Enseignement National Classant Module transdisciplinaire 8 : Immunopathologie. Réactions inflammatoires Psoriasis J.-J. GUILHOU (Montpellier), L. DUBERTRET (Paris, St Louis), B. CRICKX (Paris, Bichat), E. GROSSHANS (Strasbourg) Objectifs Diagnostiquer un psoriasis. Argumenter l attitude thérapeutique et planifier le suivi du patient. L e psoriasis est une dermatose érythémato-squameuse d évolution chronique qui atteint environ 2 p. 100 de la population. DIAGNOSTIC POSITIF Dans les formes habituelles LA LÉSION ÉLÉMENTAIRE Il s agit d une tache érythémato-squameuse bien limitée, arrondie, ovalaire ou polycyclique. La couche squameuse superficielle blanchâtre peut être très épaisse ou au contraire partiellement décapée par le traitement laissant apparaître l érythème sous-jacent. Le plus souvent ces éléments sont multiples et symétriques, parfois diffus. La taille des lésions est variable : psoriasis en points, en gouttes, nummulaires (éléments arrondis de 1 à plusieurs centimètres de diamètre), en plaques. Le diagnostic est avant tout clinique. L examen anatomopathologique est rarement utile. Lorsqu il est réalisé, ils montre une hyperkératose avec parakératose et une acanthose de l épiderme liée à une prolifération excessive des kératinocytes. En outre, l épiderme est le siège de microabcès à polynucléaires (micro-abcès de Munro-Sabouraud). Dans le derme existe un infiltrat à lymphocytes T-CD4 et un grand développement capillaire avec allongement des papilles dermiques. FORMES TOPOGRAPHIQUES Localisations habituelles Les localisations habituelles, très caractéristiques de l affection, sont surtout les zones exposées au contact : coudes (et bord cubital de l avant-bras), genoux, région lombo-sacrée, cuir chevelu, ongles). Le psoriasis du cuir chevelu, classiquement non alopéciant, peut réaliser des plaques circonscrites, de taille variable, arrondies, bien limitées, couvertes de larges squames traversés par les cheveux ou bien former une véritable carapace recouvrant la totalité du cuir chevelu. La localisation occipitale est fréquente. Dans la région antérieure, à la lisière du cuir chevelu, les lésions sont souvent très inflammatoires et réalisent une couronne séborrhéique. Le psoriasis unguéal peut prendre l aspect de dépressions ponctuées cupuliformes (ongles en dé à coudre) ou réaliser une onycholyse avec décollement distal et zone proximale de couleur cuivrée. On peut aussi avoir une hyperkératose sous-unguéale, une paronychie, une perte de transparence de l ongle et des zones leuconychiques. Autres localisations Les autres localisations sont moins fréquentes : Psoriasis inversé : dans les plis, en particulier interfessier, axillaires, sous-mammaires et ombilical ; Psoriasis palmoplantaire pouvant réaliser une kératodermie en îlots ou diffuse ; Psoriasis du gland : le psoriasis respecte les muqueuses, à l exception du gland avec des taches érythémateuses non squameuses ; Psoriasis du visage : rare, il peut prendre l aspect d une dermatite séborrhéique (sébopsoriasis). Les localisations à la conque et au conduit auditif externe sont classiques. Dans les formes particulières PSORIASIS GRAVES Psoriasis érythrodermique Il s agit d un psoriasis généralisé à plus de 90 p. 100 des téguments, dont les lésions sont le siège d une desquamation abondante. L érythrodermie peut être provoquée par des traitements généraux (corticothérapie) ; elle peut se compliquer de surinfections, de troubles de la thermorégulation et d anomalies hydroélectrolytiques et doit entraîner l hospitalisation du malade. Psoriasis arthropathique Il se rencontre chez environ 20 p. 100 des psoriasiques et peut réaliser divers tableaux cliniques : 2S113
