La royauté dans le monde féodal

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Transcription:

1 La royauté dans le monde féodal Vous vous souvenez que les carolingiens dès le VIII e siècle étaient parvenus à faire admettre le principe de l hérédité pour la succession au trône = Charlemagne avait régné après son père Pépin le bref, Louis le pieux avait régné après son père Charlemagne, Charles le chauve avait succédé à son père Louis le Pieux... A la fin du IX e s, ils ne sont plus suffisamment puissants pour imposer le respect de ce principe. Ils se heurtent à l aristocratie au sein de laquelle certaines grandes familles souhaiteraient accéder au trône) = sous la pression de l aristocratie, la royauté devient élective = ce qui fait qu ion assiste à une sorte de chassé croisé des carolingiens et des robertiens entre 888 et 987. En 987, après un siècle de concurrence, les robertiens l emportent sur les carolingiens avec l avènement de Hugues Capet (un événement qui sanctionne un rapport de forces entre deux dynasties = c est le couronnement d une évolution). Dès lors, les capétiens tenteront par tous les moyens de renforcer l institution royale = celle-ci est très affaiblie tout au long de la période royale ; mais en même temps, elle est un élément de permanence = le roi est le continuateur d une tradition qui assure à l Etat (même si l Etat est très effacé) une certaine pérennité. Par ailleurs, la royauté n est pas à l écart de l évolution de la société = elle va donc être mêlée au monde féodal et subir les effets de la féodalité (à telle enseigne que le roi aura lui même tendance à se comporter comme un seigneur). Il faudra donc voir = - comment la royauté réussit à survivre à cette période et par quels moyens. - comment elle compose avec le monde féodal. - et comment cela permet finalement une lente reconquête et une consolidation du royaume. Ce sont les trois questions que je voudrais évoquer. Commençons par évoquer les événements qui surviennent en 987 et qui vont conduire au pouvoir Hugues Capet. En 987, le dernier carolingien (Louis V) meurt sans enfants ; le plus proche prétendant est son oncle = Charles de Lorraine = (Duc de Lorraine) = c est lui qui pourrait prétendre au pouvoir. Seulement ce dernier est le vassal de l Empereur de Germanie (rappeler qu en 962, un roi de Germanie, Otton, a restauré l Empire = mais n a rien à voir avec l Empire romain, ni même celui de Charlemagne (bien qu Otton prétende

2 être l héritier des deux) = un Empire réduit à la Germanie = on l appellera le Saint Empire Romain Germanique). En tant que vassal de l Empereur, on craint que, s il devient roi de France, il ne place le royaume de France au service d une monarchie étrangère. Face à lui, un autre prétendant = Hugues Capet, qui présente plusieurs atouts : - Duc de France (= France mineure = Ile de France, d ailleurs aussi comte de Paris et d Orléans) - issu d une famille prestigieuse (qui a déjà régné = Robertiens), - riche, - puissant (grand féodal) ; - il est aussi soutenu par l aristocratie (favorable au principe électif) et par l Eglise (l Eglise souhaite l avènement d une nouvelle dynastie pour écarter les carolingiens qui sont en plein déclin). C est pour toutes ces raisons qu il est finalement élu. * Malgré cette mutation dynastique, Hugues Capet est tout de même un roi relativement faible = son accession au pouvoir n a rien d une révolution (un événement qui passe presque inaperçu), il n a pas les moyens d instaurer un ordre nouveau et il n exerce qu une autorité théorique. Mais en même temps, il saura tout de même faire preuve d habileté pour conforter le pouvoir des capétiens essentiellement par deux moyens : - Rétablissement de l hérédité. - Renforcement du caractère sacré de royauté. * Revenons un instant sur le rétablissement de l hérédité : On sait qu à peine quelques mois après avoir accédé au pouvoir par élection et après avoir été sacré, Hugues Capet réussit à placer son fils sur le trône à ses côtés et à écarter le principe électif qui affaiblit trop l institution royale. Comment y parvient-il? En fait, il va habilement profiter des circonstances = Hugues s apprête à partir combattre les infidèles (Arabes) sur la marche d Espagne (en Catalogne, qui fait partie du royaume) = L expédition est dangereuse et il risque de mourir au cours de cette guerre = dans ce cas le pays serait privé de direction = il fait admettre à son entourage qu il vaut mieux élire d ores et déjà un roi pour lui succéder, pour assurer la continuité de la monarchie et pour éviter tout risque de dissension = Hugues réussit à convaincre l aristocratie et il fait élire son fils Robert (qui règnera sous le nom de Robert le pieux à partir de 996) = il est ainsi associé au trône du vivant de son père = il devient le «rex junior» ou «rex designatus» (désigné pour succéder tandis que le roi en exercice est qualifié de «rex coronatus»).

