Surveillants et conservateurs dans les musées des «Autres».



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Ministère de la Culture et de la Communication Direction générale des patrimoines Département du pilotage de la recherche et de la politique scientifique Rapport final Surveillants et conservateurs dans les musées des «Autres». Retour sur un terrain, ethnologie d une transformation. Anne MONJARET, DR2 CNRS et HDR en ethnologie et sociologie IIAC-LAHIC (CNRS/EHESS/Ministère de la Culture et de la Communication) Mélanie ROUSTAN, Docteur en ethnologie et sociologie de l université Paris Descartes Association Pavages, Recherche en sciences humaines et sociales Paris, 5 novembre 2012

Sommaire PARTIE I CADRE DE LA RECHERCHE 6 Rappel des objectifs de départ 6 Contexte d émergence de l appel à projets 6 Mémoires d une organisation : jalons pour une réflexion sur les métiers des musées 7 Le musée des «Autres» à travers ses métiers : le questionnement initial 8 Éléments de contexte : l évolution des musées d anthropologie, (re)lectures du patrimoine des «Autres» 10 Le Palais de la Porte Dorée, des colonies à l immigration 10 Le déménagement des collections 11 Autres lieux, autres mouvements, nouvelles interprétations du patrimoine 12 Un approche sensible de l expérience du changement 13 Un terrain revisité : deux époques, une pluralité de lieux 13 Deux figures phare des musées : surveillants et conservateurs 14 PARTIE II - SURVEILLANTS, LES «GARDIENS» DU LIEU? 15 Une analyse lexicale 16 Que désigne donc le terme de «gardien»? 16 Que désigne donc le terme de «surveillant»? 17 Une catégorie administrative et professionnelle 18 Être gardien au Palais de la porte dorée 19 Un gardien comme les autres 19 Un gardien pas tout fait comme les autres 19 Encart 1 : Les surveillants dans l enquête 19 Encart 2 : Quelques caractéristiques de la population de surveillants rencontrée 20 Un contexte lors des deux enquêtes qui construit la narration 22 Un établissement à la veille de sa fermeture 22 Un établissement en réajustement 22 Vivre et faire patrimoine de l «Autre» 23 Le Palais sous surveillance : assurer sa sécurité, c est s en imprégner (Bâtiment) 23 1. GARDER ET PROTÉGER LES BIENS MATÉRIELS 24 1.1. La mission générale : être au service de la sécurité et de la surveillance 24 1.2. L organisation de la sécurité 26 1.2.1. «PC sécurité»: le temps du «bureau»(la«réserve») 26 1.2.2. L informatique : outil de surveillance 28 1.2.3. Former à la sécurité 29 1.1. Les activités spécifiques à la sécurité 30 1.3.1. Arbitrage et sécurité 30 1.3.2. Faire l ouverture et la fermeture 30 Rapport final : Le musée des «Autres» à travers ses métiers A. Monjaret, M. Roustan / Pavages 2/151

1.3.3. Changement de service entre jour et nuit 32 1.3.4. La surveillance de nuit 33 1.3.5. Faire face à des contextes sortis de l ordinaire 36 2. S ORGANISER POUR GÉRER LA SÉCURITÉ ET LE CONTRÔLE DES BIENS MATÉRIELS 39 2.1. Aux rythmes du Palais 39 2.1.1. Les temporalités du Palais : des jours et des horaires 39 2.1.2 Le planning : faire avec les effectifs et le profil des personnels 40 2.2. L informatique, outil d organisation (administration, gestion et communication) 43 2.2.1. Outils de gestion du planning... 43 2.2.3. Outil interne de communication sans communication 45 2.3. Une certaine polyvalence, une question de taille des établissements 46 3. BON PIED, BON ŒIL : UNE EXPÉRIENCE DU SENSIBLE 48 3.1 Œil sur écran, oreille en alerte. 48 3.2 L art de la déambulation de jour 49 3.2.1. Une station debout, si caractéristique 49 3.2.2. Tuer l ennui 51 3.3. L art de la ronde : un regard en action 52 3.3.1. Le passage de surveillant de jour à surveillant de nuit : l atout de connaître les lieux 53 3.3.3. Un certain rapport aux lieux, une certaine connaissance des lieux 56 4. APPROCHER DE PRÈS LES LIEUX OU LES MODALITÉS D UNE APPROPRIATION 58 4.1. Habiter sur place 58 4.2. Surveiller en occupant l espace 58 4.2.1. Des multiples espaces de travail 58 4.2.2. Des postes de travail : posté donc 59 4.2.3. Le Palais et son aquarium 62 4.3. Se reposer : les coulisses pour des temps de pauses 64 4.4. Soigner un lieu c est soigner l image du lieu 66 4.5. Prendre racine ou l établissement d une relation privilégiée 69 4.5.1. Construction d un attachement des «gardiens» à ce lieu 69 4.5.2. Laisser derrière soi 71 4.5.3. Les collections du MAAO partent, le bâtiment reste 72 4.5.4. La «belle endormie» 73 5. LE BÂTIMENT, REPENSÉ POUR LE PUBLIC 74 5.1. Une remise aux normes des équipements 74 5.2. Protéger les collections 76 5.3. Permettre à tous l accès au Palais 76 Rapport final : Le musée des «Autres» à travers ses métiers A. Monjaret, M. Roustan / Pavages 3/151

