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Transcription:

Bulletin de Mémoire et Vigilance, Association Serge Smulevic N 4 Janvier 2010 Prochaine assemblée de l'association : Samedi 30 janvier 2010 de 10 h. à 12 h. salle rue de l'échelle du temple, à Soissons Les adhérents qui habitent loin sont invités à nous transmettre leurs idées, projets et suggestions. Voir en dernière page : comment aider l'association. Ordre du jour : La diffusion du projetaffiche : où en est-on. Projet de présentation du documentaire de Marc Tavernier Projet d'outil d'intervention pédagogique. @@@@@@@@@@ Retrouvez les numéros précédents et tous les renseignements sur l'association sur la page du site : http://www.memoire-juive.org /memoireeetvigilance.htm @@@@@@@@@@ Sur le site internet de Serge Smulevic L'histoire de Serge Smulevic, ses récits, ses poèmes, ses dessins... sont aussi accessibles sur son site : www.smulevic.com La page d'accueil du site. FEUILLETON - 4e épisode - Un jeune juif dans la Résistance L'association porte le nom de Serge Smulevic, ancien déporté d'auschwitz. Dans ce bulletin, nous diffusons des écrits de notre président d'honneur, pour rappeler son parcours et évoquer la déportation. En septembre, nous avons évoqué ses rapports avec sa Pologne natale, en octobre et novembre, sa scolarité au lycée de Thionville puis aux Beaux-Arts à Strasbourg. Voyons à présent la période 1939-1942. Fin juin 1939 j ai terminé mes études à l école des Beaux-Arts de Strasbourg après l obtention de mon diplôme. Et je suis rentré à Thionville chez mes parents pour y passer mes vacances. Au mois d août les bruits de guerre commencèrent à s amplifier et mon père prit la décision de quitter Thionville trop proche de l Allemagne et nous sommes partis pour... Vichy, mon père ayant décidé d y faire une cure. Puis vint la déclaration de guerre, suivie de la «drôle de guerre», suivie de l invasion allemande. [Étant à Vichy, la famille Smulevic n'a pas connu l'exode. Pétain installe son gouvernement dans la ville et entame sa politique de collaboration après Montoire.] Et les brimades envers les Juifs commencèrent très rapidement. Assez curieusement les Juifs demeurant à Vichy ne furent pas inquiétés les deux premières années 1940 et 1941. J avais 18 ans et je cherchais du travail. J ai vite trouvé une place de vendeur dans un magasin de radios et disques «La Boîte à musique» dont le propriétaire Henri Brétinier avait découvert Tino Rossi dont il était resté l ami. Un jour j ai dû aller livrer un poste de radio à une cliente qui habitait à l'hôtel «Parc et Majestic» ( où résidait également le le gouvernement français). Cette cliente était la comtesse de Souza d Antasse qui m offrit le café et m expliqua qu elle avait acheté cet appareil de radio parce qu il avait les ondes courtes et qu elle pouvait ainsi écouter Radio-Londres (la BBC) et écouter l émission du général de Gaulle «les Français parlent aux Français» puis elle me donna un gros pourboire et en sortant de l'hôtel j ai vu passer Pierre Laval qui était le 1 er ministre de Pétain. Un jour je fis la connaissance d une très jolie fille, et nous devînmes vite amoureux l un de l autre. Elle me présenta à ses parents ; son père avait une entreprise de plâtrerie. Je suis vite entré chez lui et il m apprit le métier de plâtrier, fort intéressant. Je travaillais avec lui et nous avons fabriqué la maquette en plâtre du barrage électrique de Saint Étienne Cantalès. J ai appris chez lui à faire des moulages de masques mortuaires et autres travaux artistiques très intéressants. Puis nous avons décidé de nous fiancer sa fille et moi, avec la bénédiction des parents, et j entrais un peu plus dans leur intimité. J appris ainsi qu il avait été sous les ordres de Pétain en 1914-1918 en tant que majordome. Qu il pleurait la défaite de l armée française et n avait aucune confiance en Pétain en tant que dirigeant de la France. Il savait que j étais juif et était tout à fait disposé à me cacher en cas de nécessité. Il s appelait Pierre Gélineau. Sa femme était italienne et la maman de sa femme habitait au-dessus de l atelier de plâtrerie, une fort belle maison ancienne. C était la vraie mamma italienne, toujours vêtue de noir, et fabriquant une fabuleuse cuisine italienne authentique, que je ne connaissais pas et à laquelle je pris vite goût. De la polenta, des pâtes succulentes et des - 1 -

