Perdre ou confier la garde de son enfant : l expérience des mères biologiques

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Transcription:

Perdre ou confier la garde de son enfant : l expérience des mères biologiques JULIE NOËL Étudiante au doctorat École de service social Université Laval Webinaire Centre jeunesse de Québec-Institut universitaire 14 janvier 2015 Mise en contexte Mémoire de maîtrise sous la direction de Marie-Christine Saint-Jacques École de service social, Université Laval Une étude inscrite dans la cadre de la programmation scientifique du Centre- Jeunesse de Québec Institut Universitaire 1

Peu d études sur le sujet Un évènement qui engendre généralement de la souffrance Source de la souffrance Séparation mère-enfant; Éloignement des proches (Sécher, 2010) Deuil interdit (Ellingsen, 2007) Perte d un statut social qui leur semblait naturel : celui de parent (Sellenet, 2010) Étiquette de «mauvaise mère» (Holtan et Eriksen, 2006) But et questions de recherche Comprendre le vécu des mères biologiques 1) qu est-ce qui caractérise l expérience de ces mères à la suite du placement permanent ou de l adoption de leur enfant? 2) quelle est, au moment de l entrevue, leur perception à l égard de leur pouvoir d agir? 3) selon leur perception, quelle est la relation entre le placement permanent ou l adoption de leur enfant et la transformation de leur pouvoir d agir? 2

Méthodologie Rencontre de 12 mères biologiques dans le cadre d entrevues semi-structurées. Échelle d auto-notation sur leur perception d être maître de leur vie selon leur propre définition. Échelle de mesure du sentiment d être maître de sa vie (Statistique Canada, 2006). Cadre théorique "Empowerment" Portrait des participantes Elles ont eu de 1 à 4 enfants dont l âge varie de 20 mois à 24 ans. Milieux de vie des enfants: la plupart d entre eux sont placés jusqu à la majorité; quelques uns ont atteint l âge adulte et habitent en appartement; deux sont adoptés; deux résident avec leurs parents en garde partagée. Les contacts avec leurs enfants: certaines mères n ont plus de contacts, alors que d autres n ont pas de contraintes liées aux droits de visite. Cependant, la majorité des femmes rencontrées ont des droits d accès octroyés par la cour. les deux répondantes dont l enfant a été adopté, partagent annuellement des lettres et des photos avec la famille adoptive. 3

1 Qu est-ce qui caractérise l expérience de ces mères à la suite du placement permanent ou de l adoption de leur enfant? Motifs menant au placement jusqu à la majorité ou à l adoption Une accumulation d évènements 4

Décision du projet de vie alternatif de l enfant Demande faite par la DPJ ou par l enfant. La majorité n étaient pas, de prime abord, en accord avec le choix du projet de vie alternatif pour l enfant. Sachant qu elles avaient peu de chances, quelques-unes se sont par la suite résignées et ont accepté le placement jusqu à la majorité ou l adoption. Quelques répondantes étaient en accord avec la proposition de la DPJ, d autres ont contesté la décision prise par le juge en faisant appel. Une d entre elles n était pas présente lorsque la décision a été prise. La plupart sont satisfaites du milieu de vie de l enfant Satisfaction Collaboration entre la mère et la famille d accueil Bien-être de l enfant Dans les situations d adoption, les photos et lettres reçues peuvent sécuriser les mères biologiques, à l égard du bien-être de leur enfant Insatisfaction Manque de collaboration avec la famille d accueil Difficultés quant au partage d informations ou des pouvoirs décisionnels La qualité des soins apportés à l enfant Les propos malveillants tenus par la famille d accueil à leur égard Les différences sur le plan des valeurs 5

Leurs préoccupations L opposition à l adoption de leur enfant la croyance que la maternité est naturelle les liens biologiques sont plus importants que ceux créés avec la famille d accueil maintenir des liens avec l enfant Leurs préoccupations Les contacts et les droits d accès Souhaitent plus de contacts Des émotions contradictoires (stress, bonheur et tristesse) Un fossé s élargit entre elle et l enfant Valeur et mode de vie Conditions économiques Celles qui ont de la difficulté à respecter les contacts prédéterminés Développer un lien avec l enfant Respecter un horaire Réduire les contacts afin d être plus assidue 6

Leurs préoccupations Le retour de l enfant à l adolescence Difficile à comprendre Source d espoir Une vie entre parenthèses Leurs préoccupations Le désir de mettre au monde un autre enfant Confirmer leur capacité parentale Une place importante dans le projet de vie de la mère Crainte qu un nouvel enfant soit retiré 7

Leurs préoccupations Honte La stigmatisation sociale Peur d être étiquetée comme «mauvaise mère» Cacher l existence de leurs enfants placés Les sentiments au premier retrait de l enfant La peine La colère L inquiétude La culpabilité L impuissance La colère extériorisée est dirigée contre la personne qui a fait le signalement, des membres de la famille, un ex-conjoint ayant des comportements violents, l intervenant de la DPJ ou contre l enfant qui a choisi de vivre avec sa famille d accueil. 8

