Quand Hervé Guibert se prend pour Napoléon Bonaparte

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Merci de lire ce merveilleux magazine. Romane M. directrice du magazine.

Transcription:

Quand Hervé Guibert se prend pour Napoléon Bonaparte Biographie 1 d Hervé Guibert (Paris, 1955 Clamart, 1991) Écrivain, photographe, journaliste, scénariste et vidéaste, il est l'auteur d'une œuvre qu'il qualifiait lui-même de «barbare et délicate». Il est né le 14 décembre 1955 à Saint-Cloud dans les Hauts-de-Seine, d un père vétérinaire et d une mère institutrice. Son enfance se passe dans un trois-pièces parisien près du parc Montsouris, ponctuée par des visites à ses deux grands-tantes, Louise et Suzanne. Hervé Guibert restera fidèle toute sa vie au déjeuner rituel du dimanche au 315 de la rue Vaugirard, le domicile de ses tantes. En 1977, il publie son premier livre, La Mort propagande, et rencontre Michel Foucault. Puis, Hervé Guibert est recruté au Monde par Yvonne Baby comme chroniqueur photographique alors que le quotidien ne publie pas beaucoup d images. En 1981, il signe l ouvrage, L Image fantôme, devenu un classique en photographie. En 1983 : Hervé Guibert est coscénariste avec Patrice Chéreau du film L Homme blessé. Son roman, Des aveugles, sort en 1985 après avoir été lecteur bénévole à l Institut des jeunes aveugles, situé au 56, boulevard des Invalides. En 1986, avec Mes parents, Hervé Guibert dissèque son enfance et son adolescence en déballant les histoires et les secrets de sa famille. En 1990, dans A l ami que ne m a pas sauvé la vie, il révèle son SIDA au public. Le 13 décembre 1991, la veille de son 36 e anniversaire, Hervé Guibert tente de se suicider. Le 27 décembre 1991, diminué par la maladie, il meurt à l hôpital Clamart. En janvier 1992, paraissent L Homme au chapeau rouge et Cytomégalovirus. Le 3 janvier 1992, on l enterre sur l île d Elbe. Fin novembre 2001, dix ans après sa mort, il fait paraître le journal qu il tint de 1976 à 1991, Le Mausolée des amants. En décembre 2003 paraît dans le magazine littéraire ce commentaire de Philippe Besson sur l œuvre d Hervé Guibert : «L œuvre et la vie d Hervé Guibert sont indissociables, cela je l ai appris après coup. Son goût pour les corps, les garçons, sa morbidité (affreusement prémonitoire), ses élans vers quelques êtres ont nourri tous ses livres 2.» Dans cette phrase, c est ce seul mot «prémonitoire» que nous contestons. Pour nous, le mot qu il conviendrait 1

d utiliser ici est le mot «programmé 3». Guibert aurait affreusement programmé sa vie et donc sa mort. En effet, pour écrire ses romans, il part des entrées de son journal rapportant des faits, des pensées, des rêves, puis fait glisser son récit imperceptiblement vers la fiction. Cette fiction est, selon nous, guidée, encodée par son récit originel, noyau dur de son monde fantasmatique. Un monde fantasmatique dont Napoléon Bonaparte est l une des composantes ou plutôt l un des algorithmes. Guibert pourrait en rester là dans sa petite fabrique de roman. Mais ce glissement fictionnel va devenir le point de départ d une nouvelle vie car il va faire en sorte, pour ce qui le concerne, d en respecter les termes dans sa vie. Ce qui va nourrir à nouveau son journal, puis son roman à venir et ainsi de suite. Ce qui a fait dire à Foucault en parlant des livres d Hervé Guibert : ««Il ne lui arrive que des choses fausses» aurait dit Michel à propos de mes livres 4.» Nous pensons que c est à partir de Mes parents, c est-à-dire au moment où il passe chez Gallimard, qu il va initier cette manière d écrire et donc de vivre. Guibert, voulant partir des Editions de Minuit, soumet ses carnets contenant son journal à Hector Bianciotti. Celui-ci lui propose de ne publier que les entrées qui concernent ses parents 5. Nous allons donc voir comment le mythe napoléonien gouverne la vie et l œuvre d Hervé Guibert. Nous tenterons de comprendre pourquoi il a tissé des liens aussi étroits avec ce personnage historique devenu mythe à travers son imagerie (ses photographies et celles qu il a faites de sa propre collection de peinture) et deux textes 6 tirés de Mes parents. Quand, en France, on dit de quelqu un qu il se prend pour Napoléon, c est qu on lui reproche sa mégalomanie, une mégalomanie empreinte d une certaine folie. Si, en plus, cette personne se promène avec un entonnoir sur la tête figurant le bicorne de Napoléon ou le chapeau à grelots du fou du roi. Plus de doute possible : elle est folle. Guibert l affirme souvent dans son journal. L est-il? On va voir comment. 2