5.4. Se repérer dans le bâtiment 78 PARTIE III - CONSERVATEURS, GARANTS DES COLLECTIONS? 80 Questions de prestige 80 «L aristocratie» du musée 80 Une élite, admirée et respectée 81 Les collections liées à «l altérité»: spécialité atypique ou parent pauvre des spécialités? 82 Des profils mixtes en termes de formation : anthropologie et histoire de l art 83 «Esprit de corps» et corporatisme 84 La frontière invisible du titre 84 La difficulté à intégrer le corps / Un corps protégé 85 Un corps menacé? 86 Une «professionnalisation» inaboutie 86 La concurrence statutaire 87 Une redéfinition des périmètres d action 89 Sécurité de l emploi, précarité du poste 91 L attachement aux collections 91 Devenir spécialiste et référent 91 «Dépendre» d une collection, jusqu à quel point? 92 La passion du patrimoine, le sens du devoir 93 De l attachement à l appropriation?«ma» collection, le spectre du phagocytage 93 Conserver des objets. L enjeu de l accès aux réserves 94 1. UNE RELATION INTIME AUX COLLECTIONS. CONNAÎTRE «PAR CORPS». 95 1.1. Le contact des objets, source de plaisir 95 1.2. Le contact des objets, source de savoir 96 1.2.1. Fréquenter une collection : relation intime et mémoire sensorielle 96 1.2.2. Explorer un fonds, appréhender physiquement des objets (comme les futurs visiteurs) 98 1.3. Le contact des objets : source de pouvoir 99 1.3.1. L espace des réserves : de la familiarité à l appropriation 99 1.3.2. Détenir les clefs des réserves 99 2. LA GESTION DES RÉSERVES. L EXIGENCE DE «CONSERVATION PRÉVENTIVE» 100 2.1. L évolution de la notion de «conservation» 101 2.1.1. La conservation, une compétence des conservateurs? 101 2.1.2. La nouvelle norme de «conservation préventive» 102 2.2. Les métiers connexes : restaurateurs et régisseurs 103 2.2.1. Accès (physique) aux objets : les restaurateurs, spécialistes aux interventions ponctuelles 103 2.2.2. Accès (physique) aux réserves : les régisseurs, des garants (gênants) de la pérennité 105 3. L ORGANISATION DES OBJETS ET DES DONNÉES. L(A R)ÉVOLUTION DES LOGIQUES DE CLASSEMENTS. 108 3.1. «Rationalisation» des réserves? Catégories techniques vs logiques scientifiques 108 3.1.1. Les nouveaux critères de rangement des réserves : caractéristiques matérielles 108 3.1.2. Une absence de «sensibilité» aux objets, une perte de lisibilité des collections 109 Rapport final : Le musée des «Autres» à travers ses métiers A. Monjaret, M. Roustan / Pavages 4/151

3.1.3. Le sentiment d une mise à distance 111 3.2. Informatisation des inventaires, numérisation : le défi du partage de l information 113 3.2.1. Une localisation par la «traçabilité» 113 3.2.2. Concevoir et nourrir les bases de données : un travail (stratégique) de titan et de fourmi 114 3.2.3. Une redéfinition du périmètre des collections 115 3.2.4. L indexation. Poser des mots sur des choses, interpréter le patrimoine? 116 3.2.5. Transparence et partage des connaissances, une idéologie et ses limites 117 3.3. L élargissement de l accès aux collections, une volonté politique d ouverture 118 3.3.1. Dépersonnaliser l accès aux réserves 118 3.3.2. Ouvrir les réserves, une forme de restitution? 120 3.3.3. Mettre les collections en ligne, moyens de les communiquer 121 DE LA PRÉHENSION SENSORIELLE À L APPRÉHENSION VIRTUELLE? 122 CONCLUSION GÉNÉRALE 125 ANNEXES 127 Valorisations 127 Compte-rendu financier 128 Bibliographie thématique 129 Guide d entretien compréhensif 141 Liste des personnes interviewées 143 Point sur l iconographie 149 Point sur les phases de terrain 150 Contacts 151 Rapport final : Le musée des «Autres» à travers ses métiers A. Monjaret, M. Roustan / Pavages 5/151

PARTIE I CADRE DE LA RECHERCHE Rappel des objectifs de départ En lançant un appel à projets intitulé «Pour une ethnologie des métiers du patrimoine», la Direction générale des patrimoines - Département du pilotage de la recherche et de la politique scientifique entend poursuivre les recherches engagées dans les années 1990 sur l ethnologie du patrimoine et compléter ainsi le corpus de travaux déjà existants dans ce domaine, et en particulier ceux développés, depuis les années 2000, au sein du Laboratoire d anthropologie et d histoire de l institution de la culture (LAHIC), dirigé par Daniel Fabre. Parmi les programmes de recherche qui ont été soutenus, dans ce cadre par le Ministère, certains portent précisément sur le thème de la mémoire et du patrimoine 1. Les monuments historiques, les patrimoines archéologiques, les lieux d archives ont été étudiés sous l angle des émotions, des imaginaires et des usages qu ils suscitent 2. Cependant, jusqu à maintenant, les représentations et les pratiques de ces lieux ont été cernées en se situant plutôt du côté des visiteurs, des usagers, des habitants, et plus largement des citoyens. Contexte d émergence de l appel à projets C est pourquoi la Direction générale des patrimoines propose, aujourd hui, de se pencher non seulement sur les institutions du patrimoine et sur leurs administrations, dans une perspective tant synchronique que diachronique, mais aussi sur les professions et leurs différents corps de métiers, qui font fonctionner au quotidien les établissements du patrimoine. Elle souhaite ainsi stimuler un nouvel angle d approche des institutions patrimoniales et de ces métiers, et comprendre l impact de ces derniers sur les processus de patrimonialisation. Il s agit, entre autres, de saisir la place des métiers du patrimoine dans la dynamique patrimoniale et d inscrire la réflexion dans une perspective clairement ethnologique. Depuis plusieurs années, les travaux en sociologie des professions et des organisations de la culture tendent à se développer. C est le cas, par exemple, des travaux sur les conservateurs de musée, l idée étant de cerner les contextes de transformations de la 1 Se reporter entre autres à GRAVARI-BARBAS Maria (dir.), 2002, Habiter le patrimoine. Enjeux, approches, vécu, Rennes, PUR, coll. «Géographie sociale» ; RAUTENBERG Michel, 2003, La rupture patrimoniale, Paris, A la Croisée. 2 Se reporter par exemple à l une des dernières publications : Fabre Daniel, IUSO Anna (dir.), 2010, Les monuments sont habités, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l'homme, collection «Ethnologie de la France». Rapport final : Le musée des «Autres» à travers ses métiers A. Monjaret, M. Roustan / Pavages 6/151

