Cécile MOREAU janvier 2015 La piraterie maritime : fléau ancien - riposte moderne Bien que les moyens de transport par voie terrestre ou aérienne se soient développés, le trafic maritime a connu une nette envolée en quarante ans (il a été multiplié par 5). 90% du tonnage de marchandises échangées dans le monde transitent par voie maritime à bord de plus de 50 000 navires de commerce. La constitution des mers La convention de Montego Bay adoptée le 10 décembre 1982 est la convention des Nations unies de référence sur le droit de la mer. Elle est entrée en vigueur en novembre 1994. Elle prévoit que la «haute mer est ouverte à tous les Etats, qu ils soient côtiers ou enclavés dans les terres» (article 87). En réalité, depuis les conventions de Genève de 1958, une distinction est établie entre haute mer et mers territoriales ; ces dernières étant sous le joug de la souveraineté de l Etat côtier. La convention de Montego Bay fixe à 12 miles marins la profondeur maximale des mers territoriales. La zone économique exclusive (ZEE) étant de 200 miles marins, c est à partir de ces 200 miles que commence la haute mer. A l intérieur de la ZEE, tous les Etats jouissent d une liberté de navigation et de survol. C est une zone où l Etat côtier exerce des droits souverains et de juridiction dans des domaines définis par la convention de Montego Bay. Quant au droit applicable en haute mer, il se caractérise par le droit du pavillon. «Les navires naviguent sous le pavillon d un seul Etat et sont soumis sauf dans les cas exceptionnels expressément prévus par des traités internationaux ou par la convention à sa juridiction exclusive en haute mer» (article 92 1 de la convention de Montego Bay). Par conséquent, en matière de police, l intervention d un Etat tiers ne peut se faire qu avec l autorisation de l Etat du pavillon ; exception 1
faite à l article 110 de la convention de Montego Bay à laquelle figure la piraterie. Qu est-ce que la piraterie? La piraterie est une activité aussi ancienne que la navigation. Sa définition est donnée par l article 101 de la convention de Montego Bay. On entend par piraterie tout acte illicite de violence ou détention ou toute dépravation commise par l équipage ou des passagers d un navire privé agissant à des fins privées et dirigé d une part contre un autre navire ou contre des personnes et des biens à leur bord, en haute mer ou d autre part, contre un navire, des personnes ou des biens, à leur bord dans un lieu ne relevant de la juridiction d aucun Etat. Il peut également s agir de tout acte de participation volontaire à l utilisation d un navire, lorsque l auteur a connaissance des faits dont il découle que ce navire est un navire pirate. Enfin, est encore considéré comme acte de piraterie, tout acte ayant pour but d inciter à commettre les actes définis ci-dessus ou commis dans l intention de les faciliter. Pourtant où commence la piraterie? Où s arrête le terrorisme? Quand la piraterie s apparente à une activité commerciale dans l anonymat de l action, le terrorisme, lui, ne recherche que la destruction dans la lueur de l impact médiatique. Pourtant les foyers de piraterie peuvent se superposer aux zones de terrorisme maritime, notamment dans le golfe de Guinée, le golfe d Aden et l Asie du Sud-est. Dans le golfe de Guinée, il est difficile de savoir si certaines demandes de rançon du MEND (Mouvement pour l émancipation du Delta du Niger) pour des équipages sont des actes terroristes ou de pure piraterie. Quid du brigandage et de la piraterie? Le brigandage maritime, comme les attaques à mains armées, n est autre qu un acte de piraterie qui s exerce dans les limites des mers territoriales et par conséquent, relève des juridictions des Etats côtiers. Montée en puissance des dispositifs navals En novembre 2007, la marine française lance l opération ALCYON destinée à assurer la protection en mer de l aide Page 2
humanitaire du Programme Alimentaire Mondial (PAM). La France était la première nation à prendre en compte le problème de la piraterie au large de la Corne de l Afrique. En 2008, viennent se joindre à l opération plusieurs marines européennes conduisant à la création de l opération ATALANTA-EU-NAVFOR. Première opération purement maritime de l Union européenne, elle est créée par la décision du conseil de l Union européenne le 10 novembre 2008. Y participent Allemagne, Belgique, Espagne, France, Grèce, Italie, Luxembourg, Pays-Bas et Suède. Sa mission est de protéger les navires du PAM et les navires vulnérables dans le golfe d Aden et au large de la Somalie en recourant si nécessaire à la force pour dissuader, prévenir et intervenir pour mettre fin aux opérations de piraterie. La Task Force 508 de l OTAN est aussi présente depuis 2009, dans le cadre de l opération OCEAN SHIELD. Répliques juridiques La convention de Montego Bay a créé la compétence universelle des Etats même s il est souhaitable que ces derniers coopèrent avec les Etats côtiers pour la répression de la piraterie en haute mer. L article 105 de la convention de Montego Bay prévoit que tout Etat peut saisir un navire pirate, appréhender les personnes et saisir les biens à bord en donnant compétence aux tribunaux de l Etat qui a procédé à ces saisies. Possibilité leur est offerte de juger mais pas obligation. L article 107 de ladite convention habilite