Jean-Pierre STOULS Avocat AIPPI - 17 juin 2009
LES OBJECTIFS DE LA LOI Constat d une indemnisation de la victime souvent trop faible : système antérieur fondé sur le principe de la responsabilité civile qui est de réparer le préjudice strict : «tout le préjudice mais rien que le préjudice». Manque à gagner (calcul du gain manqué ou en cas de non exploitation: indemnité fondée sur le prix de la licence qu aurait eu à payer le contrefacteur) Perte subie Parfois préjudice moral Apport majeur de la loi: permettre une meilleure indemnisation des victimes par une fonction dissuasive des sanctions civiles sans pour autant admettre le principe de dommages et intérêts punitifs : la directive refuse l introduction des dommages et intérêts punitifs: «Le but est non pas d'introduire une obligation de prévoir des dommages-intérêts punitifs, mais de permettre un dédommagement fondé sur une base objective tout en tenant compte des frais encourus par le titulaire du droit tels que les frais de recherche et d'identification» (consid. 26) Prise en considération du bénéfice réalisé par le contrefacteur.
L application dans le temps de la loi du 29 octobre 2007 Absence de mesures transitoires. Problématique : pour quels faits peut-on invoquer les nouvelles dispositions? C est la loi en vigueur au jour de la commission de l acte qui détermine sa sanction : Les dispositions de la loi ne semblent pas s appliquer car «dans la mesure où des actes de contrefaçon ont été commis avant le 31 octobre 2007, la situation juridique n est plus en cours, elle est fixée : la commission de l infraction emporte en soi son effet, sa sanction même si cette dernière de trouve imposée ultérieurement au travers d un procès engagé après l entrée en vigueur de la loi nouvelle» (A propos de l application dans le temps de la loi de lutte contre la contrefaçon, J.-C. Galloux, D. 2008, p. 302).
«dans la mesure où les dispositions de [la loi nouvelle] tendent à la prise en compte de postes de préjudice qui n étaient pas identifiés auparavant, [les dispositions nouvelles] n ont pas vocation à s appliquer à des faits commis antérieurement à leur entrée en vigueur, [ ] ni les dispositions de la directive ellemême, ni celles de l article 45 de l accord ADPIC, dépourvues d effet direct, ne peuvent davantage servir de référence pour le calcul des dommages et intérêts» (CA Paris 20 mars 2009, n 06/21008). D après ces décisions: pour les actes commis avant le 31 octobre 2007, le régime ancien est applicable ; pour les actes postérieurs, les dispositions nouvelles doivent être retenues. Cependant, selon la Jurisprudence de la CJCE, une directive, même non transposée n est pas sans effet lorsque le délai de transposition est dépassé: les Juges sont tenus d interpréter le droit national à la lumière des règles de la directive (en l occurrence le délai de transposition expirait le 29 avril 2006). (Cf. pour une application pratique: Cour d appel de Lyon, 29 mars 2007 où les Juges ont retenu «le manque à gagner, la récupération du profit illicite, le préjudice immatériel et moral).
METHODES D EVALUATION Alinéa 1 er de la nouvelle rédaction des articles L.615-7, L.716-14, L.521-7 et L.331-1-3 : la juridiction «prend en considération» 3 critères : Les conséquences économiques négatives: manque à gagner + pertes subies Manque à gagner: gain qu aurait réalisé le titulaire en l absence de contrefaçon, il doit être tenu compte de différents éléments de faits : la masse contrefaisante, la durée de l exploitation, l exploitation du droit par le titulaire (grande ou faible place sur le marché, notoriété, ancienneté du titre), l existence de produits concurrents... FORMULE: Gain manqué = (masse contrefaisante + éléments de pondération) x marge brute/nette Pertes subies: autres chefs de préjudice: pertes causées par l atteinte au monopole, dépréciation des investissements, atteinte à la valeur patrimoniale du titre (Cass. Com. 18 mai 1993), banalisation des créations (CA Paris 17 septembre 2008)
Le bénéfice réalisé par le contrefacteur: Principale nouveauté de la loi: les juges doivent tenir compte dans le calcul du préjudice des bénéfices réalisés par le contrefacteur. Brut ou net? En pratique, il sera plus «facile» de démontrer le brut en communiquant le chiffre d affaire réalisé sur la vente de produits contrefaisants Le préjudice moral: Atteinte à l image de l entreprise, à sa réputation, ses valeurs, son crédit ou ses éléments incorporels et en matière de marque la banalisation, l avilissement du titre.
