SUR LA RECEVABILITÉ de la requête N 22404/93 présentée par Théodore SENINE VADBOLSKI et Anne-Marie DEMONET contre la France La Commission européenne des Droits de l'homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 12 octobre 1994 en présence de MM. Mme MM. S. TRECHSEL, Président H. DANELIUS G. JÖRUNDSSON J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS G.H. THUNE F. MARTINEZ L. LOUCAIDES J.-C. GEUS M.A. NOWICKI I. CABRAL BARRETO J. MUCHA D. SVÁBY M. K. ROGGE, Secrétaire de la Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 8 juin 1993 par Théodore SENINE VADBOLSKI et Anne-Marie DEMONET contre la France et enregistrée le 2 août 1993 sous le N de dossier 22404/93 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; EN FAIT Après avoir délibéré, Rend la décision suivante : A. Circonstances particulières de l'affaire Le premier requérant est de nationalité ukrainienne. Il est né en 1963 à Odessa et est domicilié à Paris. La seconde requérante est une ressortissante française née en 1966 à Limoges, également domiciliée à Paris. Ils sont parents de deux enfants nés respectivement en 1991 et en 1993. Les faits, tels qu'ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit. Le premier requérant entra en France en janvier 1988 après avoir vécu pendant huit années avec sa grand-mère en Grande-Bretagne. A son arrivée sur le territoire français, il demanda le statut de réfugié politique auprès de l'o.f.p.r.a. Par décision du 10 décembre 1990, cette demande fut rejetée. Le 9 décembre 1991, le premier requérant s'adressa au consulat d'u.r.s.s. à Paris afin d'obtenir un extrait d'acte de naissance, indispensable aux termes de l'article 70 du Code civil pour pouvoir se marier.
Par une lettre en date du 20 mai 1992, le consulat l'informa de ce qu'il était impossible de lui délivrer ce document, faute de renseignements dans les archives. Parallèlement, le requérant s'était adressé au Soviet municipal d'odessa qui ne répondit pas. Le 6 août 1992, le premier requérant saisit le président du tribunal d'instance afin de se voir dresser un acte de notoriété destiné à suppléer l'acte de naissance conformément à l'article 71 du Code civil. Par décision en date du 10 mai 1993, le président du tribunal d'instance de Limoges refusa sa demande aux motifs que l'acte de notoriété n'était pas "destiné à remplacer un acte de naissance mais seulement son expédition" et que le requérant n'avait pas établi la preuve qu'un acte de naissance avait été dressé conformément à sa loi d'origine mais que, pour un motif quelconque, il ne pouvait s'en faire délivrer extrait. Il indiqua de surcroît que cet acte de notoriété ne pouvait être établi "que sur la foi de témoins probants et sincères". Il ajouta que si le requérant était réfugié ou apatride, l'o.f.p.r.a. pouvait lui délivrer les pièces suppléant à l'absence d'acte d'état civil et sinon, qu'il convenait "à l'initiative du ministère public de saisir le tribunal de grande instance de son lieu de domicile à l'effet d'obtenir un jugement tenant lieu d'acte de naissance", par application de l'article 55 du Code civil. Cette décision est insusceptible de recours. Entre-temps, le premier requérant s'adressa au consulat d'ukraine, mais il n'obtint pas de réponse. B. Droit interne pertinent Articles du Code civil Article 55 : "Les déclarations de naissance seront faites dans les trois jours de l'accouchement, à l'officier de l'état civil du lieu. Lorsqu'une naissance n'aura pas été déclarée dans le délai légal, l'officier de l'état civil ne pourra la relater sur ses registres qu'en vertu d'un jugement rendu par le tribunal de l'arrondissement dans lequel est né l'enfant, et mention sommaire en sera faite en marge à la date de la naissance. Si le lieu de la naissance est inconnu, le tribunal compétent sera celui du domicile du requérant. (Loi n 93-22 du 8 janvier 1993) En pays étranger, les déclarations aux agents diplomatiques ou aux consuls seront faites dans les quinze jours de l'accouchement. Toutefois, ce délai pourra être prolongé par décret dans certaines circonscriptions consulaires." Article 57 : "L'acte de naissance énoncera le jour, l'heure et le lieu de la naissance, le sexe de l'enfant, et les prénoms qui lui seront donnés, les prénoms, noms, âges, professions et domiciles des père et mère, et, s'il y a lieu, ceux du déclarant. Si les père et mère de l'enfant naturel, ou l'un d'eux, ne sont pas désignés à l'officier de l'état civil, il ne sera fait sur les registres aucune mention à ce sujet. (...)" Article 70 :
GRIEFS "L'expédition de l'acte de naissance remise par chacun des futurs époux à l'officier de l'état civil qui doit célébrer leur mariage est conforme au dernier alinéa de l'article 57 du Code civil, avec, s'il y a lieu, l'indication de la qualité d'époux de ses père et mère ou, si le futur époux est mineur, l'indication de la reconnaissance dont il a été l'objet." Article 71 : "Celui des futurs époux qui serait dans l'impossibilité de se procurer cet acte pourra le suppléer en rapportant un acte de notoriété délivré par le juge du tribunal d'instance du lieu de sa naissance ou par celui de son domicile. L'acte de notoriété contiendra la déclaration faite par trois témoins, de l'un ou de l'autre sexe, parents ou non parents, des prénoms, nom, profession et domicile du futur époux, et de ceux de ses père et mère, s'ils sont connus ; le lieu et, autant que possible, l'époque de sa naissance, et les causes qui empêchent d'en rapporter l'acte. Les témoins signeront l'acte de notoriété avec le juge du tribunal d'instance ; et s'il en est qui ne puissent ou ne sachent pas signer, il en sera fait mention." Article 72 : "Ni l'acte de notoriété, ni le refus de le délivrer ne sont sujets à recours." Article 76 : "L'acte de mariage énoncera : 1 Les prénoms, noms, professions, âges, dates et lieux de naissance, domiciles et résidences des époux ; (...) En marge de l'acte de naissance de chaque époux, il sera fait mention de la célébration du mariage et du nom du conjoint." 