profession 3. Les «petits» métiers de la culture semblent oubliés, en dehors de ceux qui émergent comme celui de «médiateur» 4. En revanche, sur le domaine en ethnologie, les travaux se font encore rares. Les monographies de sites restent trop peu nombreuses pour saisir, minutieusement et d un point de vue comparatif, les organisations patrimoniales : musées, chantiers de fouille, archives Quant à l ethnologie des musées, elle est moins une ethnographie des musées et de leur organisation 5 qu une ethnologie des politiques muséales et de leur évolution 6, voire une épistémologie des disciplines associées à ces institutions culturelles 7. Mémoires d une organisation : jalons pour une réflexion sur les métiers des musées Fin 2001, une équipe du CERLIS (Jacqueline Eidelman, Anne Monjaret et Mélanie Roustan) est sollicitée pour entreprendre un travail sur la «mémoire vivante» des agents du musée national des Arts d Afrique et d Océanie (MNAAO), qui s apprête à fermer ses portes. Le transfert des collections en direction du musée du quai Branly (MQB) a commencé ; nombre des personnels doivent trouver un nouveau lieu d affectation la plupart n iront pas dans le nouveau musée. L enquête se déroule entre novembre 2001-juillet 2002. Elle ne nous donne pas seulement l occasion, à partir des témoignages du personnel, de situer le parcours d un musée en particulier, marqué par son héritage colonial, ni celle de saisir les rapports qu il a entretenu avec différentes disciplines l histoire de l art et l ethnologie en particulier-, elle permet aussi de mieux connaître les activités et les professionnels, toutes catégories confondues, qui ont fait fonctionner jusqu à sa fermeture cette organisation muséale, alors que peu de recherches s y intéresse. Elle permet également de comprendre l implication et le rôle des différents corps de métiers dans les dynamiques de requalification des patrimoines matériels et immatériels en présence : collections, bâtiments, institutions, mémoires 8. Les récits de vie révèlent les trajectoires personnelles, les rôles et les statuts, la formation des groupes, l agencement des réseaux, les logiques de fonctionnement du musée : des musées en général, d un musée consacré aux cultures des «Autres» en particulier. Nos résultats montrent qu on ne peut détacher le musée de la sphère sociale et politique. Mieux, il en reflète les crises, les contradictions autant que les avancées, les innovations. Et 3 POULARD Frédéric, sous presse, Musées territoriaux et politiques de la culture. Le rôle des conservateurs du début du XXè siècle à nos jours, Paris, La Documentation française, coll. «Musées-Mondes» ; OCTOBRE Sylvie, 1996, «Les conservateurs des musées français», Musées & Collections publiques de France, n 212, pp. 53-71. 4 PEYRIN Aurélie, 2010, Être médiateur au musée. Sociologie d un métier en trompe-l œil, Paris, La Documentation française, coll. «Musées-Mondes». 5 HEINICH Nathalie, 2009, La fabrique du patrimoine «De la cathédrale à la petite cuillère», Paris, Éditions de la Maison des sciences de l homme ; EIDELMAN Jacqueline, MONJARET Anne, ROUSTAN Mélanie, 2003, «MAAO, mémoire d'une organisation», Culture & Musées, n 2, pp. 101-127 ; EIDELMAN Jacqueline, MONJARET Anne, ROUSTAN Mélanie (textes) PLOSSU Bernard (photographies), 2002, Musée National des Arts d'afrique et d'océanie. Mémoires, Paris, Marval. 6 Entre autres, SEGALEN Martine, 2005, Vie d un musée, 1937-2005, Paris, Stock. 7 Entre autres L ESTOILE (DE) Benoît, 2007, Le goût des autres. De l exposition coloniale aux arts premiers, Paris, Flammarion ; DUPAIGNE Bernard, GUTWIRTH Jacques, 2008, «Quel rôle pour l ethnologie dans nos musées?», Ethnologie française «L Europe et ses ethnologies», n 4, pp. 627-630. 8 MONJARET Anne, ROUSTAN Mélanie, EIDELMAN Jacqueline, 2005, «Fin du Musée National des Arts d Afrique et d Océanie : un patrimoine revisité», Ethnologie française : Fermetures, crises et reprises, n 4, pp. 605-616. Rapport final : Le musée des «Autres» à travers ses métiers A. Monjaret, M. Roustan / Pavages 7/151

en même temps, l établissement muséal a son propre rythme, ses propres histoires, sa spécificité ; il fonctionne comme une petite famille, avec ses heurs et ses joies. Ce qui nous a intéressé, c est la manière dont cohabitent ces personnels aux fonctions diverses, c est la façon dont les métiers (conservateurs, personnels administratifs, services techniques, agents de surveillance ) se sont façonnés, diversifiés, qualifiés ou déqualifiés. Les rapports hiérarchiques, professionnels et affectifs ont pu être analysés à travers le temps des activités professionnelles comme celui des activités extra-professionnelles. Travail et hors travail nous ont aidés à mieux caractériser dans sa globalité, cette organisation qui occupe un lieu dans lequel se croisent des gens et des objets. Nous avons alors ouvert le chantier. La mémoire de l organisation, les mémoires dans l organisation, s élaborent au présent. Chacun émet un discours sur la fermeture du lieu institution muséale, personnels et publics - : sur un lieu de vie, un lieu d Histoire ou de honte selon les témoignages, un lieu à oublier ou à conserver. C est sans doute cet héritage lourd à porter qui a motivé un premier retour sur le terrain, consacré à l analyse d une cour située au sous-sol de l établissement, où l on pouvait encore voir en 2003-2004 des traces de graffiti remontant jusqu en 1931 9. La transformation du Palais de la Porte Dorée, lieu chargé d histoire(s), et les changements de statuts et de lectures des collections qui y prenaient place avaient fait partie intégrante de nos questionnements autour des enjeux sociaux et politiques inhérents aux dynamiques patrimoniales (notamment de «repatrimonialisation» d éléments déjà patrimoniaux). Le transfert des collections au MQB et la création de la Cité nationale de l histoire de l immigration (CNHI) 10 apportent des éléments de réponse. Le Palais de la Porte Dorée connaît donc un nouvel épisode de son histoire mouvementée : Qui sont les nouveaux hommes et femmes qui travaillent dans ce lieu? Que sont devenus les anciens?... Quid des participations des uns et des autres à la mutation du lieu, des institutions et des collections?... Ce contexte nous invite, une fois encore, à retourner sur le terrain, à le revisiter à la lumière d un nouveau questionnement 11. Le musée des «Autres» à travers ses métiers : le questionnement initial Notre projet de recherche vient prolonger une démarche initiée il y a maintenant plusieurs années. Nous proposons dorénavant de croiser une approche en termes d organisation d un 9 MONJARET Anne, 2005, «La cour des "prisonniers" : graffiti et métaphore carcérale dans un musée parisien», Le Monde Alpin et Rhodanien «Cicatrices murales. Les graffiti de Prison», décembre, 1 e et 2 e trimestres, pp. 77-88. 10 COHEN Anouk, 2007, «Quelles histoires pour un musée de l Immigration à Paris!», Ethnologie française «Mémoires plurielles, mémoires en conflit», n 3, pp. 401-408. 11 Nous avons, depuis la fin de l année 2009, engagé également une réflexion sur le Palais de la Porte dorée, proprement dit, en nous focalisant sur le bâtiment-monument et ses transformations historiques, et plus précisément celles qui ont pris forme au moment du passage, MNAAO/ entre deux/ CNHI. Nos premiers résultats ont été présentés lors d une communication : MONJARET Anne, ROUSTAN Mélanie, «Le Palais de la Porte Dorée : du musée des Colonies à la Cité nationale de l histoire de l immigration», journée d étude «Les Musées d ethnologie. Quel héritage pour quelles reconversions?», Université de Lille1, Clersé, Lille, 18 novembre 2009 (en cours de publication). Rapport final : Le musée des «Autres» à travers ses métiers A. Monjaret, M. Roustan / Pavages 8/151