3 On assiste même à un sacre anticipé du futur roi qui dès lors est associé au pouvoir qu exerce son père. En 996 quand finalement Hugues Capet décède, Robert, qui a déjà été sacré roi, ne peut que le rester. Voilà comment, sans grandes difficultés, en raison des circonstances, Hugues Capet réussit donc à abolir l élection (qui l a pourtant conduit au trône quelques mois auparavant) et à rétablir l hérédité. En même temps, il introduit une pratique (qui avait déjà été utilisée par les carolingiens) = association au trône. Cette pratique va être observée par les capétiens durant près de deux siècles. Robert le Pieux (996-1031) qui a été le premier à bénéficier de l association au trône utilisera deux fois ce procédé ; son fils Henri I er (1031-1060) l utilisera également ; son fils Philippe I er (1060-1108) utilise encore ce procédé etc. La pratique se perpétue jusqu à Philippe-Auguste (1180-1223) début XIII e s = à ce moment là, a monarchie sera suffisamment affirmée pour que l on puisse se passer de l association au trône. * A cela, il faut ajouter un autre phénomène qui, en dehors de la volonté même des capétiens, va renforcer leur dynastie = le «miracle capétien» = le fait d avoir toujours un descendant mâle, un fils capable de succéder à son père = il n y aura jamais, durant plusieurs siècles de problèmes de succession (on évite de se poser la question de savoir si une fille peut succéder). Cette continuité dynastique est de nature à renforcer le pouvoir de la famille capétienne. Et dans l hypothèse où le roi a plusieurs fils, se dégage également l idée selon laquelle c est l aîné qui doit lui succéder = principe de primogéniture. A côté de cela, les capétiens vont également réussir à renforcer le caractère religieux de la royauté, à travers le sacre qui va considérablement renforcer la monarchie. Hugues Capet a été élu roi par l aristocratie, de manière un peu précipitée, en juin 987 (à Senlis, là où Louis V vient de mourir et pour barrer la route à Charles de Lorraine). Très vite, quelques jours après son élection, il se fait sacrer par l archevêque de Reims, Adalbéron, confirmant sa volonté de donner à la royauté une forte connotation religieuse. Dès lors les carolingiens vont tout faire pour valoriser davantage le sacre et renforcer l assise religieuse de l institution royale. * Essayons de préciser les choses : le sacre est la cérémonie par laquelle l Eglise confère au roi, au moyen d une onction, un caractère religieux et quasiecclésiastique.

4 * Sauf exception le sacre aura lieu à Reims par les mains de l Archevêque de Reims = c est lui déjà qui avait baptisé Clovis = depuis cette époque, des liens étroits existent entre la monarchie et l Eglise de Reims = le sacre est un privilège de l Eglise de Reims. A cela s ajoute une légende = Clovis, au moment de son baptême aurait reçu, par l intermédiaire d une colombe venant du ciel (représentant le Saint Esprit), une fiole contenant une huile sainte, qui est depuis conservée à Reims et qui servira au sacre de tous les rois de France = cette légende de la Sainte ampoule confère au sacre un caractère presque magique. * Le rituel du sacre est extrêmement précis = il est intégré à un office religieux (la messe du sacre) et comprend trois étapes successives : - La promesse du roi, introduite dans le cérémonial par les évêques. Concrètement, l archevêque demande au roi s il s engage - à assurer la paix, la justice, la sécurité, l équité, la miséricorde, - à préserver les privilèges de l Eglise, - à combattre les hérétiques = le roi promet solennellement et publiquement = il s engage verbalement et par écrit (sur un document qui portera son sceau = un document qui servira éventuellement à rappeler au roi quels sont ses devoirs). Cette promesse sert à plusieurs choses : - à exercer un contrôle sur le roi en fixant le cadre de son action, - à freiner éventuellement son déclin (en reconnaissant une certaine ampleur à sa fonction) - à amoindrir aussi l influence des grands sur le roi. - Deuxième étape l élection = c est une fiction (un vestige qui rappelle la vieille procédure d acclamation du roi franc par ses guerriers = une fiction puisque le principe est celui de la succession héréditaire. Mais néanmoins conservée = l archevêque «élit» le roi et il fait ensuite approuver l élection par l assistance (d abord les évêques, les grands, puis le peuple). L assistance répète par trois fois : «nous approuvons et nous voulons qu il en soit ainsi», sorte de ratification, de confirmation. - Enfin, le sacre proprement dit (le moment fort de la cérémonie) c est-à-dire le rite de l onction que l archevêque va pratiquer sur le corps du roi (sur sa tête notamment) avec l huile de la Sainte Ampoule.