Avant d aborder l imagerie guibertienne, il convient de préciser d abord sa manière d aborder le monde. Il y a chez Guibert, à la fois et à sa manière, deux postulations : l une vers le sabre, l autre vers le goupillon. Nous ne parlerons pas de l attraction du religieux sur Guibert, toutefois nous tenons à citer un paragraphe pour bien montrer ce que représente pour lui le religieux : Ce qui me sépare aussi de T., [ ] [c est] son inconnaissance d images chrétiennes, l absence d éducation catholique. J en aurais voulu rétrospectivement, à mes parents, de ne pas m avoir fait faire mon catéchisme, bien qu il fût une torture parfois, contre laquelle je me rebellais, car le catéchisme est ce qui pervertit le mieux l enfant : l Évangile est une espèce de conte formidable, qui donne un fonds d images terribles et érotiques, exalte le martyr, suggère le goût du sang, et par les transmutations divines, les miracles, les absorptions métaphoriques, transmet le système des images, du délire, de la poésie ; imprime, enfin, un fantasme de postures qui vont de la flagellation et de la crucifixion au bain de pieds et à la pietà 7. Le religieux n est pour lui qu une immense base de données dans laquelle il puise sans retenue les éléments qui font écho à son histoire originelle et à son monde fantasmatique. Il se les approprie sans vergogne en les détournant de leur sens primitif. Et il en est ainsi de tout, y compris de Napoléon Bonaparte. Abordons dès à présent l imagerie guibertienne. Nous voudrions d abord rendre visible, mais pas voyant, l attachement de Guibert pour Bonaparte à travers l analyse de l une de ses photographies : 3

«Sans titre 8» Hervé Guibert, ici, a photographié sa table de travail. Barthes aurait dit : «Qu est-ce que c est que cette Table? Mais surtout qu est-ce qu elle doit être (car c est un objet investi apparemment d une fonction, mais en réalité d une valeur 9 )?» Car une table de travail a une structure intrinsèque. Barthes ajoute plus loin : «La complexité de cette structure dépend de chaque sujet : sujets ascétiques et sujets luxurieux, sujets maniaques et sujets indifférents, sujets bricoleurs (structuralistes!) et sujets conformistes (bureaux conformes comme d un PDG) ; une typologie est possible, une lecture de la Table comme corpus de signes renvoyant au rapport du sujet à son travail 10 [ ]» Toutefois, ne nous y trompons pas! En ce qui concerne cette photographie de Guibert, il s agit aussi d une mise en scène de l écriture, de son écriture 11. Que voyons-nous sur cette photo? Au premier plan, une feuille de papier à lettre écrite à la main, celle de Guibert, et un stylo encre Mont-blanc rechargeable. C est la deuxième étape de l écriture du roman, la première étape étant l écriture du journal. Au second plan, la vieille machine à écrire Royal, bijou de famille hérité d un oncle, qui se chargera de la mise au propre avant que le roman ne soit déposé chez l éditeur, un travail final souvent témoin de profondes 4

modifications. Posé contre l antique machine, un paquet de cartes, de celles que l on achète uniquement dans les musées 12. Guibert montre clairement que l image compte particulièrement dans son processus d écriture. Ne dit-il pas ailleurs : «Quand on se sent pas loin d une panne dans la progression d une histoire, regarder un album de photos 13.»? La forme caractéristique de ces reproductions de tableaux ou de photographies nous fait déduire immédiatement qu elles appartiennent aux produits dérivés, formatés, standardisés, exclusifs des musées nationaux, preuves, s il en est, que Guibert fréquente assidûment les expositions. Ces ersatz sont pour lui les produits de substitution, les médicaments génériques du Guibert riche et collectionneur à venir 14. La première et donc la seule image visible de ce paquet montre la photographie d un homme nu, en garde, qui semble tenir une barre comme un katana ou une canne de golf. Le motif pourrait être guerrier. D après sa femme, Christine Guibert, il s agirait d une étude de nu du début du XX e siècle. Nous ne sommes pas arrivé à trouver la référence exacte. Mais cet homme nu, de sexe masculin, placé au centre à dessein, exprès, montre l importance du corps dans son processus d écriture. C est de ce corps nu, sans attribut, que part le récit. Sur le côté droit de la photo se trouvent deux autres cartes représentant chacune, deux détails de tableaux. Au fond à droite, posée contre le pied d une lampe articulée, il y a celle reproduisant le visage de Gustave Courbet dans L homme blessé 15 : 5

