Discours de la Directrice générale de l UNESCO Irina Bokova, à l occasion du Forum international organisé dans le cadre de la célébration du 10e anniversaire de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles Mons, le 25 octobre 2015 Monsieur le Bourgmestre de la Ville de Mons, Elio Di Rupo, merci pour cette invitation, Monsieur le Ministre-Président de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Rudy Demotte, Madame la Secrétaire générale de l Organisation internationale de la Francophonie, Honorable Michaëlle Jean, Madame la Ministre-Présidente du Gouvernement Francophone Bruxellois, Fadila Laanan Madame la Ministre de la Culture, Joëlle Milquet Monsieur le Secrétaire général de la Maison de sa Majesté le Roi, Philipe Kridelka, Excellences, Mesdames et Messieurs, Je suis très honorée d être parmi vous ce matin, entourés d amis enthousiastes de la diversité culturelle, et de célébrer le 10e anniversaire de la Convention de l UNESCO de 2005. C est un plaisir double, alors que nous commémorons cette année le 70e anniversaire de l'unesco. Et c est un moment privilégié de réaffirmer notre conviction dans le potentiel de la culture, face aux défis du monde contemporain : Les défis du développement durable Les défis de la pauvreté de la cohésion sociale dans des sociétés diversifiées DG/2015/192 original : français
Les défis de la paix, et de la lutte contre l extrémisme violent. Il y a quelques semaines, les Nations Unies ont adopté un nouvel agenda mondial pour le développement durable d ici 2030. Pour la première fois, à ce niveau, le rôle de la culture et de la diversité culturelle est pleinement reconnu comme un accélérateur de développement durable. Nous avons mené un plaidoyer global, avec vous, pour démontrer le pouvoir de la culture et c est une avancée politique importante, à laquelle l UNESCO est fière d avoir contribué. De plus en plus de pays investissent dans la culture, dans les industries créatives, qui sont des leviers de la nouvelle économie du savoir portée par l'innovation, le partage des connaissances et la créativité. C est bien plus qu un enjeu culturel. C est une question de transformation sociale. C est un enjeu de citoyenneté. C est la question centrale du type de sociétés que nous voulons construire. Au moment où nous parlons, nous voyons les conséquences dévastatrices de l'extrémisme violent, qui s attaque précisément à la diversité culturelle. Les individus sont persécutés pour des raisons religieuses et culturelles, les traditions sont effacées, le patrimoine culturel est ciblé comme un symbole de la liberté de pensée, de vivre et de créer. La volonté d effacer la diversité des expressions culturelles est une attaque directe contre les principes de la vie en société, contre la dignité humaine. Ce défi nous concerne tous, et nous devons répondre. DG/2015/192 - Page 2
Il y a plusieurs façons de le faire et l une des réponses, c est précisément de promouvoir davantage la diversité culturelle, de soutenir celles et ceux qui la font vivre, de favoriser la création et le travail des artistes, comme une source de dignité, de progrès et de cohésion. Ce message est le message fondateur de l UNESCO et il ne pouvait pas y avoir de meilleur endroit que cette ville de Mons, Capitale Européenne de la culture, pour le réaffirmer. Cette belle ville est une preuve du pouvoir de la culture à transformer le territoire, en s appuyant sur un héritage architectural exceptionnel comme le fameux Beffroi Inscrit au patrimoine mondial de l UNESCO pour stimuler la création contemporaine, à l image de ce bâtiment, conçu par Daniel Libeskind. Cette ville est un pont entre le patrimoine et le spectacle vivant dont al Ducasse est le plus beau symbole, inscrit comme chef d œuvre oral et immatériel de l humanité par l UNESCO entre la culture d hier et les nouvelles technologies dont nous avons vu un exemple à l artothèque. Il n est pas facile, par définition, de faire émerger un environnement créatif, et je voudrais ici saluer l action de M. Elio Di Rupo, et je suis convaincue que la métamorphose de cette ville, par ses habitants et par la culture, sera considérée comme un exemple à l image de Bilbao, de Reykjavik, de Medellín, qui ont surmonté les crises en misant sur la culture. Beaucoup d événements ont marqué à travers le monde le 10e anniversaire de la Convention. Mais celui-ci revêt une signification spéciale, en raison du rôle central joué par la Belgique, et tout particulièrement la Fédération de la Wallonie-Bruxelles, dans l'adoption de cette Convention. La Belgique a joué un rôle essentiel, dès le départ, au sein des forums internationaux, au sein de la Francophonie et du Réseau international sur la politique culturelle, pour faire valoir la vision qui est au cœur de la Convention. DG/2015/192 - Page 3