FEUILLETON Un jeune juif dans la Résistance (suite) gâteaux de Gênes merveilleux. On allait tous très souvent déjeuner chez elle. Un jour,c était au début 1941, elle nous invita pour déjeuner et nous demanda de très bien nous habiller ayant un invité très important. Et on vit arriver un homme assez jeune, très maigre, en soutane agrémentée de broderies violettes et elle nous présenta son cousin, Monseigneur Pacelli, cardinal au Vatican, et frère cadet du sinistre Pape Pie XII. Les mois passaient et ma fiancée Carmen et moi sommes allés choisir nos vêtements pour notre mariage. C était fin 1941. Mes parents très contrariés par mes fiançailles avec une non-juive avaient rompu toutes relations avec moi et avaient quitté Vichy pour s installer en Dordogne, dans une petite localité : Terrasson. Au début 1942, la chasse aux juifs commença à Vichy et mes futurs beaux-parents durent me cacher dans un petit village près de Vichy. Mais les langues se déliaient et on sut vite qu un Juif se cachait là, et qu il travaillait en cachette dans une entreprise de plâtrerie à Vichy. Et mes futurs beaux-parents prirent peur et je fus prié d aller rejoindre mes parents Nous nous quittâmes en larmes, en se promettant de se retrouver plus tard. J arrivais donc à Terrasson chez mes parents ravis de me revoir débarrassé de ma fiancée non-juive... La mort dans l âme, je me remis à chercher du travail. Terrasson était vraiment une toute petite localité où tout le monde se connaissait. Un jour, je fis la connaissance d un monsieur originaire de Paris, qui n était autre que Raymond Chanel, ancien directeur de la Gaieté Lyrique de Paris. Il vivait dans une superbe propriété à Cublac, à 3 km de Terrasson, où il avait installé un élevage de poulets en batterie, de la race Leghorn et il cherchait un régisseur pour s occuper de son élevage. Et je me suis porté candidat et il m a engagé. Il m apprit comment soigner les poulets, leur faire des piqûres dans le bréchet contre les parasites et je devins vite un très bon régisseur. Le dimanche suivant mon embauche, arriva la sœur de Raymond Chanel, avec son mari, propriétaires de la firme Citram, les taxis de Bordeaux. C'était une femme énorme qui mangeait comme quatre et connaissait tous les vins. Elle restait des heures devant les fourneaux à cuisiner et préparer des plats incroyables. Jamais je n ai mangé comme ça en temps de guerre! Ils avaient évidemment les moyens d acheter tout ce qu ils voulaient au marché noir. Puis, la chasse aux juifs commença également dans toute la région, et Raymond Chanel m annonça qu il ne pouvait plus me garder. Je retournais chez moi et trois jours plus tard je fis la connaissance d un ancien capitaine de l armée française, Bertrand Merly, qui avait une très belle propriété dans le haut de Terrasson et qui cherchait un dessinateur pour illustrer une grammaire de la langue d oc qu il avait créée. J entrais chez lui comme dessinateur. Jamais je n ai été aussi heureux. Je mangeais à table avec lui. Il ne se privait de rien. Il avait un immense poulailler, des dindes, des pintades un verger fabuleux avec des fruits que je ne connaissais pas : des kakis, délicieux! Petit à petit je commençais à oublier Carmen Puis les gendarmes français reçurent l ordre d arrêter les jeunes juifs en âge de travailler. Bertrand Merly me cacha chez son frère, l abbé Soleil, à quelques km de Terrasson, mais ce dernier entreprit de me convertir, non pas pour me sauver des Allemands mais pour faire de moi un vrai catholique. Alors je suis parti de chez lui et je suis retourné chez mes parents, qui prirent peur pour moi. Ma mère qui avait des relations que je ne soupçonnais pas le moins du monde, me présenta un monsieur, vêtu d une combinaison bleue, et qui dirigeait un petit mouvement de résistance dans la région. Et j ai commencé à vivre dans la forêt, à apprendre le maniement d armes à feu, à apprendre aussi tous les procédés pour maquiller des cartes d identité, faire des faux-papiers et surtout à crever de