Même si le salarié n'a pas utilisé sa faculté de rétractation la convention de rupture conventionnelle doit néanmoins respecter ces principes. (...

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. Revue de droit du travail 2012 p. 110 La part du conflit dans le processus de rupture conventionnelle Cour d'appel de Versailles, 15 décembre 2011, RG n 10/06409 (extraits) et Conseil de prud'hommes d'orléans, 10 janvier 2012, RG n F10/00954 (extraits) Evelyne Serverin «La rupture conventionnelle suppose un consentement donné par le salarié en connaissance de cause et dont l'intégrité doit être assuré[e], la rupture conventionnelle ne pouvant être imposée par l'employeur pour détourner des garanties accompagnant le licenciement. Même si le salarié n'a pas utilisé sa faculté de rétractation la convention de rupture conventionnelle doit néanmoins respecter ces principes. (...) En premier lieu, le risque, voire la menace, de voir ternir la poursuite du parcours professionnel de M me C..., tels qu'ils sont formulés par l'employeur dans le courrier sus visé du 02 juin 2009, en raison d'erreurs et manquements qui auraient justifié, selon lui, la rupture du contrat de travail dès mars 2008, si M me C... n'avait pas été en congé de maternité, tout en incitant la salariée à choisir la voie la plus «opportune» d'une rupture amiable, à savoir celle qui évite la justification des motifs, constitue une pression de nature à déterminer M me C... à accepter la rupture conventionnelle du 17 juin 2009, l'appelante faisant valoir à juste titre qu'elle exerçait son activité professionnelle dans un barreau de taille moyenne et qu'elle a pu légitimement craindre des répercussions pour son avenir professionnel. M me C... justifie que dès le 17 juin 2009, elle faisait l'objet d'un arrêt de travail qui sera renouvelé jusqu'au 2 juillet 2009 pour dépression réactionnelle. En second lieu, il ressort également des éléments de la cause qu'au jour de la conclusion de la convention de rupture amiable, il existait un différend entre les parties sur l'exécution du contrat de travail. La Société Y... ne peut sérieusement opposer l'absence de contestation de M me C... et en déduire que finalement il n'existait pas de litige, ce qui revient à dire que M me C... aurait été d'accord sur l'ensemble des nombreux et graves manquements professionnels qui lui étaient reprochés dans la lettre du 02 juin 2009. En conséquence, M me C... est bien fondée à solliciter la requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse de la rupture conventionnelle intervenue dans les conditions ci-dessus exposées à l'initiative de l'employeur.» (Versailles, 15 déc. 2011, RG n 10/06409) «b) sur la liberté de consentement de M. P... En premier lieu, l'article L. 1237-11 susvisé précise que la rupture conventionnelle est exclusive du licenciement ou de la démission. En revanche, le texte n'exclut pas la possibilité que deux procédures soient menées parallèlement (procédure de rupture conventionnelle parallèle à une procédure de licenciement ou de démission), dès lors qu'une seule des deux a abouti. Ainsi la simple existence d'une procédure de licenciement parallèle à la procédure de rupture conventionnelle ne peut suffire en elle-même à invalider l'aspect conventionnel de la rupture. Toutefois, il convient de déterminer dans le cas présent si chaque partie, et en l'espèce, le salarié, a pu exprimer tout au long de cette procédure un consentement libre et non équivoque. Il convient donc d'examiner plus en détail les conditions de rupture du contrat de travail de M. P..., afin de déterminer l'existence ou non de ce consentement libre et non équivoque (...).

