LA SOLIDARITE DANS LES REGLEMENTS-TAXES COMMUNAUX En vertu de l autonomie communale, les communes peuvent désigner les redevables des taxes qu elles instaurent. Afin d en faciliter la perception, un mécanisme de solidarité peut être prévu dans un règlement- taxe. La taxe qui est initialement établie à charge d une personne peut être recouvrée auprès de plusieurs débiteurs complémentaires. Le règlementtaxe communal doit prévoir expressément dans son texte qui sont les redevables solidairement voire indivisiblement tenus au paiement. Le redevable solidaire doit disposer des mêmes droits que le redevable initialement enrôlé et pouvoir introduire une réclamation auprès du Collège des Bourgmestre et échevins ainsi qu éventuellement, exercer une action devant le juge judiciaire 1. Dans ce qui suit, nous examinerons les notions d autonomie communale et ses limites, la solidarité en droit civil, la solidarité et la notion de redevable en matière fiscale telles que dégagées par la jurisprudence essentiellement du Conseil d Etat, de la Cour constitutionnelle et de la Cour de cassation. 1. L autonomie communale et ses limites Il appartient à l autorité communale, dans le cadre de son autonomie fiscale 2, de déterminer les bases et l'assiette des impositions dont elle apprécie la nécessité au regard des besoins auxquels elle estime devoir pourvoir. Ce pouvoir s exerce sous la seule réserve imposée par la Constitution 3, à savoir la compétence du législateur d'interdire aux communes de lever certains impôts 4. Le Conseil d Etat explicite que seule la loi fédérale peut directement restreindre la possibilité pour les communes de lever des taxes: «les exceptions à la compétence fiscale des communes doivent, en vertu de l article 170, 4 de la Constitution, être établies expressément par le législateur fédéral» 5. La Cour constitutionnelle a également précisé qu il doit bien s agir d une loi fédérale: «l'article 170, 2, alinéa 2, de la Constitution attribue toutefois au législateur fédéral le pouvoir de déterminer, en ce qui concerne la compétence fiscale des Communautés et des Régions, les exceptions dont la nécessité est démontrée». 6 1 Pour plus de détails sur la réclamation et l exercice du recours organisé voir B. MARCQ, «La réclamation contre les impositions communales», Rev. Dr. Comm., 2009, pp.15-19. 2 Article 170, 4 de la Constitution. 3 L article 170, 4, al. 2 de la Constitution dispose que «la loi détermine, relativement aux impositions visées à l'alinéa 1 er, les exceptions dont la nécessité est démontrée.» 4 C.E., 27 mai 2009, n 193.580. 5 C.E., 24 mai 2002, n 106.994. 6 C.C., 21 janvier 1998, n 4/98.
Dans les limites de l autonomie ainsi décrite, les règlements-taxes communaux peuvent prévoir divers mécanismes dont notamment la solidarité entre les redevables. 2. La solidarité au sens du Code civil et en matière de taxes communales L article 1200 du Code Civil dispose que : «Il y a solidarité de la part des débiteurs lorsqu'ils sont obligés à une même chose, de manière que chacun puisse être contraint pour la totalité, et que le payement fait par un seul libère les autres envers le créancier». L obligation solidaire permet d exiger d une personne le paiement de la totalité de la dette et ce, même si l obligation est, par elle-même, divisible. Dans cette mesure l obligation solidaire constitue une exception au principe de la division des obligations à pluralité de sujets 7. Le paiement fait par une seule de ces personnes libère les autres envers le créancier. La solidarité ne se présume pas mais doit être expressément prévue 8. La solidarité ne peut être que d origine légale ou découler de la volonté des parties. Par ailleurs, elle se fonde sur «une certaine communauté d intérêts 9». Le principe de la solidarité en matière de taxes communales est reçu depuis un certain temps déjà par la jurisprudence de la Cour de cassation 10 et par celle du Conseil d Etat. Ainsi consacrée, elle concerne le recouvrement de l impôt 11. a) le pouvoir de prévoir la solidarité entre les redevables dans le règlement-taxe : Dans un arrêt du 14 mars 2000, la plus haute juridiction administrative confirme le pouvoir dont disposent les communes pour désigner les redevables des taxes qu elles lèvent ainsi que la possibilité de prévoir la solidarité 12 : «( ) le pouvoir des communes de désigner les redevables des taxes implique également le pouvoir de prévoir des mécanismes de solidarité entre ces redevables, l'article 1202 du Code civil ne pouvant restreindre la portée de l'article 170, 4, précité de la Constitution.» Dans un arrêt du 22 février 2006 rendu en matière de solidarité établie dans un règlement taxe entre le locataire et le propriétaire d un bien immobilier, la Cour d appel de Bruxelles 13 reprend les termes employés par le Conseil d Etat en 2000 : 7 H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, T. III, 1967, p. 309. 8 Article 1202 du Code civil. 9 H. De Page, op. cit., p. 313. 10 Cass., 7 mai 1942, Pas. 1942, I, p. 117. 11 La solidarité se situe sur le plan de la contribution à la dette. 12 C.E., 14 mars 2000, n 85.916. 13 Bruxelles, 22 février 2006, R.G.C.F., 2006, p. 237.