faim. Nous avions une vieille voiture, une Citroën, traction-avant 11 CV avec laquelle on allait dans des petits villages, braquer une mairie pour rafler les tickets d alimentation, et c est ainsi qu on pouvait se procurer du pain, de la margarine et un peu de charcuterie. [En 1942, les Allemands occupent la zone libre. Les difficultés s'aggravent pour les Juifs.] Le temps des rafles va commencer. Dessin réalisé par Serge Smulevic en 1945. Prochain épisode : Mon arrivée dans la famille Dupuy à Lalet, où ces braves gens me cachent et où je deviens gardien de moutons! Je viens, miraculeusement de retrouver les enfants de Georges Dupuy qui m avait donné sa carte d identité que j'avais transformée pour en faire : Georges Dupayard. Serge Smulevic A Orléans, une exposition du CERCIL (Centre d'études et de Recherche sur les Camps d'internement du Loiret) : Le sauvetage des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale et les formes de résistance CRDP d'orléans, 55 rue ND de Recouvrance, du 18 janvier au 5 février 2010-2 -

Nouvelle rubrique dans ce bulletin. Nous nous intéressons aux films qui peuvent aider à prendre mémoire, en commençant par le plus ancien sans doute : Nuit et Brouillard, d'alain Resnais, 1955. «Qui de nous veille de cet étrange observatoire»? Dominique Natanson Je vais passer Nuit et Brouillard aux 3ème C. Ils arrivent en ordre dispersé. Ils sont «comme d habitude». Pas moi. Ils se bousculent un peu en entrant dans la classe. Une élève, voyant le téléviseur sur sa table roulante, lance le classique : «On va regarder la télé, monsieur?». Un autre : «Il paraît qu on va voir quelque chose d horrible. Les autres nous l ont dit». Il est comme émoustillé, avec un grand sourire. Il ne comprend pas pourquoi je n accueille pas son exclamation en lui renvoyant une «blague-carambar», une «vanne» comme nous en échangeons habitude. Il n a visiblement pas compris vraiment ce que lui a dit cet élève d une autre troisième qui a déjà vu le film ; il ne se rend pas compte que son attitude m irrite au plus haut point et accroît mon malaise. Après un silence, je saisis la balle au bond : «Cette séance de travail n est en effet pas comme les autres. Je ne sais pas si j ai raison de vous montrer ce film. L histoire du XXe siècle comporte des moments très durs. Tous les ans, je me pose la question de savoir si j ai le droit de choquer ainsi des élèves de Troisième. Je crois cependant qu il faut que vous sachiez ce qui s est passé.» Les élèves hochent la tête comme s ils voulaient signifier qu ils souhaitent entrer dans cette connaissance délitante, cette «connaissance inutile» aurait dit Charlotte Delbo (1). A l exception d un ou deux garçons plus immatures que la moyenne, ils ont déjà adopté un visage grave dont ils ne se départiront pas. Leur adhésion diminue mon malaise, sans le faire disparaître. Je peux poursuivre : «Vous ne prendrez pas de notes aujourd hui. Si des images vous gênent, vous pouvez fermer les yeux ou même sortir de la classe.» J ajoute : «Cette semaine est pour moi la plus difficile de l année scolaire parce que je vais voir quatre fois cette vidéo avec les quatre classes de Troisième. Ne vous étonnez pas si je ne regarde pas la totalité du film. J ai du mal à le supporter». Professionnel? Tout en parlant, je me fais des reproches. Ne suis-je pas en train de me servir de mon prestige d adulte pour leur faire accepter cette plongée dans l horreur? Ils me savent d origine juive. Certains d entre eux ont lu, sur la quatrième de couverture d un livre (2), une présentation rapide du drame familial de la déportation des miens. La pression affective que j exerce sur eux est-elle déontologiquement acceptable? J ai obtenu ainsi leur adhésion à mon projet : leur faire voir Nuit et Brouillard. Il faut maintenant que je revienne à la raison de ma présence parmi eux : les faire accéder à une connaissance, fût-elle traumatisante. Je dois professionnaliser ma prestation. Alors, je leur donne rapidement quelques clés pour comprendre l architecture du film. Sa date, les sources : images en noir et blanc datant d avant 1947, images en couleur tournées dans les ruines d Auschwitz. Je leur demande de bien repérer la coupure