P..., afin de déterminer l'existence ou non de ce consentement libre et non équivoque (...). L'entretien du 18 décembre portait [donc] à la fois sur le licenciement et la rupture conventionnelle. Les procédures sont dès lors, non seulement parallèles, mais confondues (...) D'autre part, il apparaît que la convention litigieuse a été signée alors que M. P... était en arrêt maladie pour [ce] syndrome anxio-dépressif; il ne peut donc être considéré que son consentement était, le 23 décembre 2009, libre et non équivoque (...). Enfin il apparaît que n'a pas été soumis à la DDTE le courrier du 21 décembre 2009 par lequel l'employeur faisait état d'une procédure parallèle de licenciement (...). En conséquence, la DDTE n'a pu apprécier la validité formelle de la procédure de rupture conventionnelle, son attention n'a pas été attirée sur le caractère éventuellement non libre et équivoque du consentement du salarié du fait tant de sa maladie que de la procédure parallèle de licenciement. Dès lors, la convention de rupture conventionnelle devra être annulée, et la rupture du contrat de travail requalifiée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse». (Cons. prud'h. Orléans, 10 janv. 2012, RG n F10/00954). Les 617 000 ruptures conventionnelles homologuées en trois ans (1) n'ont suscité que de rares contentieux, que l'on peut estimer à moins d'une centaine sur toute la période (2). Les premiers contentieux ont porté sur les refus d'homologation, et ont été conduits main dans la main par les employeurs et les salariés (3). Mais d'autres portent le fer sur le consentement du salarié, dévoilant les pressions qui entourent les ruptures. Or, la validité du consentement est la clé de la légitimité de la rupture conventionnelle, dont la conception est toute empreinte de consensualisme (4). L'article L. 1237-11, alinéa 2, du Code du travail le dit clairement: «la rupture conventionnelle, [..] ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties». Et l'alinéa 3 ajoute que la rupture conventionnelle «est soumise aux dispositions de la présente section destinées à garantir la liberté du consentement des parties». Le temps de la protestation contre cette irruption de la volonté libre dans une relation subordonnée est passé. Vient celui de fourbir les armes contre les mésusages de la rupture conventionnelle, en profitant des rares cas où les salariés se sont décidés à s'en plaindre. La tâche n'est pas aisée. Il ne faut pas méconnaître la difficulté pour ceux qui ont donné leur accord, fût-ce sous la pression, de prouver que leur consentement a été contraint, ou surpris, alors qu'ils disposent d'un délai de rétractation après signature. Pour remettre en cause la validité de ces consentements, certains juges du fond ont emprunté une voie médiane, en circonscrivant la preuve à l'existence d'un litige entre les parties, sans rechercher si ces circonstances sont constitutives d'un vice du consentement (5). De telles situations de conflit se rencontrent certainement. En effet, toute conventionnelle qu'elle soit, la volonté de rompre repose nécessairement sur des motifs, qui peuvent être de toute sorte, mais dont certains peuvent résulter d'un conflit ouvert entre les parties, et notamment, de reproches de l'employeur envers le salarié. Ces situations de conflit suffisent-elle à invalider la rupture conventionnelle? Les deux décisions dont des extraits sont rapportés ci-dessus apportent une réponse positive à la question, mais en passant par des voies différentes. L'arrêt de la Cour d'appel de Versailles pose en principe qu'un litige est incompatible avec le recours à ce mode de rupture, ce qui revient à ébranler sérieusement l'édifice bâti par les partenaires sociaux et la loi (I). À l'inverse, la formation de départage du Conseil de prud'hommes d'orléans écarte toute pétition de principe, pour rechercher si, dans le cas considéré, la menace d'un licenciement avait pu constituer une contrainte pour le salarié (II). Notre préférence ira à cette dernière position, mieux à même de détecter les ruptures contraintes. I. - Du conflit comme excluant le recours à la rupture conventionnelle L'arrêt de la Cour d'appel de Versailles du 15 décembre 2011 illustre cette tentation des juges du fond, saisis d'une contestation d'une rupture conventionnelle, de prendre en considération un litige antérieur entre les parties pour invalider la convention. Cette analyse est inspirée à l'évidence par la jurisprudence relative à la «rupture d'un commun accord», découverte par la Chambre sociale en 1996 (6). Pour distinguer la rupture d'un commun accord de la transaction, la Cour de cassation retient le critère de la contestation: la rupture amiable ne