J.-J. GUILHOU, L. DUBERTRET, B. CRICKX et al. oligo- ou monoarthrite ; polyarthrite psoriasique voisine de la polyarthrite rhumatoïde avec cependant atteinte des articulations interphalangiennes distales et réaction de Waaler-Rose négative ; rhumatisme psoriasique axial comportant une atteinte vertébrale et sacro-iliaque, voisine de la spondylarthrite ankylosante, mais dont l association avec l antigène HL-AB27 est moins forte. Psoriasis pustuleux Il peut apparaître d emblée ou sur un psoriasis déjà connu et être déclenché par divers médicaments, il faut distinguer : le psoriasis pustuleux localisé palmoplantaire qui se manifeste par des pustules jaunâtres évoluant par poussées. Le handicap fonctionnel (difficultés du travail manuel et de la marche) est souvent important ; le psoriasis pustuleux généralisé qui débute brutalement avec altération de l état général, fièvre et placards rouge vif qui se couvrent de pustules superficielles pouvant confluer en larges nappes essentiellement localisées sur le tronc. L évolution peut mettre en cause le pronostic vital. L unicité des deux formes de psoriasis pustuleux est histologique : présence d une pustule spongiforme, multiloculaire et aseptique, ce qui la différencie des pustules d origine infectieuse. PSORIASIS DE L ENFANT Le psoriasis du nourrisson est souvent localisé à la zone des langes. Le psoriasis de l enfant est souvent aigu, en gouttes et peut succéder à une infection rhinopharyngée streptococcique. Le visage est plus souvent atteint que chez l adulte. PSORIASIS ET INFECTION PAR LE VIH Au cours de l infection par le VIH, le psoriasis est souvent plus grave et réfractaire aux thérapeutiques conventionnelles. Il peut s agir d un psoriasis classique, pustuleux ou érythrodermique. DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL Dans la forme classique Le diagnostic se pose avec de nombreuses dermatoses érythématosquameuses. PITYRIASIS ROSÉDE GIBERT Le pityriasis rosé de Gibert associe des taches rosées finement squameuses et des médaillons de plus grande surface, arrondis ou ovalaires dont le centre plus clair paraît en voie de guérison. L éruption reste presque toujours limitée au tronc et à la racine des membres. L évolution spontanée vers la guérison en 6 à 8semaines permet de trancher les cas litigieux. DERMITE SÉBORRHÉIQUE La dermite séborrhéique habituellement localisée au visage (plis nasogéniens), au cuir chevelu et à la région médiothoracique est de diagnostic plus délicat. La présence de lésions psoriasiques à distance aidera au diagnostic. DERMATITE ATOPIQUE La dermatite atopique est bien différente dans sa topographie (visage et plis), ses associations (rhinite allergique, asthme), et ses examens biologiques (augmentation des IgE). Dans les formes particulières Le psoriasis des plis pose le problème des intertrigo d origine bactérienne ou mycosique. Le psoriasis palmoplantaire fait partie des kératodermies palmoplantaires de causes diverses. L érythrodermie psoriasique doit être distinguée des autres érythrodermies (toxidermies, lymphomes, eczéma). Le psoriasis pustuleux généralisé pose le problème de certaines toxidermies pustuleuses (pustulose exanthématique aiguë généralisée). Le rhumatisme psoriasique est difficile à différencier de la polyarthrite rhumatoïde et de la spondylarthrite ankylosante s il n est pas associé à des lésions cutanées identifiées comme psoriasiques. DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE La cause du psoriasis est inconnue, il y a une prédisposition génétique et des facteurs de l environnement jouant un rôle révélateur. Facteurs génétiques 30 p. 100 des psoriasis sont familiaux. Lorsque l affection débute dans l enfance, elle est fréquemment liée aux antigènes d histocompatibilité, en particulier HLA CW6 et DR7. Les gènes de prédisposition sont multiples et localisés sur différents chromosomes. Facteur environnementaux L alcool et le tabac sont des facteurs de gravité et de résistance thérapeutique. Le rôle des infections bactériennes ou virales dans les poussées est souligné en particulier chez l enfant. Les facteurs psychologiques peuvent fréquemment déclencher des poussées. Certains médicaments peuvent induire ou aggraver le psoriasis, en particulier les sels de lithium, les bêtabloqueurs, les inhibiteurs de l enzyme de conversion de l angiotensine. Les traumatismes cutanés (griffures, vaccinations, chirurgie) peuvent être le siège d une efflorescence de lésions psoriasiques (phénomène de Koebner). 2S114