de 1942 : avant, des camps de concentration ; ensuite s ajoutent les camps d extermination. J écris dates et mots au tableau. J explique les mots «Revier (3)», «kapo» et «latrines» qu ils ne connaissent pas. Et je lance la cassette Un film essentiel, plutôt décrié aujourd hui Je me suis installé à une table du premier rang, tournant presque le dos à l écran. Je connais ce film par cœur. Si je perds le fil quelques instants, un mot capté au vol suffit pour réamorcer dans mon esprit l une des magnifiques phrases de Jean Cayrol. La magie désespérée du film de Resnais continue de faire effet. Mes élèves sont attentifs comme jamais. J observe leurs visages. Les mains sont souvent sur la figure, pour tenir la tête, prêtes à cacher les yeux. Deux filles assises sur une table du fond ont rapproché leurs visages, presque à se toucher. Un - 3 -

garçon du premier rang a posé la tête sur la table, sur ses mains, dans une attitude que d ordinaire je n admettrais pas. Bien sûr, je repère une nouvelle fois dans le film les passages les plus contestables : cette photo censurée du camp de Pithiviers, où un coin noir masque la présence d un gendarme français, par exemple. Je remarque à nouveau que le mot «juif» n est prononcé qu une seule fois, au moment où il est question de «Stern, étudiant juif d Amsterdam» et que cela fait bien peu Je connais ces critiques et j ai parfois essayé de changer de support. J ai ainsi fait entendre le témoignage de ce coiffeur de Tel-Aviv (4) qui autrefois coupait les cheveux des femmes dans la chambre à gaz même. Je suis toujours revenu à Nuit et Brouillard, malgré ses défauts. Peut-être à cause de la musique troublante du commentaire de Jean Cayrol, dont je me doute pourtant qu il est en partie inaccessible à certains de mes élèves. «Nous qui feignons de reprendre espoir devant cette image qui s éloigne» La fin du film approche : «Je ne suis pas responsable, dit le Kapo. Je ne suis pas responsable, dit l officier. Alors qui est responsable?» Intolérables images de charniers. Haut-le-cœur de beaucoup d élèves. Depuis cette année, je leur communique par écrit les dernières phrases du film, ces phrases qui me hantent, ces phrases à relire plus tard. «Qui de nous veille de cet étrange observatoire pour nous avertir de la venue des nouveaux bourreaux? Ont-ils vraiment un autre visage que le nôtre?» Je me prépare à me lever pour éteindre rapidement le magnétoscope, juste après le mot «FIN». «nous qui ne pensons pas à regarder autour de nous, et qui n entendons pas qu on crie sans fin.» Voilà, c est fini. Le silence se prolonge, profond. Mon appel à des questions, à des réactions restera pratiquement sans réponse. Une relance autour du «Qui est responsable?» n obtiendra guère plus d écho. Alors, je remplis le silence de quelques phrases presque chuchotées qui racontent la déportation de la famille soissonnaise des Wajsfelner, dont le collège porte le nom. La sonnerie arrive comme une délivrance. Reconstruire du sens sur ces ruines-là? Il y a désormais un acquis commun à la classe, un vécu commun. Cette projection a joué un rôle déclencheur d une réflexion intérieure. Une année scolaire doit être composée de quelques moments forts qui bousculent les équilibres stagnants et ouvrent des accès au savoir. C est du moins ainsi que je rationalise, en bon constructiviste. Le test sur le chapitre «Le nazisme» sera axé sur l acquisition de connaissances précises : différencier Gestapo / SS / SA, camps de concentration / camp d extermination ; dater précisément les Lois de Nuremberg L émotion que j ai contribué à susciter ne doit pas envahir tout et remplacer une connaissance structurée : «Je ne veux pas que vous me disiez seulement qu Hitler était un méchant personnage». L émotion doit être dépassée. J y insisterai avec davantage de rigueur que d habitude. Pour compenser? Devoir de vigilance L histoire n est pas seulement étude du passé ; elle est aussi outil de compréhension du présent. Plus encore qu un devoir de mémoire qui s imposerait de façon un peu écrasante sur une génération, il existe un devoir de vigilance citoyen. La dernière partie du cours sur le nazisme présentera la problématique : «L extrême-droite