LA LOTERIE NATIONALE SE CONNECTE. INHOUDSTAFEL LA NOUVELLE RÉGLEMENTATION BELGE EN



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ONLINE GOKKEN IN BELGIË: EEN STAND VAN ZAKEN Christoph De Preter Jos Dumortier LA LOTERIE NATIONALE SE CONNECTE. INHOUDSTAFEL LA NOUVELLE RÉGLEMENTATION BELGE EN MATIÈRE DE JEUX À L ÉPREUVE DU DROIT COMMUNAUTAIRE ET CONSTITUTIONNEL. Christoph De Preter Jos Dumortier ICRI K.U. Leuven

1. LA LÉGISLATION BELGE EN MATIÈRE DE JEUX...3 1.1. RÉGIME GÉNÉRAL...3 1.2. LE MONOPOLE DE LA LOTERIE NATIONALE EN MATIÈRE DE JEUX ORGANISÉS AU MOYEN DES NOUVELLES TECHNOLOGIES...4 2. LA LÉGISLATION BELGE À L ÉPREUVE DU PRINCIPE CONSTITUTIONNEL D ÉGALITÉ...6 2.1. PRINCIPES...6 2.2. LA CONSTITUTIONNALITÉ DE LA LÉGISLATION EN MATIÈRE DE LOTERIES...6 2.3. LA CONSTITUTIONNALITÉ DE LA LÉGISLATION EN MATIÈRE DE JEUX DE HASARD...8 2.4. LA CONSTITUTIONNALITÉ DE LA NOUVELLE LÉGISLATION RÉGISSANT LA LOTERIE NATIONALE...10 3. LA LÉGISLATION BELGE À L ÉPREUVE DU DROIT COMMUNAUTAIRE...13 3.1. LA DIRECTIVE 98/34...13 3.1.1. Devoir de notification à la Commission européenne des règles relatives aux services...13 3.1.2. Conséquences en cas de non-notification...14 3.2. ABSENCE DE RÉGLEMENTATION HARMONISÉE...15 3.3. LIBRE CIRCULATION DES SERVICES...16 3.3.1. Principes...16 3.3.2. Evaluation de la législation belge...19 3.4. ARTICLE 86 DU TRAITÉ CE...20 3.4.1. La règle de l article 86.1. du Traité CE...20 3.4.2. Lecture combinée avec des dispositions communautaires matérielles 21 3.4.3. L exception de l article 86.2. du Traité CE...21 4. CONCLUSIONS...22 4.1. REGARD PROSPECTIF SUR LE DROIT EUROPÉEN EN MATIÈRE DE JEUX...22 4.2. REGARD PROSPECTIF SUR L ÉVOLUTION TECHNIQUE EN MATIÈRE DE JEUX...23 4.3. QUELQUES RÉFLEXIONS À PROPOS DE LA POLITIQUE BELGE EN MATIÈRE DE JEUX EN LIGNE...24 1

Le phénomène des jeux 1 législateurs nationaux. pose des problèmes évidents aux différents Par leur nature, les jeux d argent évoquent certaines considérations morales et sociales invitant les Etats à réglementer le phénomène de façon plus ou moins stricte 2. Le risque d accoutumance du joueur ainsi que le danger que le secteur des jeux soit utilisé à des fins de blanchissement d argent, font comprendre qu un intérêt réel peut exister à interdire les jeux. Pourtant, maints législateurs considèrent que l impulsion du public à parier ou à jouer est difficile à éradiquer et partant, qu il vaut mieux organiser une offre de jeux réglementés (dite régime de «canalisation» 3 ) au lieu de parcourir à un régime d interdiction. Le secteur des jeux se révèle également comme très lucratif. Les Etats se sentent donc appelés à taxer les bénéfices provenant des opérateurs, voire même à organiser eux-même certains jeux d argent. L intérêt économique que présentent les jeux peut également être indirect : songeons, en matière de promotions commerciales, à l emploi de sweepstakes, de tombolas etc. par le secteur publicitaire. Ces dernières années, un nouvel élément s ajoute aux deux constatations précédentes : l avènement des nouvelles technologies et plus particulièrement de l Internet font que l internationalisation du secteur des jeux existant déjà auparavant - se présente de façon exacerbée. Le présent article se propose d analyser la législation belge en la matière au regard du droit constitutionnel belge et du droit communautaire. Plus précisément, il sera fait état du nouveau monopole de la Loterie Nationale concernant l organisation de jeux d argent au moyen des nouvelles technologies (section 1). Les principes constitutionnels de l égalité et de la non-discrimination ont-ils été respectés par le législateur (section 2)? Le monopole de la Loterie Nationale ne se heurte-t-il pas aux principes communautaires (section 3)? Et finalement, comment le choix du législateur belge pour l octroi d un monopole en matière de jeux interactifs s inscrit-il dans les tendances européennes et techniques en matière de online gambling (jeux «en ligne») (section 4)? 1 Vu la signification spécifique du terme «jeu de hasard» en droit belge, nous utiliserons dans le présent article le terme «jeu» comme un terme générique englobant tant les jeux d argent que les jeux gratuits. Par «jeux d argent», nous désignerons tous les jeux dont la participation requiert le paiement d une somme d argent (y inclus les jeux de hasard, les loteries et les paris), par opposition aux jeux gratuits (p.ex. les jeux promotionnels, sweepstakes etc.). Voy. également à cet égard la distinction qui est opérée entre les jeux d argent et les jeux de hasard par A. MENAIS et M. MARCOUX, «Les jeux d argent sur l Internet», http://www.juriscom.net, 10 avril 2002. 2 Voy. I. ROSE, «Understanding the Law of Internet Gambling», http://www.gamblingandthelaw.com, 27 avril 2001, page 6. 3 La Belgique est un des Etats à adopter ce régime de canalisation, voy. infra. 2

1. La législation belge en matière de jeux 1.1. Régime général La législation belge en matière de jeux d argent 4 est répartie sur divers textes, ayant trait respectivement aux jeux de hasard, aux paris sportifs et aux loteries. Les différentes législations discutées brièvement ci-après prévoient essentiellement un régime de canalisation; en principe, les jeux sont interdits, mais par exception, et après autorisation par l autorité compétente, des jeux réglementés peuvent quandmême être offerts au consommateur. Jeux de hasard Ainsi, la loi du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard 5 énonce qu il est interdit d'exploiter, en quelque lieu, sous quelque forme et de quelque manière directe ou indirecte que ce soit, un ou plusieurs jeux de hasard ou établissements de jeux de hasard autres que ceux autorisés par arrêté royal délibéré en Conseil des ministres 6. La Loi définit le jeu de hasard comme tout jeu ou pari pour lequel (i) un enjeu est engagé, ayant pour conséquence soit une perte, soit un gain et pour lequel (ii) le hasard est un élément, même accessoire, pour le déroulement du jeu, la détermination du vainqueur ou la fixation du gain 7. La loi n est pas applicable aux paris et concours organisés par la Loterie Nationale, et n est que partiellement applicable aux jeux de hasard organisés par la Loterie Nationale 8. Paris sportifs et paris hippiques La Loi du 26 juin 1963 relative aux concours de paris sportifs 9 prévoit que nul ne peut, sans l autorisation des Ministres qui ont l éducation physique et les sports dans leurs attributions, organiser un concours de paris 10 sur des résultats d épreuves 4 Le présent article ne vise qu à donner une vue d ensemble de la législation actuelle. Pour une discussion approfondie, voy. C. DE PRETER, «Gokken via Internet en andere communicatiemiddelen», Kluwer Mediarecht, à paraître. 5 L. du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard, les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs, M.B. 12 décembre 1999. 6 Art. 4. 7 Art. 2, 1. 8 Art. 3bis : «La présente loi ne s'applique pas aux loteries au sens de la loi du 31 décembre 1851 sur les loteries, et des articles 301, 302, 303 et 304 du Code pénal, ni aux loteries publiques, paris et concours visés à l'article 3, 1er, alinéa 1er, de la loi du 19 avril 2002 relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie nationale. A l'exception des articles 7, 8, 39, 58, 59 et 60 et des dispositions pénales du chapitre VII se rapportant à ces articles, la présente loi ne s'applique pas aux jeux de hasard visés à l'article 3, 1er, alinéa 2, de la loi du 19 avril 2002 relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale». 9 L. du 26 juin 1963 relative à l encouragement de l éducation physique, de la pratique des sports et de la vie en plein air ainsi qu au contrôle des entreprises qui organisent des concours de paris sur les résultats d épreuves sportives, M.B. 25 décembre 1963. 10 La notion de «concours de paris» donne lieu à des problèmes d interprétation : pourquoi la loi ne s applique-t-elle pas aux simples «paris»? D après la Circ. min. du Ministre des finances du 31 décembre 1990 relative au taxe sur les jeux et paris, tombent seuls sous le coup de la L. du 26 juin 1963 les paris mutuels («onderlinge weddenschappen»), à l occasion desquelles le rôle de l organisateur est limité à mettre en contact les joueurs, sans prendre de risque personnel. L organisateur réunira les mises et les distribuera entre les gagnants après prélèvement d une quotité. Les paris à la cote («weddenschappen op notering») quant à eux, à l occasion desquelles l organisateur parie contre 3