L Homme blessé Guibert, dans son journal, se pose cette question : «Comment le peintre se peint-il? Blessé (Courbet), seul dans son atelier terreux avec une tête de mort (Géricault), le chapeau encerclé d une couronne d épines (Rembrandt 16 )» Il s agit donc d un autoportrait mais pas de n importe qui, celui de Courbet 17 qui fut à la tête du mouvement réaliste et pas n importe comment, en homme blessé. Courbet s est imaginé et peint blessé au cœur alors qu il ne l a jamais été dans les faits 18. Autoportrait fictionnel. Sur cette reproduction intégrale, on peut voir le sang qui tache la chemise blanche de l artiste ; l épée posée sur le tronc fait croire au résultat d un duel au sabre, un sabre qui pourrait être celui d un hussard. Cet autoportrait est donc une mise en scène guerrière. Si l on met en parallèle cette image disposée sur sa table de travail et cette entrée 19 tirée du journal Le Mausolée des amants : «(J aime dans le travail le moment où il décolle imperceptiblement vers la fiction après avoir pris son élan sur la piste de la véracité.) 20», nous pouvons avancer sans trop nous tromper qu à l instar de ce tableau de Courbet, l œuvre romanesque de Guibert est ainsi : si le corps est bien réel (à son image) donnant cet effet si particulier de non-fiction, il le 6

transpose ensuite dans une situation fictive. Après une transsubstantiation que nous pourrions qualifier de christique, ce texte est son corps, celui-ci glisse vers la fiction. Il dit à ce propos dans une entrée du Mausolée : «Impression que mes livres sont vivants tandis que moi mort j y ai fait passer toute ma vie 21.» Ainsi, la situation de ce corps, au moment où il l énonce, où il l écrit, est virtuelle parce qu elle est rêvée mais nous devrions dire plutôt, même encore en l absence de preuve, que la situation de ce corps n est pas encore advenue. L endroit où Courbet fait apparaître sa blessure a également une importance capitale pour Guibert : d abord, parce que c est bien évidemment l emplacement du cœur mais c est aussi parce qu à cet endroit même, Guibert a une déformation congénitale : un enfoncement du sternum dont les médecins n ont pas cessé de lui dire qu il menace tout le squelette. Ce thorax, dit «en entonnoir» selon la terminologie médicale, menace la structure, doit conduire à l invalidité ou à la folie. C est d ailleurs dans ce creux qu il va tisser, ourdir l essentiel de son œuvre. Je cite parmi de nombreuses autres citations une entrée de son journal : «G 22. me dit qu elle s est touchée en pensant à moi, jusqu au sang. Je lui prends la main pour qu elle touche mon torse pour qu elle évalue le vide qui creuse mes côtes, et elle dit : «Tu as un cœur 23.»» Chez Guibert, ce creux dans la poitrine guide l écriture et a quelque chose d obsédant comme on peut le voir dans cette photographie, «L ami», parue la première fois dans Le Seul Visage. Le livre débute par cette image. Le titre fait une allusion ironique à un passage de Mes parents où il raconte comment son rival de classe et lui se mirent à caresser chacun le torse de l autre, et où quelle ne fut pas leur surprise quand : «Tandis que sa main à lui, tombe dans le piège de sa fosse, la mienne se brise sur un écueil d os saillant comme une arête 24.» 7

«L ami25» Cette obsession est allée si loin que toutes les peintures qu il acheta ou qu il adorait les dernières années de sa vie montraient une main au niveau de la poitrine. Nous n en produirons qu une seule ici. Il s agit de la photographie d un tableau qu il acheta sans doute en Italie et qu il appelle dans son journal «Le Moine». Comme on le voit encore, ce moine couvre son cœur de sa main gauche. «Villa Médicis, 1987-198826» Ainsi, l autoportrait de Courbet, à cause de cette blessure au cœur, a une résonance particulière chez Guibert. Mais cette main-là ne nous fait-elle pas penser à une autre, plus glorieuse, plus impériale : celle de Napoléon Bonaparte? 8

Bonaparte, Premier consul 27 Le Général Bonaparte au pont d Arcole 28 Car cette fiction est bien guidée, entre autres, par la figure emblématique de Napoléon Bonaparte comme on peut le voir sur la troisième image disposée sur le bureau de Guibert représentant le gros plan du visage de Bonaparte au pont d Arcole peint par Gros. Cette image représente indubitablement cette phase de décollage vers la fiction. Il s agit donc encore une fois d une scène guerrière. Les deux visages représentés, que ce soit celui de Courbet ou de Bonaparte, sont les visages d hommes jeunes. Le fait que Guibert fût dans sa vingt-sixième année lorsqu il prit la photo de son bureau facilite l identification. Cependant, le visage de Courbet est celui d un homme blessé, vaincu, alors que celui de Bonaparte porte le regard de l homme victorieux. Image de propagande bonapartiste bien sûr mais qui donne la mesure, le la, à l écriture de Guibert. Image qui programme son écriture pour gagner : «(Tenir bon, face aux instances du pouvoir, puisque j ai la certitude d une œuvre, d une solitude triomphante.) (C est le devoir d un artiste d être hors pouvoir, c est-à-dire seul avec la folie de son œuvre avec son entêtement, sa prétention douloureuse 29.)» Mais ailleurs, il dit encore : «(Si je 9