«( ) tant le propriétaire que le locataire peuvent être considérés comme des redevables puisqu ils disposent d un droit réel ou personnel portant sur un immeuble(...) ou une partie d immeuble soumis à la taxe concernée; le pouvoir des commues de désigner les redevables des taxes implique également le pouvoir de prévoir des mécanismes de solidarité entre ces redevables.» b) «la communauté d intérêts» pour justifier de la solidarité et déterminer le choix du redevable solidaire dans le règlement-taxe La doctrine et la jurisprudence ont nuancé la liberté de la commune dans le choix du redevable solidairement tenu au paiement de la taxe et ce au moyen des principes de l égalité et de la non discrimination ainsi que de la notion de «communauté d intérêts» 14. En matière de taxe sur les loges foraines, peuvent être considérés comme redevables solidaires l exploitant de l installation ainsi que le propriétaire du terrain sur lequel l activité est exercée. Il y a une communauté d intérêts et d entreprise entre les deux personnes qui sont tenues au paiement de l impôt 15. Dans un arrêt du 27 novembre 2008, le Conseil d Etat met aussi l accent sur la communauté d'intérêts entre les débiteurs solidaires, puisque le propriétaire et son locataire participent à l'activité taxée, à savoir la location et l'occupation de secondes résidences, et que le propriétaire perçoit un loyer à charge de son locataire. Cette communauté d'intérêts peut raisonnablement justifier le mécanisme de solidarité prévu dans le règlement-taxe litigieux 16. Le Tribunal de première instance de Liège avait écarté un règlement-taxe pour contrariété au principe de la proportionnalité, l égalité et la non discrimination. La juridiction avait, entre autres, motivé sa décision par l absence d une communauté d intérêts entre le propriétaire d un rez-de-chaussée loué pour y exploiter un bar et le tenancier de l établissement. Rien ne justifiait la solidarité entre les deux personnes quant au paiement de la taxe d exploitation du bar, le propriétaire n étant en effet pas responsable de la gestion du bar 17. 14 A. BORTOLOTTI et L. ORBAN, «La fiscalité locale : décennie d évolutions» in Actualités en droit fiscal, éd. Anthemis, p. 202. 15 C.E., 17 mars 2003, F.J.F., 2003, p. 946. 16 C.E., 27 novembre 2008, n 188.250. 17 Civ. Liège, 17 janvier 2005, F.J.F., 2006, p. 956.