sera pas reconnue en présence d'un différend (7). La Cour d'appel de Versailles va faire sienne cette analyse dans un litige opposant une avocate collaboratrice, Mme C..., et son employeur, la Société Y... Recrutée le 4 septembre 2006, Mme C... recevait le 2 juin 2009, après son retour d'un congé maternité, un courrier de son employeur faisant état de divers griefs sur son travail, tout en suggérant une rupture amiable. Le même courrier précisait cependant que, à défaut d'accord sur la rupture contractuelle, la relation se poursuivrait «en application stricte des dispositions réglementaires applicables aux avocats salariés», aucun licenciement n'étant envisagé. La salariée acceptait la proposition, et signait le 17 juin 2009 une rupture conventionnelle dans les formes, assortie d'une indemnité de 6 000. La convention sera homologuée le 9 juillet suivant. Cependant, le jour même de sa signature, Mme C... faisait l'objet d'un arrêt de travail, renouvelé jusqu'à son départ le 28 juillet 2009, pour «dépression réactionnelle». Début décembre de la même année, elle saisissait le bâtonnier de l'ordre des avocats (compétent en matière de litige concernant les avocats salariés) (8), pour contester la rupture conventionnelle et réclamer à titre principal 24 000 d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le Syndicat des avocats de France intervenait volontairement à l'audience pour demander un euro symbolique de dommages-intérêts. Par décision du 20 juillet 2010, le bâtonnier déboutait la salariée, et déclarait irrecevable l'action du SAF. Reprenant et augmentant ses demandes en appel (elle réclame désormais 27 000 d'indemnité de licenciement), Mme C... expose que la rupture «doit être non équivoque avec un consentement libre et sans pression», et que le juge garde la possibilité de contrôler l'imputabilité d'une rupture [...], la preuve de l'existence d'un différend à la date de la rupture «étant exclusive d'un accord amiable». Allant plus loin, elle allègue qu'un litige existait entre les parties, et que «les juges du fond conditionnent la validité de la rupture conventionnelle à l'absence de litige sur la rupture». Elle se fonde sur le courrier du 2 juin 2009 pour soutenir que «certains des termes traduisent une menace quant à [son] avenir professionnel, par une mauvaise réputation qui ressortirait d'un litige prud'homal les opposant». Le SAF intervient à nouveau en appel, mais sa demande est déclarée irrecevable, faute de justifier d'une atteinte à l'intérêt collectif de la profession. En revanche, la Cour d'appel se range pour l'essentiel à l'analyse de Mme C... Elle souligne d'abord le caractère menaçant de la lettre de l'employeur, et conclut qu'elle «constitue une pression de nature à déterminer Mme C... à accepter la rupture conventionnelle du 17 juin 2009». Elle relève en second lieu, «qu'au jour de la conclusion de la convention de rupture amiable, il existait un différend entre les parties sur l'exécution du contrat de travail». Elle conclut au bien-fondé de la demande de la salariée, requalifie la rupture conventionnelle en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et condamne la Société à 23 597 d'indemnités diverses, dont 14 400 au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'où devra être déduite l'indemnité de 6 000 antérieurement versée. L'existence de griefs écrits formés par l'employeur à l'encontre de Mme C... a joué un rôle déterminant dans l'analyse de la Cour d'appel. Sans aller jusqu'à faire de l'absence de différend une «condition de validité» de la rupture, comme le demandait Mme C..., la Cour a été visiblement influencée par la jurisprudence sur la rupture amiable. Or en l'état du droit positif, et bien qu'on puisse le regretter, on ne peut dire que la loi conditionne le recours à la rupture conventionnelle à l'absence de différend. Le critère d'absence de différend posé par la Chambre sociale pour reconnaître la rupture amiable ne peut être étendu à la rupture conventionnelle sous peine de dénaturer le texte. Il faut bien reconnaître que la rupture conventionnelle constitue une cause légale de rupture, quels qu'en soient les motifs, sous réserve que le consentement ait été librement donné. Le seul fait pour un employeur de proposer une rupture conventionnelle alors que d'autres formes de rupture auraient pu être retenues ne suffit pas à entacher de vice la convention signée. Pour remettre en cause la convention, il est nécessaire de rechercher si la perspective d'un licenciement a été utilisée comme menace par l'employeur, voire - comme dans l'affaire traitée par le Conseil de prud'hommes d'orléans - a donné lieu à des actes préparatoires rendant cette menace crédible. II. - De la menace du licenciement comme vice du consentement Du point de vue factuel, la situation de M. P... était clairement de nature à jeter le doute sur la réalité de son consentement (9). Âgé de 55 ans, directeur commercial et actionnaire d'une société qui était reprise en juillet 2008 par la SAS Gauthier, M. P... voyait sa situation

