LES ARRETS DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L HOMME CLEFS DE LECTURE ARRET SOCIETE DE CONCEPTION DE PRESSE ET D EDITION C. FRANCE (req. n 4683/11), le 25 février 2016 http://hudoc.echr.coe.int/eng#{"itemid":["001-160825"]} ARTICLE 10 Liberté d expression Dans l affaire Société de conception de presse et d édition c. France, la requérante allègue que sa condamnation pour atteinte au droit au respect de la vie privée a entraîné une violation de son droit à la liberté d expression tel que prévu par l article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l homme et des libertés fondamentales (la Convention). La Cour estime qu ordonner l occultation des photographies d un jeune homme séquestré et torturé ne constitue pas une restriction disproportionnée à la liberté d expression et conclut à la non violation de l article 10 de la Convention.
En janvier 2006, I.H., âgé de vingt-trois LES FAITS ans, fut séquestré et torturé pendant vingt-quatre jours. Il succomba à ses blessures. Durant sa détention, une photographie du jeune homme entravé et ayant visiblement subi des sévices, fut envoyée à sa famille à l appui d une demande de rançon. Dans son numéro de juin 2009, à l occasion du procès des personnes soupçonnées d avoir participé à cette affaire, le magazine «Choc», édité par la société requérante, publia la photographie en couverture et quatre fois en pages intérieures. Celle-ci était accompagnée d autres photographies et d un article de plusieurs pages. LA PROCEDURE SUIVIE À la suite de cette publication, la mère et les sœurs d I.H. assignèrent la DEVANT LES JURIDICTIONS société éditrice du magazine en référé FRANÇAISES pour atteinte à leur vie privée. Par une ordonnance de référé, la société éditrice fut condamnée à retirer sous astreinte le numéro du magazine de tous les points de vente et à verser des dommages et intérêts à titre indemnitaire à la mère et aux sœurs d I.H. La cour d appel de Paris confirma l ordonnance pour l essentiel, mais remplaça le retrait du numéro par l occultation, sous astreinte, des reproductions de la photographie litigieuse dans tous les magazines mis en vente. Le 1 er juillet 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par la société éditrice du magazine «Choc». Après avoir rappelé que les proches d une personne peuvent s opposer à la diffusion de son image après son décès s ils en éprouvent un préjudice en raison d une atteinte à la mémoire ou au respect dû aux morts, elle jugea que la cour d appel avait justement estimé que la publication, qui dénotait une recherche de sensationnel, n était nullement justifiée par les nécessités de l information et que, contraire à la dignité humaine, elle constituait une atteinte à la mémoire ou au respect dû au mort et, dès lors, à la vie privée de ses proches.
SUR LE FOND Sur la violation alléguée de l article 10 de la Convention La requérante allègue devant la Cour une violation de son droit à la liberté d expression tel que prévu par l article 10 de la Convention. La Cour constate d emblée l existence d une ingérence dans l exercice par la requérante de son droit à la liberté d expression, qui était prévue par la loi, aux articles 9 et 16 du code civil, et poursuivait un but légitime, à savoir la protection des droits d autrui. Sur la nécessité de cette ingérence dans une société démocratique, dernier critère de légitimation d une atteinte au droit protégé par l article 10 de la Convention, la Cour est amenée à apprécier si un juste équilibre a été aménagé entre le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d expression. Pour ce faire, la Cour doit notamment examiner la contribution de la publication à un débat d intérêt général, la notoriété de la personne visée et l objet du reportage, le mode d obtention des informations, le contenu, la forme et les répercussions de l article et enfin la gravité de la sanction. Ainsi, la Cour constate tout d abord que l article dans son ensemble, qui concernait une affaire judiciaire et des crimes commis, avait notamment pour objet une information de nature à contribuer à un débat d intérêt général. Elle relève ensuite que la photographie concernait un simple particulier et qu une distinction pouvait être faite entre la publication d un article portant sur une affaire criminelle et la reproduction d une photographie interférant avec la vie privée d une personne. Sur le mode d obtention de l information, elle note que la photographie, qui n avait pas vocation à être présentée au public, malgré sa brève diffusion lors d une émission de télévision, a été publiée sans l autorisation des proches d I.H. Elle rappelle à ce titre l importance que revêt à ses yeux le respect par les journalistes de leurs responsabilités et obligations déontologiques. Quant au contenu, à la forme et aux répercussions de l article, elle partage le constat des juridictions nationales, selon lequel la publication a constitué une atteinte grave au sentiment d affliction de la famille du jeune homme, autrement dit à la vie privée de la mère et des sœurs d I.H. Sur ce point, elle souligne qu il incombe aux journalistes de prendre en compte l impact des informations et des images qu ils publient, en particulier lorsqu elles sont susceptibles d affecter la vie privée et familiale d autres personnes, que protège l article 8 de la Convention. Elle ajoute que la souffrance ressentie par les proches d I.H. devait conduire les journalistes à faire preuve de prudence et de précaution, dès lors que le
décès était survenu dans des circonstances particulièrement violentes et traumatisantes pour la famille de la victime et qu au contraire, la publication de cette photographie, en couverture et à quatre reprises dans un magazine à très large diffusion, a eu pour conséquence d aviver le traumatisme subi par ces derniers. Enfin, sur la gravité de la sanction, elle estime que le fait d ordonner uniquement que soient occultées les reproductions de la photographie litigieuse constituait une sanction adaptée aux circonstances de l espèce et à l atteinte à la vie privée subie par les proches d I.H., tout en emportant des restrictions proportionnées à l exercice des droits de la société requérante. Elle juge en outre que les sommes allouées à titre de provision, n étaient pas, au regard des circonstances de l affaire, excessives ou de nature à emporter un effet dissuasif pour l exercice de la liberté de la presse. En conclusion, la Cour estime que la restriction imposée par les juridictions nationales à l exercice des droits de la société éditrice a été justifiée par des motifs pertinents et suffisants, qu elle était proportionnée au but légitime poursuivi et donc nécessaire au bon fonctionnement d une société démocratique. SOLUTION APPORTEE PAR LA COUR La Cour conclut à l unanimité à une non violation de l article 10 de la Convention européenne des droits de l homme
Avertissement Ce document a été écrit par le secrétariat général de la Commission nationale consultative des droits de l homme, et n est pas un document officiel de la Cour européenne des droits de l homme. Il s inscrit dans les missions de la CNCDH d éducation et de suivi du respect de ses engagements internationaux par la France.