Psoriasis Physiopathologie On estime actuellement que la prolifération épidermique et les troubles de la différenciation qui caractérisent la lésion psoriasique sont dus à une activation des lymphocytes T, ce qui rapprocherait le psoriasis des maladies auto-immunes. ÉVOLUTION La maladie débute le plus souvent chez l adolescent et l adulte jeune. Ces psoriasis de début précoce sont plus souvent familiaux, associés aux antigènes d histocompatibilité et graves contrairement aux psoriasis débutant plus tardivement. L évolution est chronique et se fait par poussées entrecoupées de rémissions pendant lesquelles les lésions sont minimes. Ces rémissions sont plus fréquentes en été à cause de l effet bénéfique des rayons ultraviolets. Les poussées, souvent imprévisibles, sont parfois déclenchées par des facteurs psychologiques, des médicaments ou/et des infections ORL. Même en dehors des formes graves (érythrodermies, rhumatisme et formes pustuleuses) le psoriasis est une maladie qui peut altèrer profondément la qualité de vie lorsque les lésions sont affichantes ou génantes pour un travail manuel. La gravité de ce retentissement est souvent sous-estimée par le médecin. A noter : dans les psoriasis habituels, l état général n est pas altéré ; le psoriasis n est pas contagieux ; le prurit est présent en poussée dans 30 à 60 p. 100 des cas. PRINCIPES DU TRAITEMENT Règles générales Il n est pas utile de traiter les psoriasis très limités et/ou psychologiquement bien acceptés par les malades. Les traitements sont fonction non seulement de la gravité et de l étendue des lésions, mais aussi du préjudice fonctionnel, esthétique, professionnel, relationnel, du retentissement psychologique de la maladie et du désir de rémission du malade. Une relation de qualité avec celui-ci est très importante dans l efficacité thérapeutique. Les traitements actuels n entraînent pas la guérison définitive de l affection, mais on obtient la disparition transitoire plus ou moins complète des lésions. Il ne faut pas oublier que les traitements majeurs ont des effets secondaires importants et ne doivent être utilisés que chez un faible pourcentage de cas graves. Traitements locaux Ils sont surtout représentés par les dermocorticoïdes et le calcipotriol. LES DERMOCORTICOÏDES Ils sont surtout utilisés en pommades (lésions sèches). Les crèmes sont réservées aux plis et les lotions au cuir chevelu. Leurs effets secondaires sont nombreux et il est conseillé d effectuer des traitements de durée limitée et de contrôler les quantités utilisées (nombre de tubes). LE CALCIPOTRIOL (DÉRIVÉ DE LA VITAMINE D) Il est disponible en pommade, en crème et en lotion. Son activité est équivalente à celle des dermocorticoïdes. Il ne faut pas dépasser 100 g de topique appliqué par semaine pour éviter les risques d hypercalcémie. Des phénomènes irritatifs surviennent dans 20 p. 100 des cas, surtout lors des applications sur le visage. L association calcipotriol-corticothérapie locale est très efficace. AUTRES TRAITEMENTS TOPIQUES Les kératolytiques (acide salicylique à la concentration de 2 à 5 p. 100 dans un excipient gras, urée à 10 ou 20 p. 100) sont utiles dans les lésions très kératosiques. Des dérivés de la vitamine A (tazarotène) sont efficaces mais ont un effet irritatif important. Les bains et les