musée et une approche en termes de dynamiques patrimoniales, et de l appliquer au cas des mutations récentes du Palais de la Porte Dorée et des collections qu il abritait, pour éclairer les contributions de différents corps de métiers aux transformations des musées des «Autres» en France. Le cadre théorique de cette réflexion mobilise l ethnographie des institutions 12 et l ethnologie du travail 13, autant que l anthropologie de la culture matérielle 14 et la muséologie 15. Notre terrain s élabore à partir du Palais de la Porte dorée, de l histoire des établissements qui l ont occupé et des collections qu il a abrité. Un musée peut se définir, selon nous, comme une imbrication de plusieurs entités : une institution, un bâtiment, des collections, une muséographie, et des publics. Les trois corps de métier que nous avions retenus, dans le cadre de cette recherche, offrent une diversité en termes de statuts et en termes de relations à ces différentes entités. Nos principales questions étaient les suivantes : Comment décrire les métiers des services de la conservation, de la surveillance et des services techniques? Quelles ont été leurs mutations? Comment les «servants du patrimoine» sont-ils construits par l institution, les établissements et les métiers? Comment se construisent-ils dans ce contexte? Comment les métiers du musée ont-ils participé et participent-ils des dynamiques patrimoniales autour des collections relatives aux «Autres»? Comment penser un lieu quand celui-ci se transforme? Comment les personnels qui ont connu le MNAAO et travaillent toujours au Palais vivent le passage, articulent anciens et nouveaux discours institutionnels, patrimoniaux, muséaux, anciens et nouveaux aménagements des locaux, ancienne et nouvelle muséographies? Comment, conjointement, les nouveaux s intègrent et s adaptent à la CNHI, ressentent et vivent le lieu bâtiment-monument- à l imposante architecture et au lourd héritage? Comment participent-ils de sa «repatrimonialisation», s y impliquent-ils tout en étant eux-mêmes façonnés par lui? Il s agissait de saisir comment ceux qui travaillent dans les milieux du patrimoine pensent, font et vivent le patrimoine et sont fait par le patrimoine, dans le contexte particulier de la reconfiguration des musées nationaux consacrés aux arts et aux cultures des «Autres». 12 ABÉLÈS Marc, 1995, «Pour une anthropologie des institutions», L Homme, n 135, pp. 65-85 ; ABÉLÈS Marc, 2000, Un ethnologue à l assemblée, Paris, Odile Jacob ; LATOUR Bruno, 2002, La fabrique du droit, une ethnographie du Conseil d État, éd. la Découverte. 13 TROMPETTE Pascale, 2003, L usine buissonnière. Une ethnographie du travail en monde industriel, Toulouse, Octarès Éditions ; JULIEN Marie-Pierre, 2005, «Travail et subjectivité : pistes ethnologiques du sujet», Ethnologie française «Fermetures : crises et reprises», n 4, pp. 733-737 ; JEANJEAN Agnès, 2006, Basses Œuvres. Une ethnologie du travail dans les égouts, Paris, Éditions du CTHS, FOURMAUX Francine, 2009, Belles de Paris. Une ethnologie du music-hall, Paris, Editions du CTHS. 14 BROMBERGER Christian et SEGALEN Martine (dir.), 1996, «Culture matérielle et modernité», Ethnologie française, n 1. WARNIER Jean-Pierre, 1999, Construire la culture matérielle. L homme qui pensait avec les doigts, Paris, PUF, coll. «Sciences sociales et sociétés» ; JULIEN Marie-Pierre, ROSSELIN Céline, 2005, Culture matérielle, Paris, La Découverte, coll. «Repères». ; ROUSTAN Mélanie, Sous l emprise des objets? Culture matérielle et autonomie, Paris, L Harmattan, coll. «Logiques sociales», 2007. 15 DEBARY Octave, 2003, La fin du Creusot ou l art d accommoder les restes, Paris, Éditions du CTHS ; SEGALEN Martine, 2005, Vie d un musée, 1937-2005, Paris, Stock. Rapport final : Le musée des «Autres» à travers ses métiers A. Monjaret, M. Roustan / Pavages 9/151

Ce terrain était sensé apporter la matière à penser, de façon inédite, les musées des «Autres» : comment leurs personnels participent-ils de la construction de ce patrimoine qui met en scène les «Autres», d ailleurs et d ici ; comment s ajustent-ils, s identifient-ils ou se distinguent-ils de ces «Autres»? Les différents corps de métiers ont-ils une relation spécifique à ces «Autres» et comment la cultivent-ils? Notre point d attache principal était le Palais de la Porte Dorée. Nous souhaitions nous pencher sur le quotidien de ses personnels (de la conservation, des services techniques et de la surveillance), aujourd hui à la CNHI anciens du MNAAO et nouveaux arrivants. Nous souhaitions aussi aller sur les pas de ceux qui sont passés dans ce lieu et ont été amenés à le quitter ; les (re)trouver sur leur nouveau lieu de travail au MQB, au MuCEM, ou s ils sont retraités, aller les voir chez eux, pour mieux comprendre, a posteriori, comment ils ont été façonnés et ont façonné en retour ces institutions patrimoniales dédiées aux altérités. Éléments de contexte : l évolution des musées d anthropologie, (re)lectures du patrimoine des «Autres» Le Palais de la Porte Dorée, des colonies à l immigration La première pierre du Palais de la porte Dorée a été posée par Gaston Doumergue, Président de la République, le 5 novembre 1928, à Paris, à la lisière du bois de Vincennes. Conçu par Albert Laprade, construit pour l Exposition coloniale de 1931, il est destiné à se pérenniser comme musée permanent des Colonies. Il devient ensuite musée de la France d Outre-mer, puis musée des Arts africains et océaniens lors de la création du ministère des Affaires culturelles, à l approche des indépendances (1960). Prenant le titre de musée national des Arts d Afrique et d Océanie en 1992 (MNAAO), il ferme en 2003, pour léguer ses collections au musée du quai Branly en gestation. Musée des Colonies, carte postale de 1931 et photographie de l entrée de l Exposition Coloniale Rapport final : Le musée des «Autres» à travers ses métiers A. Monjaret, M. Roustan / Pavages 10/151

