Hervé Le Nost. «...Nous avons l idée du monde, mais nous n avons pas la capacité d en montrer un exemple.»

Documents pareils
Qu est-ce qu une œuvre d art?

«Source» - Elena PAROUCHEVA, installation monumentale, Amnéville-les-Thermes, Concours Européen Supélec Sciences et Technologies dans l'art Européen

ANNE VICTOR Studio All Rights Reserved

Recherche Artistique

ATELIERS D ARTS à Paris

Médiation traduction. De la matière aux langages. 1/ Au fait, les Arts plastiques, qu est-ce que c est? 2/ Pourquoi traduire une œuvre?

BACCALAURÉAT TECHNOLOGIQUE STD ARTS APPLIQUÉS

ACADEMIE de MAQUILLAGE & de la BEAUTE GLOBALE

VIVRE LA COULEUR DOSSIER PÉDAGOGIQUE. Musée des beaux-arts de Brest

exigences des standards ISO 9001: 2008 OHSAS 18001:2007 et sa mise en place dans une entreprise de la catégorie des petites et moyennes entreprises.

VOCABULAIRE DES ARTS PLASTIQUES

Distinction des questions et des consignes

Présentation du projet Descriptif et plans Fiche technique

La Joconde. ( , 0,77x 0,53 m) de Léonard de Vinci TEMPS MODERNES

«La Fuite en Egypte» Nicolas POUSSIN «Les Saints préservant le monde de la colère du Christ» Pierre Paul RUBENS

La micro be. Image Sébastien PLASSARD, Baigneuse 2014

Fluorescent ou phosphorescent?

PROGRAMME DE MÉTHODES ET PRATIQUES SCIENTIFIQUES EN CLASSE DE SECONDE GÉNÉRALE ET TECHNOLOGIQUE

NOM : Prénom : Date de naissance : Ecole : CM2 Palier 2

DIRECTION DE LA COMMUNICATION ET DES PARTENARIATS DOSSIER DE PRESSE E-GUIDEZ VOUS! LA NOUVELLE APPLICATION DU CENTRE POMPIDOU

N.V. Bourov, I.Yu. Khitarova. ART-INFORMATION Problèmes de stockage et de communication. Matériel didactique

GMEC1311 Dessin d ingénierie. Chapitre 1: Introduction

Le coin du vide 2014 Dessin, Vidéo, Photo, Jumelles

Nous avons besoin de passeurs

LE CHRONOGRAPHE EZ3KIEL : NAPHTALINE

LIVRET DE VISITE. Autoportraits du musée d. musée des beaux-arts. place Stanislas

El Tres de Mayo, GOYA

MECENAT SALON D ART CONTEMPORAIN. Paris New-York Miami Shanghaï. Business. Tokyo Casablanca Moscou Bruxelles. . org.

Introduction. Les obstacles à l analyse web. Le marquage

5, avenue des Quarante Journaux CS Bordeaux Cedex Tel : Fax :

Arts Visuels. Organisme. Organisme Escadron 646

Gildas Malassinet-Tannou PEINTURE DE LUMIÈRE INSTALLATION INTERACTIVE

Partenaires Titre du périodique Edition/années parution Cote NUM Années numérisées Thèmes

Un écrivain dans la classe : pour quoi faire?

Comprendre l Univers grâce aux messages de la lumière

LA TENTATION DU MONOCHROME. Laurence Louis-Lucas/ Université Paris VIII / L3/ mai- septembre 2007

MAMI SENIORS Livret d accueil

Séminaire de formation

Lecture analytique 2 Victor Hugo, «Un jour Je vis...», Poème liminaire des Comtemplations, 1856

Concours citoyen international «Agite Ta Terre!»

Janvier Semestre 3 Session 1 - Licence 2 - Art de l époque contemporaine R.G. Peinture d histoire

Leçon n 1 : «Les grandes innovations scientifiques et technologiques»

Entourée d un beau parc arboré, avec piscine, en campagne avec vue dégagée, à 10 minutes d Eymet

du 24 janvier au 1er février 2015

LIVRET DU CANDIDAT LES DEUX OPTIONS FACULTATIVES DANSE AU BACCALAURÉAT

Thématique : Arts, ruptures et continuités

INVENTAIRE. Vous possédez un patrimoine que vous souhaitez préserver et protéger.

FONDS CHARLES COURNAULT ( )

Fiche professeur. Rôle de la polarité du solvant : Dissolution de tâches sur un tissu

Technique de la peinture

La première agence de maquilleurs professionnels pour des prestations de luxe sur mesure

Privatisation de nos salons. CHRISTIE S Paris 9 avenue matignon, Paris 8e

Attestation de maîtrise des connaissances et compétences au cours moyen deuxième année

Jour 1. Origines et évolution du marketing

Anne Barrès «Poussées et équilibres»

DOSSIER DE PARTENARIAT

P Y R É N É E S. des Pyrénées - Pau Tarbes. Établissement public d enseignement supérieur artistique. Art Art-céramique Design graphique multimedia

14 GRANDS ARTISTES REINTERPRETENT «LE CHAT AU JOURNAL» DE PHILIPPE GELUCK POUR SOUTENIR LA RECHERCHE MEDICALE

Rennes Enchères Carole Jézéquel SCULPTURE OUTDOOR

Le Team building. (consolidation d équipe)

La mondialisation des tâches informatiques

QU EST-CE QUE L EAU BIEN COMMUN?