Recrudescence de comportements autodestructeurs «je voulais les camoufler avec de la drogue. Je ne voulais (pas) pleurer puis je ne voulais (pas) pogner les nerfs, pour briser mettons des affaires qu ils y avaient chez nous. Ça fait que moi la façon de ne pas péter de coche si on veut, c était de consommer de la drogue puis de geler mes émotions, des cacher pour ne pas que le monde s aperçoive que j avais de la peine.» (Andréanne) Les sentiments et réactions = Un processus de deuil? «Ça fait vivre un deuil, c est sûr que c est un deuil de perdre son enfant. C est de vivre comme une mortalité.» (Anne-Sophie) 9

déni «Mon chum il me dit, Andréanne je ne veux pas te décevoir, mais il est placé jusqu à ses 18 ans. Je lui dis non non non non, il va revenir un jour tu vas voir.» marchandage «C est moi qui l a habillée. Je lui ai mis son petit habit de neige. Je lui ai mis ses petites mitaines, je lui ai mis ses petites bottes. C est moi qui lui a demandé si je pouvais l habiller pour une dernière fois, puis ils ont accepté.» (Amélie) dépression «Ça faite bang là tu sais. Je ne mangeais plus, je ne sortais même pas de mon lit. J ai eu des idées noires.» (Cassandra) «Je commence à pleurer là, je commence à accepter que c est ça ma vie, c est ça la situation, et que j ai à passer à travers ça.» (Maryse) acceptation «Je vis bien avec ça. Je ne peux dire vraiment rien de plus, je vis bien avec ça tout simplement. Je m ennuie, mais quand j y pense, quand je me trouve à y penser, je regarde les photos, puis juste de la voir sur les photos ça m apaise un peu.» (Amélie) 10

2 Quelle est, au moment de l entrevue, leur perception à l égard de leur pouvoir d agir? Être maître de sa vie : définitions Prise de décision : la liberté de choix, décision et responsabilisation. Obstacles personnels et structurels à la capacité de prendre des décisions pour soi : la difficulté à s aimer ou à gérer ses émotions, le sentiment d impuissance éprouvé (dynamique de violence conjugale), la stigmatisation sociale. 11

Répondantes Échelle de mesure du sentiment de contrôle personnel Perception être maître de sa vie selon leur propre définition Anne-Sophie 86 % 20 % Maryse 71 % 70 % Isabelle 71 % 20 % Lysa-Marie 81 % 80 % Stéphanie 57 % 50 % Barbara 86 % 85 % Véronique 95 % 95 % Valérie 71 % 80 % Andréanne 48 % 65 % Claire 33 % Cassandra 67 % 20 % Amélie 100 % 100 % 3 Selon leur perception, quelle est la relation entre le placement permanent ou l adoption de leur enfant et la transformation de leur pouvoir d agir? 12

Échelle d auto-notation : perception d être maître de sa vie 100 Maître de sa vie, à partir de leurs définitions (Moyenne ) 90 80 70 60 50 40 maître de sa vie à partir de leurs définitions 30 20 10 0 1er retrait placement ou adoption Aujourd'hui Reprendre du pouvoir sur leur vie Ce qui facilite Le soutien de proches ou de professionnels La réalisation de soi par le travail, le bénévolat ou le rôle joué auprès d un autre enfant Les changements apportés dans les habitudes de vie Les échanges avec des personnes ayant un enfant suivi par la DPJ Ce qui fait obstacle Ne plus avoir la garde de leur enfant La stigmatisation La peur que la confidentialité ne soit pas préservée 13

< 80% pour les deux échelles de mesure Appartement Emploi ou programme de réinsertion social < 95% pour les deux échelles de mesure habitent en appartement, ont un conjoint et un travail ont eu leur enfant qui est placé jusqu à la majorité ou adopté avant l âge de 20 ans n ont jamais eu de diagnostic pour un problème de santé mentale ont consommé des drogues avec excès et expliquent avoir cessé de consommer sans aide ont toutes les deux, une intervenante qui est très présente et significative pour elles ont eu un suivi auprès d un psychologue ont une excellente relation avec leur père biologique ou leur père d accueil avec qui elles discutent plusieurs fois par semaine nomment accepter aujourd hui le placement ou l adoption de leur enfant 14

Discussion Réaction liée à la perte qui s apparente au deuil Redéfinition du rôle de mère Stigmatisation perçue ou subie Les limites de l étude Échantillon de volontaires Placement jusqu à la majorité et adoption examinés comme une même réalité Les résultats ne permettent pas de distinguer les interventions effectuées avant ou après 2007, soit depuis les modifications à la LPJ Perception des mères (de façon rétrospective) 15

MERCI DE VOTRE ATTENTION Julie.noel@svs.ulaval.ca 16