SUR LA RECEVABILITÉ. de la requête No 29263/95 présentée par Colette DEWET contre la France

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Transcription:

SUR LA RECEVABILITÉ de la requête No 29263/95 présentée par Colette DEWET contre la France La Commission européenne des Droits de l'homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 26 février 1997 en présence de Mme MM. G.H. THUNE, Présidente J.-C. GEUS G. JÖRUNDSSON J.-C. SOYER H. DANELIUS F. MARTINEZ M.A. NOWICKI I. CABRAL BARRETO D. SVÁBY P. LORENZEN E. BIELIUNAS E.A. ALKEMA Mme M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 30 juin 1995 par Colette DEWET contre la France et enregistrée le 16 novembre 1995 sous le No de dossier 29263/95 ; Vu les rapports prévus à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 20 août 1996 et les observations en réponse présentées par la requérante le 12 novembre 1996 ; EN FAIT Après avoir délibéré, Rend la décision suivante : La requérante est une ressortissante française, née en 1953. Elle est actuellement détenue à la maison d'arrêt de Châlons-sur-Marne (Marne). Devant la Commission, elle est représentée par Maître Guy Marteau, avocat au barreau de Reims. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le 25 mars 1994, la cour d'assises des Ardennes condamna la requérante et P.C. à 19 ans de réclusion criminelle chacun et à 10 ans de privation de leurs droits civils, civiques et de famille, pour le meurtre de C.L., commis le 31 mai 1987 à Bazeilles (Ardennes). Lors du procès, les accusés étaient assistés par deux avocats. Le 26 mars 1994, la requérante se pourvut en cassation.

Le 21 avril 1994, la requérante déposa une demande d'aide juridictionnelle auprès du bureau d'aide juridictionnelle établi près la Cour de cassation. Le 27 avril 1994, ledit bureau prononça l'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Le même jour, le président de l'ordre des avocats au Conseil d'etat et à la Cour de cassation désigna Maître B. pour assister la requérante. Le 29 septembre 1994, Maître B. informa le président du bureau d'aide juridictionnelle qu'après examen du dossier, il concluait à l'absence de moyen sérieux de cassation. Le 9 novembre 1994, le bureau d'aide juridictionnelle rejeta la demande de la requérante, faute de moyens sérieux de cassation relevés contre la décision critiquée, conformément aux dispositions de l'article 7 de la loi du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique. Cette décision fut notifiée à la requérante, qui en accusa réception le 18 novembre 1994. Le 5 avril 1995, à l'issue d'une audience qui se déroula en l'absence de la requérante, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta son pourvoi après avoir relevé qu' "aucun moyen n'était produit tant par la demanderesse que par l'avocat désigné au titre de l'aide juridictionnelle après examen du dossier". La Cour constata en outre que "la procédure est régulière et que la peine a été légalement appliquée aux faits déclarés constants par la cour et le jury". Droit et pratique interne pertinents A. L'admission à l'aide juridictionnelle résulte de la loi n 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, et de son décret d'application du 19 décembre 1991 : a. Le bureau d'aide juridictionnelle Les demandes d'admission à l'aide juridictionnelle sont examinées par des commissions, dénommées bureaux d'aide juridictionnelle, et composées d'hommes de loi, de représentants de l'etat et d'usagers (article 12 et suivants de la loi du 10 juillet 1991). Le bureau établi près la Cour de cassation est présidé par un magistrat du siège de cette cour, en activité ou honoraire. Il comporte en plus deux membres choisis par la Cour de cassation, deux avocats au Conseil d'etat et à la Cour de cassation, un représentant du ministre chargé du budget, un représentant du ministre chargé de l'aide sociale et un membre désigné au titre des usagers (article 16 du décret du 19 décembre 1991). b. L'admission provisoire à l'aide juridictionnelle Dans le cas d'urgence, ou lorsque la procédure met en péril les conditions essentielles de vie du requérant, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par le président du bureau, ou la juridiction compétente (article 20 de la loi, et articles 62 et suivants du décret). En outre, il résulte d'une pratique spécifique, instaurée par le bureau d'aide juridictionnelle près la Cour de cassation, que l'admission provisoire est systématiquement accordée en matière pénale aux condamnés qui forment un pourvoi, afin de leur permettre de bénéficier effectivement d'une assistance juridique. En tout état de cause, le bureau d'aide juridictionnelle n'est pas lié par la décision d'admission provisoire, et il peut refuser l'aide juridictionnelle après une admission provisoire. c. La désignation de l'auxiliaire de justice

