La conquête de l Ouest



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Transcription:

Conférence du 1 er décembre Thierry DUFEU La conquête de l Ouest Nous allons évoquer l un des grands épisodes de l histoire américaine qui n est certainement pas l un des plus glorieux et qui relate la rencontre des colons avec les populations locales, puis enfin leur affrontement et l assimilation forcée des tribus indiennes à la nation américaine. Au commencement il y a d abord la rencontre. Lorsque les anglais installent leurs premières colonies, l Amérique du Nord n est pas une terre vierge. Depuis des millénaires, les indiens vivent sur ce continent. Rien n est plus difficile que de raconter l histoire de peuples qui ne connaissent que la tradition orale. Surtout quand les récits sur les indiens vont être écrits pendant des siècles par des historiens américains qui en brossent des portraits peu flatteurs, comme ce manuel d histoire que rédige David Muzzey, et ou il écrit : «Les indiens n avaient nulle part franchi l étape de la barbarie ( ) Ils avaient quelques qualités nobles, comme le courage, la dignité, l endurance. Mais, dans le fond, ils étaient fourbes, cruels, et infligeaient de terribles tortures à leurs ennemis prisonniers». Il est clair qu un manuel d histoire comme celui-là a la même fonction qu un outil de propagande. Il sert avant tout à justifier l expansion vers l Ouest et la confiscation des terres sur lesquelles vivaient les indiens jusqu à la création des réserves ou ces derniers seront parqués. Maintenant, quand on évoque l épisode des guerres indiennes et faute de source venant des indiens, il faut faire attention à ne pas céder à son imagination. Ne pas se laisser tenter, si on peut dire, par le mélodrame. Qu on parle de sauvage ou de bon sauvage, c est toujours le mythe qui l emporte? Il s agit de comprendre comment deux mondes sont entrés en contact, et pourquoi les Européens sont parvenus à dominer, sinon à exterminer les sociétés indiennes. Pour les blancs du XVIIème siècle, l indien c est d abord une curiosité qu on exporte parfois jusqu à la cour royale de Londres. La couleur de leur peau et leur langage incompréhensible intriguent les colons. Ce qui les frappent surtout c est le retard des sociétés indiennes. L écriture leur est inconnue tout comme la métallurgie. Ils n ont pas inventé la roue et jusqu à l arrivée des anglais ils n avaient jamais vus de chevaux. Le seul animal domestique qu ils connaissent c est le chien. 1

Toutes ces tribus, notamment les indiens des grandes plaines, dépendaient de la chasse aux bisons dont on estime qu au XVIIIème siècle environ soixante millions parcouraient les prairies des Appalaches jusqu aux Montagnes Rocheuses. De nombreuses légendes présentent les bisons comme étant les représentants de certaines divinités qui les auraient placés sur terre pour aider les peuples Indiens à mieux vivre. Des visionnaires indiens spécialisés connaissaient les chants et les danses sacrés qu il fallait accomplir pour assurer leur retour périodique et une chasse abondante. Par ailleurs, le crâne de bison est considéré comme l un des objets les plus sacrés, toujours utilisés dans bon nombre de cérémonies religieuses. Les chevaux ont donc été amenés sur le continent américain par les occidentaux. La rencontre des indiens avec les chevaux transforma grandement leur mode de vie. Entre 1720 et 1784 le cheval fait son apparition dans les plaines du Nord et il devient un allié précieux dans la chasse aux bisons. Le fait de posséder un cheval, ou même de le domestiquer ce sont d ailleurs les indiens qui sont à l origine de ce sport très américain qu est le rodéo est un signe de richesse et de puissance. Les colons ne savent rien de la richesse, ni de la diversité des civilisations indiennes. Ils ne cherchent d ailleurs nullement à s informer. Ils sont persuadés de leur supériorité technologique et spirituelle. Les indiens ne sont pour eux que des païens aux mœurs de primitifs. Il est établi que les indiens sont eux aussi des immigrants. Ils sont venus d Asie, ont franchi le détroit de Behring, par bandes à partir de 50 000 ans avant J.C et ce, jusqu au XIIème siècle de notre ère. Les traces de ces déplacements ont été conservées et c est surtout grâce à l archéologie qu on peut produire un récit forcément lacunaire de leurs déplacements. La diversité des sociétés indiennes d Amérique du Nord laisse rêveur. On pense qu il y avait près de 2000 langues parlées par les tribus indiennes. Ce qui fait que ces tribus ne se comprennent pas les unes les autres et cette floraison de dialectes ne va pas non plus les aider à se réunir contre la menace des blancs qui va peu à peu se dessiner. Quelques éléments de la sagesse indienne : S il faut évoquer leur sagesse traditionnelle, il y a des points qui sont communs à la plupart des tribus. D abord la religion naturelle des indiens c est le chamanisme. Les indiens croient qu une partie de l énergie spirituelle de l univers ce que les Indiens Algonquins nomment le manitou habite dans chaque objet, dans chaque être. Les êtres et les choses de l univers sont classés en deux grandes catégories : les animés et les inanimés. En adressant 2