suis aussi extraordinaire que je le pense, ne faudra-t-il pas aussi que j affronte ma mort d une façon extraordinaire 30?)» Tout est dit. Cette image programme l ascension mais aussi la mort de l écriture, la mort du corps, sa mort, une mort forcément tragique. Ainsi, derrière le Bonaparte victorieux auquel il s identifie se profile déjà la débâcle, la dégringolade, la débandade, l homme blessé de l arrière-plan. On peut voir sur la machine à écrire qui sert à la mise au propre de son travail, un épais dossier, un tapuscrit, un programme de vie, sur le point de partir chez son éditeur. Il convient maintenant de parler des raisons qui ont conduit Guibert à s identifier à Napoléon Bonaparte. C est le livre Mes parents qui nous donne la réponse. Car Guibert ne s est pas contenté de réunir toutes les entrées de son journal concernant ses parents, comme le lui avait ordonné Bianciotti, il s est aussi employé à combler les trous entre ses entrées consignant des faits par un travail de remplissage autobiographique d où sont tirés les paragraphes que nous citons maintenant : Un été, je suis seul avec elle [sa mère] à Toulon, par une forte chaleur elle me traîne jusqu à la bibliothèque municipale pour quérir des renseignements sur Napoléon, elle possède presque toutes les réponses aux questions de ce nouveau concours, il lui en manque une ou deux, elle tanne un bibliothécaire pour qu il l aiguille sur la bonne voie ; à la suivre comme une furie, derrière cet homme en blouse grise, à travers ces salles silencieuses, j ai peut-être un tout petit peu honte. Je sais qu elle a déjà perdu 31. Malgré l aversion de Guibert pour les dates 32, nous pouvons, nous semble-t-il, poser sur ce paragraphe un repère chronologique. En effet, si les titres de presse ne sont guère prévisibles, nous pouvons compter sur ceux-ci pour nous 10

rappeler les anniversaires, les commémorations, les jubilés, les bicentenaires des naissances des sacres, comme des morts. Opération marketing. Guibert nous dit d abord que c est l été et qu il est seul avec sa mère, il ne peut s agir donc que du mois d août, le père ne pouvant prendre ses congés qu en juillet 33. Si les magazines comme Jours de France 34, Ici Paris et France Dimanche que lisait sa mère, organisent un concours sur Napoléon, nous pouvons compter sur leurs équipes de rédaction pour le faire à propos. Nous ne voyons guère que le bicentenaire de la naissance de Napoléon Bonaparte, le 15 août 1969, Toulon n étant guère éloigné non plus d Ajaccio. Guibert avait 14 ans. L intérêt de Guibert pour Napoléon viendrait-il, comme il le laisse entendre, de sa mère lors d une recherche futile aux réponses d un concours organisé par un magazine? Nous ne le croyons pas mais ce qui est intéressant dans ce paragraphe, c est que Guibert associe le prénom impérial Napoléon, contrairement au nom du premier consul Bonaparte, à la défaite, à la déroute, à l exil insulaire, «je sais qu elle a déjà perdu». Oh bien sûr! sa mère a bien essayé de battre, de rosser, de «tanner» ce rond-de-cuir de bibliothécaire «pour qu il l aiguille» mais rien n y fit, et ce, malgré sa furia francese, elle suit «comme une furie» cet «homme en blouse grise» qui nous rappelle bien évidemment les Napoléon des peintres Gros, Meissonier, Delaroche et Detaille qui représentèrent l empereur avec une redingote, une vareuse ou une capote grise 35. Cette blouse grise, terne uniforme de la gent administrative de l aprèsguerre qui est allée jusqu à recouvrir celle bien noire des hussards 36 noirs de la troisième République, cette blouse grise des sans grade donc, va conduire inéluctablement la mère mal guidée, aiguillée sur la mauvaise voie, à la déroute. C est dans le paragraphe suivant que Guibert va nous raconter son amour, non pas pour Napoléon, mais pour Bonaparte, nous remontons le temps : En passant deux fois par jour, dans l autobus 21, devant la vitrine d une librairie, derrière ces deux épaisseurs de verre, je retombe amoureux, de 11