sportives autres que les courses de chevaux si ce concours implique un versement de droits d inscription ou d enjeux par des tiers, ni diffuser ou faire colporter en Belgique des bulletins de participation à de tels concours organisés à l étranger 11. La Loi du 26 juin 1963 n est pas applicable aux paris sportifs organisés par la Loterie Nationale 12. L organisation de paris sur les courses de chevaux courues en Belgique et à l étranger est soumise à une législation spécifique qui, elle aussi, requiert l octroi d une autorisation antérieure par le Ministre des finances 13. Loteries Dans un même esprit de canalisation, la Loi du 31 décembre 1851 14 interdit en principe l organisation des loteries. Alors que les loteries commerciales sont toujours prohibées, les loteries exclusivement destinées à des actes de piété ou de bienfaisance, à l'encouragement de l'industrie ou des arts, ou à tout autre but d'utilité publique 15 peuvent être autorisées, de même que la diffusion sur le territoire belge de billets des loteries étrangères 16. Signalons d ores et déjà que la Loterie Nationale jouit d un monopole en ce qui concerne l organisation de loteries par les pouvoirs publics 17. 1.2. Le monopole de la Loterie Nationale en matière de jeux organisés au moyen des nouvelles technologies La Loterie Nationale comme prestataire monopoliste d un service public La nouvelle Loi du 19 avril 2002 relative à la Loterie Nationale qualifie les loteries publiques, les paris, concours et jeux de hasard organisées par la Loterie Nationale comme «des tâches de service public» 18. La Loterie Nationale se voit attribuer un monopole (i) sur le «service public» consistant à organiser des loteries publiques 19, ainsi que (ii) sur les «services publics» chaque joueur en fonction d une cote conventionnelle (p. ex. 1 contre 10) ne seraient pas régis par la Loi. Il importe de noter qu une telle interprétation aboutirait à laisser les paris à la cote dans un vide juridique, attendu que la Loi sur les jeux de hasard exclut de façon générale tout pari sportif de son champ d application (art. 3, 1 ). 11 Art. 1 er. 12 Art. 38 de la L. du 19 avril 2002 relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale, M.B. 4 mai 2002. Cette Loi est entrée en vigueur le 26 juillet 2002, date de publication au M.B. de l A.R. du 9 juillet 2002 fixant les statuts de la Loterie Nationale. 13 Art. 66 du Code des taxes assimilés aux impôts sur les revenus du 23 novembre 1965, M.B. 18 janvier 1966. 14 L. du 31 décembre 1851 sur les loteries, M.B. 7 janvier 1852. 15 L autorisation est accordée par le collège de bourgmestre et échevins, si l'émission des billets n'est faite et annoncée que dans une commune, et n'est publiée que dans les journaux qui s'y impriment; par la députation permanente du conseil provincial, si l'émission des billets est faite et annoncée dans différentes communes de la province ou publiée dans les journaux qui s'y impriment, et par le gouvernement, si l'émission des billets est faite et annoncée ou publiée dans plus d'une province (Art. 7 de la L. du 31 décembre 1851). 16 P. NIHOUL et M. STRUYS, «La législation belge en matière de loterie au regard du droit communautaire : approche d un monopole étatique», A.P.T., 1995, p. 193. 17 Art. 6 1, 1 de la L. du 19 avril 2002. 18 Art. 7. 19 Sous l empire de l ancienne législation (L. du 31 décembre 1851 et L. du 22 juillet 1991 relative à la Loterie Nationale, M.B. 31 juillet 1991), la Loterie Nationale jouissait également d un monopole en matière de loteries publiques, bien que la loi n utilisait pas le terme «monopole» de façon expresse. 4

consistant à organiser des paris, concours et jeux de hasard, pour autant qu il soit fait usage d «outils de la société d information» 20. Le législateur a choisi de ne pas définir ce dernier terme dans la loi : un amendement allant dans ce sens n a pas été accepté lors des discussions au Sénat 21. Il résulte des travaux préparatoires 22 que la notion d «outil de la société d information» se fonde sur la définition européenne bien connue des «services de la société d information», reprise dans la directive 98/34 23. Ainsi, l organisation de jeux d argent par Internet, par SMS, par WAP ou par télévision digitale est désormais, à l exception d un cas d espèce plutôt théorique 24, exclusivement réservée à la Loterie Nationale. L attribution du monopole ne signifie pas que d autres opérateurs ne sauraient plus offrir des jeux à l étranger à partir du territoire belge. En effet, le monopole ne s applique qu aux jeux proposés sur le territoire belge 25. Inversément, des opérateurs étrangers organisant des jeux d argent au moyen d instruments de la société d information peuvent se trouver en infraction avec le monopole accordé à la Loterie Nationale. Critique Il nous semble inapproprié de qualifier l organisation d une offre de jeux comme une tâche de service public. Un service public peut être défini de façon fonctionnelle comme un service qui répond à un besoin collectif du public, et qui ne peut être réalisé complètement que par l autorité 26. Or, bien que selon le législateur, le phénomène des jeux ne peut être déraciné, il est, à notre avis, loin de constituer un besoin de la collectivité. N a-t-on pas délibérément utilisé la qualification de service public afin de justifier l octroi d un monopole (élargi) à la Loterie Nationale? En effet, les services publics sont traditionnellement associés aux monopoles 27. 20 Art. 7 et Art. 6 1 de la L. du 19 avril 2002. 21 Projet de loi relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale, Amendement n 3 des Messrs. HORDIES et MORAEL, Doc. Parl. Sénat, sess. ord. 2001-2002, n 2-1003/3, pp. 1 et 2. 22 Projet de loi relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale, Rapport fait au nom de la commission des finances et des affaires économiques, Doc. Parl. Sénat, sess. ord. 2001-2002, n 2 1003/4, p. 27. 23 Dir. (CE) 98/34 du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d information dans le domaine des normes et réglementations techniques, J.O.C.E., L. 204, du 21 juillet 1998, p. 37, modifiée par la dir. CE 98/48 du 20 juillet 1998, J.O.C.E., L. 217, du 5 août 1998, p. 18. D après l art. 1.2 de cette directive, un service de la société de l information est «tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d un destinataire de services». 24 Le monopole conféré à la Loterie Nationale n empêche pas l organisation de loteries exclusivement destinées à un but d utilité publique moyennant une autorisation administrative (art. 7 de la L. du 31 décembre 1851). Il est dès lors théoriquement concevable qu une telle autorisation soit émise pour l organisation d une loterie «de bienfaisance» interactive, p. ex. par Internet. 25 Projet de loi relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale, Rapport fait au nom de la commission des finances et des affaires économiques, o.c., p. 13. 26 L.P. SUETENS et S. SWARTENBROUX-VANDERHAEGEN, «Evolutie van het begrip openbare dienst», in L.P. SUETENS, Op de grens van het ideaal denkbare en het praktisch haalbare, Die Keure, Brugge, 1997, p. 465. Voy. également infra, 3.4.3. 27 W. DEVROE, «Universele dienstverlening als nieuwe manier van denken?», S.E.W., 2000/3, p. 88. 5