leurs prières aux vents, à la lune, au soleil, aux bisons, les Indiens s adressent en fait aux représentations du grand esprit ou à des esprits subalternes qui contrôlent les nations animales, végétales ou minérales. Un rituel important de la religion des Indiens d Amérique du Nord c est la «sweatlodge» ou bain de vapeur. En faisant une sweatlodge, les indiens pensent qu ils participent à la respiration de l Univers, à la création et au renouveau de la vie. On dresse une tente, on installe un foyer au milieu où sont déposé des pierres brûlantes, Puis de l eau, dans laquelle on a macéré des plantes médicinales, est versée sur les pierres et la vapeur qui s en dégage sert à purifier à la fois le corps et l esprit. La «sweatlodge» permet de se nettoyer en profondeur, c est un moment propice aux prières, aux rencontres avec les esprits, aux visions. Une autre pratique très ancienne c est la danse du soleil qui se produit généralement au tout début de l été. Les «danseurs du soleil», choisi parmi les jeunes indiens en âge de se battre, avaient fait vœu, généralement au moment d une expédition guerrière particulièrement dangereuse, d accomplir cette cérémonie en se soumettant à certaines pratiques d automutilation. La plus connue c est le piercing mais les scarifications, au niveau des bras ou de l abdomen, pouvaient aussi en faire partie. C était le rite d initiation par excellence qui marquait le passage à la vie adulte. Danser face au soleil c était signifier sa bravoure devant l astre qui pour les indiens représentait la manifestation la plus pleine du grand esprit. C était aussi le moment ou se nouaient des possibilités de mariages. Les anciens se réunissaient pour décider quelle compagne méritait d appartenir au jeune guerrier. Il y avait là tout un jeu d alliances, de pouvoir, qui pour le coup n est pas un trait spécifique de la culture indienne. Les Sioux et les Cheyennes n ont pas inventés le mariage arrangé. Une autre tradition indienne que nous connaissons aussi, grâce au cinéma, c est l usage du calumet. Communément appelée «pipe sacrée», le calumet est fait d un long tuyau sculpté qui peut être orné de plumes, de perles ou de cuir, le calumet représente la synthèse de la doctrine religieuse des amérindiens. Il est l instrument rituel sur lequel s appuie leur vie spirituelle et sociale. Le rite du calumet est une prière qui engage les participants à respecter l univers, tout particulièrement la Terre Mère. La symbolique du calumet vise à attirer l attention des Esprits sur les humains engagés dans cet acte religieux. La fumée du tabac considérée comme une émanation de l essence divine se répand de la pipe jusque dans la poitrine des fumeurs, puis dans tout l univers jusqu au Grand Esprit, réaffirmant l interdépendance qui lie tous les êtres de la création et obligeant chacun des participants à respecter le serment sacré qui les lie au Grand Esprit. 3

Puisque tout est lié, tout est langage. La religion indienne est une religion qui repose sur les présages, le moindre vol d un faucon ou le simple cri d un aigle est considéré comme un signe que seuls les visionnaires de la tribu ont le pouvoir de traduire. Les croyances et les pratiques de type chamanique impliquent que des passages entre le monde des êtres humains et celui des êtres surnaturels sont possibles, mais réservés à des spécialistes, soit des sorciers, soit des visionnaires. Ils sont les représentants de la parenté cosmique qui unit toutes les créatures et toutes les choses de l univers. Leur rôle est de veiller à ce que soit maintenu un équilibre harmonieux entre toutes les forces de la nature. Quelques mots sur ces fameux visionnaires, ils ont d étranges modes de vie, sont parfois sujets à des convulsions qui, au lieu d effrayer, renforcent encore leurs pouvoirs sacrés. Aujourd hui on les prendrait pour des fous, des gens dérangés. Dans une société chamanique, comme l a très bien relevé une romancière comme Christiane Singer, le fou est intégré à la tribu, les indiens estiment que son esprit fiévreux est connecté avec les réalités invisibles. Les indiens ont d étranges compréhensions, les hommes qui dans les tribus indiennes, s habillent en femmes, sont très appréciés par leurs compatriotes. Même sur un plan religieux, si ces hommes sont inversés c est que le Grand Esprit l a voulu et qui oserait s opposer aux décisions du Grand Esprit. Ils ont eux aussi une place dans tout l éventail des danses sacrées. Les fous et les travestis ont donc leur place au sein des tribus, ils font partie de la sphère religieuse. Les colons et les indiens : premiers contacts Ce sont d abord les indiens situés le plus à l Est qui vont, les premiers, faire connaissance avec le nouvel arrivant britannique. Ce n est pas une aire culturelle qui sépare ces deux civilisations, c est un gouffre. Un gouffre qui va alimenter une incompréhension profonde, d autant plus profonde que les anglais estiment qu ils n ont aucuns devoirs vis-à-vis des indigènes. Dans les premières années de la colonisation les anglais sont dénués de tout. Ils manquent de nourriture, comme ils ne sont pas agriculteurs ils ne connaissent pas les techniques pour tirer quelque chose du sol et ils meurent en grand nombre. Si les indiens du coin avaient voulu massacrer les puritains séparatistes de Plymouth, si Pohawtawn avait voulu repousser les compagnons du capitaine John Smith, ils n auraient eu aucun mal. C est l inverse qui se produit. Pour leur futur malheur et malgré quelques incidents liés à la barrière de la langue, les indiens ont commencés par sauver de la mort les nouveaux venus. Là-dessus 4