5 Ce n est qu ensuite qu on lui remet les insignes de sa fonction («regalia») qui ont chacun une valeur symbolique = - anneau (symbolise l alliance du roi avec Dieu et avec son peuple), - le glaive (pour lutter contre les ennemis de la foi), - le sceptre (symbole de puissance royale, mais aussi à rapprocher de la crosse de l Evêque), - la main de justice (rappelle que le roi est justicier = «grand débiteur de justice»). - De même, le roi est revêtu de vêtements comparables à ceux d un ecclésiastique. Ce n est qu après qu intervient le couronnement = la couronne (signe de prestige, symbole de la majesté royale) et que le roi est conduit à son trône. Ce parallèle concernant le rituel, entre le sacre royal et la consécration d un ecclésiastique, on le retrouve lorsqu on évoque la portée du sacre : Quelle est justement la portée du sacre? * le sacre a d abord une fonction purement politique = il s agit de consacrer, c est-à-dire de légitimer et d affermir le pouvoir d un nouveau roi. Si un doute subsiste, c est un moyen de montrer qui est le vrai roi. Cela est surtout important à l occasion d une mutation dynastique (Pépin le Bref ou Hugues Capet) = il confirme l aval de l Eglise à un changement de dynastie. * Mais c est surtout la dimension religieuse du sacre qu il faut souligner. Le sacre crée un lien entre Dieu et le roi = le roi est désigné par Dieu (l élu de Dieu) = il est délégué par Dieu pour accomplir sa fonction (une fonction qui est dès lors une fonction d origine divine) = cet aspect est tellement important qu on peut estimer, au moins au départ, que c est le sacre qui fait le roi. Dans ces conditions, la royauté revêt donc aussi une dimension religieuse = on a parlé d un «roi-prêtre» dans la mesure où sa fonction est proche du sacerdoce. Cela est vrai = le sacre a transformé, a transfiguré le roi = sans pour autant devenir un ecclésiastique, le roi n est plus un laïc ordinaire. Dès lors sa fonction est considérée comme un «ministère» = fonction quasi-religieuse. Cette idée rappelle le ministère de l Empereur carolingien). Mais la fonction du roi s est précisée précise autour de trois idées : - Le roi est le gardien du royaume = il doit le défendre contre les ennemis de l extérieur et préserver son intégrité territoriale ; il doit assurer la paix à l intérieur, bien que ses moyens soient faibles

6 - Le roi est un protecteur = un protecteur des Eglises même celles qui sont tombées aux mains des seigneurs (la plupart) et il a même un devoir de protection générale du royaume. - Le roi est justicier, «débiteur de justice» = reste très théorique = c un un idéal de la monarchie capétienne, mais c est un domaine dans lequel le pouvoir royal pourra s affermir avec le temps. * A cela s ajoute ce que certains auteurs appellent la «magie du sacre» De quoi s agit-il? Il faut bien comprendre que sur plan religieux, le sacre est plus qu un simple sacrement, c est un mystère ( un dogme révélé mais inaccessible à la raison humaine = comme l incarnation, ou la trinité), c est presque un miracle = il confère donc au roi une sorte d aura magique qui fait croire que le roi disposera de certains pouvoirs charismatiques, surnaturels = notamment, on croit que le roi est guérisseur = «roi thaumaturge» = en touchant les malades, il peut les guérir des écrouelles (maladie d origine tuberculeuse qui provoque des abcès). Alors évidemment, tout cela confère au roi une prééminence évidente..., mais une prééminence qui reste assez théorique ; parce que concrètement, le roi n est guère puissant (pas plus que d autres grands seigneurs) ; justement comment va-t-il se positionner face au monde féodal? C est le second point que voudrais aborder : L insertion du roi dans le monde féodal La puissance du roi reste assez théorique et assez mal acceptée par de grands seigneurs qui sont parfois plus puissants que lui. Ils ont tendance à le considérer comme leur égal = un simple seigneur territorial = d ailleurs le roi se comporte aussi - comme un seigneur territorial (qui exerce son autorité sur son domaine = le domaine royal et ses habitants) - et comme un seigneur féodal (qui a des vassaux). Mais en même temps, il va aussi essayer de dominer la hiérarchie féodale = se placer au sommet de la pyramide féodale. Essayons de mieux comprendre tout cela et de voir d abord comment il se comporte dans son domaine ; nous verrons ensuite quelle est son attitude vis-àvis de la hiérarchie féodale. * Le domaine royal englobe ce dont le roi est propriétaire, plus les seigneuries et châtellenies concédées en fief, dont il est le seigneur immédiat et sur lesquelles il exerce une maîtrise directe.