3. La Cour constitutionnelle explicite la notion de redevable solidaire et ses droits 18 a) la notion de redevable Au sens strict le redevable est la personne dont le nom apparaît sur l avertissement- extrait de rôle. Au sens large, il s agit de toute personne à charge de laquelle la taxe peut être recouvrée, même si la taxe a été enrôlée au nom d une autre personne 19. b) les voies de recours ouverts au redevable «principal» et au redevable «solidaire» La Cour constitutionnelle devait se prononcer sur la question préjudicielle suivante posée par la Cour d appel d Anvers : «L article 9 de la loi du 24 décembre 1996 relative à l établissement et au recouvrement des taxes provinciales et communales( ) viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu il (...) autorise le seul redevable à introduire une réclamation contre une taxe établie à son nom et que ce droit de réclamation n est pas accordé à ceux qui sont solidairement responsables du paiement de cette taxe?( ) l absence de dispositions légales permettant au redevable solidairement responsable du paiement d une taxe communale d introduire une réclamation violet-elle les articles 10 et 11 de la Constitution ( )?» Deux interprétations fournies par la Cour constitutionnelle : - 1 ère interprétation de l art. 9 de la loi du 24 décembre 1996 sur l établissement et le recouvrement des taxes provinciales et communales 20. «( ) l article 9 de la loi du 24 décembre 1996 viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que cette disposition n accorde le droit d introduire une réclamation contre une imposition qu au seul redevable au nom duquel celle-ci est établie, à l exclusion de la personne solidairement responsable au nom de laquelle cette imposition n est pas établie, alors que cette dernière est tenue, sur la base du règlement- taxe ( ) de payer la dette fiscale établie au nom du redevable». 18 C. C., 6 nov. 2008, n 155/2008. 19 J.P. MAGREMANNE et F. VAN DE GEJUCHTE, La procédure en matière de taxes locales, «Etablissement et contentieux du règlement- taxe et de la taxe», Larcier, 2004, p. 190. 20 L article 9 de la loi du 24 décembre 1996, M.B., 31 décembre 1996, prévoit que : «Le redevable peut introduire une réclamation contre une taxe provinciale ou communale respectivement auprès du gouverneur ou du Collège des bourgmestres et échevins, qui agissent en tant qu autorité administrative. Le Roi détermine la procédure applicable à cette réclamation».
- 2 ème interprétation de la même disposition à la lumière de la définition de la notion de redevable au sens du Code des impôts sur les revenus: «( ) le droit d introduire une réclamation est attribué aujourd hui à tout redevable soumis au Code des impôts sur les revenus, à toute personne qui peut être tenue au paiement de l impôt ( ) Compte tenu du but que poursuivait le législateur ( ) à savoir reprendre les règles des impôts sur les revenus 21, il doit être admis que le droit de réclamation en cause est désormais reconnu à toute personne qui peut être tenue au paiement de l impôt, non seulement en matière d impôts sur les revenus, mais aussi en matière de taxes provinciales et communales». Il ressort de cet arrêt que le droit d introduire une réclamation et au besoin d agir devant le juge judiciaire, est ouvert à tout redevable (y compris au redevable qui pourrait être solidairement tenu au paiement de la taxe) 22. La personne qui est solidairement tenue au paiement est également un redevable de ladite taxe et dispose des mêmes droits quant à l introduction d une réclamation. Cette personne constitue un débiteur potentiel sur les biens duquel l administration pourrait recouvrir la taxe dans son intégralité. Par ailleurs, la commune n est pas tenue de respecter un ordre de priorité entre les redevables 23. Selon l interprétation de la Cour constitutionnelle, le redevable solidaire doit disposer du même droit d introduire un recours en réclamation que le redevable initialement enrôlé. Conclusion Les règlements-taxes peuvent prévoir des mécanismes de solidarité entre les redevables. La solidarité se situe sur le plan du recouvrement de la taxe. Dans l éventualité où la commune décide de la créer, le règlement ainsi rédigé doit désigner explicitement les solidairement redevables 24. Le choix des redevables doit être guidé par la notion de communauté d intérêt qui existe entre eux et qui justifie l imposition. Dans ce cas, l autorité pourra poursuivre le paiement de la dette d impôt indifféremment auprès de n importe lequel des débiteurs 25. Le débiteur solidaire constitue un redevable à part entière et de ce fait peut introduire le recours administratif organisé par la loi du 24 décembre 1996 et agir en justice sur pied de l article 1385undecies du Code judiciaire 26. 21 Articles 366 à 374quinquies du Code des impôts sur les revenus 1992. 22 Le recours organisé doit être obligatoirement exercé par le redevable, à peine d irrecevabilité de l action judiciaire connexe. 23 A. BORTOLOTTI et L. ORBAN, op. cit., p. 195. 24 Par exemple : sont tenus au paiement de la taxe tous les titulaires d un droit réel sur le bien. 25 Sur les phases de recouvrement de l impôt (volontaire et forcée), voir M. LEVIS, «Les impôts communaux» in Finances communales, 2008, éd. Van den Broele, p. 141. 26 L article 1385undecies du Code judiciaire.