tous les témoignages concordent. A commencer par celui du capitaine John Smith qui, en 1607, au moment ou la colonie de Jamestown est affaiblie par la faim et les maladies, écrit : «Il plut à Dieu dans notre malheur d inciter les indiens à nous apporter du grain qui était alors à moitié mûr, et de nous restaurer alors que nous nous attendions à ce qu ils nous détruisent ( ) Nos provisions s étant épuisés en 20 jours, les indiens nous apportèrent une grande quantité de grain et de pain tout préparé, ainsi qu une grande abondance de gibiers des rivières qui restaurèrent nos constitutions affaiblies. Plus tard ils commercèrent amicalement avec moi et mes hommes, nous fournissant du poisson, des huîtres, du pain et du daim, tout en n ayant aucun doute sur mes pensées, non plus que moi sur les leurs». Drôle de phrase pour finir qui traduit bien la méfiance instinctive qui s établit entre deux sociétés qui n ont pas grand-chose en commun. Mais à l époque de John Smith le véritable héros de Virginie est une héroïne : la princesse Pocahontas qui aida les colons à plusieurs reprises. En 1607, le capitaine John Smith est fait prisonnier par les indiens. C est difficile de démêler ce qui relève du fait historique ou de la légende mais l histoire est la suivante : on traîne le capitaine Smith devant le roi Pohawtawn qui décide de le mettre à mort. Alors Pocahontas intercède devant son père en faveur de l Anglais qui sera finalement grâcié. Pocahontas devient l héroïne de Jamestown et restera à jamais une sorte d icône de l Amérique naissante. Elle épouse un colon, John Rolfe, à qui elle fait connaître la culture du tabac, ce qui assure la prospérité de la colonie. Mas épouser un colon c est aussi embrasser sa religion. Pocahontas est d office convertie au christianisme, elle devient Lady Rebecca. Et en 1616 elle se rend en Angleterre où elle est reçue par la Reine. Les échanges avec les indiens seront fructueux dans un premier temps. Les indiens sont d excellents connaisseurs des cours d eau de la région et de la manière de se déplacer en hiver malgré la neige qui tombe à foison. Ils enseignent aux colons comment construire des canots en écorce de bouleau, comment marcher sur la neige grâce à des raquettes, comment atteler des chiens à des traineaux. Et en plus ils vont faire la fortune des nouveaux arrivants en approvisionnant l Europe occidentale en fourrures. Le castor est en effet l une des grandes richesses du Nouveau Monde et l Europe offre les perspectives d un marché presqu illimité. Si les pères pèlerins de Plymouth ont pu, en 1633, se libérer de leurs dettes à l égard de la métropole c est grâce au commerce des fourrures. Mais cette prospérité fait découvrir aux indiens quelque chose qui n était pas dans leur mentalité : la valeur d une marchandise calculée en fonction de l offre et de la demande. Mais les contacts sociaux et commerciaux entre ces deux civilisations vont dégénérer en conflit avec la question que va poser l occupation de la terre. Les Anglais sont dans une 5