7 Concrètement, au temps d Hugues Capet et de ses premiers successeurs, le domaine royal est très limité, très modeste. Un domaine médiocre mais bien situé = comprend Paris, la région entre Etampes et Orléans (Poissy, Senlis, Compiègne, plus quelques enclaves = dans les Ardennes, au bord de la mer). Mais dans l ensemble cela ne représente pas grand-chose = environ 2 ou 3 départements actuels autour de Paris et sur l axe Paris-Orléans, mais avec de nombreuses enclaves qui échappent à l autorité du roi. Ce domaine est donc réduit. C est pourquoi les capétiens vont sans cesse essayer de l agrandir par des moyens divers dont on va parler tout à l heure. * Comment se comporte le roi à l intérieur de ce domaine? A l intérieur de son domaine, le roi se comporte comme un seigneur (seigneur territorial, banal) = son pouvoir a un caractère seigneurial = il exploite et il administre, il gouverne son domaine et les hommes qui y vivent. Certains des organes de gouvernement de l époque franque n ont pas disparu : - Les officiers du Palais = le Chancelier est toujours présent à la tête des services administratifs (servies des écritures), le Sénéchal joue un rôle important (tantôt lieutenant du roi, chef de guerre ou surveillant les agents domaniaux), le Connétable, le chambrier, le bouteiller. - La Cour royale a également subsisté = elle comprend toujours les membres de la famille royale, l aristocratie laïque, les hauts dignitaires de l Eglise, des chevaliers, mais évidemment elle a pris aussi un caractère nettement féodal = composée de grands qui sont surtout les vassaux du roi = cette cour féodale conseille le roi (pour la guerre, sa politique matrimoniale, en matière de justice ) = certains de ces vassaux sont de véritables conseillers politiques de la royauté. De même, ces vassaux peuvent fournir au roi si nécessaire l aide militaire = ils constituent la chevalerie royale (petite armée féodale au service du roi). * Maintenant quelle est la situation du roi dans l environnement immédiat de son domaine? Dans son entourage immédiat (la «France Mineure» = Ile de France = là où le roi exerce une influence réelle) la situation est assez favorable à la royauté. Le roi a de bonnes relations avec les seigneurs qui sont installés dans l entourage immédiat du domaine royal et qui sont aussi ses vassaux. Le roi peut réclamer de leur part et obtenir l ost et le service de cour comme n importe quel grand prince régional.

8 En revanche les choses sont bien différentes quand le roi est confronté aux autres grands princes territoriaux. Comment va-t-il se comporter face à cette hiérarchie féodale qui ne lui est pas nécessairement favorable? * En dehors du domaine royal, le reste du royaume (l ancienne «Francia occidentalis» du partage de Verdun) est composé de vastes seigneuries (souvent anciennes principautés territoriales) presque indépendantes. A leur tête de grands seigneurs (princes territoriaux = «barons»), aussi puissants, et parfois plus puissants que le roi. Comment se comportent-ils vis-à vis du roi? Au départ, vers le X e -XI e s, le roi est encore largement ignoré, mais progressivement les choses vont changer = L Eglise va relancer l idée d une hiérarchie féodale (une pyramide de relations féodo-vassaliques à la tête de laquelle devrait se trouver le roi) = Et vers le XII e s, le roi se présente volontiers en tant que seigneur féodal, mais surtout il commence à vouloir s imposer en tant que seigneur supérieur = «suzerain» = seigneur auquel tous les seigneurs du royaume doivent un hommage (d ailleurs on estime que tous les grands princes territoriaux, tous les grands seigneurs ont un domaine qu ils tiennent en fief du roi = ce qui justifie cet hommage, ce qui explique qu ils doivent entrer dans la «mouvance» du roi). Essayons de préciser les choses en reprenant cette évolution : * Vers le X e -XI e s. Le roi est souvent négligé, voire ignoré : il y a entre le roi capétien et les princes territoriaux les plus puissants un climat d oubli réciproque = les grands princes territoriaux se désintéressent du roi. Cela se traduit de diverses manières = - Les hommages ne sont que très irrégulièrement rendus ou pas du tout : On parle alors de «refus d hommage». Et les premiers capétiens n ont pas les moyens matériels de faire jouer les sanctions féodales. - La distance et les difficultés de communication ne facilitent pas les choses = les relations avec les vassaux deviennent distendus. Par ex : le lien de vassalité qui unit le comte de Barcelone et le roi n est plus renouvelé et tombe en désuétude. - Bien évidemment, la législation royale ne s applique pas dans ces principautés lointaines. - Lorsque les hommages sont rendus ils sont souvent rendus «en marche», = à la frontière (ex : le Duc de Normandie, qui est aussi le roi d'angleterre et se considère comme l égal du Roi de France = prête un hommage en marche).

9 - En général, lorsqu il y a hommage, il prend plutôt l'allure d'un simple pacte de non-agression. - Les princes territoriaux ne sont pas pressés de remplir leurs obligations vassaliques vis à vis du Roi, en particulier l aide militaire. - Mais en même temps, on reconnaît une prééminence théorique du Roi. Les grands n ont jamais perdu le sentiment d appartenir au royaume et de dépendre du roi : d ailleurs, les princes territoriaux sont présents au moment du sacre et portent alors l hommage ; il reste une forme de respect pour la fonction royale ; de même, les actes juridiques pris par ces princes sont datés par référence à la date du règne. * A partir du XII e siècle, la soumission au roi sera plus manifeste. Cela se traduit de différentes manières : - On admet d abord que tous les princes doivent porter l hommage au roi, roi qui entend faire ressentir pleinement sa suzeraineté. Ex : en 1149 le roi réclame l hommage au nouveau Duc de Normandie. Après deux ans de négociations, il finit par obtenir un hommage lige en 1151 = en général le roi ne cherche à obtenir des grands princes que des hommages lige. - Le roi tente de multiplier le nombre de ses vassaux directs = faut dire que son autorité est moins marquée sur les vassaux inférieurs (les vassaux de ses vassaux) = un adage traduit ce principe coutumier : «Le vassal de mon vassal n est pas mon vassal». Il faut donc éviter l'écran de ses propres vassaux = Pour cela, il utilise divers moyens : - Il va parfois débaucher les vassaux d autres seigneurs, en leur offrant par exemple des fiefs-rente ; - lorsqu il acquiert une principauté territoriale, il devient directement le seigneur des vassaux de l ancien prince ; - de même, lorsqu un de ses vassaux est désavoué par un arrière vassal, le roi devient directement le seigneur de ce dernier, (procédure du désaveu). - A terme, le roi devient suffisamment puissant pour s imposer à ses vassaux : le roi est en mesure de réclamer à ses vassaux les services vassaliques, en particulier l aide militaire ; le roi a les moyens de mettre en en œuvre si besoin, les sanctions vassaliques