PEUT- ON SE PASSER DE LA NOTION DE FINALITÉ?

Entreprise SGP. de la rénovation à la modernité

La belle époque est une construction plus mémorielle qu historique. Elle correspond aux années précédant la première guerre mondiale.

Anne-Lise Seusse. Née en 1980 à Lyon (F) Vit et travaille entre Lyon et Paris (F) Pour Rendez vous 11, présente :

Les Éditions du patrimoine présentent La tenture de l Apocalypse d Angers Collection «Sensitinéraires»

RÉSONANCES, REFLETS ET CONFLUENCES : Trois façons de concevoir les ressemblances entre le sonore et le visuel dans des œuvres du XX e siècle

Projet pour la création de nouveaux ateliers d artistes à Marseille, Association ART 13. I Etat des lieux

Chapitre 10 : Radioactivité et réactions nucléaires (chapitre 11 du livre)

La déco fait son show Un atelier haut en couleur, un triplex insolite, une maison tout en broc, un loft avec atmosphère.

lightpainting procedural Ou comment utiliser processing en dehors des sentiers battus.

Le Logiciel de Facturation ultra simplifié spécial Auto-Entrepreneur

TORDEZ LE COU À 6 IDÉES REÇUES

PROGRAMME D AMÉNAGEMENT DE SALLE D ATTENTE

Chapitre 1 : Qu est ce que l air qui nous entoure?

Mais revenons à ces deux textes du sermon sur la montagne dans l évangile de Matthieu.

AUTOUR DU CHEVAL. Alain Gaymard

Amsterdam Evénements 1

DOSSIER DE PRESSE. LA LIGNE DE FUITE Résidence artistique de Holger Stark. Rencontre le mercredi 12 novembre à 14h30

huile sur bois 67 x 49 cm Origine : Renaissance

Manuel Management Qualité ISO 9001 V2000. Réf Indice 13 Pages : 13

LE VIDE ABSOLU EXISTE-T-IL?

Mieux connaître les publics en situation de handicap

L EQUIPE ÉTUDES ENQUÊTES: Georgeta BOARESCU psychologue coordonateur études enquêtes Florin CIOTEA sociologue

programme connect Mars 2015 ICF-Léman

«L art n est-il qu un moyen d évasion?»

ÉCOLE DES BEAUX ARTS DEMANDE D ADMISSIBILITÉ POUR L ANNÉE 2015/2016

EXIGEZ L IMPOSSIBLE. Venez Partager, Supporter et Révéler votre véritable nature. Celle qui donne envie de gagner avec vous.

2 e partie de la composante majeure (8 points) Les questions prennent appui sur six documents A, B, C, D, E, F (voir pages suivantes).

CARTOGRAPHIE DE L EMPLOI SUR LINKEDIN EN FRANCE

Les Amis du Jeu de Paume

START. EVENTs CONCIERGERIE. «Plus de temps a perdre, TOUT EST SOUS CONTRôLE» START CONCIERGERIE.

Médiathèque René-Char Centre d art roman Georges-Duby. Salles Jean-Hélion

Le travail à l heure du lean

La culture L épreuve du Bac

Bienvenue à Rennes Métropole.... médiévale, royale, festive, créative, champêtre, gourmande, culturelle...

Transcription:

«...Nous avons l idée du monde, mais nous n avons pas la capacité d en montrer un exemple.» Le sublime appelle la beauté et l excellence. Le dictionnaire propose comme équivalent à «sublime» : «une beauté admirable.» Cette idée de «la beauté admirable» engage depuis l antiquité la réflexion des philosophes et des artistes. Platon créa une hiérarchie de la beauté, il la classa selon le principe de l expression parfaite. La beauté transcendante, l idée de perfection et d absolu décidaient des ordres classés de la beauté. Dans 1863, naissance de la peinture moderne Gaëtan Picon décrit comment le «salon des refusés» présenta des œuvres impressionnistes qui remettaient en cause la notion de perfection dans la peinture. Les artistes s éloignaient, alors, des critères académiques d excellence de la représentation. Cette rupture s exprime aussi dans «Les fleurs du mal» de Charles Baudelaire. Il décrit, dans le poème «une charogne», la charge poétique de la décomposition du corps d un animal sur une route. La beauté admirable glissait vers d autres critères. Les dadaistes voulurent s opposer après la première guerre mondiale au goût normatif du «beau» de la classe possédante qui se conduisait par ailleurs de manière passablement barbare dans les rapports sociaux et humains. Cette rupture avec le bon goût et la plasticité maîtrisée de l objet d art, se trouve formalisée par le geste d appropriation de Duchamp avec le ready-made présenté à l Armory show à New-York. En 1948 Barnett Newman dans son texte «Le sublime est maintenant» situe l art américain dans un contexte dégagé du poids de l histoire et de la tradition. Il décrit l artiste Européen comme «toujours moralement déchiré entre sa conception du beau et son aspiration au sublime». Newman pense que les impressionnistes et plus tard les cubistes n ont jamais cessé de repositionner les effets de la beauté, selon lui ils transféraient les critères d appréciation du beau vers d autres territoires. Il décrit dans son texte un art européen incapable d atteindre au sublime à cause de son désir d exister dans un monde objectif. Il oppose à cela la 137

