L n= = n n Leur amplitude est de la forme : R 3 J x N V S } ( xt, ) =! a Ancos_ 2rfnt + Bnsin_ 2rfnt sin K2r W i ik n = 1 S λ O n T L P W X
904 BULLETIN DE L UNION DES PHYSICIENS Rappelons que c 0, vitesse de propagation de l onde, dépend de la masse linéïque de la n corde µ et de la tension T 0 imposée à une extrémité : c0 =. Quand on pince une corde, T0 c0 on entend principalement une note fondamentale correspondant à la fréquence f0 = et, 2L avec une bonne oreille, quelques fréquences harmoniques, multiples de la fondamentale. Leurs intensités relatives (liées aux coefficients de Fourier A n et B n ) dépendent de la façon dont on pince la corde (mathématiquement de } (, x 0) ) mais c est la fondamentale qui impose la note (les harmoniques lui apportant du «timbre»). On peut alors changer la note de la corde en modifiant la longueur L : on appuie pour cela sur les cases situées sur le manche de la guitare, l écart entre deux cases correspondant à un demi-ton (cf. figure 1). On pourrait ainsi jouer toute la gamme avec une corde mais douze cases seraient nécessaires pour une octave (qui comporte douze demitons) ce qui ne faciliterait pas la tâche du musicien. Fort heureusement, il y a six cordes sur une guitare, chacune correspondant à une note : mi grave, la, ré, sol, si, mi aigu. En jouant les différentes cordes et en appuyant éventuellement sur certaines cases, on peut ainsi composer plusieurs octaves. Il faudra cependant s assurer de la correspondance entre les différentes cordes, c est-à-dire, que la note obtenue en pinçant la première corde, la cinquième case appuyée, est la même que celle de la deuxième corde à vide. En effet, un mi augmenté de cinq demi-tons est un la. Si ce n est pas le cas, il faudra modifier la fondamentale de la deuxième corde ; pour cela, on peut jouer sur la tension appliquée T 0 grâce aux clefs situées à l extrémité du manche. c 0 est donc modifiée de même que f 0. Figure 1 : Schéma du manche d une guitare. La guitare sera accordée quand toutes les correspondances entre cordes successives auront été réglées. Tout le problème est d égaler les fréquences des deux cordes (une à vide, l autre ayant la cinquième case appuyée). On peut bien sûr comparer simplement le son produit par les deux cordes, et c est ce que font la majorité des guitaristes, mais d autres techniques, réellement utilisées par les musiciens sont aussi possibles. Comment accorder une guitare? BUP n o 855
BULLETIN DE L UNION DES PHYSICIENS 905 3. ACCORDER GROSSIÈREMENT AVEC LA RÉSONANCE Cette technique est fondée sur le principe de la résonance. C est une illustration particulièrement visuelle de ce phénomène important en physique. Un système physique est caractérisé par une (ou plusieurs) fréquence propre dépendant uniquement de ses propriétés intrinsèques : sa géométrie, le matériau utilisé... Par exemple, la fréquence propre d un pendule pesant, soumis à des petites oscillations, est : f = 1 mgl 0 où m et J sont la masse et le moment d inertie du pendule, l la distance 2r J du centre d inertie au point d appui et g la gravité. Le pendule oscille naturellement à cette fréquence. Si on excite un système à une fréquence imposée, la réponse de ce système est maximale lorsque la fréquence d excitation est égale à la fréquence propre : le pendule entre en résonance et effectue d importantes oscillations si on le force à la fréquence f 0. La résonance d un circuit RLC est aussi très connue. Celle d une corde de guitare beaucoup moins alors qu elle est très facile à mettre en évidence. Elle permet en outre d accorder la guitare. Rappelons qu il nous faut égaler les fréquences des deux premières cordes. Pour cela, nous allons en utiliser une comme excitateur (pax exemple la corde de mi appuyée sur la cinquième case) et étudier la réponse de l autre (celle de la). On pince donc la première corde sans toucher la deuxième. On s aperçoit facilement que si les cordes ne sont pas accordées (au besoin, les désaccorder!), la corde de la ne bouge pas. En jouant sur sa clef, on peut modifier sa fréquence propre et, quand le réglage est correct, la voir bouger fortement (toujours sans la toucher). La corde de la, excitée par la première, entre en résonance. On compare ainsi visuellement les deux fréquences et on peut accorder les deux cordes. Notons que s il est spectaculaire de voir la corde de la vibrer sans être pincée, la résonance est beaucoup moins nette pour les cordes les plus aiguës car les coefficients de frottement l atténuent fortement. De plus, la précision de cette méthode n est pas très bonne. Elle ne permet qu un accord grossier des deux cordes. La résonance est cependant plus importante pour les cordes des violes de gambe et cette technique est effectivement utilisée par certains violistes. 