Après quelques années d occupation provisoire par l Institut français d Architecture, puis de chantier, le Palais de la porte Dorée accueille en 2007 la Cité nationale de l histoire de l immigration (CNHI). L édification du bâtiment constituait une ode à «la plus grande France» : son architecture, ses bas-reliefs, ses fresques, son mobilier, etc. en faisaient un monument à la gloire du colonisateur. Sa muséographie reflétait, de façon similaire, l idéologie de l époque 16. Ainsi, au moment de sa construction, c est au premier degré qu il faut comprendre un lieu métonymique d un projet, d une idéologie et d une institution alors en pleine force : la France coloniale. Du contexte initial à la situation contemporaine, la rhétorique des colonies a cédé le pas à la grammaire de l immigration. Entrée de la CNHI en 2008 (photographie M. Roustan) Le déménagement des collections Au moment de la fermeture du MAAO, les collections «objets» déménagent, ainsi que leur documentation. Dans un premier temps, elles vont à «Berlier», le site du «chantier des collections» (mise en caisses, récolement, restauration, inventaire ). Elles sont ensuite amenées dans les réserves du musée du quai Branly (MQB), où elles retrouvent leurs «homologues» du musée de l Homme, en restructuration. Musée du quai Branly (photographie M. Roustan, 2010) 16 MURPHY Maureen, 2009, De l imaginaire au musée. Les arts d Afrique à Paris et à New York (1931-2006), Paris, Presses du réel, coll. Œuvres en sociétés. Rapport final : Le musée des «Autres» à travers ses métiers A. Monjaret, M. Roustan / Pavages 11/151

Un flottement demeure quant aux éléments attachés au Palais de la Porte Dorée, et notamment au musée des Colonies. Les dispositifs muséographiques (vitrines, dioramas ) qui ont survécu au passage du temps posent la question de leur patrimonialisation. Il est décidé d en garder quelques exemplaires témoins, inventoriés en «collections historiques» au MQB, et conservés pour certains in situ, dans le bâtiment Porte Dorée, et pour d autres en réserves extérieures. Il en est de même de certaines pièces de mobiliers datant des années 1930, qui, en revanche, avaient été patrimonialisées dès les années 1980, avec leur entrée sur la liste supplémentaire de l inventaire des monuments historiques. Les deux salons ovales, anciens bureaux d apparat de ministres, sont parties prenantes du Palais tel qu il est restitué aujourd hui dans son «état d origine». Autres lieux, autres mouvements, nouvelles interprétations du patrimoine La création du MQB est un événement marquant de la reconfiguration française 17 et internationale des musées des «Autres». Son architecture et sa muséographie, résolument innovantes (Nouvel), ont cristallisé les débats autour de cette reconfiguration 18. Les paradigmes mobilisés pour penser l altérité évoluent (par exemple, montée en force de la «diversité culturelle» et de «l autochtonie») ; les disciplines scientifiques voient leurs frontières bouger, aux confins de l anthropologie, d un côté, et de l histoire de l art, de l autre (par exemple avec la notion d «arts premiers»). De la crise de la représentation en ethnologie 19 à l émergence de nouvelles préoccupations politiques envers les populations du sud et les minorités, de nombreux musées en charge de collections extra-occidentales connaissent une transformation : fermeture ou rénovation (par exemple, musée royal d Afrique centrale de Tervuren, en Belgique ou musée Pitt-Rivers à Oxford, au Royaume- Uni). D autres établissements voient le jour, avec la création de nouveaux bâtiments, de nouvelles muséographies et l affirmation de nouvelles préoccupations (les publics et la communication 20 ) et l apparition de nouvelles formes d organisation institutionnelle (les «établissements publics», pour la France, et la tendance aux «cités» culturelles). Le cas du MuCEM (musée des civilisations d Europe et de Méditerranée) est à ce titre intéressant. Il s inscrit en continuité et à la fois en rupture avec un musée d ethnologie «classique» (musée national des Arts et Traditions populaires) : il conserve mais renouvelle ses collections, ainsi que ses personnels. Il abandonne le bâtiment Dubuisson du Bois de Boulogne, à Paris, pour rejoindre une architecture contemporaine (Ricciotti) érigé sur le Vieux Port de Marseille. Et suivant le mouvement général, il devient «établissement public» et commence à recruter des personnels sur contrats de droit privé, comme à la CNHI et au MQB. 17 MAZÉ Camille, POULARD Frédéric, VENTURA Christelle (dir.), 2013, Les musées d ethnologie. Culture, politique et changement institutionnel, Éditions du CTHS. 18 Le Débat, 2007, n 147 : Le moment du Quai Branly ; Ethnologie française, 2008, n 4 : L Europe et ses ethnologies (dir. Martine SEGALEN). 19 CLIFFORD, James, 1996 [1988], Malaise dans la culture : l ethnographie, la littérature et l art du 20e siècle, Paris, Ensba. 20 HERMÈS, 2011, n 61 : Les musées au prisme de la communication (dir. Paul RASSE et Yves GIRAULT). Rapport final : Le musée des «Autres» à travers ses métiers A. Monjaret, M. Roustan / Pavages 12/151

Les collections du MNATP «déménagent» à Marseille, au MuCEM (photographies M. Roustan, 2011) Un approche sensible de l expérience du changement Notre approche s attache à rester au plus près des hommes et des objets. Elle s inscrit dans la lignée des études «compréhensives», prenant au sérieux la parole des personnes rencontrées sur le terrain, et se focalise sur le vécu et le point de vue des professionnels. Elle se réclame également des analyses en termes de «culture matérielle», s intéressant aux relations entre sujets en actions et objets matériels (mobiliers et immobiliers) 21. Ces deux optiques définissent les contours d une ethnographie des institutions culturelles, nous permettant de saisir les manières dont les hommes contribuent à définir les objets de patrimoine, et réciproquement, la façon dont ces objets les travaillent en retour. Un terrain revisité : deux époques, une pluralité de lieux Notre vision de l ethnographie n est pas statique. Elle se fonde sur le temps long ; elle s ancre surtout dans deux moments forts : la fin du MAAO (2001-2002), les débuts des institutions rénovées (CNHI, MQB, MuCEM 2011-2012). L intervalle de 10 ans entre nos deux enquêtes nous a incité à construire notre terrain sur le mode du «que sont-ils devenus?». Sauf exception, les surveillants sont restés au Palais de la Porte Dorée, les conservateurs ont suivi les collections. Revisiter un terrain 22 implique non seulement de retourner sur des lieux, mais également de suivre des hommes et des objets dans leur trajectoires. 21 ROUSTAN Mélanie, 2007, Sous l emprise des objets? Culture matérielle et autonomie, Paris, L Harmattan, coll. «Logiques sociales». 22 CEFAÏ Daniel (dir.), 2010, L engagement ethnographique, Paris, Ed. de l EHESS. Rapport final : Le musée des «Autres» à travers ses métiers A. Monjaret, M. Roustan / Pavages 13/151