2. La législation belge à l épreuve du principe constitutionnel d égalité 2.1. Principes La Cour d arbitrage vérifie la conformité des lois fédérales avec les principes constitutionnels d égalité et de non-discrimination 28. Dans ce cadre, la Cour procède à une évaluation en plusieurs étapes 29 : i) Les différentes catégories ou situations entre lesquelles une discrimination est alléguée, sont-elles assez comparables? ii) Existe-t-il une différence de traitement entre ces catégories? Il importe à cet égard de noter qu une différenciation doit être opérée en droit, et non pas en fait ou par l application individuelle d une certaine norme, p. ex. par le Roi 30. iii) Ces catégories sont-elles objectives? iv) La différenciation est-elle justifiée? v) Cette justification est-elle raisonnable? vi) La différenciation est-elle pertinente par rapport aux buts, aux effets ou à la nature des principes en cause? vii) Finalement, la Cour s interrogera s il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le traitement différencié et l objectif poursuivi. La Cour s est déjà prononcée à plusieurs reprises sur la constitutionnalité du régime juridique en matière de jeux. Avant de se pencher sur la question du caractère discriminatoire de la Loi du 19 avril 2002 (voy. infra, 2.4.), nous parcourrons la jurisprudence de la Cour en matière de loteries (2.2.) et en matière de jeux de hasard (2.3.) 2.2. La constitutionnalité de la législation en matière de loteries Un premier contentieux soumis à la Cour d arbitrage concernait la pratique dite des «sweepstakes» 31. La Cour de Cassation avait préalablement tranché que les 28 Art. 142, 2 Const. 29 Voy. P. VANDERNOOT, «Le principe d égalité dans la jurisprudence de la Cour d arbitrage», A.P.T., 1997, p. 99. 30 G. DE BAETS, «Het gelijkheidsbeginsel in het kader van de rechtspraak van het Arbitragehof», in F. MOEYKENS (éd.), De Praktijkjurist, Gent, Academia Press, 2001, p. 19. 31 Le sweepstake consiste à «organiser, sous le contrôle d un huissier de justice, un tirage au sort, préalable à tout contact avec le public, de numéros gagnants ; à adresser ensuite, sous forme de lettres personnalisées, à un nombre important de personnes présélectionnées des messages publicitaires comportant des bons de participation numérotés accompagnés d une offre d achat de un ou plusieurs articles avec invitation à choisir entre deux possibilités : renvoyer le titre de participation en vue de connaître le résultat du tirage sans effectuer d achat ou accompagner le renvoi d un bon de commande» (Mons 11 décembre 1991, Annuaire Pratiques du Commerce 1991, pp. 246 et s.), ce qui induirait le consommateur à accompagner le renvoi d une commande, pensant que ceci augmenterait ses chances de gain. 6

sweepstakes constituaient une loterie interdite, nonobstant l absence de mise ou d un risque quelconque de perte 32. La Cour d appel de Mons a, dans une affaire qui confrontait l Etat belge à la société Reader s Digest, soumis à la Cour d arbitrage la question préjudicielle suivante : l interdiction de certaines formes de loterie constitue-t-elle une discrimination vis-à-vis d autres formes qui, elles, sont bien autorisées (en particulier les loteries organisées par la Loterie Nationale)? Dans son arrêt du 18 février 1993 33, la Cour d arbitrage a adopté une position qui ne peut guère surprendre : la législation belge en matière de loteries a été jugée non-discriminatoire. Le raisonnement de la Cour correspondait largement au concept d évaluation élaboré ci-dessus 34. Dans un premier temps, la Cour s est penchée sur le critère de différenciation employé par le législateur. Inspirée par le souci de condamner un mode d enrichissement jugé immoral, la loi pose le principe de l interdiction des loteries, tout en prévoyant une double exception, d une part pour les loteries exclusivement destinées à un but d utilité publique, d autre part pour les loteries organisées par la Loterie Nationale. La Cour a considéré qu «en prévoyant que l interdiction des loteries peut être levée au profit de celles dont les bénéfices sont affectés aux fins ( ) d intérêt général, le législateur a retenu un critère objectif de différenciation» 35. Par ailleurs, «le critère d affectation des bénéfices à des fins d intérêt général ou humanitaire comme condition d autorisation de la loterie reflète, de façon pertinente, le souci du législateur de ne déroger au principe de la prohibition qu au profit du seul intérêt de la collectivité» 36. Avec D. Van Bunnen, on peut se demander si le mobile véritable derrière la législation en matière de loteries n est actuellement pas davantage cette réservation d une source de revenus aux organisations les affectant à des buts d intérêt public, que la protection du citoyen contre la passion du jeu 37. Enfin, la Cour a jugé qu il existe un rapport de proportionnalité raisonnable entre les moyens employés et le but visé, vu que «la loi n interdit pas aux personnes ou organisations souhaitant organiser une loterie ( ), d acheter des billets émis par une loterie autorisée et de mettre ensuite, elles-mêmes, ces billets en circulation» 38. 32 Cass. 15 septembre 1992, Pas. 1992, I, 1035. 33 C.A. 18 février 1993, n 12/93, M.B. 24 avril 1993. 34 Voy. supra, 2.1. 35 Ibid., considérant B.7.1. 36 Ibid., considérant B.7.2. 37 D. VAN BUNNEN, «La publicité suscitant des espoirs fallacieux ou le sweepstake à l épreuve du nouvel article 23,10 de la loi sur les pratiques du commerce et de l article 30 du Traité C.E.E.», note sous Anvers, 29 juin 1993, J.T., 1994, 88. 38 C.A. 18 février 1993, n 12/93, o.c., considérant B.8. 7