4. ACCORDER FINEMENT AVEC LES BATTEMENTS Le phénomène physique des battements est également utilisé par certains guitaristes pour accorder leur instrument. Le problème est toujours de comparer les fréquences de deux cordes. On suppose que celles-ci sont assez proches (éventuellement on peut effectuer une première comparaison grossière en écoutant successivement les deux notes). La fréquence propre de la corde de mi (appuyée sur la cinquième case) étant f 0, celle de la corde de la est : f0 + df avec d f << f 0. Si on pince les deux cordes simultanément, on peut entendre, avec un peu d habitude, que la note obtenue est modulée : l intensité passe périodiquement par des minima. Ce sont des battements. En jouant sur une des deux
906 BULLETIN DE L UNION DES PHYSICIENS clefs, la période des battements augmente ou diminue. Il faut bien sûr la diminuer et quand cette période est trop longue pour être perçue, les deux cordes sont accordées. Pour expliquer ceci, nous allons considérer en première approximation que le son émis par les deux cordes est purement harmonique et d égale intensité. Si on ne s occupe pas de l amplitude des vibrations c est-à-dire de l intensité du son, l amplitude du son total perçu est alors : s= cos( 2rf t) + cos_ 2r( f + df) ti 0 0 Soit, puisque d f<< f 0 : s= 2cos( 2rf 0 t) cos( rdft) Le son, de fréquence f 0, est effectivement modulé et l amplitude des vibrations 1 s annule avec une période de ; celle-ci augmente quand d d f diminue et devient imperceptible quand les deux cordes sont accordées. Notons que l intensité des battements f passe par des minima sans s annuler car le signal sonore n est pas purement sinusoïdal. Cette méthode permet néanmoins d accorder très précisément les deux cordes : on peut arriver à distinguer des battements de période supérieure à 2 s, ce qui correspond à une précision de l Hz. Figure 2 : Principe des battements. 5. VÉRIFIER AVEC LES HARMONIQUES Nous avons vu dans la partie «Pourquoi accorder une guitare?», que l onde se propageant le long de la corde était une superposition d ondes stationnaires (modes propres). Le mode fondamental prédomine mais une oreille exercée peut entendre certaines harmoniques. Nous proposons une expérience très simple pour mettre en évidence un mode harmonique, ce qui permettra notamment de vérifier que les trois premières cordes ont été correctement accordées. Il faut pincer assez fort la corde de mi (la plus grave) ; puis poser délicatement un doigt sur cette corde au niveau de la douzième case. Il ne faut pas appuyer la corde mais l empêcher de vibrer. Le son du mi grave disparaît alors et on peut clairement entendre un mi plus aigu (d une octave). En comparant cette note avec le mi de la troisième corde (la troisième case appuyée), on peut vérifier si les trois premières cordes ont été bien accordées. Cette expérience s explique très facilement si on représente les trois premiers modes propres d une corde fixée à ses deux extrémités (cf. figure 3). La douzième case de la Comment accorder une guitare? BUP n o 855
BULLETIN DE L UNION DES PHYSICIENS 907 guitare est située à L. Si on empêche la corde de vibrer à cet endroit, on coupe complètement le mode fondamental n = 1 sans modifier le premier harmonique n = 2. Le mi 2 grave n est alors plus audible et on peut entendre le mi aigu de fréquence double (à l octave supérieure). Bien sûr, le mode n = 3 est aussi coupé et tous les modes pairs suivants sont présents mais d intensité trop faible pour être réellement entendus. Figure 3 : Trois premiers modes propres d une corde fixée à ses extrémités. CONCLUSION Ces expériences ont le mérite d aborder de façon originale quelques phénomènes physiques importants avec très peu de préparation. Elles demeurent cependant très qualitatives. Si des manipulations plus quantitatives sont bien sûr envisageables, elles semblent néanmoins assez délicates du fait du caractère non harmonique des ondes sonores. Toutefois, il est possible d enregistrer le son d une corde de mi grave avec un microphone et de détecter les différentes harmoniques à l aide d un analyseur de spectres. En appuyant sur la douzième case, comme expliqué dans le paragraphe 5, le spectre s appauvrit et ne subsistent que les harmoniques paires. Malgré leur caractère essentiellement qualitatif, nous espérons que ces expériences pourront servir aux professeurs en étant, par exemple, utilisées comme introduction à certains cours (résonance notamment). Ingénieur de l'école Supérieure de Physique et de Chimie Industrielles de Paris Agrégé de sciences physiques Doctorant en mécanique des fluides