Deux figures phare des musées : surveillants et conservateurs Notre projet initial incluait les services de surveillance, les services de conservation et les services techniques. Nous avons renoncé à l étude de ces derniers : beaucoup étaient partis à la retraite, certains, par pudeur, ont refusé de nous répondre ; la rencontre avec leurs «successeurs» nous auraient emmenés trop loin de l ethnographie des institutions culturelles, au vu de la reconfiguration des métiers au musée («externalisation» des prestations techniques). L étude conjointe des surveillants et des conservateurs, deux figures classiques des musées, nous permet de comprendre le double mouvement de réinterprétation patrimoniale du bâtiment et des collections. Nous nous intéressons aux changements de statuts et de significations des «objets» du monde muséal, et particulièrement aux façons de les mobiliser pour actualiser un rapport au passé, malgré leur relative permanence matérielle. Les «gardiens» nous permettent d appréhender les dynamiques locales du changement patrimonial à la Porte Dorée (ancien Palais des Colonies reconverti en Cité de l immigration). Les conservateurs, nous permettent, de leur côté, d envisager les dynamiques globales qui participent des réinterprétations des collections liées aux «Autres» 23. Grâce à une ethnographie des institutions fondée sur une approche compréhensive de la culture matérielle, jouant sur les échelles d observation, nous offrons un nouveau regard sur l évolution des musées des «Autres». Comment l analyse des mutations des métiers de la surveillance éclaire-t-elle la métamorphose du Palais de la Porte Dorée? Comment les «gardiens» du lieu ont-ils été transformés par sa métamorphose? Comment l analyse des mutations des métiers de la conservation éclaire-t-elle la métamorphose des collections consacrées aux «Autres»? Comment ces «gardiens» des collections ont-ils été transformés par leur métamorphose? 23 Croisant ainsi le champ de l histoire des collections [POULOT Dominique, «L histoire des collections, une histoire anecdotique?», in VINCENT Odile (dir.), 2011, Collectionner. Territoires-Objets-Destins, Paris, Créaphis éditions]. Rapport final : Le musée des «Autres» à travers ses métiers A. Monjaret, M. Roustan / Pavages 14/151

PARTIE II - SURVEILLANTS, LES «GARDIENS» DU LIEU? «( ) le gardien qui dort, ou qui voit rien, qui a les deux pieds dans le même sabot. Et puis il y a ceux qui disent : "bon de toute façon ce sont des gens pas intéressants" ou alors, il y ceux qui ont la vraie curiosité de la vie et des gens, qui tout de suite "ah t'es gardien de musée, et comment ça se passe, et qu'est-ce que tu fais", et qui posent plein de questions, mais ils sont plus rares.» (Agent de surveillance de nuit, MAAO, 25 janvier 2002) Quel que soit l établissement, l image du «gardien de musée» semble à jamais figée. Le gardien appartient à ces figures qui nourrissent un imaginaire. Sa casquette et son uniforme incarnent une certaine autorité, sinon une autorité certaine. Il apparaît comme le gardien des lieux, de lieux un peu poussiéreux, dont les attributs généralement associés sont en cela révélateur : la «clé» n est-elle pas celle qui permet d ouvrir et de fermer les portes de ces forteresses culturelles que sont les musées? De même, il apparaît comme le gardien des objets qui habitent les lieux, tout comme le surveillant des visiteurs qui viennent voir les collections exposées : ici la «chaise» installée dans un coin d une «salle» d exposition n est-elle pas le symbole de son périmètre sous sur surveillance? Elle délimite un territoire d observation. Ces représentations traversent les temps d une façon quasi immuable. Chaise de gardien, MAAO 2003 (photographie M. Roustan) Rapport final : Le musée des «Autres» à travers ses métiers A. Monjaret, M. Roustan / Pavages 15/151

Pourtant, que se cache-t-il derrière ces représentations qui leur collent à la peau? Quelles réalités sociales? Comment sortir de ces représentations, sinon en les déconstruisant, en repartant des catégories socio-professionnelles qui les caractérisent et, dans notre cas, plus sûrement encore, en s attachant aux discours que les agents développent sur leur pratique du métier. Aujourd hui, ces hommes et ces femmes qui exercent ce type de métier, assument ce type d emploi ne sont-ils pas qualifiés tout à la fois de «gardien de musée» (sans doute raccourci historique), de «surveillant de musée», d «agents de surveillance», d «agents d accueil et de surveillance», d «agent de sécurité», d «agents d accueil et de sécurité des musées», autant de termes qui dénotent d un flottement sémantique, qui mêlent terminologie administrative et expression du sens commun, autant de termes qui finissent par voiler, par trop d approximation ou de variété, ce qu ils sont, ce qu ils font, ce qu ils pensent être et faire. Un détour lexical et étymologique peut aider à un premier éclaircissement. Une analyse lexicale Que désigne donc le terme de «gardien»? Sur le site du Centre national de ressources textuelles-cnrs, consultable sur Internet, nous pouvons lire, entre autres, à ce propos : «Personne qui assure la garde, qui est chargée de protéger ou de surveiller quelqu'un ou quelque chose.». L analyse de l évolution de la prononciation et de l orthographe rappelle qu en «1264 «gardiain» est «celui qui a charge de garder (une personne, un lieu, un bâtiment)» (Doc., Archives du Jura ds Gdf. Compl.)». La définition qu en propose le nouveau Petit Robert (1996) conforte cette dernière : le «gardien» est la «personne qui a charge de garder qqn, un animal, un lieu, un bâtiment, etc.». Parmi les expressions mentionnées, celle de «gardien de musée» nous intéresse particulièrement car elle concerne précisément le groupe que nous étudions et montre le lien étroit entre musée et gardien. Les champs d action du gardien sont clairement posés. Le gardien est préposé à la «garde», c est-à-dire, toujours pour le nouveau Petit Robert (1996), à l «action de garder avec attention, en surveillant ou en protégeant», à l «Action de garder, de conserver (qqch.)» ; à l «Action de veiller sur un être vivant, soit pour le protéger, soit pour l empêcher de nuire ; à la «Surveillance» ; à la «Position de défense en vue d éviter un coup, un danger». Le «garde» apparaît alors comme la «Personne qui garde une chose, un dépôt, un lieu => conservateur, dépositaire, gardien, surveillant.» Ces exemples soulignent l existence d un point commun entre gardien et conservateur : ils sont là pour garder. Le conservateur est le gardien des œuvres, des collections. Le «Conservateur» étant la «personne préposée à la garde de qqch. => gardien». Ce terme renvoie également à un «titre», comme celui mentionné dans le dictionnaire du «conservateur d un musée, qui l organise et l administre», fonctions marquant cette fois la distinction avec le gardien de musée, qui assume une autre mission que recouvre pour partie le sens du mot «Garder». Rapport final : Le musée des «Autres» à travers ses métiers A. Monjaret, M. Roustan / Pavages 16/151

