AVIS SUR LA DÉSIGNATION DE L HABITAT ESSENTIEL DES BÉLUGAS DU SAINT-LAURENT (DELPHINAPTERUS LEUCAS)

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Secrétariat canadien de consultation scientifique Avis scientifique 2009/070 AVIS SUR LA DÉSIGNATION DE L HABITAT ESSENTIEL DES BÉLUGAS DU SAINT-LAURENT (DELPHINAPTERUS LEUCAS) G. Kuehl Figure 1 : Aires de répartition annuelle actuelle et historique (années 1930) des bélugas du Saint- Laurent. Contexte Au printemps 2004, le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) a évalué la population de bélugas du Saint-Laurent et l a désignée en tant que population «menacée». Cette population est donc inscrite sur la liste de la Loi sur les espèces en péril (LEP), laquelle exige qu un programme de rétablissement soit élaboré et que, dans la mesure du possible, l habitat essentiel soit désigné, selon la meilleure information disponible. Par ailleurs, si l information scientifique est insuffisante pour que l on puisse désigner adéquatement l habitat essentiel, un calendrier des études visant à le désigner doit être inclus. L évaluation du potentiel de rétablissement de certaines populations de bélugas, y compris celle du Saint-Laurent, publiée en 2005 (MPO, 2005), ne comporte pas d information sur l habitat. En 2006, un document de recherche soulignant les buts en matière de rétablissement pour les diverses populations canadiennes de bélugas a également été publié (Lawson et al., 2006). L équipe de rétablissement a demandé que soit formulé un avis scientifique sur l utilisation et les caractéristiques de l habitat pouvant être considérées dans le cadre de la désignation de l habitat essentiel à la survie ou au rétablissement des bélugas du Saint-Laurent. Le présent rapport constitue un addenda à l évaluation du potentiel de rétablissement produite en 2005 (MPO, 2005). SOMMAIRE Plusieurs caractéristiques associées au béluga en tant qu espèce et à la population du Saint- Laurent en particulier devraient être prises en compte lors de l évaluation de l habitat essentiel à la survie et au rétablissement de la population des bélugas du Saint-Laurent : Mars 2010

Le béluga est une espèce arctique qui compte une population vivant dans l estuaire du Saint-Laurent. L environnement y est favorable à la présence continue de l espèce grâce aux remontées d eaux froides et riches en minéraux, à la productivité élevée et au couvert de glace marine. Les processus océanographiques responsables de ces conditions sont considérés comme cruciaux à la survie et au rétablissement de cette population. La population de bélugas du Saint-Laurent est de petite taille et ne montre aucun signe de rétablissement depuis le début des activités de surveillance, au milieu des années 1980. La mort de quelques individus chaque année résultant de l'activité humaine aurait un effet négatif sur le rétablissement. Selon un échantillonnage effectué dans les années 1930, les bélugas du Saint-Laurent ont un régime alimentaire varié, constitué principalement de poissons tels que le capelan, le hareng, le lançon, l éperlan, la lompe, la morue, la plie, le poulamon ainsi que de calmars et de polychètes. Il n existe aucune donnée récente sur le régime alimentaire du béluga. L aire de répartition actuelle du béluga du Saint-Laurent équivaut à environ 65 % de son aire de répartition historique (figure 1). Présentement, les bélugas vivent principalement dans les eaux situées entre les Battures-aux-Loups-Marins et Rimouski/Forestville, y compris dans le Saguenay, jusqu à la baie Sainte-Marguerite. Cette population effectue des déplacements saisonniers d une ampleur limitée. La glace marine, les risques de prédation et la disponibilité de la nourriture pourraient influencer la période et l ampleur de ces déplacements. À l automne, on observe un déplacement général de la population vers l est jusque dans le nord-ouest du golfe du Saint-Laurent où une partie de la population séjourne durant l'hiver. Les bélugas se déplacent vraisemblablement pour trouver des habitats d hiver présentant un couvert de glace minimisant les risques d emprisonnement (< 70-90 %), mais où les ressources alimentaires sont adéquates. Les habitats où les bélugas ont été observés pendant