Les Tribulations de saint perpète _ Un tableau hors sujet L enquête menée en 2005 déjà PAR LES élèves de quatrième année ouftimhenrion9/2013
L exposition du buste reliquaire de saint Perpète dans la collégiale est accompagnée de commentaires qui méritent quelques précisions. Il est écrit «Un tableau conservé au muée de Chantilly pourrait représenter l arrivée de la châsse de saint Perpète dans l église de Bouvignes (au lendemain du sac de la ville par les troupes du Duc de Bourgogne)». Près du buste, un belle reproduction de ce tableau Ce tableau a longtemps intéressé les historiens dinantais. Relisons A. TICHON, La châsse de saint Perpète, in ASAN (Annales de la Société archéologique de Namur), T. XXVIII, 1909 "Au milieu du XIIIe siècle ( ), suivant le témoignage de Gilles d'orval, le corps du saint ( ) réside dans la collégiale Notre-Dame. Jusqu'à la Révolution française, les ossements de saint Perpète furent renfermés dans trois reliquaires en orfèvrerie. 1 Le corps dans un coffre en métal ouvragé ou fierte. 2 Le crâne ou chef, déposé dans un buste en argent. 3 Un os au moins du bras, renfermé dans une custode en forme d'avant-bras. A en juger par les quelques documents qui nous restent, la châsse de saint Perpète (la fierte) présentait l'aspect d'un coffre rectangulaire en bois, revêtu de métal ouvragé, de quatre pieds de long, avec toiture à double versant. ( ) Si la fierte de saint Perpète ne disparut pas lors du sac de 1466, elle eut à subir bien des vicissitudes. Lorsque les Bourguignons se furent emparés de la ville, le feu contrairement aux ordres du duc Philippe le Bon, fut "bouté" à la collégiale; aux premiers cris d'alarme, les vainqueurs se précipitèrent pour en sauver les trésors et profitèrent de ce douloureux événement pour se les partager. Le duc eut la part du lion; il s'octroya "le corps de Monseigneur saint Perpète, avec sa châsse et fiertre, et l'or et l'argent y dédié et appartenant", sauvés par messire Antoine de Lalaing, et un coffre contenant des ornements d'argent, enlevé par son fils Antoine, bâtard de Bourgogne ( ) Le duc confia son trésor à l'église de Bouvignes, ville qui faisait partie de ses Etats, à charge pour les Bouvignois de faire chanter, journellement et à perpétuité, une messe pour le salut de son âme ( ) (Cartulaire de Dinant, t.ii, p.337)
Au dire de plusieurs critiques, un tableau du Musée Condé à Chantilly, ( ), nous ferait assister à la scène poignante du transfert de la châsse, de Dinant à l'église de Bouvignes et nous mettrait sous les yeux ce joyau de la collégiale. L'artiste a fixé la scène au moment où le cortège pénètre dans les murs de la rivale de Dinant (C'est le transport des reliques à Bouvignes en 1466 que le peintre a représenté et non le retour à Dinant en 1476, comme le dit par erreur M. Pirenne dans la Biographie nationale, t. XVII, col. 33). ( ) Derrière les porteurs du précieux dépôt, s'achemine une longue escorte de soldats, munis d'armes ( ) aux formes variées, débouchant d'une porte flanquée de tours à créneaux. ( ) Telle est cette curieuse peinture, vendue au duc d'aumale en 1879 par Reiset. Ce collectionneur l'attribuait à Thierry Bouts ( ) Le personnage qui marche à côté de la châsse étant vêtu d'un surcot aux couleurs de Bourgogne, on l'a nommé Charles le Téméraire. Si l'on trouvait la mention de ce tableau dans les comptes des ducs de Bourgogne, la question serait tranchée. Faute de preuves extrinsèques, nous pouvons recourir à des arguments intrinsèques qui conduisent selon nous à une quasi certitude. Il est hors de doute qu'il s'agit d'un épisode de la vie d'un prince de la maison de Bourgogne. Le sac de Dinant est un fait marquant dans l'histoire de ces princes. Il ne serait donc pas étonnant qu'ils aient demandé à un artiste d'en perpétuer le souvenir. Un motif eût pu les arrêter; c'est la férocité qui avait souillé ce haut fait d'armes. L'artiste tourna la difficulté en choisissant comme sujet un acte de piété qu'avait posé le duc au milieu du carnage. Sans doute, on ne peut exiger d'un peintre un souci scrupuleux d'exactitude, en ce qui concerne les monuments et les objets. C'est ainsi que les statuettes de la châsse, dessinées sur le panneau, semblent représenter d'autres saints que les apôtres qui, nous le savons, décoraient la fierte de saint Perpète. Mais la disposition générale de l'église paraît être celle de Bouvignes: ( ).