En effet, «garder», c est «veiller, prendre garde» mais c est entre autres aussi toujours dans le nouveau Petit Robert : prendre soin de (une personne, un animal) => veiller (sur) ; surveiller ; empêcher (une personne) de sortir, de s en aller ; rester dans (un lieu) pour surveiller, défendre ce qui s y trouve (ex : garder une porte, une entrée : surveiller tous ceux qui entrent ou qui sortent ; protéger, préserver (d un mal, d un accident, d un danger.) ; Conserver, préserver (qqch.) de la destruction, d altérations ; mettre de côté, en réserve ; observer fidèlement, avec soin. Que désigne donc le terme de «surveillant»? Attachons-nous à présent au terme de «surveillant» afin de mieux saisir ce qu il recouvre. Sur le site du Centre national de ressources textuelles-cnrs, nous pouvons lire : «1535 subst. «celui qui surveille, évêque» (Kunze, p. 162); 1587 adj. «qui surveille» (P. Crespet, Le Jardin de Plaisir. 1602. II, 383 ds R. Philol. fr. t. 45, p. 150); spéc. a) 1872 subst. fém. (Luppi: Surveillante. La femme qui inspecte tout ce qui se fait, et ce qui se passe dans l'atelier); b) 1875 subst. masc. (Lar. 19 e : Surveillant. Personne spécialement chargée de surveiller des élèves); 1899 surveillant général (R. universitaire, loc. cit.); 1931 p. abrév. sur' gé, cégé (Gottschalk, Französische Schülersprache, p. 20, ibid., t. 23). Part. prés. subst. de surveiller*». Le nouveau Petit Robert donne comme définition : celui qui veille sur, qui a soin de» ; personne qui surveille ce dont elle a la responsabilité, la charge => garde, gardien.». «Surveiller» renvoie à de précises et multiples actions : observer avec une attention soutenue, de manière à exercer un contrôle, une vérification ; surveiller qqn, observer son comportement pour vérifier qu il ne manque pas à son devoir, pour empêcher de mal faire «avoir l œil sur, avoir à l œil» ; avoir autorité pour contrôler (garder (à vue)) ; veiller avec attention et autorité sur ; observer attentivement, fixer son attention sur, pour éviter ou prévenir un danger, une action ; exercer une surveillance policière ou militaire sur (qqn., qqch.) par l observation, les moyens de défense ou de répression. La «surveillance» apparaît entre autres comme le fait de surveiller ; l ensemble des actes par lesquels on exerce un contrôle suivi. Le nouveau Petit Robert fait le lien avec les sociétés de surveillance et la surveillance à distance (télésurveillance, vidéosurveillance) Ces définitions sont particulièrement éclairantes sur le recoupement des termes de «gardien» et de «surveillant» et, dés lors que nous nous rapportons aux agents de surveillance dans les musées, nous comprenions mieux le flottement usuel. Cette terminologie recouvre également des catégories administratives qui ont évolué au cours du temps transformant progressivement le gardien en surveillant et de fait, les modalités de recrutement et de traitement de ces personnels. Mais ici nous ne rentrerons pas dans les détails de ces changements. C est au tournant des années 80-90 que la terminologie évolue, Rapport final : Le musée des «Autres» à travers ses métiers A. Monjaret, M. Roustan / Pavages 17/151

abandonnant le fameux qualificatif de «Gardien» ou de «gardien-chef» pour préférer celui «d agents d accueil, de surveillance, de magasinage» 24. Une catégorie administrative et professionnelle Pour les agents de la fonction publique, être surveillant, c est d abord appartenir à une filière professionnelle spécifique - un corps -, dans notre cas, une filière rattachée au ministère de la Culture et de la Communication. Cette filière est organisée par grades (A, B, C), auxquelles les agents accèdent par la voie des concours (en interne quand ils sont déjà dans l institution). Cette filière «Surveillance» a la particularité de ne pas intégrer la «Catégorie A+», grade le plus élevé de la hiérarchie qui concerne les filières «scientifique» et «administrative». Notons que pour la première filière, la «Catégorie A+» représente un grade unique attribué aux Conservateurs du patrimoine, ce qui dénote d un principe de supériorité hiérarchique, qui semble, malgré des contextes administratifs, culturels, politiques différents, avoir été cultivé 25, laissant, à notre avis, quelques traces dans le type de relations et de considérations réciproques observés aujourd hui entre conservateurs et surveillants et basées sur la distance, l indifférence ou l esprit critique. Pour revenir aux agents de surveillance travaillant actuellement dans des établissements culturels, ceux répondant à «Catégorie A» sont eux qualifiés d «Ingénieur des services culturels et du patrimoine- spécialité services culturels», ceux de la «Catégorie B», de «Technicien des services culturels et des bâtiments de France- spécialité accueil et surveillance» et enfin, ceux de la «Catégorie C», d «Adjoint technique d'accueil, de surveillance et de magasinage». Cette grille montre les possibilités d avancement du corps des surveillants ; comme tout agent d État, ils sont soumis à des notations qui infèrent sur leur promotion 26. Mais si des fiches de poste délimitent leurs missions (accueil du public, surveillance des salles, etc.), ces dernières peuvent cependant variées selon les besoins des établissements qui ont des histoires organisationnelles spécifiques. La polyvalence des activités de ces agents est d ailleurs l une des caractéristiques de ce corps. De même, la répartition des activités de jour et de nuit en est une autre. 24 EIDELMAN Jacqueline, MONJARET Anne, ROUSTAN Mélanie, 2003, «MAAO, mémoire d'une organisation», Culture & Musées, n 2, p. 110. 25 Odile Join-Lambert et Yves Lochard rapporte ainsi qu au début de XXème siècle : «Les gardiens, de même que la plupart des personnels administratifs ou techniques du musée, sont subordonnés aux conservateurs, scientifiques reconnus, disposant d un statut juridique dès 1910. L association des gardiens regrette qu ils soient «considérés comme des inférieurs»» [JOIN-LAMBERT Odile, LOCHARD Yves, 2010, «Construire le mérite dans la fonction publique d État : l exemple de la Culture (1880-1980)», Sociologie du Travail, avril, vol. 52, n 2, p. 155]. 26 Ibid. Rapport final : Le musée des «Autres» à travers ses métiers A. Monjaret, M. Roustan / Pavages 18/151