constitue-t-elle toujours un danger?». Un recueil d articles de presse, d extraits du programme et des déclarations du Front National sera le point de départ d une recherche des concepts communs à toutes les extrêmes-droites : culte du chef, rejet de la démocratie, racisme en général et antisémitisme en particulier, natalisme et place subordonnée des femmes Des points communs apparaîtront : quelques différences aussi qui ne permettent pas d assimiler complètement un populisme teinté d antisémitisme au national-socialisme. La notion de «négationnisme» sera expliquée, en «détail». Le prof aura repris son rôle de «conseiller technique» des apprentissages, qui aide à organiser la lecture des documents et la réalisation des tâches assignées. Une complicité muette demeure dans la gravité sombre qui préside au travail des élèves. Nuit et Brouillard a permis de délimiter l espace d un mal extrême. Peut-être au prix d une blessure inguérissable dans notre confiance en l humanité. Qui de nous veille de cet étrange observatoire pour nous avertir de la venue des nouveaux bourreaux? Cet article a paru dans la revue Les Cahiers Pédagogiques (n 379 de décembre 1999) NOTES : (1) Charlotte Delbo, Auschwitz et après, tome II, Une connaissance inutile, Éditions de Minuit, 1970. (2) Dominique Natanson, La Mémoire Juive en Soissonnais, Association «Mémoires», Soissons, 1992. (3) «Revier» : L «infirmerie» (avec beaucoup de guillemets) des camps. (4) Dans Shoah de Claude Lanzman. - 4 -

Participez au projet d'affiche de l'association L'ASSOCIATION Mémoire et Vigilance se donne pour but de perpétuer la mémoire du génocide juif et tsigane. Elle veut agir dans la société actuelle, à l'heure où beaucoup de témoins ont disparu, pour rappeler ce qui s'est passé dans les camps d'extermination et porter sa vigilance contre tous les racismes. LE PROJET est ouvert aux élèves de collège et de lycée, et particulièrement aux classes de 3ème et de 1ère. Il n'est pas limité aux élèves français et peut comporter du texte dans toute langue. Il s'agit d'illustrer le thème de la mémoire et de la vigilance, dans une image, photo, dessin, création. La production doit tenir dans un carré de 21 cm de côté. Cette production viendra en position centrale dans des affiches éditées par l'association. Il est recommandé d'éviter d'utiliser de façon trop agressive des symboles nazis : l'association ne souhaite pas diffuser partout des croix gammées... UN DESSIN de Serge Smulevic, ancien déporté d'auschwitz et président d'honneur de l'association, peut servir de point de départ de la réflexion des élèves. Vous pouvez les trouver sur son site internet : http://www.smulevic.com LE RESULTAT 1) Plusieurs projets seront utilisés dans des affiches de l'association. 2) Ces affiches seront données aux élèves et classes participantes 3) Les projets feront l'objet d'expositions publiques. Pour participer, envoyez votre réalisation avant le 30 avril 2010 à : Association Mémoire & Vigilance 21 rue de l'échelle du temple 02200 SOISSONS (France) - 5 -

Montage réalisé par la photographe Joëlle Verbrugge, La troisième photo montre le bras tatoué de Serge Smulevic Comment aider l'association Mémoire & Vigilance? E en diffusant autour de vous le projet d'affiche, en collège et en lycée E en nous communiquant les informations sur la mémoire dans votre région : manifestations, expositions, commémorations... E en nous indiquant des lectures, des films, des sites sur la mémoire du génocide, l'antiracisme et l'antifascisme E en écrivant un article pour le prochain numéro de Mémoire & Vigilance E en diffusant les numéros de notre publication Mémoire & Vigilance, et, pour cela, en vous connectant au site http://www.memoire-juive.org /memoireeetvigilance.htm E en adhérant à l'association E en faisant un don à l'association J'adhère à «Mémoire & Vigilance, association Serge Smulevic» : Prénom : Nom : Adresse : Ville : Code postal : Adresse e-mail : @ Téléphone : Je verse ma cotisation annuelle (5, lycéens, étudiants, chômeurs, handicapés, précaires : 2 ). Je verse un don de. Contact par e-mail : contact@memoire-juive.org A renvoyer à Mémoire & Vigilance : 21 rue de l'échelle du temple 02200 SOISSONS. - 6 -