l hiver incluent le chenal Laurentien, l estuaire entre Tadoussac et Les Escoumins, ainsi que les régions de Cloridorme et de Sept-Îles dans le nord-ouest du golfe (de novembre à avril). Malgré la rareté des données sur la répartition et l utilisation de l habitat pendant l automne, l hiver et le printemps, le secteur situé entre Forestville/Rimouski et Pointedes-Monts/Ste-Anne-des-Monts, ainsi que la partie nord-ouest du golfe du Saint- Laurent, ne devraient pas être ignorés lors de la désignation des habitats importants pour la survie et le rétablissement des bélugas du Saint-Laurent. Le printemps pourrait être une période d alimentation importante, mais on sait peu de choses sur l aire de répartition des bélugas pendant cette saison. Selon les habitudes alimentaires d autres populations de bélugas et l information limitée sur le régime alimentaire de celle du Saint-Laurent, la présence d une abondance de poissons en frai ou d autres proies au printemps pourrait avoir une incidence sur l aire de répartition des bélugas (d avril à juin). On sait très peu de choses sur l emplacement exact des habitats d alimentation et leurs caractéristiques, mais il est fort probable que des espèces telles que le capelan, le hareng et l éperlan, y soient présentes. L été, on observe régulièrement un phénomène de regroupement par sexe et par classe d âge chez de nombreuses populations de l espèce, y compris celle du Saint-Laurent. 2

Dans le Saint-Laurent, on retrouve ainsi de juin à octobre, les femelles, les nouveau-nés et les juvéniles dans l estuaire moyen, de Battures-aux-Loups-Marins à l embouchure du Saguenay, alors que les mâles adultes sont présents dans la partie nord de l estuaire maritime (figure 2). L estuaire moyen diffère notamment de l estuaire maritime du fait qu il est moins profond, plus chaud et plus turbide (moins salin), mais on ne sait pas avec précision quelles sont les caractéristiques qui attirent les individus de chaque sexe et de différentes classes d âge dans des secteurs particuliers du Saint-Laurent. On estime toutefois que l accessibilité de ces secteurs, du moins pendant l été, pour chacune de ces classes d âge est essentielle à la survie et au rétablissement de la population. Au sein de ces grands secteurs, il existe de nombreuses petites zones fréquentées régulièrement par les bélugas ou dans lesquelles ils passent une grande proportion de leur temps. Certaines d entre elles ont été identifiées pour la période estivale dans le Saint-Laurent. Ces zones sont interconnectées par un réseau plus ou moins complexe de couloirs de déplacement. En été, l espèce tend à former des regroupements, parfois importants, dans les estuaires ou les embouchures des rivières, et bien que leurs fonctions soient inconnues, ces zones constitueraient une partie essentielle de l habitat de l espèce. Dans l estuaire du Saint-Laurent, les embouchures de la rivière Ouelle, du Saguenay, la baie Sainte- Marguerite et les bancs de la Manicouagan constituent des secteurs où les bélugas se regroupent actuellement ou se regroupaient autrefois (figure 2). Comme l aire de répartition actuelle de la population est petite comparativement à ce qu elle était autrefois, le rétablissement de l espèce pourrait reposer sur le retour des bélugas dans leurs habitats historiques. L accessibilité à l habitat historique et l intégrité de celui-ci doivent donc être considérés comme importants pour la survie et le rétablissement de la population. Il faut améliorer notre compréhension de l utilisation temporelle des habitats et des patrons de mouvements des bélugas entre les habitats. Il faut également établir les caractéristiques clés et les fonctions biologiques de ces habitats ainsi que leur contribution relative au cycle annuel des bélugas. Il faut en outre décrire le régime alimentaire saisonnier des bélugas afin de relever les secteurs où vivent leurs proies. Toute cette information nous permettra d évaluer les conséquences de changements des paramètres clés de l habitat ou de la réduction de la disponibilité des habitats clés sur la survie et le rétablissement des bélugas du Saint-Laurent. RENSEIGNEMENTS DE BASE Les bélugas du Saint-Laurent forment l une des sept populations