L alternative à l indemnisation «réelle» : le forfait L alternative se trouve dans l alinéa 2 du dispositif légal: «toutefois, la juridiction peut, à titre d alternative, et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l autorisation d utiliser le droit auquel il a porté atteinte». Méthode déjà connue et appliquée par la jurisprudence. Si la partie lésée ne lui demande pas une indemnisation forfaitaire, le juge ne peut pas l attribuer d office (différence avec article 13 de la directive). Le forfait a un minimum légal : il ne peut être inférieur au prix de la redevance que le contrefacteur aurait eu à payer. MAIS il n y a pas de maximum légal, dès lors possibilité de prendre en compte d autres éléments (préjudice moral, avilissement du titre) et/ou d allouer des dommages et intérêts «dissuasifs». Application de cet alinéa 2 quand le titre n est pas exploité ou «quand il peut être difficile de déterminer le montant du préjudice subi» (consid. 26 de la directive)
Exemples pratiques Cour de Cassation 18 novembre 2008 : bien que la loi nouvelle n était pas applicable, la haute juridiction a estimé qu il était du pouvoir souverain des Juges du fond de fixer des dommages et intérêts sur «le manque à gagner, sur la récupération du profit illicite ainsi que sur le préjudice immatériel et moral». Cette position semble être une application avant l heure de la loi nouvelle rappelons que le pourvoi était formé contre un arrêt de la Cour d Appel de Lyon du 29 mars 2007 c est-à-dire sous l empire de l ancien droit. TGI de Nantes 27 mai 2008, PIBD n 879, III, 480 : dans une affaire de dessins et modèles, concernant les demandes d indemnisation de la victime de la contrefaçon, le nouvel article L. 521-7 alinéa 1 était visé. Cependant la juridiction n a évoqué que : - l avilissement de la marque, qu elle n a pas estimé constitué, - son manque à gagner, qu elle a considéré comme étant le principal préjudice. Autrement dit, les prescriptions de la loi nouvelle ne sont pas appliquées strictement.
Les dispositions nouvelles à combiner avec le droit à l information Constats en pratique: difficultés pour la partie lésée de justifier de son préjudice. Faute de justifier du préjudice, attributions forfaitaires par les juridictions des dommages et intérêts en fonction des éléments versés aux débats «Dès lors, en l état des éléments soumis à l appréciation du Tribunal, il y a lieu d allouer à Mme X.. la somme de 10.000 uros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant des atteintes portées à la marque.» (TGI Paris, 30 janvier 2009, PIBD, p.1068) TGI Paris, ordonnance de mise en état, 10 octobre 2008, PIBD n 888, III, 779 : les pièces communiquées étaient insuffisantes pour déterminer le préjudice de la demanderesse. Le défendeur contestait la compétence du juge de la mise dès lors que la contrefaçon n était pas confirmée par une décision de justice. Le juge de la mise en état s est déclaré compétent en précisant que la disposition législative «a pour but, notamment, [ ] de permettre aux juges statuant au fond d évaluer le préjudice subi [ ]. Afin d appréhender l ampleur de la masse contrefaisante, il convient d ordonner à X. de produire tous documents» et qu «enfin, il convient de mettre le tribunal en mesure d évaluer le montant du préjudice [ ] d enjoindre à X. de fournir tous documents comptables, tous catalogues ou toutes brochures permettant d identifier précisément les produits qu il a importés, leur prix d achat ainsi que tous documents justifiant des prix qu il entendait pratiquer aux fins d écouler les produits auprès du public».