La foule des soldats, ( ) paraît bien quitter le champ du carnage. Une douleur poignante est peinte sur le visage du personnage le plus en vue, portant la châsse. C'est un vaincu contraint d'accomplir cette pénible tâche; il détourne la tête à la vue de l'église. Fait digne de remarque, il est vêtu de la robe à grand ramages, telle que la portaient les personnages de distinction et les magistrats des villes. L'effroi est peint aussi sur les trais des membres du clergé qui attendent le précieux dépôt. Ce sont des moines vêtus de blancs; ils ne sont pas dans un monastère, car ils n'ont pas à leur tête l'abbé mitré qui n'eut pas manqué d'y figurer. Or on sait que la cure de Bouvignes ( ) était (confiée à) l'abbaye des Prémontrés de Leffe. Enfin, qu'il s'agisse des reliques d'un confesseur pontife (un évêque), le peintre l'a indiqué sans équivoque en plaçant en évidence, au-dessus de l'autel ( ), le buste d'un évêque. Telles sont les raisons qui nous font penser que ce tableau rappelle l'épisode du transfert des reliques de saint Perpète de Dinant à Bouvignes. Est-il possible d'ailleurs que dans la vie des ducs de Bourgogne, il se soit passé un autre événement auquel tous ces détails puissent se rapporter? A. TICHON, La châsse de saint Perpète, in ASAN, T. XXVIII, 1909 En l absence de document extrinsèque (extérieur au tableau), Tichon doit donc trouver dans le tableau des éléments (intrinsèques) qui permettent de le comprendre. Tichon pense trouver dans le tableau assez d indices pour certifier qu il relate le pénible transfert des reliques saint Perpète au lendemain du sac de Dinant d août 1466. En procession, les Dinantais sont obligés de confier le corps de leur saint patron aux Bouvignois (rivaux des Dinantais à l époque). Rappelons l origine de ces grands malheurs. Les Dinantais, sujets du Prince- Evêque de Liège avaient attaqué les Bouvignois, sujets du Duc de Bourgogne (lequel est Comte de Namur). Ils avaient aussi très imprudemment insulté le Duc de Bourgogne Philippe le Bon et son fils, Charles le Téméraire qui obtinrent une réparation et une vengeance exemplaires. Dinant fut pillée, les meneurs furent noyés dans la Meuse, les remparts de la ville furent rasés.
Soucieux d en savoir davantage sur ce tableau, le professeur d histoire et sa classe de quatrième ont écrit à Madame Nicole Garnier, conservateur du Musée de Chantilly. C était en janvier 2005. «Parce que nos moyens d'investigation sont assez limités (à notre connaissance, personne ne mentionne l'œuvre comme étant de Bouts (1415-1475) ), il nous serait agréable d'obtenir de vos grâces quelques renseignements: - le tableau est-il toujours au Musée Condé et est-il exposé ou en réserve? - existe-t-il des reproductions du tableau et pourriez-vous consentir à nous en faire parvenir une de bonne qualité? - quelles sont les dimensions de l'œuvre? En vous remerciant ( )» Et voilà la réponse que nous adressa Madame Garnier : Le tableau a changé d'attribution et le sujet a été identifié récemment. Il n'est plus donné à Bouts mais à l'école picarde du XVe siècle ; le sujet est en effet la Translation de la châsse de saint Foillan à Abbeville, inv. 106. Ces précisions ont été apportées par Nicole Reynaud en 1978 dans le Bulletin de la Société de l'histoire de l'art Français, tome XXV, p. 116-121. A l'origine sur bois, la peinture a été transposée sur toile ; elle mesure H. 0,78 ; L. 0,58. L'œuvre est exposée tous les jours sauf le mardi au musée dans la salle de la Tribune. Je vous envoie ci-joint par un autre mail une photo numérique. Si vous vous intéressez à cette œuvre, vous pouvez venir sur rendez-vous en semaine consulter son dossier. Je reste bien sûr à votre disposition, Cordialement, Nicole Garnier, Conservateur en chef
Ci-contre un diable (détail du tableau en haut à gauche), qui n encourage pas à détruire Dinant «Ce n est qu au début des années 1980 que l histoire du tableau a été retracée : le guerrier fut identifié grâce à ses armoiries comme un comte de Ponthieu, puis on retrouva les descriptions d érudits abbevillois des XVIIe et XVIIIe siècles, parfois accompagnées de croquis, établissant que la Translation provenait du retable de saint Foillan, peint pour le maître-autel du prieuré clunisien de Saint-Pierre d Abbeville, où étaient conservées des reliques du saint, et le tableau fut rendu à l école picarde. Il montre le retour des reliques du saint à l église après une procession menée par le comte de Ponthieu et destinée à éteindre l incendie de la ville. Les flammes, arrêtées par la procession, reprennent après son passage, attisées par un diable muni d un soufflet en haut à gauche.» Collections du Musée Condé http://srv225.hosteur.com/musee/conde02/voir.xsp?id= 00101-4128&qid=sdx_q0&n=4&e= Le panneau exposé dans l église de Dinant dit «A l arrière plan,une ville en feu : ce pourrait être Dinant. Un petit diable encourage des ouvriers à détruire les murailles. Il est à noter que depuis quelques années, d autres hypothèses ont été avancées sur le sujet de cette scène. Ci-dessus, un buste d évêque (détail du tableau en haut à droite) qui n est pas une allusion à saint Perpète Ci-dessus, un personnage qui n est pas Charles le Téméraire Toute la construction intellectuelle de Tichon s évanouit et avec elle les espoirs des Dinantais d avoir sous les yeux un tableau qui leur parle de Dinant et du mémorable sac de 1466. Dans un deuxième mail, Madame Garnier répondait à notre question, «la nouvelle attribution du tableau estelle indiscutée.?» Oui, indiscutée car basée sur des documents d'archives. DONT ACTE.