Devant la Cour de cassation, c'est le président de l'ordre des avocats au Conseil d'etat et à la Cour de cassation qui désigne l'avocat chargé de prêter son concours au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle. En cas d'admission provisoire, le bureau d'aide juridictionnelle près la Cour de cassation a mis en place un mécanisme, visant à adresser à l'avocat désigné un mémorandum, que celui-ci est invité à retourner dans les quinze jours qui suivront la mise à sa disposition du dossier par le greffe criminel, et dans lequel il donne son avis sur l'existence éventuelle d'un moyen sérieux de cassation. Après réception de l'avis de l'avocat sur l'existence d'un moyen de cassation sérieux, le bureau d'aide juridictionnelle délibère sur la demande d'aide. Si le bureau d'aide juridictionnelle ne peut relever aucun moyen de cassation sérieux, l'aide juridictionnelle est refusée (article 7 de la loi). d. Le recours contre les décisions du bureau Les décisions statuant sur les demandes d'admission provisoire sont sans recours. En revanche, les décisions définitives peuvent faire l'objet d'un recours, notamment par le demandeur lui-même, dans le mois à compter de la notification de la décision (article 23 de la loi et articles 55 et suivants du décret). En matière de cassation, il résulte des articles 7 et 23 de la loi du 10 juillet 1991 que le demandeur peut exercer un recours contre la décision de refus d'octroi de l'aide juridictionnelle, lorsque ce refus est motivé par l'absence de moyen de cassation sérieux. L'exercice de ce recours n'interrompt pas les délais de procédure devant les juridictions répressives. B. Code de procédure pénale Article 584 : "Le demandeur en cassation, soit en faisant sa déclaration, soit dans les dix jours suivants, peut déposer, au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée, un mémoire, signé par lui, contenant ses moyens de cassation. Le greffier lui en délivre un reçu." Article 585 : "Après l'expiration de ce délai, le demandeur condamné pénalement peut transmettre son mémoire directement au greffe de la Cour de cassation (...)." GRIEF La requérante se plaint de n'avoir pas bénéficié d'une défense effective pour l'examen de son pourvoi en cassation et invoque l'article 6 par. 3 c) de la Convention. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La requête a été introduite le 30 juin 1995 et enregistrée le 16 novembre 1995. Le 12 avril 1996, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur, en l'invitant à présenter par écrit des observations sur sa recevabilité et son bien-fondé. Le Gouvernement a présenté ses observations le 20 août 1996, après une prorogation du délai imparti. Le 12 novembre 1996, la