loin, de la même minuscule image : la couverture d un livre sur Bonaparte qui le montre sur un cheval blanc dressé, les cheveux et l habit au vent, la main tendue vers la bataille. Je prévois de me rapprocher de cette image, de l acquérir. Un jour de liberté, je descends de l autobus avec mon père et marche jusqu à la librairie. Mais l album est trop cher. Il disparaît bientôt de la vitrine. En remplacement, mon père m emmène aux Invalides, à la Malmaison : je collectionne toutes les cartes postales des portraits de Bonaparte. Celui que j aime entre tous est celui de Gros qui le peint au pont d Arcole : juvénile et portant la torche d un étendard qui l enveloppe et le fouette comme une casaque, je n ose pas encore l embrasser 37. Hervé Guibert a, nous croyons, 8-9 ans. A chaque fois qu il passe, deux fois par jour, plusieurs jours de suite, Guibert tombe amoureux, c est pour cela qu il dit : «je retombe amoureux, de loin, de la même minuscule image». A la vue de cette image de ce qui semble être Bonaparte franchissant le col du Grand Saint- Bernard peint par David 38, Guibert ressent une sorte d écho, Bonaparte franchissant le col du Grand Saint-Bernard 39 12

un punctum 40 aurait dit Barthes, une sorte de résonance intérieure qui agite le noyau dur de ses fantasmes, son histoire originelle. Un jeudi, jour des gosses à l époque, jour de liberté, Hervé et son père se rendent dans cette librairie pour acheter cet «album», d images donc, de Bonaparte, mais son père ne peut pas l acheter. Qu à cela ne tienne, il l a prévu, il se débrouillera autrement : «Je prévois de me rapprocher de cette image, de l acquérir». Nous pensons que le rapprochement, l acquisition de cette image dont il parle, va se faire sous la forme d une incarnation. «En remplacement», maigre compensation, son père l emmène à l hôtel des Invalides, le mausolée de Napoléon 1 er, là où se trouve le catafalque de l empereur. Invalides, mot qui résonne d autant plus fort chez Guibert, que ses parents et les médecins ne cessent de lui répéter que son squelette, à cause de ce défoncement thoracique, menace de s écrouler. Cette invalidité n arrivant pas, il finit par la rêver, la souhaiter. Nombreuses sont les fois où Hervé Guibert exprime ce désir d infirmité, comme dans cette phraseentrée que l on a découverte une première fois dans Mes parents et que l on retrouve dans Le Mausolée, entrée que l on peut situer un peu avant septembre 1981, dix ans avant sa mort : «Un marché, un chantage à mes parents : il faut maintenant que vous achetiez ma vie, jour après jour, car j ai envie d être un enfant infirme 41.» Ce désir qui ne relève d aucun calcul conscient peut être interprété comme du «self-handicaping», notion psychologique qui consiste à tout faire pour se rendre infirme afin de se faire aimer. Dans une autre entrée, parue d abord dans Mes parents, peu de temps après la mort de Michel Foucault, c est-à-dire aux alentours de 1984, Hervé Guibert écrit encore : «T. me baigne dans la mer : je m accroche à lui comme un enfant infirme aux bras de son père 42.» Cette entrée dont on ne sait si elle rend compte d un rêve ou d un fait réel, est le prélude à une autre entrée, bien après la publication de Mes parents, et alors que le virus du Sida ravage son corps et qu il se filme en train de mourir : 13

Hier T. m a emmené à la plage à l heure où il n y a plus personne et où le soleil est parti (je ne le supporte plus), et j ai filmé ma baignade. T. m a dit que je ressemblais à un grand oiseau de mer, à un pélican. Il a donc compris ce que je fais avec ce film 43. [Et dans une autre entrée] Aujourd hui T. m a proposé de me porter sur son dos pour monter l escalier 44. Cette scène se retrouve dans son film autobiographique La Pudeur ou l impudeur 45. Si T. penche pour un pélican, nous aurions dit un albatros comme celui dont parle Baudelaire dans ce célèbre poème : «Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule! / Lui, naguère si beau, qu il est comique et laid! / L un agace son bec avec un brûle-gueule, / L autre mime, en boitant, l infirme qui volait 46!» Il l avait rêvé, il l avait écrit, il l a fait. Handicapé, paralysé, infirme, grabataire, en un mot invalide, Guibert a rempli ses objectifs. Les droits d auteur augmentant, il sait désormais qu on l aime. Et l on se souviendra de cette autre phrase bien avant qu il soit atteint par la maladie : «Mes rêves sont des ordres 47.» Il peut désormais mourir. Il tentera, sans y réussir, de mettre fin à ses jours la veille de son anniversaire, dans la nuit du 12 au 13 décembre 1991 48, après avoir pourtant répété, filmé longuement son geste, sa geste. Il mourra quelques jours plus tard, le 27 décembre 1991. Il sera enterré le 3 janvier 1992 sur l île d Elbe comme il l avait souhaité. A l instar de l empereur dont les cendres, le 15 décembre 1840, furent rapatriées à l Hôtel des Invalides deux décennies après sa mort, Guibert fit publier dix ans après sa disparition, son journal dont le titre, Le Mausolée des amants, fait de ce livre un livre catafalque, le livre écrin du corps textuel de Guibert. Il y a chez Guibert une volonté de s identifier à tout ce qui peut entrer en résonance avec son monde fantasmatique : aux personnages, au style d écrivains qu il aime, aux images de photographes ou de peintres qu il admire. C est cette postulation qui dans son processus d écriture provoque cet écart fictionnel, un 14