les navires de guerre et aéronefs militaires à effectuer les saisies pour causes de piraterie. L intervention immédiate de tous les Etats est permise par le caractère dérogatoire du droit de pavillon. Au niveau international, le Conseil de Sécurité des Nations unies, considérant que la piraterie dans l Océan indien constituait une menace contre la paix et la sécurité internationale, a pris de nombreuses résolutions fondées sur le chapitre 7 de la Charte des Nations unies. La résolution 1814 du 15 mai 2008 a permis de protéger les navires du PAM dans la zone. Suivie par la résolution 1816 de juin 2008 qui a permis la mise en place «du droit de poursuite inversé». Cette résolution a créé pour la Somalie un régime dérogatoire puisque les Etats qui coopèrent avec le gouvernement fédéral de transition sont autorisés à lutter contre la piraterie au large des côtes somaliennes, à entrer Page 3
dans les eaux territoriales et à y réprimer les actes de piraterie de la même façon qu en haute mer. S en suivent une succession de résolutions du conseil de sécurité en la matière : la résolution 1838 du 07 octobre 2008, la résolution 1846 du 02 décembre 2008 et la résolution 1851 du 16 décembre 2008. Dans ces conditions, des interventions de commandosmarine français ont permis de reprendre une partie de la rançon du voilier de plaisance français le Ponant en 2008 et de libérer les otages du Carré d AS et du Tanit (le skipper a été malencontreusement tué par une balle française) en 2009. Pour le golfe de Guinée, le Conseil de sécurité a voté la résolution 2018 du 31 octobre 2011 demandant à ce que la Communauté économique des Etats de l Afrique de l Ouest (CEDEAO), la Communauté économiques des Etats d Afrique Centrale (CEEAC) et la commission du Golfe de Guinée travaillent ensemble sur le plan de la coopération militaire et politique. Au niveau national, la France a voté la loi du 15 juillet 1994 relative à l exercice par l Etat de ses pouvoirs de contrôle en mer permettant de mettre en conformité droit français et mesures relatives à la police en mer de la Convention de Montego Bay, notamment en matière de reconnaissance, visite, déroulement, poursuite, refus d obtempérer, possibilité d emploi de la force ; désormais inscrite à l article L 1521-1 du code de la défense. Le point bloquant réside dans la difficulté de la remise aux Etats côtiers des pirates afin d avoir un traitement plus rapide et plus adapté aux modes de vie des pirates. Est-il préférable de faire juger les pirates par les Etats côtiers ou par l Etat qui a arraisonné le navire? En tout état de cause, la Cour Européenne des Droits de l Homme (CEDH) a condamné la France, dans un arrêt du 10 juillet 2008, pour violation de l article 5 1 de la convention européenne des droits de l Homme. Des trafiquants de stupéfiants avaient été arrêtés par les forces militaires françaises à bord du cargo Winner et avec l accord du gouvernement cambodgien, le bateau avait rejoint Brest afin qu une information judicaire soit ouverte. La CEDH a considéré, en l espèce, que les prévenus n avaient pas été présentés dans les meilleurs délais à un magistrat indépendant, bien que détention à bord du navire français ait suivi la procédure française de la loi du 15 juillet 1994. Page 4
La protection par les équipes de protection embarquée ou les sociétés militaires privées? Les menaces de la piraterie ont un coût sur l activité des armateurs, en effet, les primes d assurance augmentent considérablement. A titre d exemple, les surprimes liées à une traversée de l Océan indien sont proches de 20 000 à 30 000 dollars supplémentaires par jour de traversée. Aussi parallèlement à l opération ATALANTA, la France a instauré un dispositif permettant d embarquer des équipes de protection embarquées (EPE), en partie composées de fusiliers commandos. Leur mise en place sur des thoniers ou des navires ayant des cargaisons stratégiques se fonde sur la signature d un protocole avec la Marine, le chef de l EPE se voyant déléguer la responsabilité d ouvrir le feu. Cette protection peut être accordée si le pavillon est français, des citoyens français sont à bord, le propriétaire a la nationalité française, la cargaison ou l activité relève d un intérêt stratégique pour la France. Tous les navires ne pouvant être protégés par des EPE, le secteur de la protection maritime s est développé au cours de ces dernières années. L emploi de sociétés militaires privées avec l accord des compagnies d assurance peut faire baisser les primes. Ce secteur est dominé par les anglo-saxons mais des sociétés françaises émergent à l étranger pour des questions juridiques (le port d armes sur des navires battant pavillon français) afin de répondre aux besoins de leur clientèle. Le 11 mars 2010, la Commission européenne a adopté une recommandation relative aux mesures d autoprotection et de prévention des actes de piraterie et des attaques à mains armées contre les navires où elle précise que «la compagnie est libre de faire appel à des agents de sécurité privés supplémentaires mais le recours à des gardes armés n est pas recommandé». Cependant, le Comité de la sécurité maritime de l Organisation mondiale du Commerce en 2011 avait remis un projet de lignes directrices destiné à assurer un encadrement minimal de l emploi d agents de sécurité armés en mer. Page 5