10 (commise, saisie féodale). Il va utiliser à son profit les principes du droit féodal. * le roi réussit donc, mais non sans difficultés, à se placer au sommet de la hiérarchie féodale en s imposant en tant que «suzerain». Et c est sur la base de cette «suzeraineté» qu il va construire progressivement un pouvoir de nature différente qui sera fondé cette fois-ci sur la notion de «souveraineté». Ce passage de la suzeraineté à la souveraineté constitue une évolution considérable du pouvoir = - une évolution sur le plan du droit, dans la mesure où les fondements juridiques du pouvoir ne sont pas les mêmes ; - une évolution dans la pratique du pouvoir, dans la mesure où suzeraineté et souveraineté ne s appliquent pas aux mêmes personnes et n autorisent pas les mêmes droits à la personne qui en est titulaire. Pour bien comprendre cette évolution, essayons tout de même de rappeler ce que recouvre cette notion de suzeraineté, et nous préciserons ensuite le contenu de la théorie de la souveraineté. La suzeraineté est une notion de droit féodal, de droit privé, qui repose sur une conception contractuelle et patrimoniale du pouvoir = elle résulte des liens personnels qui unissent le roi à ses vassaux ; elle résulte aussi du fait que ces vassaux tiennent leur fief du roi (ils sont dans la mouvance du roi). Bien entendu la suzeraineté est une théorie qui doit jouer au profit du roi = le roi est intégré au système féodal (on parle d ailleurs de «monarchie féodale») et vient se placer au sommet de cette pyramide de relations personnelles = tous les puissants, (princes territoriaux, barons ) doivent l hommage au roi et même un hommage lige et à partir d eux se constitue toute une hiérarchie complémentaire d arrière-vassaux. Mais inversement, le roi ne doit d hommage à personne = Le roi ne doit d hommage à personne parce que le royaume, il ne le tient de personne = personne ne le lui a concédé (adage sera forgé au XIII e s = «le roi ne tient de personne sauf de Dieu et de soi-même»). Les légistes royaux du XII e siècle (Abbé Suger), qui élaborent la théorie politique de la suzeraineté, insistent sur cette triple évidence : - Le roi est au sommet de la hiérarchie. - Le roi ne tient de personne et ne doit d hommage à personne. - Tous les grands doivent être vassaux directs du roi.

11 En plus de cela, en tant que suzerain, le roi se comportera comme un grand seigneur féodal = comment se comporte-t-il précisément? Qu est-ce que cela signifie? - Lorsqu on entre dans la vassalité du roi on prête presque systématiquement un hommage lige. - Exige de manière ponctuelle les services vassaliques : exige l ost de ses vassaux, l aide pécuniaire. - Il tire profit de la patrimonialité des fiefs = quand un vassal vend son fief, il perçoit des droits de mutation ; de même, il recueille les fiefs tombés en déshérence ; de même il rachète les fiefs des vassaux en difficultés financière. - Il joue son rôle de seigneur supérieur = quand un arrière vassal du roi se plaint de son seigneur, qu il veut le désavouer, en général, le roi écoute favorablement sa demande. - Il sait utiliser à son profit la justice féodale = il pratique aussi la saisie féodale, la commise. Il essaie aussi de détourner, de débaucher les vassaux de ses vassaux en leur proposant de devenir ses propres vassaux (il leur propose des fief-rente très attractifs). Bref, il utilise au mieux toutes les techniques que lui offre le système féodal et tire largement profit de la situation. Mais en même temps, pour la monarchie féodale, la suzeraineté n est pas une fin en soi. Il faut imaginer la suzeraineté à la fois comme une étape et comme un moyen de l affirmation du pouvoir royal = - C est une étape un moment avant de passer à autre chose. - C est un moyen dans la mesure où elle permet au roi de s imposer, avant de développer un pouvoir de nature différente. Une fois qu il a pleinement utilisé cet outil politique, qu il en a épuisé toutes les potentialités, il va sortir de la féodalité = il va se placer au dehors du système féodal en développant sa souveraineté, pour mieux éliminer ce système féodal, qu il a su utiliser mais qui à présent ne lui est plus utile. La réalité n est sans doute pas aussi schématique = suzeraineté et souveraineté sont intimement mêlées, mais il est certain que les capétiens ont su utiliser la suzeraineté pour renforcer leur souveraineté = le roi s est d abord affirmé en tant que suzerain pour développer ensuite sa souveraineté. La souveraineté qu est-ce que c est? La Souveraineté c est une notion de droit public, plus abstraite et plus large que la suzeraineté.

