NARCISSE CHEZ LE PSYCHANALYSTE
@ L'Harmattan, 2007 5-7, rue de l'ecole polytechnique; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion. harmattan @wanadoo.fr harmattanl@wanadoo.fr ISBN: 978-2-296-03355-9 BAN : 9782296033559
Roland BRUNNER NARCISSE CHEZ LE PSYCHANALYSTE L'Harmattan
Santé, Sociétés et Cultures Collection dirigée par Jean Nadal Peut-on être à l'écoute de la soufuance, en comprendre les racines et y apporter des remèdes, hors d'un champ culturel et linguistique, d'un imaginaire social, des mythes et des rituels? Qu'en est-il alors du concept d'inconscient? Pour répondre à ces questions, la coilection Santé, Sociétés et Cultures propose documents, témoignages et analyses qui se veulent être au plus près de la recherche et de la conftontation interdisciplinaire. Déjà parus Francis DESCARPENTRIES, Le consentement aux soins en psychiatrie, 2007. Denise KÜNZI, Accompagner la vie, accompagner la souffrance,2007. Pierre ZAMET, À la recherche des besoins perdus, 2006. Pélagie PAPOUTSAKI, Enfant surdoué, adulte créateur? 2006. Jean-Loup CLEMENT, Mon père, c'est mon père. L'histoire singulière des enfants conçus par Insémination Artificielle avec Donneur, 2006. Alain LEFEVRE, Calédonie mon amour, 2006. G. BRANDIBAS et R. FOURASTÉ (dir.), Les accidentés de l'école,2005. Christian MIEL, Toxicomanie et hypnose. A partir d'une clinique psychanalytique de la toxicomanie, 2005. Christinne CALONNE, Les violences du pouvoir, 2005. Dominique BRUNET, L'enfant maltraité ou l'enfant oublié, 2005. Jacques GAILLARD, Expérience sensorielle et apprentissage, 2004. Albert MOYNE, L'autre adolescence, 2004 Pierre et Rose DALENS, Laurent MALTERRE, L'unité psychothérapique, 2004. Michèle GUILLIN-HURLIN, La musicothérapie réceptive et son au-delà, 2004. Luc-Christophe GUILLERM, Naufragés à la dérive, 2004.
A Manuela
INTRODUCTION
Regardez autour de vous, dans la rue, dans les chaumières, à la télé, dans les entreprises, en vacances, Narcisse est partout; homme ou femme, Narcisse se montre, Narcisse s'exhibe. Le mythe de Narcisse aurait-il supplanté le mythe d'œdipe? Pour nous psychanalystes, Narcisse c'est d'abord une structure psychique. Notre propos sera donc de présenter cette structure particulière et de nous demander en quoi elle pourrait constituer une nouvelle forme de normalité dans la société postmoderne occidentale. Nous présenterons chaque élément de cette structure, y compris sous son aspect psychopathologique. Bien entendu, le portrait pourra apparâître à plus d'un comme une caricature. C'est la règle dans le champ théorique, mais nous avons bien conscience que ce portrait se décline dans toutes les couleurs de l'arcen-ciel propre à chaque individu, propre à chaque sujet, d'autant plus que la personnalité narcissique étant la structure de la "mal structure" Narcisse va prendre des formes et avoir des comportements extrêmement polymorphes: pôle névrotique (l'homme "hypermoderne"), pôle pervers (le "petit pervers"), pôle psychotique (le "borderline"). C'est sur notre clinique psychanalytique, ainsi que sur notre clinique de l'air du temps, que nous nous sommes appuyé pour cette élaboration théorique, toute provisoire bien entendu. Notre propos traitera pour l'essentiel de l'homme hypermoderne, cette nouvelle forme de "normalité".
