I l convient au juge d appliquer les solutions les plus appropriées afin de choisir

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La binationalité O n parle de binationalité ou de double nationalité lorsqu une seule et même personne possède simultanément deux nationalités différentes ou, plus largement, de plurinationalité lorsqu une personne a plus de deux nationalités. La personne est binationale lorsqu elle remplit les conditions prévues par la législation de la nationalité de deux pays. Chaque État établit ses propres règles en matière d attribution et d acquisition de la nationalité. Exemple : une Franco-algérienne qui s est vu attribuer la nationalité algérienne à raison de sa filiation (parce que ses parents ont la nationalité algérienne), devient binationale à sa majorité en acquérant la nationalité française du fait de sa naissance en France. La binationalité peut résulter de la filiation, du lieu de naissance, du mariage ou d une procédure de naturalisation ou de réintégration. Une personne binationale a deux statuts personnels, elle dépend donc de la législation de deux pays. En France, pour déterminer la législation (ou loi personnelle) qui doit s appliquer, il faut déterminer quelle est la nationalité qui sera retenue par le juge français (cf. I). Pour éviter les conflits de juridictions ou de lois (voir le chapitre sur le droit international privé, p. 9), il convient de savoir si les États ou les individus peuvent opter pour une nationalité unique (cf. II). I. La nationalité retenue par le juge français en cas de binationalité I l convient au juge d appliquer les solutions les plus appropriées afin de choisir entre les nationalités en cause. Ce sera le cas, par exemple, pour l application du statut personnel d une personne (voir le chapitre sur le droit international privé, p. 9), ou pour mettre en œuvre une règle prenant comme critère la nationalité. Il faut alors distinguer deux situations : celle du binational qui cumule deux nationalités étrangères et vit en France ; celle du binational qui cumule deux nationalités dont l une est française. A. Le conflit entre deux nationalités étrangères On pourrait imaginer qu une personne binationale puisse réclamer à l administration française de tenir compte de l une ou l autre de ses nationalités selon les cas ou encore de s appuyer sur la chronologie pour départager les nationalités en concours (par exemple, la nationalité de naissance sur la nationalité acquise). Mais c est une autre solution qui s impose en droit français : le conflit de deux ou plusieurs nationalités étrangères est clairement réglé selon le principe de la «nationalité effective» dominante 1, c est-à-dire le principe de la nationalité avec laquelle l intéressé entretient les liens les plus étroits, la nationalité pratiquée, vécue. Plusieurs critères cumulatifs permettent de l identifier : la localisation du domicile, le siège des affaires, la langue, le passeport, l inscription au service consulaire d une ambassade, le mode de vie, etc. Quels que soient les éléments retenus, le juge doit s appuyer sur des présomptions sérieuses, précises et concordantes pour 1. CIJ, 6 avr. 1955, Nottebohm / Cass. civ. 1 ère, 15 mai 1974, Martinelli, n 72-12196. La binationalité 13

déterminer ce que l on appelle «la possession d état de nationalité» de la personne, en d autres termes la nationalité active, ou effective, du binational. Cette recherche conduit, en principe, le juge à déterminer la nationalité qui est activement pratiquée par l intéressé. Le jugement rendu en fonction de la nationalité déterminée aura, conformément au droit commun, autorité relative, c est-à-dire qu il fera foi seulement dans le litige qui vient précisément d être tranché par le juge. 2. Cass. civ 1 ère, 17 juin 1968, Kasapyan. Voir aussi Cass. civ. 1 ère, 12 oct. 1992. B. Le conflit entre deux nationalités, dont l une est la nationalité française La solution est dans ce cas très claire 2 : dans le conflit entre la nationalité française et une nationalité étrangère, c est toujours la nationalité française de la personne qui doit l emporter devant le juge français (ou l administration française), même s il ne s agit pas de sa nationalité effective, c est le principe de la primauté de la loi du for. Cette préférence est retenue pratiquement dans tous les pays, chacun l assurant au profit de sa propre nationalité. Cette règle est conforme au droit international, puisque l article 3 de la Convention de La Haye du 12 avril 1930 dispose «qu un individu possédant deux ou plusieurs nationalités pourra être considéré par chacun des États dont il a la nationalité comme son ressortissant.» Enfin on rappellera que des conventions internationales apportent certains aménagements aux règles applicables aux personnes binationales. Par exemple les conventions relatives aux obligations militaires des plurinationaux (jusqu à la suppression du service national français) permettaient aux intéressés de conserver leurs nationalités tout en satisfaisant seulement aux obligations militaires de l un des États en cause. Remarque : les pays du Maghreb ont chacun établi des critères pour sélectionner la nationalité en cas de conflit. Les législations algérienne, marocaine et tunisienne rejettent unanimement la nationalité étrangère d une personne binationale. Ainsi une Franco-tunisienne sera considérée comme étant exclusivement tunisienne devant le juge tunisien. Elle ne pourra pas prétendre à l application de la loi française en matière de statut personnel (voir le chapitre sur le droit international privé, p. 9). Exemple : l article 22 du Code civil algérien prévoit que «en cas de pluralité de nationalités, le juge applique la nationalité effective. Toutefois, la loi algérienne est appliquée si la personne présente, en même temps, la nationalité algérienne, au regard de l Algérie et, une autre nationalité, au regard d un ou plusieurs États étrangers.» II. Peut-on éviter la binationalité? L es personnes binationales peuvent vivre le cumul de deux nationalités tantôt comme l avantage de bénéficier de deux systèmes juridiques tantôt comme le risque de se voir appliquer des dispositions juridiques contradictoires voire discriminatoires. Bien que les États tentent de limiter la pluri-nationalité (cf. A), la possibilité de choisir une des deux nationalités est très limitée (cf. B). 14 La binationalité