2.3. La constitutionnalité de la législation en matière de jeux de hasard Bon nombre d intéressés ont introduit des recours en annulation de la Loi du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard devant la Cour d arbitrage. En particulier le secteur des salles de jeux s est insurgé de façon virulente contre la nouvelle législation 39. Une première critique invoquée devant la Cour concernait la différenciation entre les jeux de hasard d une part, et les loteries et paris sportifs d autre part. La Cour d arbitrage a rejeté cet argument 40 en prônant les différences qui existent entre ces formes de jeux, justifiant un traitement différencié : (i) vu que les sports tiennent à l'exercice ou à l'adresse du corps, les paris sportifs seraient indépendants de toute intervention du hasard, et le législateur ne prendrait donc pas une mesure discriminatoire en les excluant d'une réglementation portant sur les jeux de hasard 41 ; (ii) la loterie est différente du contrat de jeu en ce que les joueurs ne participent pas de façon active au jeu, et en ce que les heures d'accès au jeu sont telles que le risque de dépendance serait moindre. Un autre grief concernait l interdiction d organiser des jeux de hasard en dehors des établissements dûment autorisés. A raison, la Cour d arbitrage a décidé que le législateur est libre de déterminer de manière limitative les endroits dans lesquels ces jeux peuvent être exploités, afin de garantir l'efficacité des contrôles 42. Les griefs relatifs au traitement discriminatoire des salles de jeux (établissements de classe II) par rapport aux casinos (établissements de classe I) ont également été rejetés par la Cour, au motif que «le seuil d'accessibilité des jeux de hasard automatiques est assez bas en comparaison avec celui des casinos» 43, et que «l'ampleur des investissements, notamment immobiliers, nécessaires pour un casino 39 En effet, comparée à la L. précédente du 24 octobre 1902 sur le jeu, la L. du 7 mai 1999 constitue un frein considérable sur les activités de ce secteur économique (P. ROSSEEL, «Sociale bescherming versus vrijheid van handel», note sous C.A. 13 juillet 2001, n 100/01, Vigiles, 2001, 187). 40 C.A. 13 juillet 2001, n 100/01, M.B. 7 août 2001, considérant B.11.1. 41 Le raisonnement de la Cour d arbitrage ne convainc pas sur ce point. Il nous paraît que le régime différencié en matière de paris sportifs ne peut trouver sa justification dans la nature mê me du jeu. En effet, bien que les paris sportifs ne tombaient pas sous le champ d application de la L. sur le jeu de 1902 en raison du fait qu ils étaient engagés à l occasion d un jeu tenant à l exercice ou à l adresse du corps (art. 7), cela ne signifiait pas pour autant que les paris sportifs seraient exempts de tout élément de hasard. C est ainsi qu en matière pénale, pour que l article 305 C.pén. soit appliqué à des paris sportifs, «il appartient dans chaque cas au ministère public d établir que le joueur s en est remis au hasard quant au placement de ses mises ( ). En effet une des questions importantes est de savoir si les paris émanent de personnes qui se sont livrées à des recherches et études en la matière et sont dès lors raisonnés et étudiés ou si, en revanche, les parieurs sont des personnes étrangères aux choses du sport qui se déterminent aveuglement notamment par les renseignements des journaux dont elles sont incapables de contrôler la valeur» (note A.D.N. sous Bruxelles, 10 avril 1992, Rev. dr. pén., 1992, pp. 238 s.). Il apparaît donc que les paris sportifs ne sont pas automatiquement dépourvus de tout élément de hasard ; au contraire, le caractère aléatoire du pari dépendra en fonction du joueur individuel. 42 C.A. 13 juillet 2001, n 100/01, o.c., considérant B.12.2. 43 Ibid., considérants B.13.2. (concernant le fait que pour les jeux organisés dans les casinos, la loi ne prévoit pas de perte maximale, contrairement à ce qui prévaut pour les jeux organisés dans les salles de jeux) et B.21.2. (concernant le fait que l organisation d une restauration n est possible que dans les casinos). 8

est plus grande que pour une salle de jeux automatiques» 44. De même, la différence de traitement entre les casinos et salles de jeux d une part, et les débits de boisson (établissements de classe III) d autre part (le législateur obligeant seulement les premiers à tenir un registre identifiant précisément les personnes accédant à ces établissements), a été admise par la Cour 45. Sur un point, la Cour d arbitrage a considéré que la loi sur les jeux de hasard contenait une disposition discriminatoire. En effet, la loi subordonnait l'exportation et la production de jeux de hasard destinés à l'exportation à une licence à conférer par la commission des jeux de hasard. Bien qu il appartient au législateur de limiter effectivement, en raison de considérations éthiques, l'exportation des jeux de hasard produits en Belgique, la Cour a considéré que la loi contenait une mesure disproportionnée : ni la contribution aux frais et dépenses de la commission des jeux de hasard ni la garantie matérielle à fournir 46 ne sauraient se justifier en ce qui concerne les exportateurs et les producteurs de jeux destinés à l exportation, la commission des jeux de hasard ne remplissant aucune mission substantielle à leur égard. Dès lors, l art. 71 de la loi sur les jeux de hasard a été annulé en ce qu elle s appliquait aux exportateurs et aux producteurs de jeux de hasard destinés à l'exportation 47. Force est donc de constater que les limitations apportées par la Loi sur les jeux de hasard à une activité pourtant essentiellement économique, n ont pas été jugées discriminatoires, ces limitations étant inspirées par des objectifs légitimes. Afin de réduire le risque que posent les jeux de hasard aux individus, le législateur est en droit de fixer des règles relatives à l éthique professionnelle et l organisation et contrôle du secteur 48. 44 Ibid., considérant B.16.2. (concernant le fait que la durée de validité des licences pour les casinos est de 15 ans, alors qu elle est de 9 ans pour les salles de jeux). 45 Ibid., considérant B.27.2. Selon la Cour, ce traitement différencié est justifié non seulement en raison de la difficulté de mettre pareille règle en œuvre dans débits de boissons, mais surtout en raison de la circonstance que la fréquentation des débits de boissons n'est pas principalement motivée par les jeux dont l'exploitation est en revanche l'activité essentielle des établissements des deux autres catégories. 46 Cette garantie était fixée à une somme de 500.000 francs par tranche entamée de 50 appareils. 47 Ibid., considérant B.27.2. 48 P. ROSSEEL, «Sociale bescherming versus vrijheid van handel», o.c., p. 191. 9

2.4. La constitutionnalité de la nouvelle législation régissant la Loterie Nationale La Loi du 19 avril 2002 a introduit une différenciation entre les modalités d organisation de jeux d argent online et offline. Tandis que dans le monde «réel», cette organisation peut être admise par le biais d un régime de licences, elle est exclusivement réservée à la Loterie Nationale dans le monde «virtuel» (voy. supra, 1.1. et 1.2.). Suivant le procédé d évaluation déjà évoqué (voy. supra, 2.1.), nous vérifierons ci-après si la nouvelle législation ne discrimine pas les opérateurs de jeux privés par rapport à la Loterie Nationale 49. Objectivité de la différenciation La politique belge en matière de jeux d argent serait «ancrée sur deux piliers : le secteur lucratif sous le contrôle de la commission des jeux de hasard 50 et le secteur non-profit, c est à dire principalement la Loterie Nationale, sous le contrôle du Gouvernement» 51. Cette distinction entre la Loterie Nationale et le secteur privé semble s inscrire dans le raisonnement que la Loterie Nationale offre un service public. Bien que ce raisonnement nous paraît erroné (voy. supra, 1.3.), il n en demeure pas moins que la différenciation se fonde sur un critère objectif. Justification du traitement différencié Il ressort des travaux préparatoires qu en octroyant un monopole sur les jeux organisés par le biais d un instrument de la société d information, le législateur a souhaité optimaliser sa politique de canalisation 52. La prohibition des jeux interactifs étant la règle générale, une exception a été faite pour la Loterie Nationale : tout d abord, placée sous le contrôle direct du gouvernement, elle serait plus facilement contrôlable que le secteur privé 53. Deuxièmement, le législateur a considéré que «les loteries peuvent, grâce à leur forte image de fiabilité auprès du consommateur, fournir une importante contribution sociale au développement du commerce 49 Dans son avis, la section législation du Conseil d Etat avait déjà mentionné, sans toutefois préciser sa position, qu «en ce qui concerne les jeux de hasard et les paris sur les épreuves sportives, reconnaître un monopole à la Loterie Nationale semble incompatible avec le régime organisé par les lois [en matière de paris sportifs et jeux de hasard]», Projet de loi relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale, Avis du Conseil d Etat, Doc. Parl. Chambre, sess. ord. 2001-2002, n 1339/1, p. 70. 50 Il est incorrect que la commission des jeux de hasard supervise tout le secteur lucratif ou privé. Son champ d action est limité aux seuls jeux de hasard dans le sens de la L. du 7 mai 1999. Ainsi, par exemple, les organisateurs des paris sportifs et des paris sur courses hippiques, qui ne sont pas contrôlés par la commission des jeux de hasard, relèvent indubitablement du secteur privé ou lucratif. 51 Projet de loi relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale, Exposé des motifs, o.c., p. 20. 52 «En contraignant la Loterie Nationale (comme exigé, par exemple, au RoyaumeUni, pour l obtention de la nouvelle licence de loterie) à utiliser les nouvelles technologies (Internet et d autres services interactifs), on pourrait mener une politique de canalisation générale plus efficace, qui attire le joueur par une Loterie Nationale compétitive et attractive», Projet de loi relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale, Exposé des motifs, Doc. Parl. Chambre, sess. ord. 2001-2002, n 1339/1, p. 19. 53 Note du ministre de la Justice concernant les jeux sur Internet, Projet de loi relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale, Rapport complémentaire de la commission des finances et du budget, Doc. Parl. Chambre, sess. ord. 2001-2002, n 1339/9, annexe 2. 10