Aujourd hui, 140 Parties, dont l'union européenne, l ont ratifié et c est la preuve que cette vision est juste. Je voudrais rendre hommage ici à l Organisation internationale de la Francophonie, à son premier Secrétaire général, M Boutros Boutros Ghali, ainsi qu au Président Abdou Diouf et aujourd hui Madame Michaëlle Jean, pour avoir œuvré sans relâche en faveur de la diversité des expressions culturelles. Aucune autre organisation intergouvernementale n a autant coopéré avec l UNESCO pour l élaboration, la ratification et la mise en œuvre de la Convention. Les chiffres parlent d eux-mêmes : 70 des 80 membres, de l'oif ont ratifié la Convention, plus de 30 pays ont bénéficié de financements du Fonds international pour la diversité culturelle ou de missions d assistance. Ensemble, en dix ans, nous avons créé une dynamique formidable, sur la base de deux principes essentiels : 1. Le premier principe, c est que les biens et services culturels ne sont pas de simples marchandises : ils ont à la fois une valeur économique qui est source d emplois et de revenus, c est évident, et ils ont aussi une valeur culturelle, car ils portent des identités, des valeurs ils fabriquent et transmettent des repères collectif. Aujourd hui que les sociétés cherchent de nouvelles solutions pour concilier le développement économique et social, cette double nature des biens et services culturels est un atout considérable, et nous voyons à quel point la Convention de 2005 a un temps d avance. 2. Le deuxième principe, c est de reconnaître le droit souverain des Etats à formuler et à prendre des mesures pour la promotion de la diversité des expressions culturelles. Ce droit est particulièrement important pour les pays en développement, dont les artistes et les industries créatives doivent avoir un accès équitable aux marchés mondiaux et contribuer à la richesse créative de notre monde. DG/2015/192 - Page 4
La Convention de 2005 est le premier traité international à reconnaître ces deux principes aussi clairement. Elle a ouvert un nouveau chapitre du droit international et cette vision est profondément adaptée aux mutations des sociétés contemporaines. Une nouvelle économie créative émerge à l'échelle mondiale, avec des taux de croissance à 2 chiffres, en Amérique du Sud, en Afrique, en Asie. En 10 ans, le commerce mondial des biens et services créatifs a plus que doublé, il atteint plus de 624 milliards de dollars. En Europe, le secteur culturel est le troisième plus important en termes d'emplois. De plus en plus de pays misent sur la culture et le secteur créatif pour lutter contre la pauvreté, créer de l emploi, consolider la cohésion sociale, pour inscrire la croissance dans la durée. Cette évolution est une réalité et pour l accompagner, les Etats ont besoin de politiques, d outils, de mesures adaptées. L un des enjeux, c est d assurer notamment que la mondialisation soit réellement un élargissement et pas un appauvrissement de nos horizons culturels. C est un objectif central de la Convention de 2005. De nouvelles données produites par l UNESCO montrent que sur les quelques 200 milliards de dollars de biens culturels exportés en 2013, près de la moitié vient de pays en développement. Si l on en retire la Chine et l Inde, la part des pays en développement dans les échanges de produits culturels est extrêmement faible. Et si l on regarde l offre de services culturels, c est-à-dire les professionnels, les artistes, chanteurs, acteurs, qui circulent dans le monde, la part des pays en développement s effondre, à moins de 2%. DG/2015/192 - Page 5