volonté de construire dans la pure plasticité pour y accéder. Newman se place dans une perspective d un art américain hors des traditions de l histoire et de la beauté. Les œuvres élaborées par les sentiments de l artiste sont sublimes parce qu intemporelles et fortes du rayonnement de leur présence. Il dissocie alors, la beauté et le sublime. Le sublime implique une émanence spirituelle qui surpasse la beauté. Comment accéder à l expression du sublime? De «Beau comme une machine à coudre sur une table de dissection», à «La peinture est un œil, un œil aveuglé, qui voit ce qui l aveugle.» Pour Bram Van Velde qui cite Karl André : «Je monte sur une montagne parce qu elle est là, je fais de l art parce qu il n est pas là.» Jean-Pierre Bertrand pense que l invisible n existe pas, mais bien au contraire que tout est de l ordre du visible, et qu il faut simplement savoir extraire ce visible du quotidien. À la fin des années 80, Beuys, Kounellis, et Cucchi restituèrent le contenu de leurs échanges sur l art dans un livre qui portait le titre Bâtissons une cathédrale. La cathédrale gothique qui fut la forme monumentale de la représentation du Christ, servit de toile de fond métaphorique et sublime à la présentation des propos de ces artistes. La force de la métaphore n épargna pas Colin Powell lors du discours de déclaration de guerre à l Iraq. À la demande des autorités américaines la tapisserie «Guernica» de Picasso fut recouverte à l ONU. Il était impossible pour l administration américaine de supporter ce cinglant raccourci entre le temps de l annonce de l entrée en guerre et celui de la représentation sublimée de l horreur engendrée par la sauvagerie d un bombardement sur des populations civiles. Le sublime résulte-t-il d une alchimie qui extrairait de l invisible la forme, et du gaz, le solide? Une alchimie qui aurait inversé «la sublimation» au sens chimique qui désigne le passage d un corps solide à l état de gaz sans être passé par l état de liquide? Yves Michaux décrit dans un essai, nommé «l art à l état gazeux», une situation de l art d aujourd hui, dans laquelle il dit observer un phénomène d abandon des médiums traditionnels tels que la peinture, ou la sculpture au profit d une dématiéralisation dotée d un sens différent du rapport à l espace du réel et au temps. La sublimation décrite par Michaux et appliquée à l art implique selon lui dans son inversion des étapes et des transformations la fin pour notre époque du sublime. Dans «Qu est-ce que le post-modernisme» Jean-François Lyotard parle ainsi du sublime : 138

«...Nous avons l idée du monde...» «...Nous avons l Idée du monde (la totalité de ce qui est), mais nous n avons pas la capacité d en montrer un exemple. Nous avons l idée du simple (le non-décomposable), mais nous ne pouvons pas l illustrer par un objet sensible qui serait un cas. Nous pouvons concevoir l absolument grand, l absolument puissant, mais toute présentation d un objet destinée à «faire voir» cette grandeur ou cette puissance absolues nous apparaît comme douloureusement insuffisante...» Pour ma part la pratique de l art me confronte à une lecture historique du sublime. L empilement de mes séries de travaux fonctionne comme une trame. Les séries déclinent et stratifient mon propos, elles fonctionnent comme des étapes ouvertes et liées les unes aux autres. Je n y vois pas la recherche du sublime, ou de la beauté admirable, pas plus que de l excellence. J y vois des formulations successives dans le dessin, l espace, la sculpture, la photographie, du geste, du regard, de l idée. Un fatras farfelu naît de l observation et de la restitution des divers aspects du monde et de la perception du temps. L insuffisance à «faire voir» le simple appartient sans aucun doute à mon fatras farfelu. Pose-t-elle par là dans mon travail la question du sublime? De toute évidence je ne peux pas apporter dans mes productions une réponse singulière à ma vision du monde et pourtant cela implique-t-il le sublime? Je ne le pense pas. Artiste, Professeur à l École supérieure des beaux-arts de Cornouaille 139

140

«...Nous avons l idée du monde...» 141