1. Les requérants se plaignent de ne pas pouvoir saisir, en vue de leur mariage, l'officier d'état civil, compte tenu du caractère incomplet de leur dossier, résultant de l'impossibilité pour le premier requérant, de nationalité ukrainienne, d'obtenir un acte de naissance ou à défaut, un acte de notoriété. Ils allèguent donc la violation du droit au respect de leur vie familiale et de leur droit au mariage et invoquent les articles 8 et 12 de la Convention. Ils se plaignent en outre de ne disposer d'aucun recours effectif devant une instance nationale pour invoquer la violation de ces droits, contrairement aux dispositions de l'article 13 de la Convention. 2. Les requérants se plaignent également d'une violation de l'article 6 par. 1 de la Convention dans la mesure où le tribunal d'instance a statué sans audience, sans débat public et contradictoire et sans que le premier requérant ait pu être informé pour y répondre et en débattre. EN DROIT 1. Les requérants allèguent tout d'abord la violation des articles 8 et 12 (art. 8, 12) de la Convention, qui garantissent respectivement "le droit au respect de la vie privée et familiale" et "le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant
l'exercice de ce droit". Ils allèguent également la violation de l'article 13 (art. 13) de la Convention. La Commission note que le droit français soumet le mariage à certaines conditions de fond et de forme ainsi qu'à certaines formalités relatives à sa célébration. Ainsi, avant la célébration du mariage, un acte de naissance est remis par chacun des époux à l'officier d'état civil, ce qui permet notamment de vérifier que le futur époux n'est pas déjà marié puisqu'après la célébration, il est fait mention du mariage et du nom du conjoint en marge de l'acte de naissance de chaque époux. Pour saisir l'officier d'état civil d'une demande de célébration de mariage, il faut dès lors déposer un dossier complet à la mairie, dans lequel figure notamment un acte de naissance ou, à défaut, un acte de notoriété (articles 70 et 71 du Code civil). En l'espèce, la Commission note que le premier requérant, de nationalité ukrainienne, allègue qu'il n'a pas pu obtenir un acte de naissance dans son pays et a donc demandé au président du tribunal d'instance de Limoges qu'il soit dressé un acte de notoriété, ce qui lui fut refusé. La Commission relève d'emblée qu'il ne peut pas être reproché aux autorités françaises une impossibilité pour le requérant d'obtenir, dans son propre pays, les documents nécessaires à son mariage en France. En outre, la Commission note que la délivrance d'un acte de notoriété ne peut que remplacer l'expédition de l'acte de naissance (article 71 du Code civil), lequel est censé préexister et être régulier. Il incombe donc au futur époux d'établir cette existence. Or, en l'espèce, elle relève que le refus du président du tribunal d'instance de délivrer l'acte de notoriété est motivé par l'absence de preuve de l'existence d'un acte de naissance du requérant. Dès lors, la Commission considère que le requérant n'a pas respecté les formalités prévues par l'article 71 du Code civil, dont il a demandé à bénéficier. Par ailleurs, la Commission relève qu'au vu du texte de l'article 71 du Code civil, l'acte de notoriété pouvant suppléer l'acte de naissance du requérant, nécessaire à la célébration de son mariage en France, peut être délivré par le "juge du tribunal d'instance du lieu de sa naissance ou par celui de son domicile". Or, il résulte des éléments du dossier que le requérant réside à Paris et s'est adressé au président du tribunal d'instance de Limoges pour obtenir cet acte, lequel lui a proposé de saisir, à l'initiative du ministère public, le tribunal de grande instance de son lieu de domicile. Dès lors, la Commission estime que le requérant se trouve dans l'impossibilité de se marier non pas parce qu'on le lui aurait interdit mais parce qu'il ne remplit pas les formalités imposées par le droit français régissant l'exercice de ce droit. La Commission relève notamment sur ce point que le requérant ne démontre pas être dans l'impossibilité de se rendre à Odessa pour tenter d'obtenir sur place la délivrance des documents qui lui font défaut. En conséquence, à supposer que les voies de recours internes aient valablement été épuisées, la Commission considère que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés par application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. 2. Les requérants se plaignent également d'une violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) dans la mesure où le tribunal d'instance
a statué sans audience, sans débat public et contradictoire et sans que le premier requérant ait pu être informé pour y répondre et en débattre. L' article 6 par. 1 (art. 6-1) dispose : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle." La Commission rappelle que les litiges relatifs à une contestation portant sur des droits de caractère procédural ne portent pas sur des droits et obligations de caractère civil au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. En l'espèce, la Commission relève que la décision du président du tribunal d'instance portait sur la délivrance d'un acte de notoriété qui est une condition de forme nécessaire, à défaut d'acte de naissance, pour se marier. Le refus de délivrer cet acte ne constitue dès lors qu'un obstacle de procédure, une mesure préliminaire qui n'affecte pas le fond de l'affaire (cf. No 10865/84, déc. 12.5.86, D.R. 47 p. 200). La Commission considère, en conséquence, que le grief du requérant tiré de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) ne porte pas sur un droit de caractère civil au sens de cette disposition. Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire de la Deuxième Chambre (K. ROGGE) Le Président de la Deuxième Chambre (S. TRECHSEL)