position contradictoire. D une part ils affirment que la terre est vacante, qu ils l occupent au nom du roi d Angleterre et qu ils en ont pris légitimement possession. D autre part l exemple de William Penn qui rachète la Pennsylvanie aux indigènes pousse les Anglais à admettre que les Indiens ont des droits sur le sol. Pour les indiens autant il y a diversité de tribus, autant il y a diversité de position sur la propriété foncière. Ainsi chez les Hurons, un individu peut posséder et défricher autant qu il veut, la propriété du sol reste dans sa famille, à condition toutefois que celle-ci continue à en assurer l exploitation. Si la famille cesse de cultiver le sol, une autre famille a le droit de s en emparer. En revanche pour les colons un achat est définitif. Il ne confère aux anciens occupants aucun privilège, surtout si ces derniers ne sont pas chrétiens. En outre les colons recourent à l argument de l utilisation : une terre qui n est pas mise en valeur par celui qui s en déclare le propriétaire n appartient en fait à personne. C est la théorie du Vacuum domicilium qui trouve sa source dans la Bible et notamment le Livre de la Genèse (Gn 1, 28). Comme a pu l écrire le puritain John Winthrop, celui là même qui va fonder la ville de Boston : «Les indigènes de la nouvelle Angleterre ne clôturent aucune terre. Ils n y construisent aucune habitation. Ils n y élèvent pas de bétail qui puisse améliorer le sol. En conséquence, ils n ont aucun droit naturel sur ces contrées. Si nous leur laissons ce qui est suffisant pour leur usage, nous pouvons légalement prendre le reste. Il y en a assez pour eux et pour nous». Ce que les colons ne comprennent pas c est que pour les indiens, les terres sont d abord et avant tout des territoires de chasse. La notion de propriété privée à l anglaise n a pas de sens pour la plupart d entre eux. La terre c est d abord la mère nourricière, si certains d entre eux cultivent à l occasion, la plupart d entre eux sont des chasseurs. Mais si les colons ne comprennent pas les indiens c est que fondamentalement ils les méprisent. Qu ils ne respectent ni leurs comportements, ni leur croyances. Qu ils jugent inexistants leurs structures politiques et sociales. Pour les britanniques les indiens n ont ni foi, ni loi et ils vivent dans l anarchie la plus complète. Il va de soi que les indiens ne partagent pas ce point de vue. L historien Philippe Jacquin rapporte dans son livre sur L histoire des indiens d Amérique du Nord ce propos d un chef Sioux datant du XIXème siècle : «Nous étions un peuple sans loi, mais nous étions en très bons termes avec le Grand Esprit, créateur et maître de toutes choses. Vous présumiez que nous étions des sauvages. Vous ne compreniez pas nos prières. Vous n avez pas essayé de les comprendre. Lorsque nous chantions nos louanges à la lune, au soleil ou au vent vous nous traitiez d idôlatres. Sans 6

comprendre, vous nous avez condamnés comme des enfants perdus, simplement parce que notre religion était différente de la notre». Fléaux et révoltes : Un autre facteur va aussi expliquer l affaiblissement des sociétés indiennes ce sont les maladies qu apportent avec eux les blancs. Dès qu ils entrent en contact avec les européens, les indiens sont atteints par la variole, la rougeole, la varicelle, le choléra ou la fièvre écarlate. Toutes affections qui étaient mortelles il y a trois siècles. En plus les indiens n ont développés aucune défense immunitaire contre des maladies qu ils ne connaissaient pas. La rougeole va tuer ainsi trois hurons sur quatre. Et la fragilité des tribus indiennes ne s atténuera pas tout au long du XVIIIème siècle. Bien au contraire elle s accentue au fur et à mesure que les européens pousseront vers l Ouest. Les indiens sont dotés d un système immunitaire qui convient à leur environnement. Ils ont même su combattre, par le recours aux plantes, le scorbut, ce qui provoque l émerveillement des marins européens. Mais ils n étaient nullement préparés à un pareil choc biologique. Evidemment ces épidémies sont vues par les colons comme un signe du ciel pour légitimer leur présence dans ces territoires. Un autre historien, André Kaspi rapporte les propos d un chroniqueur qui exprime le sentiment qui prévaut chez les blancs : «Dieu mit fin à la controverse en envoyant la variole chez les indiens». Ce qui ne signifie pas que les puritains n ont pas aidés les malades. Ils ont même, dans certains cas, adopté les orphelins. Mais si les indiens succombent c est que Dieu protège les puritains et leur a réservé le droit de s installer en Amérique. John Winthrop écrira encore : «Si Dieu n était pas satisfait de nous voir occuper ces contrées, pourquoi chasserait-il les indigènes? Et pourquoi fait-il de la place pour nous, en réduisant leur nombre au moment ou le notre croit?» Dans le même esprit, André Kaspi évoque le greffier du tribunal de Charlestown qui aura ce commentaire : «Sans ce coup, terrible et extraordinaire, que Dieu vient de porter aux indigènes, nous aurions eu beaucoup plus de difficultés à trouver de la place et nous aurions du acheter la terre beaucoup plus cher». On ne peut pas dire que la compassion étouffe les colons quand ils commentent ainsi le sort des Indiens. La mort des indiens, sans même avoir à les combattre, quelque part c est une bonne affaire! 7