12 La souveraineté est synonyme de supériorité, de puissance suprême = une notion déjà connue du droit romain = «superanitas» = la puissance la plus élevée. Le souverain sera donc étymologiquement le plus haut placé, le détenteur de cette puissance suprême. Assez paradoxalement, alors que le roi a pu construire sa souveraineté en s appuyant sur sa suzeraineté, c est contre le monde féodal, que cette toute nouvelle souveraineté va commercer à être utilisée. La souveraineté est aussi un moyen d action pour s imposer face au monde féodal = plusieurs exemples = - Quand le roi se rend acquéreur du fief d un vassal, il devrait porter l hommage au seigneur de ce vassal = mais on estime qu il peut s en passer parce qu il est le roi. Il devrait l hommage «s il n était roi» disent les légistes et comme justement il est roi, il ne le doit pas. Un adage vient d ailleurs renforcer cette même idée = «Les rois de France n on point coutume de faire hommage à leurs sujets» = sujets est un terme qui fait appel à la notion de souveraineté). - De même, on commence à soutenir que quand un seigneur est en guerre contre le roi, le vassal de ce seigneur ne peut le suivre sans avoir vérifié auparavant après du roi que le roi est dans son tort = bref on demande au roi si on a le droit de lui faire la guerre! = on ne s oppose pas au roi sans précautions. Bref, la conclusion de tout cela, c est que : - les rapports féodaux peuvent jouer au bénéfice du roi (et là il se comporte toujours en suzerain) - mais ils ne peuvent pas jouer contre le roi (justement parce que son pouvoir est d une nature différente, parce qu il est souverain et donc au-dessus, ou mieux en dehors de la féodalité). En d autres termes, le roi tire profit de ce que lui offre sa situation de suzerain, mais lorsque la féodalité risque de jouer à son encontre, il oppose le fait qu il est souverain et que les principes du droit féodal ne peuvent jouer contre lui = cela parce qu il est une dignité qui ne tient de personne, il n y a personne au-dessus de lui. Un adage résumera cette idée : «le roi est souverain par dessus tout» (Beaumanoir 1283). En ce qui concerne l exercice de la souveraineté, celui-ci a lieu, comme nous venons de le voir, à l encontre du monde féodal (dans l ordre interne), mais

13 cette souveraineté va s exercer aussi à l extérieur du royaume (dans l ordre externe) c est-à-dire à l encontre du Pape et à l encontre de l Empereur. Si nous avions le temps, il faudrait aussi aborder cette question. Mais pour m en tenir à l essentiel, ce que je voudrais vous monter aussi c est que ce roi ne s est pas contenté de développer son pouvoir sur le plan théorique, et d en faire usage à l encontre du monde féodal, du pape ou de l empereur. Il s en est servi aussi pour reconquérir et consolider le Royaume. C est le 3 e point que je voudrais évoquer. Les légistes de l entourage royal ont également développé une autre notion sur laquelle la monarchie va s appuyer = notion de couronne.=de quoi s agit-il? - Au sens matériel c est le cercle de fer posé sur la tête du roi au moment du couronnement (emblème de la dignité royale). - Mais la couronne est une notion qui a aussi un sens abstrait, symbolique qui est celui qui nous intéresse = dans ce sens, la couronne c est pratiquement l Etat monarchique, mais un Etat dont on veut souligner en même temps la souveraineté, la puissance et la dignité royale. Ce qui est intéressant c est que la couronne va disposer de droits liés à la souveraineté de la couronne mais aussi d un domaine, d un territoire qui sera à sa disposition = «le domaine de la couronne» = cela enrichit la définition, puisque dans ce sens, la couronne c est donc aussi le patrimoine de la monarchie. Comment ce domaine s est-il constitué et surtout comment s est-il accru? Comment a-t-il été agrandi? Avant de voir cela, il est important de revenir un instant sur la définition de ce domaine royal : Le domaine royal c est donc cet ensemble de terres de biens matériels, mais aussi de droits et de revenus qui appartiennent à la couronne et qui sont à la disposition du souverain qui les administre = par conséquent ce domaine est un ensemble discontinu et changeant (évolutif). Pour compléter cette définition, il faut ajouter trois remarques : - Sur le plan juridique, pendant un certain temps encore, on va avoir tendance à confondre domaine royal et patrimoine privé du roi. - Sur le plan géographique, le domaine ne se confond pas avec le Royaume (où le roi n exerce pas d autorité directe).