électronique business to consumer» 54. Finalement, le législateur espérait que le monopole octroyé à la Loterie Nationale conduirait une plus large partie des recettes de jeux vers elle et «briderait» (sic) les activités des autres opérateurs de jeux 55. La légitimité de ce dernier objectif nous semble questionnable, les opérateurs de jeux étant titulaires d une licence et déployant une activité tout à fait licite 56. Pertinence de la différenciation Contrairement à ce que les débats parlementaires feraient parfois croire, la nouvelle loi étend le champ d action de la Loterie Nationale non seulement à l Internet, mais également à tous les autres nouveaux médias, y inclus la télévision digitale, SMS et WAP. Une accessibilité accrue des jeux d argent risque d en résulter : le consommateur ne sera plus lié aux heures d ouverture des tabacs pour se prémunir de son billet de loterie, ni pour faire ses mises dans une salle de jeux. Par contre, il pourra, d où il veut et quand il veut, accéder à une offre de jeux interactifs. Bien qu une offre de jeux sur l Internet est établie depuis quelques années déjà, nous croyons que l utilisation de moyens de communication usuels comme p. ex. le SMS, peut induire davantage des joueurs nouveaux à tenter leurs chances. Dès lors, nous concevons mal comment cette offre de jeux supplémentaire entre dans la logique de «canalisation» prônée par le législateur 57. En outre, du fait que la nouvelle loi ouvre la possibilité pour le secteur privé de participer au capital de la Loterie Nationale et, inversément, permet à la dernière de participer au capital d autres sociétés 58, l argument qu une entreprise contrôlée directement par le gouvernement serait mieux placée afin d optimaliser une politique de canalisation perd sa pertinence. Proportionnalité de la nouvelle législation par rapport à l objectif poursuivi Nous sommes d avis que, si une offre de jeux interactifs s avérait nécessaire afin d optimaliser la politique belge de canalisation, cette canalisation pourrait être atteinte par le biais de moyens moins extrêmes qu un monopole. En effet, nous avons du mal à croire que l octroi d un monopole des pouvoirs publics s impose, dès lors que le contrôle d exploitants privés serait plus difficile à réaliser. Ainsi, en matière de jeux de hasard, le législateur, en instaurant un régime de licences dont le respect est assuré par la commission des jeux de hasard, a apparemment jugé que les pouvoirs publics sont bel et bien en mesure de contrôler le secteur privé. 54 Projet de loi relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale, Exposé des motifs, o.c., p. 22. 55 Ibid., p. 19. 56 En matière de conformité du monopole aux principes communautaire de la libre circulation des services (voy. infra), le Conseil d Etat a, dans une même ligne de pensée, énoncé que «l objectif de réduire les activités licites de jeux de hasard du secteur privé au profit de la Loterie Nationale ne peut, à lui seul, justifier des restrictions à la libre prestation des services», Projet de loi relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale, Avis du Conseil d Etat, o.c., p. 64. 57 Voy. également le projet de loi relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale, Avis du Conseil d Etat, o.c., p. 65. 58 L. du 19 avril 2002, o.c., art. 5. Voy. également les remarques du sénateur D Hooghe, Ann. Parl., Sénat, sess. ord. 2001-2002, séance du 27 mars 2002, p. 17-18. 11

Un pareil contrôle est tout aussi possible pour les jeux organisés par SMS, WAP ou par télévision digitale. Ces moyens de communication sont en effet opérés par des intermédiaires localisés sur le territoire belge soumis à une obligation de licence, ce qui permet aux autorités publiques d assurer le respect de la législation en vigueur 59. En ce qui concerne l Internet, il est vrai que la nature décentralisée et transfrontalière de ce réseau complique jusqu à présent le contrôle des jeux offerts à partir de l étranger. L octroi d un monopole ne changera cependant guère cet état des choses, le consommateur belge ayant toujours accès à cette offre étrangère, et n est donc pas justifié à cet égard. Conclusion intermédiaire Au vu de ce qui précède, il paraît opportun d émettre des doutes quant à la proportionnalité et même la pertinence de certaines mesures contenues dans la nouvelle réglementation en matière de jeux. L on pourrait maintenir que la nouvelle loi viole le principe d égalité voire même le droit de la propriété 60. Il importe toutefois de réaliser qu il n appartient pas à la Cour d arbitrage de censurer le choix du législateur, dès lors que celui-ci est justifié par des considérations qui ne sont pas manifestement déraisonnables 61. «La jurisprudence de la Cour est relativement bienveillante à l égard des restrictions, même absolues, à la liberté de commerce et d industrie. Il faut une atteinte fondamentale à cette liberté pour que la Cour fasse preuve de sévérité» 62. La qualification de la mission de la Loterie Nationale comme service public, bien qu elle soit incorrecte et regrettable, risque à cet égard de diminuer le pouvoir d appréciation de la Cour. Nous avons appris que certains intéressés issus du secteur privé des jeux ont l intention d intenter un recours en annulation de la nouvelle législation. Il se peut donc que la Cour d arbitrage ait le dernier mot sur la constitutionnalité de la nouvelle Loi du 19 avril 2002. 59 Ainsi, par exemple, la commission des jeux de hasard a porté plainte auprès du Parquet après que des jeux de hasard par SMS aient été offerts à travers le réseau de deux opérateurs mobiles (http://www.belgsm.com/journal/article2002/sms/020502.htm). L offre illégale a immédiatement été cessée (voy. également E. KEULEERS et TH. VERBIEST, «Les jeux de hasard par SMS sont-ils légaux?», http://www.droit-technologie.org, 13 mai 2002). 60 En effet, à supposer que la L. du 26 juin 1963 ne s applique qu aux paris mutuels et non pas aux paris à la cote (voy. supra, note 10), des opérateurs de sites offrant la possibilité de miser sur des paris à la cote se voient, par la nouvelle loi, privées d une source de revenus tout à fait licité. Or, cette privation peut constituer une expropriation au sens de l article 1 er du Premier Protocole de la Convention des Droits de l Homme. Voy. pour une discussion approfondie : P. VANDERNOOT, «La Cour d arbitrage et le droit de propriété», A.P.T., 1999, p. 200 et s. 61 Voy. p. ex. C.A. 17 décembre 1997, n 81/97, M.B. 21 janvier 1998. 62 P. VANDERNOOT, «La Cour d arbitrage et le droit de propriété», o.c., p. 209. 12