requérante informa la Commission qu'elle ne désirait pas répondre aux observations du Gouvernement défendeur. EN DROIT La requérante se plaint de n'avoir pas bénéficié d'une défense effective dans la procédure devant la Cour de cassation et invoque l'article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) de la Convention, qui se lit comme suit : "Tout accusé a droit notamment à se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent." Le Gouvernement défendeur excipe à titre principal du nonépuisement des voies de recours internes. Il relève que, par décision du 9 novembre 1994, le bureau d'aide juridictionnelle rejeta définitivement la demande présentée par la requérante, alors que celleci avait bénéficié d'une aide juridictionnelle à titre provisoire depuis le 27 avril 1994. Or il résulte des articles 7 et 23 de la loi du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique, que le demandeur peut exercer un recours contre la décision de refus d'octroi de l'aide juridictionnelle, lorsque ce refus est motivé, comme ce fut le cas en l'occurrence, par l'absence de moyen sérieux de cassation. Toutefois, la requérante n'a pas formé de recours contre cette décision, pas plus qu'elle n'a présenté de mémoire personnel devant la Cour de cassation. A titre subsidiaire, le Gouvernement soutient que la requête est manifestement mal fondée. Tout d'abord, selon le Gouvernement, la requérante a bien bénéficié de l'assistance gratuite d'un avocat indépendant vis-à-vis des magistrats. Il s'agit de Maître B. qui a été désigné le 27 avril 1994 par le président de l'ordre des avocats au Conseil d'etat et à la Cour de cassation. Après avoir procédé à l'étude du dossier, l'avocat a conclu à l'absence de moyen de cassation sérieux, et c'est la raison pour laquelle il n'a pas déposé de mémoire. Or les dispositions de la Convention ne permettent pas à l'accusé d'imposer à son avocat de soulever des moyens que ce dernier jugerait inopérants, le conseil restant maître du choix de ses arguments. Par conséquent, si Maître B. a estimé qu'il n'y avait pas de moyen sérieux de cassation à faire valoir, et n'a donc pas produit de mémoire ampliatif, la requérante ne saurait pour autant être admise à en conclure que son droit à une défense effective a été violé par une carence des autorités judiciaires. En outre, le Gouvernement estime que les intérêts de la justice n'exigeaient pas, en l'espèce, la poursuite de l'aide dont la requérante a bénéficié initialement. En effet, l'examen de la procédure antérieure au pourvoi en cassation formé par la requérante montre que celle-ci a bénéficié d'un procès équitable, conformément aux dispositions de l'article 6 (art. 6) de la Convention. En outre, la Cour de cassation n'est pas une instance d'appel et son rôle dans l'ordre juridique interne se limite au rappel de la loi applicable. Enfin, le Gouvernement affirme que la requérante aurait pu présenter ses propres moyens de défense devant la Cour de cassation, comme n'a pas manqué de le faire, d'ailleurs, le co-auteur de l'infraction, ainsi que le mentionne la Cour de cassation dans son arrêt. Compte tenu, précisément, du caractère provisoire de l'aide juridictionnelle qui lui avait été accordée, la requérante ne pouvait ignorer que cette aide pouvait lui être retirée après examen de son

dossier par l'avocat, et qu'elle devrait alors produire elle-même un mémoire ampliatif, si elle entendait maintenir son pourvoi. En effet, le courrier par lequel le bureau d'aide juridictionnelle notifie à un demandeur son admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle précise toujours que le bénéficiaire peut, en application de l'article 585 du Code de procédure pénale, transmettre lui-même au greffe de la chambre criminelle de la Cour de cassation un mémoire contenant ses moyens de cassation. Par conséquent, si la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la requérante en raison de l'absence de production de moyen, ce rejet ne résulte pas directement du refus de lui octroyer à titre définitif l'aide juridictionnelle. Par ailleurs, le Gouvernement estime qu'il convient de rappeler qu'en vertu d'une doctrine constante de la chambre criminelle de la Cour de cassation, tout pourvoi, même non soutenu, fait l'objet d'un examen par le conseiller-rapporteur. Le rejet du pourvoi n'intervient donc qu'après vérification que la décision attaquée n'est entachée d'aucune violation d'une règle de fond ou de forme d'ordre public, la Cour de cassation disposant de la faculté de relever d'office les moyens tirés de telles violations. En l'espèce, dans son arrêt du 5 avril 1995, la Cour de cassation a, conformément à sa pratique habituelle, pris soin de relever que "la procédure est régulière et que la peine a été légalement appliquée aux faits déclarés constants par la cour et le jury". Ainsi, la requérante a bénéficié d'un contrôle, par la Cour de cassation, de la régularité de la procédure et de la légalité de la peine à laquelle elle a été condamnée, et c'est seulement à l'issue de ce contrôle que son pourvoi fut rejeté. La requérante ne répond pas à ces arguments. La Commission ne s'estime pas appelée à se prononcer sur l'exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement, la requête pouvant être rejetée pour les motifs suivants. La Commission rappelle que le droit de l'accusé à l'assistance gratuite d'un avocat d'office constitue un élément, parmi d'autres, de la notion de procès équitable (voir notamment Cour eur. D.H., arrêts Quaranta c. Suisse du 24 mai 1991, série A n 205, p. 16, par. 27 ; Pham Hoang c. France du 25 septembre 1992, série A n 243, p. 23, par. 39). L'alinéa c) de l'article 6 par. 3 (art. 6-3-c) l'assortit de deux conditions. La première, l'absence de "moyens de rémunérer un défenseur", ne prête pas ici à controverse. En revanche, il y a lieu de rechercher si les "intérêts de la justice" commandaient d'accorder à la requérante une telle assistance et, dans l'affirmative, d'examiner si l'assistance apportée à la requérante répondait aux exigences de l'article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) de la Convention (voir mutatis mutandis Cour eur. D.H., arrêts Boner et Maxwell c. Royaume-Uni du 28 octobre 1994, série A n 300 B et C, p. 74, par. 36 et p. 96, par. 33). La Commission relève tout d'abord que la requérante a été condamnée à une peine sévère. Elle constate en outre qu'il ne ressort pas du dossier si la requérante possède ou non des connaissances juridiques suffisamment étendues pour avoir déposé un mémoire personnel devant la Cour de cassation. Par conséquent, la Commission estime, compte tenu notamment de l'enjeu de la procédure, que les "intérêts de la justice" commandaient que la requérante soit assistée d'un avocat d'office, seul compétent pour rechercher efficacement l'existence éventuelle de moyens de cassation. La Commission doit donc s'assurer que l'assistance dont a bénéficié la requérante, dans le cadre de l'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle, répondait aux exigences du paragraphe 3 c) de l'article 6 (art. 6-3-c). En l'espèce, la Commission relève que le bureau d'aide juridictionnelle a mis en place un système d'admission provisoire des demandes en matière pénale, afin de ne pas interdire l'exercice des

