COUR D'APPEL DE PARIS 1ère Chambre Section A ARRÊT DU 20 OCTOBRE 2004 Numéro d'inscription au répertoire général : 03/04049 Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Décembre 2002 - Tribunal de Grande Instance de PARIS. (1ère chambre, 3ème section) RG n 2001108798 APPELANT AU PRINCIPAL ET INTIME INCIDEMMENT : CENTRE HOSPITALIER SPECIALISE DE LANNEMEZAN Route de Toulouse 65300 LANNEMEZAN représenté par Me Alain RIBAUT, avoué à la Cour assisté de Me MAROT, avocat au barreau de Paris, plaidant pour la SCP FARTHOUAT ASSELINEAU et Associés, R 130 INTIME AU PRINCIPAL ET APPELANT INCIDEMMENT : Monsieur Christian MENVIELLE assisté de son curateur l'udaf des Hautes Pyrénées représenté par Me Lionel MELUN, avoué à la Cour, assisté de Me VAILLANT, avocat au barreau de PARIS, toque P 502 Aide juridictionnelle Totale numéro 2003/22656 du 22/07/2003 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Paris INTIME AU PRINCIPAL ET APPELANT INCIDEMMENT : Monsieur L'AGENT JUDICIAIRE DU TRÉSOR PUBLIC Bâtiment Condorcet TELEDOC 353 6, rue Louise Weiss 75703 PARIS CEDEX 13 représenté par M. BURET Suppléant de la SCP JOBIN, avoués à la Cour assisté de Me GALLOT LE LORIER, avocat remplacé à l'audience par Me SIAD, avocat au barreau de PARIS, plaidant pour la SELARL FLECHEUX toque P 502 INTIMEE AU PRINCIPAL ET INCIDEMMENT :
2 VILLE DE TARBES Place Jean Jaurès 65000 TARBES représentée par la SCP GARRABOS-GERIGNY-FRENEAUX, avoués à la Cour assistée de Me CAILLE, avocat au barreau de TARBES COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 07 Septembre 2004, en audience publique, devant la Cour composée de : M. GRELLIER, président, présidant M. DEBÛ, président M. SAVATIER, conseiller qui ont délibéré, Greffier lors des débats : Mme RIGNAULT Ministère public : représenté lors des débats par Mme TERRIER-MAREUIL, substitut général, qui a fait connaître son avis ARRÊT : - contradictoire - prononcé publiquement par M.GRELLIER, président. - signé par M.GRELLIER, président et par Mme RIGNAULT, greffier présent lors du prononcé. Le 17 mai 1988, les services de police furent sollicités pour intervenir à Tarbes alors que Monsieur Christian Menvielle ramenait son fils Pierre, âgé de neuf ans, au domicile de sa mère. Il fut alors conduit au commissariat, où il resta jusqu'au lendemain. Le 18 mai 1988, le maire de Tarbes requit le directeur du centre hospitalier de Lannemezan d'admettre M. Menvielle en urgence dans son établissement et prit à son encontre une mesure de placement provisoire en vertu de l'article L 344 du code de la santé publique dans sa rédaction alors applicable et résultant de la loi du 30 juin 1938. Le 3 juin 1988, le Préfet des Hautes Pyrénées prescrivit son maintien au centre hospitalier Lannemezan et son placement d'office sur le fondement de l'article L.343 du code de la santé publique. Par arrêté du 11 août 1988, le préfet mit fin à l' internement d'office de l'intéressé, lequel quitta l'établissement le lendemain 12 août. Par décision définitive du 17 Février 1993, le tribunal administratif de Pau a prononcé l'annulation des arrêtés susvisés, l'arrêté municipal du 18 mai 1988 pour défaut de motivation, l'arrêté
3 préfectoral du 3 juin 1988 pour n'avoir pas fait référence à l'état mental de M. Menvielle, en sorte que la démonstration par l'administration de la situation d'urgence n'était pas établie. Le 29 avril 1994, M. Menvielle a saisi le tribunal de grande instance de Paris d'une action en réparation du préjudice consécutif à son internement. La juridiction judiciaire ayant retenu sa compétence, contrairement à ce que soutenait le Préfet, le Tribunal des conflits a, le 5 mars 1999, annulé l'arrêté du préfet de Paris en date du 17 juin 1996. Par arrêt du 5 mars 1999, cette cour a rejeté l'exception d'incompétence territoriale invoquée par le centre hospitalier et a renvoyé au tribunal de grande instance de Paris la connaissance de l'affaire. Selon jugement, assorti de l'exécution provisoire, prononcé le 9 décembre 2002 par le tribunal de grande instance de Paris, la ville de Tarbes, l'agent judiciaire du Trésor et le centre hospitalier spécialisé de Lannemezan ont été condamnés, les deux premiers, à payer chacun à M. Menvielle la somme de 4.000 à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice moral résultant, d'une part, des irrégularités de procédure ayant entraîné l'annulation de l'arrêté municipal et du défaut de notification de la décision de placement provisoire, d'autre part des irrégularités de procédure ayant entraîné l'annulation de l'arrêté préfectoral et du défaut de notification de la décision préfectorale de placement, le troisième, la somme de 9.500 en réparation du préjudice moral résultant de l'absence d'information sur les voies de recours, soit 1500 et 8000 en réparation du préjudice résultant du maintien d'une mesure de placement d'office non médicalement justifié ; les défendeurs à l'action ont été en outre condamnés in solidum à payer à M. Menvielle la somme de 4.500 au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Ceci exposé Vu l'appel formé par le Centre hospitalier de Lannemezan à l'encontre de ce jugement ; Vu les conclusions en date du 30 août 2004 par lesquelles M. Menvielle demande la confirmation partielle du jugement sauf à faire droit à son appel incident et à dire que son arrestation