Être gardien au Palais de la porte dorée Un gardien comme les autres Les agents de surveillance du Palais de la porte dorée, travaillant pour MAAO comme actuellement pour la CNHI, ou à l aquarium, rentrent dans ce profil et n échappent pas non plus au stéréotype du gardien. L un d eux témoigne en ce sens : «Et puis le musée, ce qui est marrant c'est plutôt l'idée que s'en font les autres, ce n est pas le fait d'être dedans, c'est plus l'idée que s'en font les autres. C'est "Ah tu travailles dans un musée!", alors entre ceux qui nous voient en cow-boy, armé jusqu'aux dents, toute la nuit, et ceux qui nous voient comme dans les films en train de dormir sur la chaise. En plus, ici, la spécificité de l'aquarium, "Ah les crocodiles!", et tout ça Donc c'est plus l'idée que s'en font les autres,» (Agent de surveillance de nuit, MAAO, 25 janvier 2002) Ce témoignage est d autant plus intéressant qu il enrichit l habituel portrait des gardiens de musée et en montre de nouvelles et différentes facettes : statique ou dynamique, diurne ou nocturne Les registres qui se font échos semblent osciller entre deux catégories bipolaires, rappelant ainsi que les gardiens de nuit ne sont pas ceux de jour. Mais surtout, adoptant une rhétorique de l inversion, ce témoigne fait apparaître le gardien comme un individu hors norme dans le sens où il adopte les comportements inverses à ceux habituellement associés au déroulement d une journée : il somnole le jour et il s active la nuit. Il s assoupit en journée, malgré les visiteurs, comme pour respecter le silence feutré qu impose le musée et il s agite la nuit, solitaire face l immobilité des objets, comme pour rompre leur silence et animer l atmosphère quelque peu pesante. Ces images trouvent un ancrage dans la réalité des pratiques qui différencient d ailleurs les surveillants de jour de ceux de nuit : les premiers surveillent un petit périmètre une «salle», les seconds, un périmètre plus étendu l établissement de fond en comble. Ils découvrent donc autrement le lieu : les premiers accèdent progressivement à chaque parcelle, chaque partie du tout, grâce au jeu d alternance des postes de surveillance, les seconds découvrent l ensemble grâce à leur déambulation nocturne. Chacun appréhende le musée à travers des manières d être et de faire. Les fonctions que ces agents occupent les (r)attachent au propre et au figuré au lieu (un bâtiment, des objets mis en vitrine (exposés) ou en réserve (stockés), des gens) et à l institution qui les emploie. Un gardien pas tout fait comme les autres Encart 1 : Les surveillants dans l enquête Entre 2001-2002, nous avions rencontrés au MAAO entre autres onze agents de surveillances en poste, qui assuraient pour certains, la surveillance de jour et pour d autres, celle de nuit. Un agent des services techniques qui avaient commencé sa carrière au MAAO comme «gardien». Entre 2011-2012, nous ne les avons pas tous ré-interviewés, bien que certains toujours affectés au Palais de la porte dorée exercent à la Rapport final : Le musée des «Autres» à travers ses métiers A. Monjaret, M. Roustan / Pavages 19/151

CNHI et ont donc connu le passage du MAAO à la CNHI. Nous avons privilégié ceux que nous n avions pas rencontré à l époque, soit quatre d entre eux (elles). Parmi les enquêtés de l époque, nous en avons néanmoins revu deux sur place et un troisième dans un autre établissement, le MuCEM et un quatrième travaillant à la maison Georges-Clémenceau en Vendée. Nous avons également rencontré un autre agent ayant passé quelques mois au MAAO au début de sa carrière avant de rejoindre le MNATP (aujourd hui MuCEM). Enfin nous avons interviewé la nouvelle responsable du service de surveillance et, poussé par les nouvelles configurations professionnelles observées au sein de l établissement, nous avons rencontré le groupe de médiateurs arrivés au moment de l ouverture de la CNHI. Nous avons ainsi réalisés neuf entretiens auprès de surveillants, un auprès d un médiateur et un focus group réunissant une petite dizaine de médiateurs. Ce corpus a été complété d entretiens auprès de plusieurs membres de la direction de l établissement (dont l aquarium). Ces deux enquêtes se répondent. Le chassé-croisé ou le va-et-vient auxquels elles invitent, sont apparus comme de véritables atouts méthodologiques pour mesurer les changements du métier de «gardien» dans ces lieux marqués par l histoire coloniale à travers les perceptions et le vécu de ces changements par les agents eux-mêmes. Encart 2 : Quelques caractéristiques de la population de surveillants rencontrée En dehors des responsables, le personnel de surveillance appartient à la catégorie C, certains plafonnent bien qu ayant tenté les concours, ils sont généralement peu diplômés. Comme en témoigne l un d eux : «Si, j'ai passé le concours mais on ne réussit pas toujours ( ). Mais c'est vrai que parmi les anciens, je ne sais même pas si il y en un d'entre nous qui a le bac, peut être un et encore mais on est tous assez bas quoi, beaucoup n'ont pas cherché à... même si il y a pas l'intellect qui suis, on peut apprendre, il y en a qui n'ont jamais cherché...» (Agent de surveillance, ex-membre du MAAO, CNHI, 5 juillet 2011). Ouvrier, certains passent à la surveillance : «J étais ouvrier, je suis monté à la surveillance.» (Agent de surveillance, ex-membre du MAAO, CHNI, 14 juin 2011). Mais il arrive que cela soit l inverse aussi. Parmi eux, certains ont des trajectoires atypiques, acquérant des compétences qui peuvent être mises à profit dans l exercice de leur fonction, par exemple, la maîtrise d une langue étrangère, de la vidéo. La polyvalence caractérise ces agents. Entrer dans la fonction publique représente pour ces non-diplômes, qui ont aujourd hui une cinquantaine d années sinon plus, une stabilité de l emploi et une sécurité pour l avenir. Encore jeunes, ils intègrent des établissements culturels encouragés par des pères, des cousins déjà en poste. Les amis ont également une place non négligeable dans Rapport final : Le musée des «Autres» à travers ses métiers A. Monjaret, M. Roustan / Pavages 20/151