Un autre fléau va s avérer encore plus destructeur c est l alcoolisme. Les marchands européens ont tendance à encourager l addiction à l alcool, non seulement parce que l alcool est un produit qui rapporte, mais aussi parce qu on sait bien qu un interlocuteur ivre finit par accepter n importe quoi. Les indiens qui là aussi ne connaissent rien des effets de l alcool n ont pas non plus de résistance face à l ivresse. Les témoins sont parfois éberlués, le rhum coule à flot dans les campements Indiens, les indiens boivent jusqu à tomber ivres morts, d autres réclament à cor et à cri les «eaux fortes» dont on peut imaginer sans peine la médiocre qualité. Au final l alcool a probablement fait plus de victimes parmi les indiens que la variole ou toutes les autres maladies. Le déclin des valeurs spirituelles suit tout naturellement l affaiblissement des corps. Tous ces fléaux conjugués conduisent les tribus à s interroger sur les fondements spirituels de la civilisation indienne. Est-ce que ces maux viennent de l abandon des valeurs traditionnelles? Pourquoi les sorciers, les medecine men ne parviennent-ils plus à guérir? Comment expliquer que les blancs soignent avec plus d efficacité? Est-ce que cela veut dire que leur Dieu est plus puissant que le Grand Esprit ou que leurs prières sont mieux entendues? Voilà des questions dont profitent les missionnaires chrétiens qui parcourent le territoire Indien à la recherche de nouveaux catéchumènes et ridiculisent grâce à leurs connaissances les pratiques des sorciers qui ne comprennent rien aux maladies importées par les européens. Ce prosélytisme surprend les indiens car il est contraire à leur mentalité. Les subtilités dogmatiques, ce qui distingue les catholiques des protestants, voire même ce qui différencie les différentes confessions protestantes relève d une manière de penser qui leur est incompréhensible. Beaucoup d Indiens se convertissent pour faire plaisir à un missionnaire, pour acquérir les pouvoirs dont il paraît investi, parfois aussi pour profiter des avantages matériels acquis car il y a de l argent à la clef pour les nouveaux convertis. La conversion est une des obsessions des colons. De tous les colons d ailleurs, ce n est pas propre aux américains. Un espagnol ou un français aurait pu aussi dire cette phrase fameuse d un puritain du Massachussetts qui vient d apprendre que des indiens ont été tués et qui écrit ceci au chef de la troupe qui les a abattus : «Comme il aurait été heureux si vous en aviez converti quelques uns avant de les tuer». Mais pour être franc le prosélytisme des missionnaires n a que peu pénétré les tribus indiennes. Les indiens qui se convertissent sont une minorité. Pour la plupart des indiens le christianisme apparaît comme un corps étranger qu ils rejettent de toutes leurs forces. Cette résistance ne va pas vraiment plaire aux puritains. Ceux-ci vont mener en 1637, dans la vallée 8

du Connecticut une guerre sans merci contre les indiens Péquots. Cette guerre se termine par l extermination complète des Péquots. Les chroniqueurs puritains ne font grâce d aucuns détails dans le récit de cette guerre comme s il s agissait pour eux d un autre combat entre les hébreux et les philistins. Au terme du carnage «les vainqueurs offrirent leurs prières à Dieu qui avait œuvré si merveilleusement pour eux». La tuerie des indiens a été longtemps justifié sur le plan théologique par les puritains qui restent dans une vision, propre à l Ancien Testament, d un dieu qui manifeste d abord ses préférences sur les champs de bataille. Mais les tribus indiennes ne sont pas non plus unies entre elles. Elles se divisent à l occasion des guerres entre les Français et les Anglais au moment de la guerre de 7 ans. Les indiens choisissent leurs camps en fonction de leurs intérêts politiques ou commerciaux. Ils deviennent alors en quelque sorte des mercenaires qu on paie suivant le nombre de scalps rapportés de la bataille et qui atteste de leur ardeur militaire. Comme une preuve de bonne volonté guerrière que les indiens doivent fournir aux blancs. Mais ce conflit a prouvé une chose aux Indiens : les blancs ne sont pas honnêtes, ils ne servent que leurs intérêts. C est l époque aussi où les prophètes font leurs apparitions, l un d entre eux, un sorcier Cheyenne, peut-être le plus célèbre, qu on appelle Sweet Médecine déclara notamment : «Mahéo, le Créateur, prit de la boue et modela une personne, puis il souffla dans sa bouche ce qui lui donna vie. Autrefois les cheyennes vivaient sous terre dans une grande caverne, quand un jour ils aperçurent la terre au loin. Ils découvrirent une ouverture et sortirent sur la terre ( ) Des temps sont venus ou beaucoup de choses changeront. Des étrangers appelés «Hommes de la terre» s installeront parmi vous. Leur peau est claire et leurs manières sont puissantes. Leurs cheveux sont coupés courts et ils ne parlent pas une langue indienne. N imitez rien de ce que font ces hommes mais conservez vos propres usages, tel que je vous les ai enseignés, aussi longtemps que vous le pourrez. A la fin, le bison disparaîtra et un nouvel animal prendra sa place, un animal avec une longue queue et des sabots fendus, et dont vous devrez apprendre à manger la chair. Mais avant, il aura un autre animal que vous devrez apprendre à utiliser. Il a un cou couvert de longs poils et une queue qui touche presque le sol. Ses sabots sont ronds. Cet animal vous portera sur son dos et vous aidera de multiples façons. Les collines éloignées qui semblent n être qu une vision bleue dans le lointain sont aujourd hui à plusieurs journées de voyage ; mais avec cet animal, vous y serez en un court instant. Aussi ne le craignez pas, souvenezvous de ce que je vous ai dit» 9