écart fictionnel qu il va se charger ensuite de réduire dans sa vie, et qui va nourrir à son tour son journal, puis ses romans. Il ira même jusqu à s identifier aux gens 49 qu il croise. Il cherchera toujours à rencontrer les écrivains de leur vivant. Son métier de journaliste lui facilitera la tâche. Mais il s identifiera particulièrement à ceux qui entretiennent une relation avec Napoléon Bonaparte : lorsqu il rencontre Hans-Georg Berger, le fait que celui-ci soit allemand (on connaît son érotisation de l Allemagne dans Mes parents), que son prénom ait les mêmes initiales, H.-G., que lui, et qu enfin celui-ci ait une propriété, un ancien couvent sur l île d Elbe, premier exil de l empereur, vont faire de Hans-Georg le vecteur humain qui lui permettra de réaliser son programme. Voici une photographie d Hervé Guibert prise par Hans-Georg Berger qui corrobore davantage encore ce que nous avançons, à savoir que l algorithme Napoléon Bonaparte fonctionne en permanence et influence le regard de ses amis. «Le lit de Napoléon 50» Tout concourt à ça. C est ainsi qu il va s amuser de la remarque de Vincent, son petit ami à propos de Hans-Georg Berger : «Vincent m a dit que Hans-Georg m imitait : «même stylo, même appareil photo», je n y avais pas pensé 51.» Croyant être seul à parasiter les imaginaires, individuel et collectif, il s aperçoit 15

que lui aussi est l objet d une observation attentive, que l on essaye de s identifier à lui. Preuve, s il en est, qu il est en train de devenir un mythe. En rendant son œuvre aussi consubstantielle à sa vie, on peut dire que Guibert a redonné d une certaine façon le primat de l événement, de la vie individuelle sur la structure collective. En réduisant le décalage entre ce qu il vit et ce qu il a conscience de vivre, son discours rend assez bien compte de sa vie. Ainsi va-t-il à l encontre du champ critique de son époque qui n envisageait que le texte et rien que le texte. Bruno PEYRON Chargé de cours titulaire à l Université Sophia 16

1 Nous ne produisons ici que les informations biographiques servant notre propos. 2 Philippe Besson, «Hervé Guibert, le goût pour les corps», magazine littéraire, n 426, décembre 2003, p. 55. 3 Le mot plus littéraire «prémédité» n a pas le sens d «encodage». 4 Hervé Guibert, Le Mausolée des amants, journal 1976-1991, Paris, Gallimard, 2001, p. 409. 5 La biographie de C. Soleil donne l origine de Mes parents : «1984 : Hervé Guibert débarque dans le bureau de Bianciotti rue Sébastien Bottin avec un énorme paquet [sic] sous le bras : «Je veux venir chez Gallimard, lance-t-il. Je vous ai apporté mon journal.» Hector Bianciotti, très paternaliste, lui lance : «On ne change pas d éditeur avec un journal intime quand on est très jeune!» Il accepte néanmoins de lire le journal, et conseille à Hervé d en sortir Mes parents («oblige Hervé à sortir Mes parents», nous dira Christine, relayant ainsi la version de son mari). «Il me l a reproché par la suite, raconte Bianciotti. Il disait que son journal, qu il comptait publier plus tard, serait moins riche sans Mes parents»». Christian soleil, Hervé Guibert, Saint-Etienne, Actes Graphiques, 2002, p. 187. 6 Nous limiterons notre analyse à ce corpus. Mais on pourrait également analyser les lectures et les vidéos de Guibert par rapport au mythe napoléonien. 7 Le Mausolée, p. 35-6. 8 Hervé Guibert, Photographies, Paris, Gallimard, 1993, «Sans titre». 9 Roland Barthes, La Préparation du roman I et II, Cours et séminaires au Collège de France (1978-1979 et 1979-1980), Paris, Seuil IMEC, 2003, p. 306. 10 Idem, p. 306. 11 D autres photographies sur ce thème existent, certes, différentes mais organisant le même réseau symbolique. 12 La photographie de sa bibliothèque montre ses livres masqués par les images. 13 Le Mausolée, p. 323. 14 A la fin de son journal, les droits d auteur augmentant, Hervé Guibert dit qu il hante à présent les galeries et les antiquaires à la recherche de peintures. 15 Gustave Courbet, L Homme blessé, 1844-1854, Musée d Orsay, Paris. 16 Le Mausolée, p. 182. L Homme blessé est aussi le titre d un film de Patrice Chéreau, dont Guibert a co-écrit le scénario (paru aux Editions de Minuit.) 17 Courbet devient en septembre 1870 le Président de la Commission Artistique du gouvernement provisoire. Il prononce un discours lors duquel il déclare au gouvernement de la Défense Nationale : «La colonne Vendôme est un monument dénué de toute valeur artistique...» et demande au nom de l'art, «à déboulonner cette Colonne» au sommet de laquelle s élève la statue de Napoléon 1 er. Le 12 avril 1871, c est chose faite. Guibert ne prend dans les images que ce 17