3. La législation belge à l épreuve du droit communautaire 3.1. La Directive 98/34 La Directive 98/34 63 (ci-après dénommée la «Directive de notification») vise entre autres d assurer une approche coordonnée de l activité réglementaire des Etats membres en matière des nouveaux services de l information. Nous examinerons ciaprès si les dispositions de la Directive ont été respectées lors de l adoption de la Loi du 19 avril 2002 et quelles sont les conséquences juridiques en cas de non-respect. 3.1.1. Devoir de notification des «règles relatives aux services» à la Commission européenne Les Etats membres doivent communiquer immédiatement à la Commission (i) tout projet 64 de règle relative aux services, c est-à-dire. toute exigence de nature générale relative à l accès aux activités de services de la société de l information, y compris les dispositions législatives interdisant de fournir ou d utiliser un service ou de s établir comme prestataire de services 65. Les Etats membres doivent également communiquer (ii) les raisons pour lesquelles ils jugent l adoption d une telle règle nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet et (iii) le cas échéant, le texte des dispositions législatives et réglementaires de base principalement et directement concernées 66. Après notification d un pareil projet à la Commission, les Etats membres sont tenus de reporter l adoption de la règle relative aux services de trois mois. Ce délai est prolongé d un mois si la Commission ou un Etat membre font valoir que la règle présente des aspects pouvant créer des obstacles à la libre circulation des services ou à la liberté d établissement des opérateurs de services dans le cadre du marché intérieur 67. Une règle est considérée comme visant spécifiquement les services de la société de l information lorsque, au regard de sa motivation et du texte de son dispositif, elle a pour finalité et pour objet spécifiques, dans sa totalité ou dans certaines dispositions ponctuelles, de réglementer de manière explicite et ciblée ces services 68. A cet égard importent peu les motifs qui ont justifié l adoption d une certaine règle. En effet, la règle relative aux services se définit en fonction de ses effets, et non en fonction de 63 Dir. (CE) n 98/34 du Parlement et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l information, o.c., comme modifiée par la Dir. (CE) n 98/48 du Parlement et du Conseil du 20 juillet 1998 portant modification de la Dir. 98/34, o.c. Une version consolidée officieuse est disponible sur le site web de la Commission (http://europa.eu.int/comm/enterprise/tris/consolidated/index_fr.pdf). 64 Par projet, la Dir. 98/34 entend un texte qui se trouve à un stade de préparation où il est encore possible d y apporter des amendements substantiels (art. 1, point 12). 65 Art. 8, 1 al. 1 jo.1, point 11). 66 Art. 8, 1 al. 1 et 2. 67 Art. 9. 68 Art. 1, point 5). 13

ses objectifs 69. L on ne pourra donc argumenter qu étant inspirée par des motifs de protection de l intérêt général, la Loi du 19 avril 2002 ne devait pas être notifiée 70. En vue de l utilisation qui est faite du terme instruments de la société de l information dans l art. 7 de la Loi du 19 avril 2002, et de la signification qui y est attribuée dans les travaux préparatoires, nous estimons que le projet de loi aurait dû être notifié auprès de la Commission. A notre connaissance, ceci n a pas été fait 71. 3.1.2. Conséquences en cas de non-notification Dans l arrêt Securitel, la Cour de justice a décidé que les articles 8 et 9 de la Directive de notification sont inconditionnels quant à leur contenu et suffisamment précis et partant, peuvent être invoqués par des personnes privées devant le juge national 72. La sanction de la non-notification d une règle relative aux services sera donc son inopposabilité envers ces personnes privées 73. Conformément à cette jurisprudence, certains opérateurs de jeux online seraient en droit de ne pas respecter le monopole de la Loterie Nationale 74. Ceci ne veut pas dire pour autant que ces opérateurs pourront impunément développer leurs activités sans fin. En effet, quand la Commission européenne est d avis qu une certaine réglementation aurait dû être notifiée, elle en informera l Etat membre concerné, et elle lui demandera d introduire un nouveau projet. Lorsque ni la Commission, ni les autres Etats membres n ont des commentaires sur le premier projet non-notifié, il suffira pour l Etat membre de reprendre littéralement le texte initial dans son deuxième projet, tout en stipulant dans un article additionnel du nouveau projet que ce dernier texte, bel et bien notifié, remplace le texte antérieur. Ainsi par exemple, l Etat belge a en 2001 remarqué qu elle avait omis de notifier un arrêté royal établissant un règlement technique pour la gestion du réseau de transport 69 C est ainsi que la Cour de justice des Communautés européennes a jugé que le fait qu une mesure nationale ait été adoptée pour protéger l environnement n exclue pas qu elle puisseconstituer une règle technique au sens de la Dir 83/189, prédécesseur de la Dir. 98/34 (Voy. C.J.C.E. 20 mars 1997 (BIC BENELUX S.A. C. ETAT BELGE), 13/96, Amén. 1998, p. 36, obs. W. VOGEL, considérant 19-20 ; voy. également EUROPEAN COMMISSION COMMITTEE ON STANDARDS AND TECHNICAL REGULATIONS, Directive 98/34/EC The 83/189 Notification procedure working paper : Court of justice judgments and Commission practice, à consulter en ligne : http://europa.eu.int/comm/enterprise/tris/ court/index_ EN.doc). 70 La Cour de justice avait déjà décidé que des règles appartenant au domaine du droit pénal ne sont pas ipso facto exclues du champ d application du champ d application de la Dir. 83/189. En effet, rien dans cette directive n indiquait que son champ d application était limité aux produits destinés à des usages qui ne relèvent pas des prérogatives de la puissance publique (C.J.C.E. 16 juin 1998 (LEMMENS), 226/97, Rec. C.J.C.E. 1998, p. I-3711, concl. FENNELLY, considérant 19-20. 71 Les notifications faites par les Etats membres auprès de la Commission européenne peuvent être consultées en ligne : http://europa.eu.int/comm/enterprise/tris/pisa/app/search/index.cfm?lang=fr (consulté pour la dernière fois le 26 août 2002). 72 C.J.C.E. 30 avril 1996 (CIA SECURITY INTERNATIONAL S.A. C. SIGNALSON S.A. et SECURITEL S.P.R.L.), 194/94, Rec. C.J.C.E. 1996, p. I-2201, concl. ELMER. 73 Y. MONTANGIE, «De Europese notificatierichtlijn : de recente wijziging(en) en het vraagstuk van de sanctionering», T.B.P., 1999, p.254. 74 Sous condition, évidemment, que nulle autre disposition légale ne s oppose à l organisation de ces jeux. En pratique, ceci sera seulement le cas pour les organisateurs de paris sportifs «à la cote» (voy. supra, note 10). 14