Ces propos ont pour but de galvaniser les indigènes. Un enthousiasme purificateur doit préparer le retour à l indianité, à la renaissance des valeurs purement indiennes parmi les tribus qui se seront débarrassées des missionnaires, de l alcool et de tous les fléaux que les blancs ont apportés avec eux. Les prophètes indiens se font itinérants, ils vont d une tribu à l autre précher la révolte contre les occidentaux. L un d entre eux, Néolin, influencera le jeune chef de la tribu Ottawa, Pontiac, qui suivait les recommandations du maître de la vie qui lui intimait l ordre de rejeter tous les blancs dans l océan. Pontiac fit une guerre efficace contre les blancs à tel point que le roi Georges III, au lendemain de la guerre de 7 ans, décida de créer le territoire indien dont les colons n avaient pas à franchir la limite. Cette mesure était destinée à apaiser le climat avec les indiens dont on craignait qu ils se regroupent car vers 1760 ils demeuraient encore bien plus nombreux que les blancs. Mais on sait que cette mesure n apaisa pas les esprits des colons et fut une étape décisive dans la marche vers l indépendance. L indépendance des Etats-Unis ne fut pas bénéfique aux deux catégories de la population américaine qui avaient été tenus à l écart de la société coloniale : à savoir les noirs et les indiens. A la suite de la guerre les états puritains du Nord abolirent l esclavage mais la plupart hormis la Pennsylvanie refusèrent d admettrent les noirs affranchis parmi les citoyens de droit. Le sort des indiens se trouva aggravé à la suite de l Indépendance. Car beaucoup de nations indiennes s étaient rangées du coté de Georges III. Considérés comme sauvages, ils furent implicitement traités comme nations étrangères par la Constitution, et tenus pour hostiles par le pouvoir exécutif qui plaça les relations avec les tribus sous la tutelle du ministère de la guerre. Et bien sur on commença à lorgner sur ce territoire Indien dont Georges III, en 1768, avait interdit l accès aux colons. Le gouvernement fédéral développa la théorie du droit de conquête permettant de s approprier de nouvelles terres sans indemniser leurs propriétaires dont la nature de sauvages ne pouvaient en faire des propriétaires légitimes. Un peu plus tard, désireux de satisfaire la demande des pionniers qui affluaient dans les territoires au-delà des Appalaches le gouvernement du nouveau président Thomas Jefferson considéra la question indienne sous deux angles différents : soit les indiens acceptent de se civiliser et, après avoir cédé leurs terres, vu qu ils ne les ont pas mises à profit, se fondraient dans la masse des citoyens américains ; ou bien, s ils refusent l assimilation, ils cèdent la place et s en vont au-delà du Mississippi dans ce qu on considérait au tout début du XIXème siècle comme le «Grand désert américain» cette région des Grandes plaines qui sera prise d assaut à son tour, au lendemain de la guerre de sécession, vers 1865-1880, pendant ce 10

qu on a appelé the Gold Rush : la ruée vers l or. Inutile de dire que les tribus indiennes n acceptèrent pas ce déni de justice qui les condamnaient à quitter leurs terres sacrées, là où étaient enterrés les ancêtres de leurs nations. Les tribus indiennes se regroupèrent et affrontèrent l armée du Congrès qu elles vainquirent en 1790. Mais ces premières victoires ne furent qu un feu de paille. En 1795 la confédération indienne fut écrasée à Fallen Timbers et les tribus se virent contraintes de céder une immense portion de territoire lors du traité de Greenville la même année. Malgré l exhortation en 1812 du président Madison qui, en s adressant eux indiens, les exhortait ainsi : «Vendez vos terres, adoptez l économie agraire, défaites-vous de vos coutumes tribales et vous pourrez devenir citoyens américains» C est l idée qu avait formulée Jefferson d un déplacement des populations qui semble alors la seule solution au problème indien. Expansion et massacres : Solution provisoire car l expansion américaine ne fait que commencer. Les Etats-Unis ont atteint leurs frontières actuelles par grands bonds successifs. La Louisiane est rachetée aux Français en 1803. Puis il y eut la guerre avec le Mexique pour la possession du Texas, les mexicains voyant d un mauvais œil la venue de protestants dans une région à majorité catholique. Le massacre de la garnison de fort Alamo, qui vit la mort du célèbre trappeur Davy Crockett n empêcha pas la proclamation de l indépendance de l état du Texas le 2 mars 1836. Entre 1845 et 1848, les américains étendent leur domaine sur le Golfe du Mexique et dans l Ouest jusqu à l Océan pacifique. Bientôt l Alaska sera rachetée à la Russie. A l origine de cette expansion territoriale, il y a un sentiment nationaliste très vif. Il y a aussi la naissance du capitalisme industriel avec deux personnages qui deviennent probablement les deux personnes les plus riches du pays : Andrew Carnegie et John D. Rockfeller. Carnegie, d abord, qui se lance dans l aventure du chemin de fer en imaginant une ligne ferroviaire qui puisse relier l Atlantique au Pacifique. Evidemment des rails doivent être posés pour couvrir cette immense distance, et comme on veut faire des économies sur la main d œuvre, ce seront les émigrants chinois, à peu près aussi méprisés que les indiens ou que les noirs, qui seront affectés à cette tâche. Inutile d ajouter que la vie d un poseur de rails chinois ne vaut pas grand-chose. Mais Carnegie n en a cure, il diversifie ses activités, il se lance dans la sidérurgie et dans le charbon. Et il publie même un livre à 54 ans pour expliquer aux riches ce qu ils doivent faire avec leur argent. C est le temps de ce qu on appelle l Evangile de la 11