qui entre en résonance avec lui : que Courbet haïsse Napoléon ne joue pas dans son organisation fantasmatique. Il génère sa propre logique. 18 Courbet fut un des rares peintres à se peindre dans plusieurs attitudes : posé dans son autoportrait au chien noir de 1842 ; désespéré en 1843 ou 1844 ; fou de peur vers 1844 ; rêveur, avec encore un chien noir ; amusé dans Coup de dames ; amoureux dans Les Amants à la campagne ; en 1844 toujours, plein d espoir dans son portrait dit de L homme à la ceinture de cuir ; vers 1845, en violoncelliste pas très sûr de lui ; en 1847, en homme commençant à perdre ses illusions dans l autoportrait dit de L Homme à la Pipe ; de 1849-50, en artiste inquiet dans un autre autoportrait de 1853 ; puis en homme ayant fait le sacrifice de sa chevelure à la Samson quelques semaines plus tard, signe qu il allait changer de vie. La radiographie récente de L Homme blessé a permis de découvrir, en revanche, qu avant de le peindre, Courbet avait commencé deux autres tableaux sur la même toile. Du premier, il ne reste plus qu une tête de femme. Mais le deuxième est beaucoup plus lisible. Il s agit d un jeune homme assoupi et imberbe sur l épaule duquel s abandonne sa maîtresse. C est Courbet tel qu il était en 1844. L Homme blessé aussi, c est Courbet, en plus âgé et barbu. La tête de la femme sur le torse a été remplacée par un trou d épée sanguinolent. Plusieurs hypothèses sont venues expliquer la présence, sur la même toile, de ces trois compositions successives. La première est la plus rationnelle. A l époque, la toile de lin était très chère. Dans un souci d économie, Courbet a sans doute recouvert ses premiers dessins par un nouveau sujet. La deuxième hypothèse est plus romantique. En 1851, sa compagne le quittait en emmenant leur fils. Courbet l aurait donc supprimée du tableau et lui aurait adressé un message de désespoir en se représentant blessé au cœur. Ou alors, Courbet aurait recouvert sans raison le couple d amants pour faire encore mieux. La seule certitude est que L Homme blessé est un chef d œuvre. Courbet en était tellement convaincu qu il l a conservé jusqu à sa mort. 19 Le journal de Guibert est non daté. Des phrases ou des paragraphes sont séparés par un grand espace. Chacun de ces fragments correspond, semble-t-il, à une réflexion d une journée. Nous les désignerons par le terme «entrée». 20 Le Mausolée, p. 410. 21 Le Mausolée, p. 390. 22 Il s agit de Gina Lollobrigida qu il a rencontrée dans le cadre de son travail de journaliste et avec laquelle il est devenu ami. 23 Le Mausolée, p. 115. 24 Mes parents, p. 101. 25 Hervé Guibert, Le Seul Visage, Paris, Editions de Minuit, p. 9. Et Photographies, «L ami». 26 Photographies, «Villa Médicis, 1987-1988» 18