sérieusement menacée. L'employeur avait finalisé dès le mois de septembre 2009 une proposition de recrutement d'un autre salarié sur les fonctions mêmes qu'il occupait, avec une date d'embauche envisagée au premier trimestre 2010. Visiblement «placardisé», M. P... était placé en arrêt maladie du 21 au 29 décembre 2009 pour «syndrome anxio-dépressif». Le 18 décembre, il signait un «compte-rendu d'entretien préparatoire de discussion». Mais parallèlement, par courrier du 21 décembre, l'employeur le convoquait à un entretien préalable à son licenciement, le 5 janvier 2010 en faisant référence à la discussion du 18 décembre. Finalement, au cours d'un entretien du 23 décembre, M. P signait une rupture conventionnelle, avec une indemnité de 23 000, et un départ de l'entreprise le 31 janvier 2010. Si l'entretien du 5 janvier a bien eu lieu, il n'en n'est pas ressorti une décision de licenciement, et la convention était transmise le 18 janvier à la DDTE, suivie d'une homologation implicite. Le 20 mai suivant, M. P... saisissait le Conseil de prud'hommes d'orléans en vue de demander la nullité de la rupture conventionnelle, et de juger que la rupture du contrat s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec les indemnités afférentes, pour un total d'un peu plus de 136 000. La motivation du jugement, particulièrement soignée, est tout entière orientée vers l'analyse de l'articulation entre le projet de licenciement et la procédure de rupture conventionnelle. Après avoir écarté divers moyens relatifs à «la régularité formelle» de la convention de rupture, le Conseil en vient à l'essentiel, qui est la «liberté de consentement» de M. P... L'argumentaire du tribunal se déploie en deux temps. Tout d'abord, le Conseil se refuse à poser en principe l'incompatibilité entre une procédure de licenciement et une rupture conventionnelle. Si l'article L. 1237-11 du Code du travail précise que la rupture conventionnelle est exclusive du licenciement ou de la démission, «en revanche, le texte n'exclut pas la possibilité que deux procédures soient menées parallèlement (procédure de rupture conventionnelle parallèle à une procédure de licenciement ou de démission), dès lors qu'une seule des deux a abouti». Il en résulte que «la simple existence d'une procédure de licenciement parallèle à la procédure de rupture conventionnelle ne peut suffire en elle-même à invalider l'aspect conventionnel de la rupture». Cette analyse nous paraît juridiquement fondée : on ne peut ajouter à un texte une condition qui n'y figure pas. Pour autant, le projet de licenciement, dès lors qu'il est concrétisé par des actes matériels, peut être constitutif d'une pression exercée sur le salarié pour le contraindre à accepter une rupture conventionnelle présentée comme un moindre mal. Et si cette pression est exercée à un moment où le salarié est en état de faiblesse, le vice du consentement se trouve par làmême établi. C'est cette voie qu'a suivie le Conseil de prud'hommes d'orléans. Examinant les conditions de rupture du contrat de travail de M. P..., «afin de déterminer l'existence ou non de ce consentement libre et non équivoque [...]», le Conseil relève que «les procédures sont dès lors, non seulement parallèles, mais confondues [...], et que «la convention litigieuse a été signée alors que M. P... était en arrêt maladie pour [ce] syndrome anxio-dépressif». De ces circonstances, le Conseil déduit, à juste titre, qu'il ne peut être considéré que le consentement du salarié «était, le 23 décembre 2009, libre et non équivoque [...]». La solution s'impose, et doit être approuvée : la convention de rupture conventionnelle est annulée, avec pour effet une requalification de la rupture du contrat de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il lui sera alloué des indemnités d'un montant de près de 126 000, dont devra être déduite l'indemnité de 23 000 déjà perçue. III. - Vers un contrôle circonstancié du choix de la rupture conventionnelle Le rapprochement entre les deux décisions nous permet d'esquisser une voie d'action pour contrôler les pressions exercées sur les salariés. Tout d'abord, il nous semble inapproprié, juridiquement et empiriquement, de vouloir exclure la possibilité d'une rupture conventionnelle en présence d'un litige. Après tout, un salarié bien informé peut préférer la voie d'une telle rupture, qu'il négociera d'autant mieux que les motifs de licenciement de l'employeur ne pourraient être retenus comme réels et sérieux par un tribunal. Dans ces circonstances, la rupture conventionnelle pourra fonctionner selon le modèle canonique du licenciement suivi d'une transaction, avec le même effet sur la sécurisation de la rupture. Le salarié se comportera comme un agent maximisateur, et ne devrait pas être recevable à s'en plaindre. Mme C... nous paraît plutôt relever de ce modèle. Toute autre est la situation du salarié qui aurait souhaité conserver son emploi, mais se