richesse. Rockfeller quant à lui fore son premier puits de pétrole en 1859 et 20 ans après il possède 95% des sociétés de raffinage américaines. Ce qui est étonnant c est que cette richesse extraordinaire suscite l admiration et rarement la critique. Après tout l Evangile de la richesse triomphe parce qu il rencontre aussi quelque part l inconscient calviniste propre à la mentalité américaine. Il découle aussi d une interprétation du Darwinisme qui est propre à un philosophe anglais qui a pour nom Herbert Spencer. La lutte pour la survie, estime t il, marque l évolution des espèces et imprègne tout autant l espèce humaine. En conséquence, ceux qui l emportent dans la société ce sont les plus forts, les plus doués, les plus méritants. Se battre est une qualité essentielle que le succès vient récompenser. Ce n est rien d autre que la loi de la nature. La thèse de Spencer on l appela le Darwinisme social. En tout cas lorsque Andrew Carnegie, lut pour la première fois Herbert Spencer, il en fut ébloui et rapporta : «Tout d un coup la lumière m inonda et tout fut clair!». Devenir riche ce n est rien d autre que faire fructifier les talents qu Dieu vous a donné à la naissance. Quant à Rockfeller qui vient d un milieu baptiste, s il s exprima peu sur le sujet, le message qu il fait passer est à peu près comparable. Il déclara d ailleurs un jour pour expliquer l origine de son immense fortune : «C est Dieu qui m a donné mon argent!». Avec cette conception de la vie, les indiens constituaient un problème qu il fallait régler. Surtout que leurs terres contenaient maintenant du pétrole, voir de l or, comme la région des Black Hills dans le Dakota, en tous cas des sujets de convoitise pour les pionniers et les capitaines d industries. Pour acquérir ces terres le gouvernement fédéral signa avec les tribus indiennes des traités qui auraient du être considérés comme des contrats imprescriptibles mais que les pionniers violèrent, sans que l autorité publique intervienne comme elle aurait du le faire. Pourtant les tribus indiennes notamment celles du Sud avaient pourtant évolué comme les Cherokee, dans le Nord-Est de la Géorgie, qui s étaient dotés d un alphabet et s étaient convertis à l agriculture sédentaire. Ils avaient mis sur pied un gouvernement et se considéraient comme une nation indépendante de l état. Cela, les blancs de Géorgie ne pouvaient l admettre. Un litige fut déposé devant la Cour Suprême et dans un arrêt intitulé «la nation cherokee contre l état de Géorgie», le président du tribunal, John Marshall, fervent nationaliste, démontra que les tribus indiennes ne constituaient pas une nation, et qu en conséquence elles ne pouvaient intenter un procès devant la Cour Suprême contre un autre état. La solution qui fut adoptée était simple : on déporta les populations Cherokees à l Ouest du Mississippi dans ce qu on appelait alors les limites du territoire indien. 12