27 Bonaparte, premier consul, 1804, peint par J. A. D. Ingres, huile sur toile, Musée des Beaux Arts de la Ville de Liège, Belgique. 28 Le général Bonaparte au pont d'arcole, le 17 nov. 1796, par A.-J. Gros, Huile sur toile, Versailles : Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. 29 Le Mausolée, p. 215. 30 Idem, p. 347. 31 Mes parents, p. 55. 32 Son journal fut écrit sans date. Guibert suit cependant son propre calendrier. Les dates empêcheraient-elles Guibert de partir en fiction? 33 Cf. Mes parents, p. 46-7. 34 Jours de France, n 753 17/5/69 La couverture du magazine Napoléon par le général Koenig. Il y a 10 pages à propos du bicentenaire de la naissance de Napoléon Bonaparte. 35 «Napoléon sait que la popularité d Henri IV reposait en partie sur sa vêture simple, [ ] : bannissant vite les plumes de l uniforme de général du Directoire et les galons d or de l uniforme rouge de premier consul, dont témoigne le célèbre portrait d Ingres (1804, Liège), il adopte un costume simple, au milieu des maréchaux en grande tenue. [ ] Il ajoute, en campagne, une redingote grise inspirée de l habillement civil, pour son caractère pratique. Les chansons de Béranger, sous la Restauration, les tableaux de Delaroche, Meissonier ou Detaille ont popularisé cet accessoire glorieux dont on conserve un exemplaire au musée de l Armée des Invalides, ainsi que le mythique petit chapeau de feutre noir ou de castor que lui fournissait Poupart. On dénombre aujourd hui de nombreuses reliques : Napoléon semble s en être fait faire une douzaine, qu il payait 48 francs, [ ].» J. Tulard, G. Gengembre, A. Goetz, J. Jourquin et T. Lentz, L ABCdaire de Napoléon et l Empire, Paris, Flammarion, 1998, p. 95. 36 Dans la période qui suit les réformes de Jules Ferry, l'instituteur devient une figure importante de la vie publique. Il reçoit des surnoms, celui notamment de «hussard noir de la République» : allusion à son rôle de propagateur de la laïcité, contre l'enseignement privé religieux jusque là dominant. Le mot hussard fait penser à un combattant, l'adjectif noir est lié au vêtement (la blouse que portait l'instituteur de l'époque). 37 Hervé Guibert, Mes parents, Paris, Gallimard, 1986, p. 55-6. 38 Ce tableau fut peint pendant l'automne et l'hiver 1800 pour le roi d Espagne. David le répéta pour le premier consul. D'un simple portrait équestre, David en fit l'allégorie de l héroïsme, plaçant Bonaparte dans la lignée de ceux qui franchirent les Alpes avant lui, Hannibal et Charlemagne 39 Jacques-Louis DAVID, Bonaparte franchissant le col du Grand Saint-Bernard, peint en 1800, Musée national des Châteaux de Malmaison et Bois Préau. 19

40 Dans son ouvrage intitulé La Chambre claire, note sur la photographie (Cahiers du cinéma, Éditions de l'étoile, Gallimard, Le Seuil, 1980), Roland Barthes développe deux thèmes : Le premier, c'est le studium : Roland Barthes parle, pour définir ce concept, d'une sorte d'intérêt général, d'affect moyen, d'une lecture raisonnée, culturelle et conventionnelle de l'image photographique. Le second, c'est le punctum : «...c'est lui qui part de la scène, comme une flèche, et vient me percer. Un mot existe en latin pour désigner cette blessure, cette piqûre, cette marque faite par un instrument pointu ; ce mot m'irait d'autant mieux qu'il renvoie aussi à l'idée de ponctuation et que les photos dont je parle sont en effet comme ponctuées, parfois même mouchetées de ces points sensibles ; précisément, ces marques, ces blessures sont des points. Ce second élément qui vient déranger le studium, je l'appellerai donc punctum ; car punctum, c'est aussi : piqûre, petit trou, petite tache, petite coupure - et aussi coup de dés. Le punctum d'une photo, c'est ce hasard qui, en elle me point (mais aussi me meurtri, me poigne).» D'autre part on parle de punctum proximum pour désigner la distance minimale à partir de laquelle l'oeil commence à accommoder. Accommodation de l'oeil : variation de la courbure du cristallin qui permet la vision nette à des distances différentes. 41 Mes parents, p. 136. Le Mausolée, p. 155. 42 Mes parents, p. 162. Le Mausolée, p. 266. 43 Le Mausolée des amants, p. 414. 44 Le Mausolée, p. 415. 45 Film qui fut diffusé le 30 janvier 1992 sur TF1. 46 Strophe tirée de Les fleurs du mal, «L Albatros» par Charles Baudelaire. 47 Mes parents, p. 147. Le Mausolée, p. 183. 48 Napoléon disparaît le 5 mai 1821 sur l île de Sainte-Hélène. 49 Par son métier de journaliste au Monde, il rencontrera de nombreux auteurs. 50 Hans Georg Berger & Hervé Guibert, Dialogue d Images, Bordeaux, William Blake & Edit., 1992. 51 Le Mausolée, p. 368. 20