actuellement reconnues dans les eaux canadiennes. Selon les estimations, cette population s établissait à environ 10 000 individus en 1866. Cependant, au cours du siècle dernier, l effectif a été réduit de façon importante par la pêche commerciale et en raison de la perception erronée des gens selon laquelle ce mammifère constituait une menace pour les stocks de poissons. Actuellement, la population semble stable et compterait environ 1 100 individus. L absence de rétablissement pourrait être liée aux concentrations élevées de contaminants persistants chez les bélugas et dans leur environnement, à la concurrence pour les proies avec les pêches commerciales ou d autres espèces, à la perte ou à la dégradation de l habitat en raison de déversements de produits chimiques, du bruit, des aménagements hydro-électriques, des changements 3

climatiques, de perturbations causées par le trafic maritime et le bruit qu il engendre ou encore, à une mortalité périodique causée par des épizooties. ANALYSE Les bélugas du Saint-Laurent constituent une population relique de la distribution de l espèce avant la dernière déglaciation. Les processus océanographiques qui amènent une productivité élevée et un environnement généralement froid, y compris un couvert de glace saisonnier, sont favorables à la présence continue de cette espèce arctique à ces basses latitudes. La population de bélugas du Saint-Laurent est petite et semble se maintenir à environ 1 100 individus depuis que les activités de surveillance ont débuté, au milieu des années 1980. Selon une évaluation de la population, cette dernière serait fortement vulnérable à la mortalité causée par l homme, et des prélèvements aussi faibles que trois individus par année pourraient avoir un effet négatif sur le rétablissement. Les bélugas, incluant la population du Saint-Laurent, ont un régime alimentaire varié constitué principalement de poissons. On sait qu ils se nourrissent de poissons anadromes, et probablement, de poissons catadromes, ainsi que d espèces benthiques et pélagiques incluant certains invertébrés. On ne connait pas le régime alimentaire récent des bélugas du Saint- Laurent ni leur principales proies, car on ne dispose que d échantillons de deux contenus stomacaux. Cependant, selon cette information et les données des années 1930, leur régime alimentaire serait notamment constitué de capelans, de harengs, de lançons, d éperlans, de lompes, de calmars, de morues, de plies, de poulamons et de polychètes. Les bélugas n ont pas de lieu d habitation connu, comme une tanière ou un nid, à un moment quelconque de leur cycle biologique; en conséquence, le concept de «résidence» tel que défini dans la Loi sur les espèces en péril ne s applique pas. L information sur l aire de répartition et l'habitat historique est tirée d une étude réalisée durant les années 1930 à partir des connaissances des marins, de données sur les prises et de visites faites dans des communautés de l estuaire et du nord du golfe du Saint-Laurent. L information sur l utilisation récente de l habitat est tirée, en majeure partie, de relevés aériens et par navire, mais peu de ces résultats sont publiés dans la littérature scientifique primaire, et les données demeurent rares pour les saisons autres que l été. Ces données indiquent que les aires de répartition actuelle et historique des bélugas du Saint- Laurent sont centrées sur le Saguenay, mais que l aire de répartition actuelle équivaut à environ 65 % de celle des années 1930 (figure 1). Actuellement, le cœur de l aire de répartition des bélugas du Saint-Laurent s étend sur environ 5 000 km 2, soit une des plus petites superficies occupée par une population de cette espèce. L été, l aire utilisée est encore plus petite (environ 2800 km 2 ). L aire de répartition se concentre entre Battures-aux-Loups-Marins et Rivière- Portneuf/Rimouski, dans l estuaire, et la baie Sainte-Marguerite, dans le Saguenay. Comme dans les années 1930, les zones de concentration à l extérieur de cette région varient selon les saisons, mais elles sont désormais restreintes à une zone située entre Battures-aux-Loups- Marins et Sept-Îles/Cloridorme (alors qu elle s étendait de l ouest de la ville de Québec jusqu à Natashquan dans les années 1930), et seules quelques rares observations sont faites dans la baie des Chaleurs. Les bélugas ont également disparus des Bancs de la Manicouagan, là où des individus des deux sexes et de toutes classes d âge se regroupaient pendant l été dans les années 1930. 4