Toute autre est la situation du salarié qui aurait souhaité conserver son emploi, mais se trouve confronté à la volonté de l'employeur de mettre fin à son contrat par tous moyens. Loin de pouvoir calculer, ce salarié est mis devant le fait accompli, et n'est en mesure de réagir qu'une fois le contrat de travail rompu. C'est ce type de situation que vise l'article 1109 du Code civil : «Il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol». Plus que de violence, M. P... a été certainement victime d'un dol au sens de l'article 1116 de ce même Code, consistant en des «manoeuvres pratiquées par l'une des parties [...] telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté [...]». Dans le cas de M. P..., les manoeuvres de l'employeur ont consisté à pré-recruter un salarié sur son emploi, et à procéder à un simulacre de licenciement, ne lui laissant aucune possibilité de refuser de signer la convention. Mais seul un juge peut se livrer à une telle appréciation. Avec près de 24 000 demandes d'homologation reçues par mois, les services administratifs ne disposent ni des moyens, ni du temps pour se livrer à des enquêtes. Une fois encore, c'est du contentieux que naîtront les règles du jeu de la rupture. Mots clés : RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL * Rupture conventionnelle * Part du conflit (1) Pour un point sur ces données, v. DARES Analyse «Les ruptures conventionnelles de la mi-2008 à la fin 2010», juin 2011, n 46 et DARES Indicateurs, oct. 2011, n 78. (2) Pour les juridictions du premier degré, il ne s'agit que d'une estimation, le Répertoire général civil des tribunaux ne permettant pas d'identifier ces litiges. Pour les cours d'appel, la base Jurica nous permet d'identifier environ 82 arrêts dans lesquels la rupture conventionnelle est l'objet principal du litige. (3) E. Serverin et T. Grumbach, «Le juge des référés prud'homal face au refus d'homologation de ruptures conventionnelles», Sem. soc. Lamy 2010, n 1435, p. 6. (4) E. Serverin et T. Grumbach, «De l'abus dans le recours à la rupture conventionnelle. Le Cons. prud'h. des Sables-d'Olonne ouvre la voie», Sem. soc. Lamy 2010, n 1451, p. 8. (5) Riom, 18 janv. 2011, n 10/00658, RDT 2011. 243, obs. F. Taquet. Lyon, 6 janv. 2012, RG n 11/03228 : «Attendu que la rupture étant intervenue alors qu'il existait un litige sur le paiement intégral des salaires, les parties ne pouvaient recourir à une rupture conventionnelle telle que définie aux articles L. 1237-11 et suivants du Code du travail». (6) Soc. 19 nov. 1996, n 93-41.745, Bull. civ. V, n 394 : «Attendu que, selon l'article 1134 du Code civil, les parties peuvent, par leur consentement mutuel, mettre fin à leur convention ; que, selon l'article 2044 du même Code, la transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître ; qu'il en résulte que si les parties à un contrat de travail décident, d'un commun accord, d'y mettre fin, elles se bornent à organiser les conditions de la cessation de leurs relations de travail tandis que la transaction consécutive à une rupture du contrat de travail par l'une ou l'autre des parties a pour objet de mettre fin, par des concessions réciproques, à toute contestation née ou à naître résultant de cette rupture». (7) Sur la nécessité de l'absence du litige entre les parties comme condition de validité d'une rupture amiable du contrat de travail, v. Soc. 31 mars 1998, n 96-43.016, Bull. civ. V, n 189 (démission survenue dans un contexte de rupture amiable), D. 1999. Somm. 108, obs. Y. Serra ; Soc. 29 oct. 1999, n 97-42.846, Bull. civ. V, n 411 (protocole de fin de contrat mettant fin à un litige prud'homal), D. 2000. Somm. 384, obs. P. Fadeuilhe ; Soc. 11 févr. 2009, n 08-40.095, Bull. civ. V, n 43 (rupture amiable du contrat de travail intervenue en dehors du champ d'application d'un plan de sauvegarde de l'emploi), D. 2009. AJ 636. (8) Art. 142, Décr. n 91-1197 du 27 nov. 1991 modifié organisant la profession d'avocat. (9) Les moyens du salarié n'ayant pas été repris dans le jugement, on ne dispose pas de son argumentaire, non plus que des éléments factuels relatifs à la nature du conflit qui opposait les parties. Les faits rapportés sont ceux qu'a retenus le conseil de prud'hommes.

Revue de droit du travail Editions Dalloz 2012