Mais ces limites allaient rétrécir au fur et à mesure. Avec l arrivée de nouvelles vagues d immigrants venant d Italie, d Allemagne, d Europe de l Est, avec l essor de la société industrielle, le territoire des Grandes Plaines excitait les envies. Il fallait repousser encore plus loin les indiens, qui pouvaient certes retarder, mais sûrement pas empêcher le peuplement de l Ouest. Plus question d en faire des américains comme les autres, même s ils le voulaient. On estime que l assimilation ne peut plus fonctionner, le langage va changer, on ne parlera plus de territoires indiens mais de réserves indiennes. Les pionniers violent les traités successifs, se livrent à des carnages qui engendrent en représailles d autres carnages. L armée fédérale trop peu nombreuse, ne parvient pas à maintenir l ordre et d ailleurs elle assure avant tout la défense des blancs et de leurs intérêts. Un préjugé néanmoins mérite d être combattu, les chefs militaires n ont jamais recommandé l extermination systématique des indiens. Bien sûr, il y a eu des massacres, perpétrés par les soldats dans les camps indiens comme le fameux raid, en 1868, du général Custer le long de la rivière Washita. Maintenant il est acquis que la célèbre phrase attribuée au général Philip Sheridan, commandant du district du Missouri : «un bon indien est un indien mort» n a en fait jamais été prononcée. En revanche Sheridan a bien tenu le propos suivant : «Plus nous en tuons cette année et moins nous devrons en tuer l année prochaine. Car plus je vois des indiens, et plus je me persuade qu il faut les tuer tous ou ne les maintenir en vie que comme des spécimens de pauvreté». Propos fort peu glorieux, Sheridan avait à juste titre la réputation d un boucher sanguinaire mais son cas reste exceptionnel. Tous les commandants de garnison n eurent pas cette attitude face aux indiens et la plupart des massacres furent perpétrés autant par des milices armés de bons citoyens que par des régiments de cavalerie. Ce qui est clair c est qu on a violé tous les traités de paix établis entre blancs et indiens et que ces violations ont toujours été le fait des blancs ; il est clair aussi que la destruction massive des immenses troupeaux de bisons sillonnant les Grandes Plaines a aussi amené la famine dans les tribus indiennes ; il est clair enfin que le mépris dont on a fait preuve envers les indiens, leurs cultures et leur spiritualité ne pouvaient conduire ces derniers qu à la révolte et à la guerre. La fameuse victoire de Little Big Horn des Sioux et des Cheyennes contre les troupes de Custer ne sera qu un feu de paille qui conduira à des représailles. Les chefs, Sitting Bull et Crazy Horse, seront traqués et assassinés. Le 29 décembre 1890, 500 soldats du 7ème régiment de cavalerie des Etats-Unis, équipé de quatre mitrailleuses, encerclent le camp de Wounded Knee et tirent sur tout ce qui bouge : Bilan : 153 morts parmi les indiens dont 62 femmes et 9 enfants. Cet épisode tragique 13

met un terme définitif aux guerres indiennes. Le colonel Forsyth qui a décidé cette opération est relevé de ses fonctions par son supérieur le général Miles, qui sera désavoué à son tour par le secrétaire à la guerre qui rétablit Forsyth dans son grade et attribue 20 médailles d honneur aux officiers présents lors de cette tuerie organisée. Après cet évènement les indiens accepteront sans condition d être parqués dans les réserves prévues pour eux par le gouvernement fédéral, ils sont devenus pauvres, ils n ont plus d armes, ils souffrent de la faim, ils tentent de préserver tant bien que mal leurs racines et leur sagesse traditionnelle. En tant que nation, en tant que peuple ils n existent plus. Le temps de l auto-célébration : La même année le recensement de 1890 a montré que la Frontière, cette zone de peuplement occupée par les nations indiennes, n existe plus. Et un historien Frédérick Jackson Turner en tire les conséquences dans un très long article paru en 1893 demeuré si célèbre que John Fitzgerald Kennedy le citera en 1961 pour justifier la conquête spatiale. Avec son essai Frederick Jackson Turner devient le théoricien officiel de l idéologie expansionniste. Il élabore la théorie de la frontière selon laquelle la disponibilité de terres non encore colonisées pendant la plus grande partie de l'histoire des États-Unis constitue le facteur le plus déterminant pour expliquer le développement national. La vie dans les régions pionnières, les nouvelles possibilités qui en découlent entraînent la modification des vieilles traditions, obligent les institutions à s'adapter au changement et amènent la société à devenir plus démocratique, alors même que les distinctions de classe s'effondrent. Il en résulte une société américaine unique, distincte des vieilles nations européennes dont elle est issue. Turner ne fait au fond que prolonger le Credo des puritains qui considéraient l Amérique comme une terre qui leur avait été donnée par Dieu pour régénérer la civilisation de la vieille Europe corrompue et se fourvoyant dans ses erreurs religieuses. Le destin des indiens n occupe guère de place dans les considérations de Turner. L Amérique est devenu un immense pays, un pays bien plus puissant et prospère que n auraient pu l imaginer les Pères de l indépendance américaine. En 1893 les Etats-Unis sont fiers de ce qu ils sont devenus, ils sont amoureux de leur jeune histoire, ils célèbrent Buffalo Bill le massacreur de bisons et vénèrent la figure héroïque de Custer tué par les sauvages à Little Big Horn. Mais qui sont vraiment les sauvages? Si l on veut s essayer à la métaphore biblique, avec le traitement réservé aux indiens et aux noirs l Amérique a elle aussi commit son péché originel. Elle n en a pas encore conscience à la fin 14

du XIXème siècle, loin s en faut. Mais un demi-siècle va passer et sa mauvaise conscience va refaire surface. Les Etats-Unis vont découvrir alors qu ils sont un pays peuplé de fantômes. 15