14 - Sur le plan politique, ce qui est sûr c est que la puissance dépend souvent de l étendue du territoire = un territoire importance fournit des ressources fiscales mais également la possibilité de lever des troupes (déjà l idée d une armée nationale). Les rois de France vont donc mener une politique territoriale qui va leur permettre d agrandir progressivement ce domaine (essayer de faire coïncider le domaine avec le royaume = étendre les limites du domaine jusqu à ce qu elles se confondent avec celles du royaume = la Francia occidentalis du IX e s). Quelles sont les étapes de cet accroissement territorial? Quels moyens sont utilisés pour y parvenir? Plusieurs étapes peuvent être retenues qui marquent cet accroissement progressif et en même temps la montée en puissance de la monarchie : - La première étape, qui est aussi un tournant décisif, c est le règne de Philippe II (1180-1223) qui va se faire appeler Philippe- Auguste (Auguste signifie : qui «augmente» la taille du royaume). Effectivement, ce roi va être qualifié de «grand rassembleur de terres» = entre le début et la fin de son, règne la taille du royaume est pratiquement multipliée par quatre = il réussit notamment, en 1204, à réunir à la couronne le Duché de Normandie mais pousse également ses acquisitions dans l ouest et en Auvergne. Il réussit à réduire en particulier l influence anglaise. A la fin du règne de Philippe-Auguste on commence à parler d un véritable «royaume de France» dont l assise territoriale est à présent conséquente. - Sous le règne de Saint-Louis (milieu du XIII e s), on assiste à une percée vers le midi (Languedoc) avec l annexion de la sénéchaussée de Carcassonne (1229) ; puis le Comté de Toulouse (1271), la Champagne à la fin du XIII e s = le roi contrôle déjà pratiquement les 2/3 du royaume. - Au XIV e siècle l expansion se ralentit à cause de la guerre de cent ans, mais la politique territoriale se poursuit = on incorpore la Seigneurie de Montpellier et le Dauphiné. - Au XV e s, cette politique s amplifie = on récupère notamment les territoires occupés par les Anglais (Duchés de Guyenne et de Gascogne) ; plus tard la Bourgogne et la Provence (1483).

15 - A la fin du XV e siècle, seule la Bretagne échappe à la couronne, mais cette question va être résolue par le mariage entre la duchesse de Bretagne et le roi de France = il aura fallu près de trois siècles d efforts (avec des périodes plus calmes et d autres où l activité est plus intense) pour que le domaine coïncide avec le royaume et même plus dans la mesure où on dépasse largement les frontières de l ancienne Francia Occidentalis de 843 (la couronne a acquis notamment la Provence et le Dauphiné qui appartenaient à l Empire). Cette expansion territoriale a été rendue possible par des moyens divers = parfois la force, la guerre et la diplomatie, mais le plus souvent des moyens juridiques (le roi utilise «la force et le droit», mais surtout le droit, et la guerre intervient ensuite pour faire appliquer une décision judiciaire). Essayons de voir quels sont les moyens de l expansion territoriale Depuis longtemps, le roi essaie de se positionner en tant que suzerain (seigneur supérieur à tous les seigneurs), un suzerain qui considère que ces seigneurs tiennent de lui leurs seigneuries (ces seigneuries seraient des fiefs que les seigneurs tiendraient du roi même si on sait qu à l origine, ils ne leurs ont pas été expressément concédés). D ailleurs tous les grands seigneurs sont les vassaux du roi et ceux qui ne l étaient pas le sont devenus. Or sur quoi sont fondées les relations entre le roi suzerain et ses vassaux? Elles sont fondées sur le droit féodal (ce droit, d essence privée qui concerne les relations féodo-vassaliques). La conséquence en est que, logiquement c est sur ce droit féodal, que le roi va s appuyer pour accroître son domaine. Comme le droit public monarchique n est qu embryonnaire, comme la souveraineté n est pas consolidée, le roi utilisera le droit dont il dispose (un doit reconnu et accepté) = le droit féodal. Le droit féodal, offre au roi deux moyens qu il va largement utiliser = - le retour des fiefs - la patrimonialité des fiefs. Concernant le premier point, le retour des fiefs, il s agit ici simplement d appliquer la justice féodale lorsque le vassal du roi ne respecte pas ses obligations. Rappel = - dans les cas les moins graves on avait recours à la saisie féodale (confiscation temporaire du fief) ;