émollients sont utiles pour décaper les lésions. Photothérapie L exposition solaire (qui peut être associée à la balnéothérapie ou à la crénothérapie) est presque toujours bénéfique. La photothérapie par ultraviolets B (290-320 nm) est surtout utilisée sous la forme d UVB à spectre étroit (311 nm). La PUVAthérapie (photochimiothérapie) consiste à administrer 2 h avant l irradiation par UVA (320-400 nm), un Psoralène photosensibilisant (8 méthoxypsoralène-méladininet ou 5 méthoxypsoralène-psoraderm-5t). La photothérapie est utilisée à raison de 3 séances par semaine. Ses inconvénients sont l accélération du vieillissement cutané, et l induction à long terme de cancers cutanés. Il est donc indispensable de la réaliser selon des règles très strictes et de comptabiliser de façon précise le nombre de séances et les doses énergétiques administrés (exprimées en joules par centimètre carré). La photothérapie entraîne dans 80 p. 100 des cas une rémission des lésions en 4à6semaines de traitement. Traitements généraux ACITRÉTINE L acitrétine (Soriatanet) dérivée de la vitamine A (famille des rétinoïdes peut être utilisée soit de façon isolée, soit en association avec la photothérapie. Ses effets secondaires, généralement bénins et dose-dépendants sont nombreux. Le risque tératogène contre-indique son administration pendant 2S115
J.-J. GUILHOU, L. DUBERTRET, B. CRICKX et al. la grossesse et implique chez toute femme en période d activité génitale la réalisation d un test de grossesse avant traitement, et l utilisation d une contraception fiable débutée avant le traitement, poursuivie pendant le traitement et pendant 2 ans après son arrêt. avec un risque néphrotoxique important lors des traitements prolongés. La dose initiale est de 2,5 mg/kg/jour. Elle peut être augmentée sous réserve d une bonne tolérance clinique (hypertension artérielle) et biologique (créatininémie) jusqu à 5mg/kg/jour. MÉTHOTREXATE Le méthotrexate (Novatrext) à la dose de 15 à 25 mg en administration hebdomadaire unique per os ou par voie intramusculaire est souvent rapidement efficace. Ses effets secondaires, en particulier hématologiques et hépatiques, nécessitent une surveillance stricte. CICLOSPORINE La ciclosporine (Néoralt) est également très efficace (efficacité démontrée par des essais thérapeutiques contrôlés) mais Indications Psoriasis peu étendu (même à sites multiples) : le traitement local est suffisant. Psoriasis étendu : photothérapie. Psoriasis grave : l un des trois traitements majeurs cités ci-dessus en respectant les contre-indications, les règles d utilisation et avec une surveillance précise en milieu spécialisé. Points clés 1. Le psoriasis est une dermatose érythémato-squameuse chronique fréquente. 2. Les localisations sont le plus souvent très caractéristiques : coudes, genoux, région lombo-sacrée, cuir chevelu, ongles. 3. Il existe des formes graves : érythrodermie, rhumatisme psoriasique, psoriasis pustuleux. 4. Le traitement est le plus souvent uniquement local. 5. La photothérapie est très efficace dans les psoriasis étendus. 6. Les traitements généraux, utilisés exceptionnellement, doivent faire l objet d une surveillance précise. 7. La prescription d acitrétine chez la femme nécessite l adhésion à des règles strictes de contraception. 2S116
Psoriasis Fig. 4. Psoriasis unguéal avec dépressions cupuliformes et discrète onycholyse. Fig. 1. Lésions élémentaires érythémato-squameuses. Fig. 2. Localisation caractéristique au niveau des coudes et de la région lombaire. Fig. 5. Psoriasis inversé. Fig. 3. Psoriasis du cuir chevelu. Fig. 6. Kératodermie palmaire diffuse psoriasique. 2S117
J.-J. GUILHOU, L. DUBERTRET, B. CRICKX et al. Fig. 7. Érythrodermie psoriasique. Fig. 9. Psoriasis pustuleux palmaire. Fig. 8. Rhumatisme psoriasique périphérique. Fig. 10. Psoriasis du nourrisson. 2S118