La mondialisation culturelle ne peut pas se faire à sens unique. Nul ne peut l accepter. Chaque culture doit avoir les moyens de se faire connaître, et de s inspirer des autres. Voilà l objectif de la Convention de 2005. Pour y parvenir, l un des principes fondateurs c est de rappeler qu un environnement créatif dynamique ne se décrète pas : l Etat ne peut pas créer de la culture, mais il peut créer les conditions pour la faire éclore, en partenariat avec la société civile. Cette logique du partenariat est la clé de fonctionnement de cette Convention, qui s est imposée depuis 10 ans comme une plateforme de rencontre des politiques, des entrepreneurs culturels, de la société civile. J en veux pour preuve la rencontre organisée hier des coalitions pour la diversité culturelle, qui a réunie plus de 200 artistes, professionnels de la culture, représentants d associations culturelles de tous les horizons. Le travail accompli, en 10 ans, est remarquable, il a permis de faire émerger une nouvelle vision du rôle de la culture dans l économie et dans la société. Le Fonds international pour la diversité culturelle lancé en 2010 a déjà financé près de 80 projets destinés à renforcer les industries culturelles dans près de 50 pays. Le Fonds a bénéficié du fort soutien de la Belgique, et j en suis profondément reconnaissante. Nous avons adopté une stratégie globale de renforcement des capacités Mis en œuvre des missions d'assistance technique dans 13 pays Lancé une banque d expertise de 43 experts internationaux sur la Convention pour renforcer les politiques culturelles dans les pays en développement. DG/2015/192 - Page 6
Grâce à la Convention, nous voyons naître de nouveaux exemples de coopération culturelle Nord-Sud-Sud, avec des mesures de traitement préférentiel pour les artistes et professionnels de la culture, en Europe, en Nouvelle Zélande, au Burkina Faso L esprit de la Convention influence également les instruments commerciaux les plus récents. De nouveaux protocoles spécifiques à la coopération culturelle sont annexés aux accords commerciaux classiques, et reconnaissent la spécificité des biens et services culturels. La Convention de 2005 est mentionnée dans plus de 250 textes de dizaines d'organisations internationales, régionales et bilatérales. C est un résultat qui nous oblige à faire encore davantage. Le numérique est clairement la nouvelle frontière de la mise en œuvre de l esprit de 2005. Le numérique bouleverse les façons de produire, de partager la culture, c est une chance pour la création si nous savons construire des politiques adaptées. Sur tous ces plans, la Convention de l UNESCO n a pas pris une ride : elle s applique à tous les supports, y compris le numérique, et cet enjeu est une priorité de travail pour les années à venir, avec l élaboration de nouvelles directives opérationnelles. L UNESCO prendra toute sa part à cet effort collectif, pour aligner, moderniser, mettre en cohérence les systèmes de soutien, combiner les efforts pour favoriser l émergence d une politique culturelle encore plus forte. Au-delà de l Europe, de nombreux pays à la Convention de 2005, comme le Canada, l Uruguay, et d autres, ont déjà adopté des mesures innovantes sur le numérique et l audiovisuel, et l UNESCO va continuer de les soutenir. DG/2015/192 - Page 7
Pour conclure, Mesdames et Messieurs, la promotion de la diversité des expressions culturelles n est pas un sujet technique. C est une certaine vision de la société, créative, innovante, respectueuse de la féconde diversité des cultures. Cette vision est aujourd hui menacée. Elle est menacée par ceux qui veulent détruire la diversité culturelle parce qu elle incarne une liberté de vivre et de pensée qui leur est insupportable. Elle est menacée par ceux qui veulent réduire l humanité à des consommateurs de la culture, réduire la culture aux seules règles du commerce. Investir dans la diversité culturelle, ce n est pas seulement chercher à vendre plus de disques, de DVD, de livres c est vouloir mettre en avant le pouvoir de la culture à rendre les sociétés plus innovantes, plus inclusives, plus durables. C est vouloir des sociétés où chacun peut participer à la vie culturelle et l enrichir, où des jeunes artistes peuvent émerger et vivre dignement de leur métier. Devant les incertitudes de l avenir, nous avons besoin de porter l intuition fondatrice de la Convention de 2005. Nous allons continuer de la porter ensemble, avec l Organisation Internationale de la Francophonie, avec la Belgique, avec l Union européenne, dont la diversité, plus qu un embellissement, est une raison de vivre, la clé du développement durable et de la paix. Je vous remercie de votre attention. DG/2015/192 - Page 8