Les bélugas du Saint-Laurent entreprennent des migrations saisonnières, mais d une ampleur relativement limitée. Les bélugas du Saint-Laurent migrent probablement dans le but de trouver des habitats où les risques d emprisonnement dans les glaces sont limités et où les ressources alimentaires sont adéquates. D autres populations de bélugas hivernent régulièrement dans des zones où le couvert de glace atteint 70 % et, parfois, jusqu à 90 %. Les risques de prédation par les épaulards peuvent également avoir une incidence sur l aire de répartition saisonnière des bélugas. La prédation par les épaulards a été documentée comme une source de mortalité pour cette population. Bien que, ces dernières années, il n y ait eu presque aucune observation d épaulard dans l estuaire du Saint-Laurent, la menace de prédation pourrait encore influencer l aire de répartition saisonnière de cette population. En automne, les bélugas se déplacent progressivement vers l est, quittant l estuaire moyen pour se rendre dans l estuaire maritime et dans le nord-ouest du golfe, probablement en réponse à la migration de leurs proies vers des eaux plus profondes et pour trouver des zones où les conditions de glace réduisent les risques d emprisonnement. L aire de répartition des bélugas semble être à son maximum au printemps (avril-juin), lorsque l intensité de l alimentation atteindrait sa plus forte intensité. Les données limitées disponibles indiquent qu au printemps des bélugas demeurent dans le nord-ouest du golfe du Saint-Laurent, mais qu une grande partie de la population a réintégré l estuaire moyen, vers l ouest, jusqu à Battures-aux-Loups- Marins. L été, lorsque les femelles mettent bas et allaitent leur nouveau-né et lorsque les bélugas s alimentent régulièrement, la plupart des bélugas occupent l aire de répartition principale définie précédemment. À cette période de l année, des bélugas sont souvent observés, parfois en grand nombre, dans les embouchures de tributaires. Au sein de ces grands secteurs, il existe de nombreuses petites zones fréquentées régulièrement par les bélugas ou dans lesquelles ils passent une grande proportion de leur temps (Mosnier et al. 2009). Certaines de ces zones ont été identifiées pour la période estivale. D ordinaire, la proportion de la population présente dans une de ces zones à un moment donné est de 5 % ou moins. Les individus se déplacent fréquemment entre ces petites zones, qui ne sont distantes que de quelques kilomètres dans l estuaire, en suivant vraisemblablement un réseau défini de couloirs de déplacement. Cependant, on sait peu de choses sur les principales caractéristiques et les fonctions biologiques de ces petites zones. Le béluga est une espèce longévive et grégaire qui se regroupe par âge et par sexe. L été, les plus petits individus ont tendance à fréquenter des eaux peu profondes situées plus près de la côte, tandis qu on observe les plus gros individus plus au large, dans des eaux plus profondes. On ne sait pas si des regroupements par âge et par sexe existent au cours des autres saisons. Ces caractéristiques s appliquent également à la population de bélugas du Saint-Laurent. Les femelles, les nouveau-nés et les juvéniles se concentrent dans l estuaire moyen, entre les Battures-aux-Loups-Marins et le Saguenay, où l eau est relativement peu profonde, chaude, turbide et saumâtre. Les gros adultes blancs, probablement des mâles adultes, se concentrent dans les eaux plus profondes, plus froides et plus salines du chenal Laurentien, dans le nord de l estuaire maritime, où l on observe rarement les femelles, les nouveau-nés et les juvéniles pendant l été. On trouve les deux types de groupes dans le Saguenay et son embouchure ainsi que dans la partie sud de l estuaire maritime (figure 2). L utilisation d eaux moins profondes par les femelles, les nouveau-nés et les juvéniles pourrait réduire les risques de prédation et assurer l accès à des ressources alimentaires adéquates pour les plus petits individus dont les capacités de plongée sont réduites. Comme d autres populations, les bélugas du Saint-Laurent fréquentent régulièrement l'embouchure de certains tributaires pendant l été et au début de l automne. Ces embouchures sont celles de la rivière Ouelle, du Saguenay, de la baie Sainte-Marguerite et, par le passé, les 5