A. La prévention de la binationalité Jusqu en 1973, le droit français disposait d une solution générale de prévention de la binationalité, ou de ce que l on appelle plus souvent le conflit positif de nationalités. En cas d acquisition volontaire d une nationalité étrangère, l intéressé perdait automatiquement sa nationalité française (art. 87 ancien du Code de la nationalité). Cette disposition a été abandonnée par la loi du 9 janvier 1973. Ainsi l article 23 du Code civil dispose que «toute personne majeure de nationalité française, résidant habituellement à l étranger, qui acquiert volontairement une nationalité étrangère ne perd la nationalité française que si elle le déclare expressément.» Cette solution évite de priver le ressortissant français de sa nationalité notamment dans les cas où la personne a acquis une nationalité étrangère pour la commodité de ses affaires ou de son établissement, sans pour autant souhaiter perdre ses liens avec la France. La loi du 9 janvier 1973 témoigne d une plus grande tolérance à l égard des cas de plurinationalité. Le droit interne de chaque pays laisse le soin aux engagements internationaux de limiter les situations donnant lieu à des conflits positifs de nationalité. Il faut cependant souligner que dans certains pays, il est impossible d avoir plusieurs nationalités. Ainsi la Convention du Conseil de l Europe du 6 mai 1963 sur la réduction des cas de pluralité des nationalités oblige la France à respecter, visà-vis des autres États signataires, la règle selon laquelle le majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère perd sa nationalité antérieure, sans pouvoir être autorisé à la conserver (art. 1er de la Convention du Conseil de l Europe du 6 mai 1973). Cette Convention continue donc à imposer une règle de prévention stricte que, pour sa part, le droit interne français a fini par abandonner. B. La cessation de la binationalité Certaines conventions bilatérales proposent, au profit du binational, un droit d option à la majorité. Mais c est dans le droit français que l on trouve l essentiel des mesures de cessation du conflit positif, quand bien sûr la nationalité française est en cause. Dans le cas où la nationalité française est en cause, le seul moyen de mettre un terme à une binationalité déjà constituée consiste à ne reconnaître que la nationalité française ou à renoncer à la nationalité française. La renonciation à la nationalité française peut être demandée par l intéressé, par simple déclaration expresse s il répond aux conditions des articles 23 et suivants du Code civil. Exemple : en cas de mariage avec un étranger, le conjoint français peut répudier la nationalité française à la condition qu il ait acquis la nationalité étrangère de son conjoint et que la résidence habituelle du ménage ait été fixée à l étranger (art. 23-5 du Code civil). Dans d autres cas, la déchéance de la nationalité est prononcée par décret (par exemple, perd la nationalité française, le Français même mineur, qui en demande l autorisation : art. 23-4 du Code civil). Dans l une et l autre des hypothèses, l initiative est laissée à l appréciation de l intéressé, qui peut préférer conserver la nationalité française. La binationalité 15

4. Article 23-6 du Code civil : «La perte de la nationalité française peut être constatée par jugement lorsque l intéressé, français d origine par filiation, n en a point la possession d état et n a jamais eu sa résidence habituelle en France, si les ascendants, dont il tenait la nationalité française, n ont eux-mêmes ni possession d état de Français, ni résidence en France depuis un demi-siècle. Le jugement détermine la date à laquelle la nationalité française a été perdue. Il peut décider que cette nationalité avait été perdue par les auteurs de l intéressé et que ce dernier n a jamais été français.» La perte de la nationalité française peut aussi être imposée à l intéressé (perte de la nationalité par désuétude, art. 23-6 du Code civil 4 ). Dans certains cas, le but poursuivi n est pas de faire cesser la binationalité, mais par exemple de sanctionner la désobéissance au gouvernement, ou bien de prononcer la déchéance de la nationalité française pour des personnes ayant commis des crimes très graves (art. 25 et 25-1 du Code civil). Un cas correspond spécifiquement à la volonté de faire cesser un conflit positif de nationalités : le retrait par décret de la nationalité française au français majeur qui se comporte en fait comme le national du pays étranger dont il a également la citoyenneté (art. 23-7 du Code civil). Remarque : concernant les pays du Maghreb, le ressortissant binational qui a acquis volontairement une autre nationalité ne peut pas choisir de répudier sa nationalité algérienne, marocaine ou tunisienne à moins qu il n y soit autorisé par décret du ministère de la Justice (art. 18 du Code de la nationalité algérienne, art. 19 du Code de la nationalité marocaine, art. 30 du Code de la nationalité tunisienne). 16 La binationalité