droits de la défense pendant le délai de vérification des ressources du demandeur. La Commission constate que la requérante a pu obtenir, dès le 27 avril 1994, la désignation d'un avocat au Conseil d'etat et à la Cour de cassation. Elle note que celui-ci, sans attendre la décision définitive du bureau d'aide juridictionnelle, s'est rendu au greffe criminel de la Cour de cassation pour consulter le dossier et qu'après examen de la procédure, il a conclu qu'aucun moyen sérieux de cassation ne pouvait être retenu. La Commission constate dès lors que le bureau d'aide juridictionnelle n'a rejeté définitivement la demande qu'après examen du dossier par l'avocat commis d'office. La Commission estime qu'en tout état de cause l'article 6 (art. 6) ne garantit pas le droit pour le demandeur d'imposer des moyens de défense à l'avocat commis d'office, pas plus qu'il ne garantit le droit à ce que des moyens de cassation soient invoqués y compris lorsque l'avocat à la Cour de cassation commis d'office n'en aurait relevé aucun. Dans une telle hypothèse, le demandeur garde la faculté de déposer un mémoire personnel, ce que la requérante n'a pas fait en l'espèce. La Commission rappelle en outre que les intérêts de la justice ne vont pas jusqu'à commander l'octroi de l'aide judiciaire toutes les fois qu'un condamné, n'ayant aucune chance objective de succès, souhaite relever appel après avoir obtenu en première instance un procès équitable au sens de l'article 6 (art. 6) (Cour eur. D.H., arrêt Monnell et Morris c. Royaume-Uni du 2 mars 1987, série A n 115, p. 25, par. 67). En conséquence, la Commission estime que le refus d'aide juridictionnelle à titre définitif n'a pas porté atteinte au droit de la requérante à un procès équitable, dans la mesure où la requérante a bénéficié d'une assistance effective d'un avocat au Conseil d'etat et à la Cour de cassation, lequel s'est livré à l'examen du dossier pénal en vue de rechercher des moyens de cassation. Le fait que l'intervention de cet avocat rentre dans le cadre d'une admission à titre "provisoire" ne constitue qu'un problème de terminologie qui ne remet pas en cause l'effectivité de l'assistance dont la requérante a bénéficié dans le cadre de son pourvoi en cassation. Il s'ensuit que la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE M.-T. SCHOEPFER Secrétaire de la Deuxième Chambre G.H. THUNE Présidente de la Deuxième Chambre