bancs de la Manicouagan (figure 2). Parmi les hypothèses pouvant expliquer l utilisation répétitive des embouchures de cours d eau ou des estuaires par les bélugas pendant l été, mentionnons le besoin d avoir accès à des eaux chaudes dans des estuaires peu profonds afin de stimuler la mue, d élever les petits, de s alimenter ou d éviter la prédation par les épaulards. Dans le cas des bélugas du Saint-Laurent, on ne connaît pas les fonctions biologiques associées à ces zones. Cependant, il est intéressant de noter que les bélugas du Saint-Laurent se trouvent déjà dans un estuaire dont le chenal sud de l'estuaire moyen ressemble aux zones peu profondes et plus chaudes souvent associées aux regroupements de bélugas que l on observe ailleurs. Les patrons d'utilisation de l habitat sont fonction, en partie, des comportements appris; en outre, les individus montrent une certaine fidélité aux sites. Ces caractéristiques peuvent limiter les excursions vers de nouvelles zones et ralentir l expansion de l aire de répartition, y compris la recolonisation d habitats utilisés dans le passé. Dans le cas des bélugas du Saint-Laurent, on observait la présence de femelles, de nouveau-nés et de juvéniles le long du rivage nord de l estuaire maritime dans les années 1930, mais on ne les y observe maintenant que rarement pendant l été. De la même manière, des bélugas des deux sexes et de toutes classes d âge ont déjà été abondants sur les bancs de la Manicouagan (situés à seulement quelques dizaines de kilomètres en aval de l aire de répartition principale actuelle), mais ils en ont disparus après avoir été chassés de façon excessive.[ ] La recolonisation de ces zones peut avoir été entravée par la fidélité des groupes de bélugas survivants à des secteurs situés plus loin en amont. CONCLUSIONS ET AVIS À l heure actuelle, les bélugas du Saint-Laurent vivent pour la plupart dans les eaux situées entre Battures-aux-Loups-Marins et Rimouski/Forestville, incluant également le Saguenay jusqu à la baie Sainte-Marguerite, quoi que à l automne, on observe une migration générale vers l est en direction de la partie nord-ouest du golfe du Saint-Laurent. Il demeure une grande incertitude quant à la proportion de la population qui utilise l estuaire maritime ou le nord-ouest du golfe pendant l hiver et le printemps. Néanmoins, l'importance de la partie de l estuaire maritime située entre Forestville/Rimouski et Pointe-des-Monts/Ste-Anne-des-Monts ainsi que le nord-ouest du golfe du Saint-Laurent ne devraient pas être ignorée lors de la désignation des habitats importants pour la survie et le rétablissement des bélugas du Saint-Laurent étant donné l importance historique de ces secteurs et le fait qu ils peuvent être très utilisés au printemps, lorsque l intensité de l alimentation serait à son maximum. Les aires de concentration ainsi que les caractéristiques clés de l habitat diffèrent probablement selon les saisons et doivent être étudiées davantage. Les bélugas du Saint-Laurent ont un régime alimentaire varié, constitué principalement de poissons. Cependant, il n existe aucune donnée récente sur le régime alimentaire des bélugas. En été, les bélugas du Saint-Laurent se regroupent en certains endroits selon leur sexe et leur classe d âge. L estuaire moyen, où se concentrent les femelles, les nouveau-nés et les juvéniles, est probablement un habitat important pour la mise bas et pour l élevage des jeunes. Les raisons de la ségrégation sexuelle et les caractéristiques de l habitat qui sont essentielles à la survie des femelles, des nouveau-nés et des juvéniles restent incertaines. Les zones plus petites fortement utilisées et qui ont été relevées dans l aire de répartition d été des bélugas du Saint-Laurent sont probablement des endroits où des processus essentiels du cycle biologique se déroulent. Comme il est possible que les bélugas doivent visiter plusieurs 6

