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Souvenir, souvenir, que me veux-tu? disait Verlaine. Au fur et à mesure que le temps passe et que l âge m envahit, je veux faire un effort de mémoire et remonter le chemin de ma vie à l envers. Mes souvenirs d enfance vont s éloigner et il faut absolument que je retrouve les premières années de cette enfance un peu particulière, dont je veux laisser des traces à mes enfants et surtout à mes petits enfants. Départ en Indochine Mon père, Joseph Abadie, après la guerre de 14, passa à Bordeaux, le concours des Douanes. C était déjà l époque florissante des colonies. L Indochine offrait des perspectives de carrière surtout dans l administration. Mon père fut reçu au concours et fut nommé très vite dans un poste à Hué en Annam. Après 2 ans, à son retour en France, à Lourdes, il rencontra ma mère, Marie Peyres. Ils se marièrent en 1926 et tous deux prirent le chemin des Colonies. A Hué, mes parents habitaient le bâtiment des douanes et régies. Ils revenaient en France tous les 3 2 3
ans pour un congé de 9 mois. A 30 ans, Maman avait déjà 4 enfants. J étais la petite dernière. En feuilletant un album de photos de notre famille, je me vois à 1 an à Tourane (Da Nang), c est ma ville natale. Retour en France A 6 mois, je fais mon premier voyage à bord d un paquebot dont la traversée doit durer 1 mois. Nous passons ce congé à Lourdes auprès de ma grand-mère et de ma tante Lili, la sœur de Maman. A chaque retour, elle nous gâtait beaucoup. Dong-Hoî Il faut donc rentrer en Indochine. Mon père change de poste. Il est nommé à Dong Hoï, petite ville située en bordure de la mer de Chine. Nous habitons la maison des Douanes. Mes premiers souvenirs, à 3 ans, restent fragiles. Je me souviens très bien, cependant, d une femme du pays, très maternelle, qui s occupait de moi. Elle m aimait beaucoup et je le lui rendais bien, c était ma «Thi Ba». Maman m a souvent raconté qu il lui arrivait d être jalouse de cette affection. Thi Ba me couvrait de baisers, j avais beaucoup de chance, c est évident. Nous allions à la plage tous les jours. D après les photos, les plages sont superbes dans cette région d Annam. Le sable fin, la mer tiède, la lumière, ce devait être merveilleux!! Mes souvenirs sont assez flous, j étais très jeune. Pourtant, un jour, en jouant dans le jardin avec mes 24
sœurs et mon frère, je pose malencontreusement le pied sur les dents d un râteau et je me fais un trou sur la plante du pied. Je saigne beaucoup, j ai très mal, Maman accourt à mes cris et à mes pleurs. J imagine la suite : pansements, soins à l hôpital, vaccin antitétanique. J en suis traumatisée pendant quelques jours. Conge en France (Lourdes) Après ces 3 ans passés à Dong Hoï, il faut repartir en France et je dois quitter ma bonne Thi Ba. J ai énormément pleuré et elle aussi. A Lourdes, nous retrouvons les familles respectives des mes parents. Quel bonheur de les revoir, surtout Grand-Mère qui nous aimait tant. Elle devait avoir 70 ans. C était une femme assez petite, aux cheveux déjà blancs. Elle était très simple, effacée et discrète, toujours vêtue de noir. Elle a eu des épreuves dans sa vie, veuve de bonne heure, elle a dû se débrouiller pour élever ses 3 enfants toute seule, sans trop de ressources. C est une adorable Grand- Mère. J apprends à mieux la connaître à chaque congé et c est d autant plus difficile quand nous devons la quitter. C est à Tarbes que mes parents vont louer un appartement en plein centre ville, sur la place de Verdun. Tous les jours, nous retrouvons des voisins pour jouer sur la place. Je commence à grandir, 4 ans, 5 ans Ma sœur Christiane qui a 14 mois de plus que moi, sait déjà lire. Je me sens toute petite et je l admire déjà en secret. Moi aussi, je voudrais tant lire et mon imagination bat son train. Je feuillette tous les livres 2 5
qui me tombent sous la main, j invente des histoires, c est que ces livres renferment des secrets que je ne puis connaître encore! Le soir, après la classe, autour de la table de la salle à manger, on prépare les devoirs du soir, on apprend les leçons, mais je ne suis pas encore inscrite à l école, alors, j écoute et je cherche à déchiffrer les titres de lecture : «A table, la soupe refroidit!. Je devine et je finis par déclamer tous les titres du livre de lecture de ma sœur. Mon père s en amuse beaucoup. Il a dû penser à ce moment que j étais douée! Mais ce n est qu une illusion, bien sûr, car je voulais être comme les autres! Retour en 1939 Quand septembre arrive, c est l époque du retour en Asie. Maman prépare à nouveau les malles et Papa s occupe des formalités du voyage. Une fois de plus, nous quittons la famille et nos larmes coulent. Voyage a bord de l Athos II C est à Marseille que nous embarquons à bord de l Athos II, un magnifique paquebot affecté à la ligne d Extrême Orient. Mes souvenirs se font plus précis. Je me souviens d avoir emprunté l immense passerelle le 18 août 1939. Le mois suivant, ce sera la déclaration de guerre. Mais je suis trop jeune pour comprendre la gravité de ces évènements. Nous occupons deux cabines de première classe : mon Père et mon frère sont ensemble et Maman avec ses trois filles. J ai un vague souvenir de notre cabine, 26