16 - dans les cas les plus graves, c est la commise (confiscation définitive du fief prononcée par la cour féodale). Dans le but d accroître le domaine royal, c est à la commise que le roi aura recours. Bien entendu, encore faut-il que le roi soit suffisamment puissant pour faire appliquer une commise même si celle-ci est décidée par la cour = Je vous donne un exemple = milieu du XII e s, Aliénor d Aquitaine (duchesse d Aquitaine) épouse Henri II Plantagenêt, Roi d Angleterre, sans demander l accord de son seigneur, le roi Louis VII = cette attitude aurait pu être sanctionnée par une commise, mais le roi ne tente rien, parce qu il n a pas les moyens pour la faire appliquer. Il faut bien souligner que le droit n est une arme efficace que si son application est effective = le moyen de faire appliquer le droit c est le recours à la force = la guerre (ou au mieux la diplomatie) sont aussi des moyens de l extension territoriale. Pour revernir à la commise, cette pratique sera utilisée notamment pour acquérir la Normandie : Les circonstances sont connues = le Duc de Normandie, Jean, a un vassal en Aquitaine qui se plaint du comportement de son seigneur qui lui aurait enlevé son château (et sa fiancée) = ce vassal va se plaindre auprès du seigneur supérieur (le roi Philippe-Auguste). Le roi va convoquer la cour féodale (ses vassaux = cour des pairs) qui va décider d appliquer la commise. Sur la base de cette décision, l armée royale va conquérir la Normandie (le Maine, l Anjou également) qui sont ainsi soustraits au Duc Jean (appelé depuis lors Jean sans terre) et réunis à la couronne. Il ne lui restera que la Guyenne, la Grande- Bretagne et les îles anglo-normandes. Le second moyen pour accroître le domaine royal, consiste à utiliser la patrimonialité des fiefs * Lorsque nous avons évoqué le fief lors de la conférence précédente, nous avons dit que la concession était au départ viagère mais que l on s était orienté dès le XII e siècle vers la patrimonialité des fiefs = on a vite considéré que le fief entrait dans le patrimoine du vassal. Quand on parle de patrimonialité cela signifie deux choses : - le fief était devenu héréditaire = le vassal qui décédait le transmettait le fief à son fils (moyennant le paiement d un droit de mutation), le fils devenant à son tour vassal du seigneur de son père. En cas de difficulté (pluralité de descendants, pas de

17 descendants mâles, ou un descendant mineur) on avait imaginé toute une série de solutions pour que les services vassaliques puissent être rendus. - On a fini par admettre l aliénabilité du fief = possibilité pour le vassal de vendre son fief moyennant deux conditions : * l accord du seigneur (qui devait accepter l acquéreur parce qu il allait devenir son nouveau vassal ; d ailleurs si le seigneur n acceptait pas l acquéreur, il pouvait se substituer à lui en achetant le fief à son ancien vassal = le «retrait féodal») * et moyennant le paiement au seigneur d un droit de mutation. * Sur la base de ce principe général la patrimonialité des fiefs, les rois capétiens vont multiplier les moyens permettant d utiliser ce principe à leur profit ; plusieurs moyens : - Une politique matrimoniale : on va chercher pour le roi une future épouse qui est l héritière d un fief important. * Ex = Philippe-Auguste épouse la nièce du Comte de Flandres qui lui apporte en dot la région de Boulogne et l Artois. Autre ex = la fille du comte de Toulouse épouse le frère de Saint-Louis = à leur mort, n ayant pas d enfants, le comté est intégré au domaine royal ; * de la même manière, Philippe le Bel réussit à obtenir la Champagne grâce à un mariage avantageux. Pratiquement tous les rois utilisent le mariage dans ce sens. * Meilleur exemple est celui de la Bretagne = Anne de Bretagne épousera non pas un mais deux rois de France successivement (Charles VIII et Louis XII) et leur fille Claude sera donnée en mariage à l héritier du royaume (le successeur de Louis XII) c.a.d. François 1 er. - Une politique successorale = faire du roi son héritier. Le roi René de Provence laisse son domaine à un neveu très âgé qui par testament décide de léguer la Provence au Roi, Louis XI, qui joindra la Provence au domaine en 1483. Toujours en matière successorale, le roi pourra bénéficier du droit de déshérence = lorsqu un vassal meurt sans héritiers, sons fief revient au seigneur = cette disposition sera utilisée en 1361 pour ajouter la Bourgogne au domaine de la couronne = le Duc de Bourgogne meurt sans héritiers ; le roi Jean le Bon unit la Bourgogne au domaine royal. - Une politique d acquisition : comme les fiefs sont aliénable et que le roi est de plus en plus riche, il aura la possibilité d acheter

18 le fief d un seigneur qui connaît des difficultés financières = pratique déjà utilisée au XIII e s, mais surtout au XIV e s = le roi acquiert la seigneurie de Montpellier, le Dauphiné (1349) - Une politique diplomatique : les traités de pariage = traités conclus entre le roi et tel ou tel seigneur pour permettre au roi de participer à l administration du fief = le roi devient une sorte de coseigneur. Ce sont des traités souvent conclus par des seigneurs ecclésiastiques à la recherche d une protection particulière. Ex = Un évêque espagnol conclut un traité de pariage avec le roi de France pour l administration du fief d Andorre = le roi devient coprince d Andorre. Voilà quels sont les différents moyens ayant permis d accroître le domaine royal. Et voilà comment, au bout de plusieurs siècles d efforts, le domaine royal finira par atteindre et même dépasser les limites du royaume telles qu elles avaient été établies au IX e s. Mais ce n est là qu une étape de l irrésistible ascension de la monarchie capétienne qui va se poursuivre en fait encore pendant des siècles.