zones successivement pour combler leurs besoins biologiques, on doit considérer que les corridors d accès et les habitats qu ils relient sont aussi importants l'un que l'autre pour la population. Il faut déterminer les raisons pour lesquelles ces habitats sont utilisés, quand le sont-ils, dans quelle mesure ils sont importants et quelles seraient les conséquences d une dégradation de leurs caractéristiques clés ou d une réduction de leur accessibilité sur la survie et le rétablissement de la population. Les bélugas du Saint-Laurent sont ou étaient régulièrement présents dans l embouchure de certains tributaires pendant l été, dont celles de la rivière Ouelle, du Saguenay, de la baie Sainte-Marguerite et, autrefois, les bancs de la Manicouagan. Même si seule une petite partie de la population peut se trouver à ces endroits à un moment donné, on y observe régulièrement des bélugas pendant l été. Étant donné que l'utilisation de ces environnements est typique de l espèce, nous en concluons qu ils pourraient être importants pour compléter des processus du cycle biologique essentiels à la survie et au rétablissement de la population. La superficie de l aire de répartition actuelle des bélugas du Saint-Laurent est parmi les plus petites observées chez les populations de cette espèce et elle est encore plus petite en été. En conséquence, la dégradation des caractéristiques clés de l habitat ou la réduction de la disponibilité des habitats clés pourraient avoir des impacts négatifs sur la population, plus particulièrement si cette population doit s'accroître. Dans ce contexte, la préservation de l accessibilité des zones utilisées par une grande partie de la population, y compris celles utilisées historiquement comme les bancs de la Manicouagan, et la préservation de leur intégrité pourrait permettre l expansion de l aire de répartition de la population. Cependant, les caractéristiques de l espèce comme la longévité, l organisation sociale et les comportements appris pourraient influencer l utilisation saisonnière de l habitat et pourraient entraver la recolonisation de ces habitats en ralentissant ce processus. 7

Figure 2. Aire de répartition des différents groupes de bélugas et estuaires utilisés actuellement ou historiquement par les bélugas du Saint-Laurent. SOURCES DE RENSEIGNEMENTS MPO. 2005. Évaluation du potentiel de rétablissement des populations de bélugas de la baie d Ungava, de l est de la baie d Hudson et du Saint-Laurent (Delphinapterus leucas). Pêches et Océans Canada. Secrétariat canadien de consultation scientifique. Avis scientifique 2005/036. Lawson, J., Hammill, M.O. et Stenson, G. 2006. Caractéristiques pour le rétablissement : Béluga. Pêches et Océans Canada. Secrétariat canadien de consultation scientifique. Document de recherche 2006/075. Mosnier, A., Lesage, V., Gosselin- J.-F., Lemieux-Lefebvre, S., Hammill, M.O. et Doniol- Valcroze, T. 2009. Information relevant to the documentation of habitat use by St. Lawrence beluga and quantification of habitat quality. Pêches et Océans Canada. Secrétariat canadien de consultation scientifique. Document de recherche 2009/098 : iv + 36 p. 8

POUR DE PLUS AMPLES RENSEIGNEMENTS Communiquer avec : Véronique Lesage Pêches et Océans Canada Institut Maurice-Lamontagne C. P. 1000, 850, Route de la Mer Mont-Joli, QC, CANADA G5H 3Z4 Gouvernement du Canada Téléphone : Télécopieur : Courriel : (418) 775-0739 (418) 775-0740 Veronique.Lesage@dfo-mpo.gc.ca Ce rapport est disponible auprès du : Centre des avis scientifique (CSA) Région du Québec Pêches et Océans Canada Institut Maurice-Lamontagne C. P. 1000, 850 Route de la Mer Mont-Joli, Québec, CANADA Téléphone : (418)775-0825 Télécopieur : (418)775-0740 Courriel : Bras@dfo-mpo.gc.ca Adresse Internet : www.dfo-mpo.gc.ca/csas ISSN 1919-5109 (imprimé) ISSN 1919-5117 (en ligne) Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, 2010 An English version is available upon request at the above address. LA PRÉSENTE PUBLICATION DOIT ÊTRE CITÉE COMME SUIT : MPO. 2010. Avis sur la désignation de l habitat essentiel des bélugas du Saint-Laurent (Delphinapterus leucas). Secr. can. de consult. sci. du MPO. Avis sci. 2009/070. 9