de l'électricité et l'accès à celui-ci 75. Lorsqu il s est rendu compte de cette erreur, la Belgique a notifié un nouveau projet d arrêté royal à la Commission reprenant le texte du premier arrêté royal tout en l abrogeant 76. A l occasion d une question parlementaire, le Ministre compétent a récemment indiqué que les services de la Commission européenne ont entamé une enquête sur l absence de notification de la Loi du 19 avril 2002. Le gouvernement belge a été appelé à répondre à des questions de la Commission avant le 22 novembre 2002 77 3.2. Absence de réglementation harmonisée Jusqu à ce jour, il n existe aucune réglementation harmonisée en matière de jeux au niveau européen. De plus, certaines réglementations ayant une coïncidence potentielle avec le marché des jeux, comme la directive sur le commerce électronique 78 ou le projet de règlement en matière de promotions de vente 79, sont expressément non-applicables aux jeux 80. Quand la Commission européenne a annoncé son intention de réglementer le secteur des jeux en 1991, les (à l époque) douze Etats membres se sont vigoureusement opposés à cette intervention. La Commission a ensuite déclaré renoncer à une réglementation du secteur des jeux, tout en se réservant la faculté d une intervention future en raison des évolutions technologiques 81. En réponse à une question parlementaire 82, la Commission européenne a affirmé en juillet 2001 qu elle était, dans le cadre d une consultation sur base de la communication «Une stratégie pour le marché intérieur des services» 83, invitée à reconsidérer la nécessité d'une harmonisation dans ce domaine. A l époque, la Commission avait également annoncé que les restrictions transfrontalières aux jeux d'argent et de hasard seraient examinées dans un rapport qu elle élaborerait à l'issue de la première phase de sa stratégie pour le marché intérieur des services. Ce rapport a 75 Arrêté royal du 27 juin 2001 établissant un règlement technique pour la gestion du réseau de transport de l'électricité et l'accès à celui-ci, M.B. 5 juillet 2001. 76 En effet, le nouveau projet d'arrêté royal énonce dans un nouvel article 408 que «l'arrêté royal du 27 juin 2001 établissant un règlement technique pour la gestion du réseau de transport d'électricité et l'accès à celui-ci, est abrogé». Le texte du nouveau projet peut être consulté en ligne : http://www.europa.eu.int/comm/enterprise/tris/pisa/cfcontent.cfm?vfile=120010390fr.doc. 77 Question parlementaire de M. LETERME, Commission de l Infrastructure, des Communications et des Entreprises Publiques, Compte Rendu Intégral (version provisoire), Ch. repr., sess. ord. 2002-2003, séance du 14 octobre 2002, 24. 78 Dir. (CE) 2000/31 du Parlement et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, J.O.C.E. L. 178, 17 juillet 2000, p. 1. 79 Proposition de la Commission européenne d un Règlement (CE) du Parlement et du Conseil concernant les promotions de vente dans le Marché Interne (COM(2001) 546 final). 80 Voy. infra, 4.1). 81 Voy. E.A. VAN VONDELEN, Kansspelmonopolies houden vooralsnog stand, S.E.W., 2000, p. 204. 82 Réponse de la Commission européenne à la question écrite E 1571/01 de M. CAVERI, J.O.C.E. E 350 du 11 décembre 2001, p. 193. 83 COM(2000) 888 du 29 décembre 2000. 15

été émis le 30 juillet dernier 84 et renvoie en effet de façon très succincte aux entraves existant dans les réglementations nationales en matière de jeux 85. Il importe de noter que le rapport «ne vise pas à prendre position ni sur la compatibilité avec le droit communautaire des mesures nationales à l origine des difficultés inventoriées, ni sur les initiatives éventuelles à proposer pour assurer le bon fonctionnement du Marché intérieur des services. Ce rapport servira de base de travail aux actions à entreprendre, en 2003, au cours de la seconde étape de la stratégie pour le Marché intérieur des services, suite aux discussions à venir avec le Parlement européen, les États membres et les parties intéressées» 86. 3.3. Libre circulation des services 3.3.1. Principes Les arrêts Schindler, Läärä, Zenatti et la «rule of reason» Dans l affaire Schindler 87, la Cour de justice a décidé que l activité consistant à organiser des loteries est une prestation de services au sens du traité CE. Par application de l art. 49 du traité, il est dès lors en principe interdit aux Etats membres d entraver le déroulement des loteries sur leur territoire 88. Dans les arrêts Läärä 89 et Zenatti 90, la Cour a adopté une même position envers d autres jeux (respectivement les jeux de hasard et les paris sportifs) qui, comme les loteries, offrent une espérance de gain en argent contre une mise valant paiement. Le traité admet toutefois des restrictions justifiées par la participation, même à titre occasionnel, à l exercice de l autorité publique ou par des raisons d ordre public, 84 COMMISSION EUROPÉENNE, Rapport de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur l état du Marché Intérieur des services Rapport présenté dans le cadre de la première phase de la stratégie pour le Marché Interieur des services, COM(2002) 441 du 30 juillet 2002. 85 Voy. p. ex. p. 17 (le monopole accordé à certains opérateurs de jeux), p. 28 (l autorisation préalable requise pour certains jeux et concours), p. 34 (l imposition de conditions d exercice d une activité). 86 Ibid., p. 72. 87 C.J.C.E. 24 mars 1994 (HER MAJESTY S CUSTOMS AND EXCISE. C. G SCHINDLER et J. SCHINDLER), 275/92, Rec. C.J.C.E. 1994, p. I-1039, concl. GULMANN (ci-après Schindler). la Cour de justice était confrontée au cas d espèce suivant : les frères allemands Schindler, actifs comme agents indépendants d une loterie allemande (la Suddeutsche Klassenlotterie ) avaient expedié des plis publicitaires à des ressortissant britanniques afin de promouvoir la participation à la loterie. Ces plis étant interceptés par les autorités britanniques douanières en vertu de la Revenue Act 1898 et de la Lotteries and Amusements Act 1976, la Cour était appelée à se prononcer sur la compatibilité avec le droit communautaire d une interdiction nationale sur l importation de billets ou de matériel publicitaire concernant des loteries de grande ampleur. 88 Schindler, considérant 45. 89 C.J.C.E. 21 septembre 1999 (MARKKU JUHANI LÄÄRÄ, COTSWOLD MICROSYSTEMS LTD, OY TRANSATLANTIC SOFTWARE LTD C. KIHLAKUNNANSYYTTÄJÄ et ETAT FINLANDAIS), 124/97, Rec. C.J.C.E. 1999, p. I-6067, concl. LA PERGOLA (ci-après Läärä). Cette affaire avait trait à la législation finlandaise en matière de jeux de hasard, instituant un monopole en faveur d un organisme de droit public concernant l exploitation de casinos et de machines à sous. 90 C.J.C.E. 20 mai 1999 (QUESTORE DI VERONA C. DIEGO ZENATTI), 67/98, Rec. C.J.C.E. 1999, p. I- 7289, concl. FENNELLY. M. Zenatti était un ressortissant italien, agissant comme «bookmaker» pour la société anglaise SSP Overseas Betting Ltd. Le préfet de police de Vérone avait enjoint M. Zenatti de cesser cette activité, la prise de paris étant soumise à un régime d autorisation et la prise de paris relatifs aux courses de chevaux étant soumise à un monopole. 16