et ses placements provisoire et d'office sont illégaux et abusifs et qu'il convient de condamner solidairement l'agent judiciaire du Trésor, la ville de Tarbes et le centre hospitalier spécialisé de Lannemezan à lui verser la somme de 122.000 euros toutes causes de préjudice confondues ; Vu les conclusions en date du 31 août 2004 de l'agent judiciaire du Trésor tendant : - principalement à l'irrecevabilité de l'udaf des Hautes Pyrénées, ès qualité de curateur de M. Menvielle et à l'irrecevabilité de l'action de M. Menvielle, par application des dispositions des articles 32 et 117 du nouveau code de procédure civile, - subsidiairement, par appel incident, à l'infirmation du jugement, au mal fondé des prétentions de ce dernier, l'interpellation et le placement de l'intéressé répondant aux conditions de l'article L.343 du code de la santé publique - encore plus subsidiairement à dire que l'indemnisation de M. Menvielle est symbolique, Vu les conclusions en date du 31 août 2004, par lesquelles le Centre hospitalier de Lannemezan poursuivant l'infirmation du jugement, demande à la cour de dire qu'il n'a commis aucune faute de
4 nature à engager sa responsabilité et de débouter M. Menvielle de ses demandes à son encontre et de le condamner à lui payer la somme de 1.525 au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Sur quoi, la cour, Considérant, sur la capacité à agir de M. Menvielle, contestée par l'agent judiciaire du Trésor, que le demandeur à l'action, engagée le 29 avril 1994, a été placée le 28 juin 2001 par le juge des tutelles de Tarbes sous le régime de la curatelle, l'u.d.a.f. des Hautes Pyrénées étant désignée en qualité de curateur ; que même si le jugement déféré a été prononcé alors que la curatelle avait déjà été instituée, l'intervention de l'u.d.a.f. seulement en cause d'appel, venant au soutien des intérêts de M. Menvielle, prive de pertinence le moyen d'irrecevabilité, invoqué par l'agent Judiciaire du Trésor, tiré du défaut de capacité à agir de M. Menvielle ; Considérant, sur le fond, qu'en des motifs pertinents que la Cour fait siens, le tribunal s'est livré à une exacte relation de la procédure qui a conduit à l'annulation des mesures de placement d'office et des faits qui en sont le soutien ; Considérant, néanmoins, que l'annulation des décisions administratives est suffisante à consacrer, contrairement à l'opinion développée par l'agent judiciaire du Trésor, le Centre hospitalier de Lannemezan et la ville de Tarbes, et sans qu'il y ait lieu de rechercher si la mesure de placement d'office était médicalement justifiée, l'atteinte à la liberté individuelle, étant ici de surcroît observé que toute description, par un médecin, de l'état mental et psychiatrique de l'intéressé postérieurement à la mesure de placement d'office est sans influence sur la validité de cette mesure ; Considérant que M. Menvielle relève ainsi à juste titre que le défaut de titre autorisant l'internement, en l'espèce établi et décrit par le premier juge revêt un caractère attentatoire à la liberté individuelle qui ne se confond pas avec l'examen du caractère nécessaire ou non de la mesure de placement d'office; qu'en effet les arrêtés en cause sont réputés n'avoir jamais été pris, ce qui prive de tout fondement légal l'internement de l'intéressé ; Considérant que M. Menvielle fonde exclusivement sa demande de réparation du préjudice subi du fait de son internement (conclusions du 30 août page 17) sur les dispositions de l'article 5-5 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'homme qui dispose que "toute personne victime d'une arrestation ou d'une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation" ; Considérant que l'annulation des arrêtés préalables à l'internement de M. Menvielle, comme le défaut de notification de ces mesures par les autorités auxquelles il incombait de le faire, y compris le Directeur du Centre hospitalier de Lannemezan ouvre le droit à réparation prévu par ledit article 5-5 de la C.E.D.H. ; Considérant que l'internement de M. Menvielle est imputable tant au maire de Tarbes, qu'au préfet des Hautes Pyrénées et au Centre hospitalier de Lannemezan, chacun ayant concouru à l'internement d'office en raison du défaut de motivation des arrêtés pris par ces autorités et du défaut de notification des mesures privatives de liberté subies, durant deux mois par M. Menvielle ;
5 Considérant qu'au vu des éléments du dossier, la cour possède des éléments suffisants d'appréciation pour fixer à la somme de 20.000 euros le montant du préjudice total subi du fait de son internement par M. Menvielle ; qu'il convient de condamner in solidum les défendeurs à l'action au paiement de cette somme ; Par ces motifs : - Infirme le jugement, et statuant à nouveau, - Rejette le moyen d'irrecevabilité tiré de l'incapacité à agir de M. Menvielle; - Condamne in solidum la Ville de Tarbes, l'agent judiciaire du Trésor et le Centre hospitalier de Lannemezan à Payer à M. Menvielle la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts ; - Les condamne in solidum au versement d'une somme de 5.000 euros au titre des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridictionnelle ; - Les condamne aux entiers dépens et admet Maître Melun au bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile. LE GREFFIER LE PRESIDENT