Ch. I NARCISSE EN SA STRUCTURE
~. 1 La notion de structure psychique C'est à 1. Lacan que nous devons la notion de structure en psychanalyse. Pour faire vite, on pourrait dire que par structure, il faudrait entendre la notion de personnalité. En fait les choses sont plus complexes, puisqu'une structure psychique ne se définit pas par tel ou tel comportement du sujet. Par structure, il faut entendre la manière dont le sujet a résolu en tout ou en partie son complexe d'œdipe, la façon dont il a eu accès ou non à la loi symbolique et celle selon laquelle il a parcouru les stades de la sexualité (stades oral, anal, phallique et génital). Ainsi on distingue classiquement cinq structures psychiques: la structure névrotique (structure hystérique et structure obsessionnelle), la structure narcissique, la structure perverse et la structure psychotique. Si les termes proviennent de la psychiatrie pour des raisons historiques, la notion de structure ne comprend aucun caractère pathologique. En revanche, chaque structure comporte son lot de pathologies mentales privilégiées, lorsque le sujet décompense. Il en est ainsi, par exemple, des pathologies addictives (pathologies de la dépendance) et psychosomatiques pour la structure narcissique. On soulignera par ailleurs que chaque structure est définitive pour le sujet; elle constitue une sorte de "tatouage psychique", sauf, et c'est ce qui nous intéresse ici, la struc- 15
ture narcissique qui peut évoluer, sous certaines conditions, vers la structure hystérique, perverse ou psychotique. On conclura, enfin, en précisant que toute société est fondée sur la structure névrotique (la structure hystérique ou structure du féminin, la structure obsessionnelle ou structure du masculin), en ce sens que la structure névrotique doit être considérée comme la structure de la "normalité", la structure d'un sujet ayant accès à la Loi, régulant ses pulsions par le surmoi (l'instance morale) et ayant accès à une sexualité génitale, capable de désir, d'amour et d'intégration au lien social dans le champ du travail, de la solidarité et de la politique. C'est largement par référence à cette "normalité" que nous présenterons la structure narcissique dont il est question dans cet ouvrage. 16
~. 2 Narcisse La question de l'existence d'une structure narcissique est actuellement très controversée entre psychanalystes; paresse de diagnostic pour les uns, authentique structure pour les autres. Si S. Freud ne raisonnait pas encore en termes de structure, c'est pourtant lui qui nous a ouvert la voie dans cette réflexion à partir de son texte Pour introduire le narcissisme, dans lequel il entrevoit l'hypothèse d'une personnalité narcissique. Nous posons donc l'hypothèse de la pertinence de cette structure. Qu'entendons-nous par structure narcissique? Il s'agirait d'une position psychique du sujet, située entre la structure névrotique d'une part, et les structures perverse et psychotique d'autre part. Certains sujets se structurent sur un pôle névrotique (pôle en principe hystérique), d'autres sur un pôle pervers (importance du ça), d'autres encore sur un pôle psychotique (faiblesse du moi). Cette structure narcissique est la seule structure psychique susceptible d'évoluer, soit "en avant" vers la structure névrotique (hystérique), c'est-à-dire vers la "normalité" pour les individus structurés sur un pôle névrotique, soit "en arrière", vers les structures perverse ou psychotique, pour les sujets structurés sur ces pôles. Ce sont les aléas de la vie qui peuvent être à l'origine de ces évolutions; ce peut être aussi une psychothérapie qui amène le sujet à entrer dans une structure hystérique définitive. 17
L'origine de la mise place d'une structure narcissique se situerait dans un épisode traumatique psychique ou physique, qui se serait déroulé avant l'âge de cinq ans: abandon (hospitalisation par exemple), maladie grave, accident. Cette explication à partir d'un traumatisme fondamental originaire, pertinente pour certains individus, ne peut cependant pas rendre compte à elle toute seule de l'apparition massive, depuis une vingtaine d'années, d'individus narcissiques. Il faudrait alors faire l'hypothèse que la civilisation contemporaine aurait tendance à produire du sujet narcissique. Ainsi, le traumatisme fondamental ou un rapport à la Loi, présent mais faible (faible intériorisation de la Loi), vont retarder le processus de formation du moi et placer l'individu à la fois dans un état hypernarcissique et de détresse identitaire. Lorsqu'il est fixé à un pôle névrotique, Narcisse campe dans une espèce d'antichambre de la structure névrotique, dans une sorte d'adolescence à demeure malgré les années. On a parlé ainsi par boutade de sujet "adulescent". 18
~. 3 Tous des Narcisse L'interrogation et la satisfaction narcissique ne concernent pas que le sujet de structure narcissique. Le narcissisme est un élément dynamisant de tout sujet de structure névrotique. S'il n'y a au fond aucune raison de se lever le matin, ce sont des éléments signifiants en rapport avec la sexualité, l'amour, le travail, la communauté humaine, qui donnent l'énergie de sauter hors du lit, si l'on ose dire. Si on a envie de se lever le matin, c'est parce que l'on va retrouver un métier passionnant dans la journée et que l'on a rendez-vous à dîner le soir avec la femme désirée et plus si affinités. Plus globalement, c'est le narcissisme avec le miroir et le regard de l'autre qui font que la vie vaut la peine d'être vécue. C'est le fait d'être aimé qui narcissise l'hystérique (femme ou homme). C'est le fait d'être aimé pour ce qu'il fait qui narcissise l'obsessionnel. C'est le plaisir de communiquer, d'aider et de soigner qui narcissise le sujet de structure hystérique. C'est le plaisir d'être dans la Loi, le devoir et l'œuvre qui narcissise le sujet de structure obsessionnelle. 19
Les structures psychiques en psychanalyse 1- Structure névrotique ("normalité" t la question de l':mour) ~ structure hystérique (structure du féminin) structure obsessionnelle (structure du masculin) pôle névrotique ("homme hypermodeme") / 2- Structure narcissique pôle pervers (Narcisse et la questio~ de l'angoisse ("petit pervers") pôle psychotique ("borderline") 3- Structure perverse (la question de la jouissance) 4- Structure psychotique (la question de l'identité)