de sécurité publique ou de santé publique 91. De plus, en application de la rule of reason classique de la Cour, des mesures nationales non-discriminatoires constituant une entrave à la libre circulation des services sont tout de même admissibles (i) lorsqu elles trouvent leur justification dans des raisons impérieuses d intérêt général, (ii) si elles sont propres à garantir la réalisation de l objectif qu elles visent et (iii) si elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. Selon la Cour, aussi bien une interdiction complète sur l organisation de jeux (Schindler) que l octroi de droits exclusifs à un (Läärä) ou plusieurs (Zenatti) opérateurs de jeux peuvent être justifiées par des objectifs d intérêt général. En effet, le seul fait que certains jeux ne soient pas totalement interdits «ne suffit pas à démontrer que la législation nationale ne vise pas réellement à atteindre les objectifs d intérêt général qu elle prétend poursuivre et qui doivent être considérés dans leur ensemble» 92. La Cour de justice a ainsi consacré la politique de canalisation menée jusqu à présent par maints Etats. Quels sont alors ces motifs d intérêt général permettant la création d entraves à la libre circulation des services en matière de jeux? Ils semblent pouvoir être regroupés autour de la protection des consommateurs (p. ex. réduire le risque de dépendance des joueurs) et autour du maintien de l ordre social (p. ex. réduire le risque que le secteur des jeux ne succombe au blanchiment de fonds). Il importe de noter que ces motifs doivent être considérés dans leur ensemble 93. Des motifs financiers ne peuvent, en eux-même, être regardés comme des justifications objectives 94 et ne peuvent constituer qu une «conséquence bénéfique accessoire» 95 de la politique restrictive concernée. Il est clair que la Cour a ainsi laissé un grand pouvoir d appréciation aux Etats membres 96. Les opérateurs de jeux qui se font apaiser par cet état des choses auraient toutefois tort. La Cour de justice a renvoyé le ballon 97 au juge national, «à qui il appartient de vérifier si la législation nationale, au vu de ses modalités concrètes d application, répond véritablement aux objectifs susceptibles de la justifier et si les restrictions qu elle impose n apparaissent pas disproportionnées au regard de ces objectifs» 98. Il nous semble évident qu un juge national aura davantage conscience des motifs réels d une législation, et se bornera moins vite qu une Cour supranationale, à un scrutin des motivations purement formelles reprises p. ex. dans les travaux préparatoires. 91 Art. 46.1 jo. 55 traité CE. 92 Zenatti, considérant 35. 93 Schindler, considérant 57 et 58. 94 Schindler, considérant 60. 95 Zenatti, considérant 36. 96 G. STRAETMANS évoque à cet effet la création d une «exception d ordre public européen» (European public order exception), sur base duquel, dans des matières qui impliquent des choix politiques délicats et sensibles, des entraves à la libre circulation peuvent être justifiées (G. STRAETMANS, Commentaire aux arrêts Läärä et Zenatti, Common Market Law Review 2000, p. 1002. T. STEIN fonde le large pouvoir discrétionnaire des Etats-membres sur le fait que la réglementation en matière de jeux a trait à l identité nationale mentionnée à l art 6.3 traite UE (T. STEIN, note sous Zenatti, Europäische Zeitschrift für Wirtschaftsrecht 2000, p. 155. 97 T. STEIN, o.c., p. 155. 98 Zenatti, considérant 37. 17

L arrêt Familiapress Les règles susmentionnées ne s appliquent pas à tout jeu d argent. Ainsi, dans l affaire Familiapress 99, la Cour a considéré que le motif de protection de l ordre social, qui pouvait, selon Schindler, justifier une entrave à l organisation de jeux d argent, ne trouvait pas à s appliquer. La Cour en vient à cette conclusion en raison de l échelle de la loterie en cause, la valeur limitée des mises et le fait que l organisation de cette loterie, loin de constituer une activité économique indépendante, faisait en réalité partie du contenu rédactionnel d un magazine 100. Familiapress est jusqu ici la seule et unique affaire dans laquelle la Cour a admis que les jeux en cause n étaient pas assimilables aux loteries de Schindler. Ainsi, en matière de jeux de hasard automatiques, la Cour a décidé dans l affaire Läärä que «la modestie relative des mises et des lots ( ) n empêche nullement ( ) que l exploitation de tels appareils permette de recueillir des sommes considérables, en raison notamment du nombre de joueurs potentiels et de la tendance de la plupart d entre eux, compte tenu de la brièveté du jeu et de son caractère répétitif, à rejouer un grand nombre de fois» 101. La Cour de justice emploie donc une approche «synthétique» où elle rattache plus d importance aux similarités potentielles qu un certain jeu d argent présente par rapport aux loteries, qu aux différences existant entre les deux formes de jeux 102. 99 C.J.C.E. 26 juin 1997 (VEREINIGTE FAMILIAPRESS ZEITUNGSVERLAGS- UND VERTRIEBS GMBH C. HEINRICH BAUER VERLAG), 368/95, Rec. C.J.C.E. 1997, p. I-3692, concl. TESAURO (ci-après Familiapress) (arrêt commenté par H.A.G. TEMMINK S.E.W., 1997, p. 415. Voy. également M.P. MADURO, «The Saga of Article 30 EC Treaty : To Be Continued. A Comment on Familiapress v. Bauer Verlag and Other Recent Episodes», Maastricht Journal of European and Comparative Law, 1998, pp. 298 et s). Dans cette affaire, la Cour était confrontée au cas d espèce suivant : le droit autrichien interdit de façon générale l offre à titre gratuit de primes aux consommateur en conjonction avec la vente de biens ou avec la prestation de services. Une exception sur cette interdiction générale admet l organisation de loteries et concours pour autant que «la valeur de chaque titre de participation, qui égale au montant total des prix divisé par le nombre de titres, n excède pas 5 Schilling, et que la valeur totale des prix n excède pas 300.000 Schilling». Toutefois, cette exception ne valait pas pour la presse écrite. Un éditeur autrichien a ensuite intenté une action en cessation contre un éditeur allemand en vue d interdire la vente de ses publications allemandes contenant un concoursloterie sur le territoire autrichien. En réponse à une question préjudicielle, la Cour était appelée à se prononcer sur la compatibilité de la législation autrichienne avec le principe de la libre circulation des biens. 100 Ibid., considérant 23. 101 Läärä, considérant 17. Voy. également Zenatti, considérant 18. 102 G. STRAETMANS, o.c., p. 1000. 18

3.3.2. Evaluation de la législation belge Le législateur belge a opéré une distinction selon que les jeux d argent sont organisés offline ou online. Alors que dans le premier cas, un régime d interdiction tempéré par un octroi de licences a été institué, dans le deuxième cas, la Loi du 19 avril 2002 prévoit un régime de monopole. Il a déjà été évoqué que les législateurs des Etats membres disposent d un grand pouvoir d appréciation concernant le choix entre un monopole ou un système de licences, la Cour de justice ayant accepté que les deux choix peuvent être justifiés par des objectifs d intérêt général 103. Encore faut-il que ce choix respecte la rule of reason élaborée par la Cour de justice. Justification On se rappellera que plusieurs raisons ont inspiré le législateur à ne pas appliquer un régime de licences «en ligne» mais bien un monopole 104 : (i) la Loterie Nationale serait plus facilement contrôlable que les opérateurs privés; (ii) l image de fiabilité de la Loterie Nationale serait promoteur du commerce électronique ; (iii)un monopole online briderait les activités des autres opérateurs de jeux. Ainsi qu il a déjà été évoqué, le premier et deuxième motif nous paraissent peu convaincants. En vue du régime de licences organisé offline (sous le contrôle d une commission pour ce qui est des jeux de hasard, sous le contrôle du gouvernement pour ce qui est des paris et loteries), on peut difficilement maintenir que l incontrôlabilité du secteur privé justifierait l octroi d un monopole. Certes, on ne saura que très difficilement agir contre des opérateurs étrangers. Cet état de fait est toutefois lié aux difficultés de maintien d une législation nationale dans le cadre transfrontalier créé par l Internet. A notre avis, l octroi d un monopole n y changera que très peu. Quant à la légitimité du troisième motif, il nous semble évident que «l objectif de réduire les activités licites - de jeux de hasard du secteur privé au profit de la Loterie Nationale ne peut, à lui seul, justifier des restrictions à la libre prestation des servies» 105. En effet, ce souci semble guère être un motif impérieux d intérêt général. Aptitude des mesures à atteindre les objectifs visés Le lancement de la Loterie Nationale comme monopoliste dans la société d information pourra-t-il véritablement servir à optimaliser la politique belge de canalisation? Nous avons des doutes à cet égard. Comme le Conseil d Etat l avait correctement remarqué lors de son examen du projet de loi 106, une offre accrue de jeux à travers des moyens de communication quasiment inutilisés auparavant pour l organisation de jeux (SMS, télévision digitale etc.) risque d en résulter. Tout ceci ne vaut évidemment pas pour les jeux organisés sur Internet, où une offre étrangère de jeux existe déjà ; la question des jeux sur Internet sera dès lors débattue ci-dessous. 103 Voy. supra, 3.3.1. 104 Voy. supra, 2.4. 105 Projet de loi relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale, Avis du Conseil d Etat, o.c., p. 64 (accentuation par l auteur). 106 Voy. supra, note 56. 19