LA CONTAMINATION CHIMIQUE : QUEL RISQUE EN ESTUAIRE DE SEINE?

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Transcription:

Préfecture de Région Haute-Normandie Pôle Environnement et Développement Durable Financements : Etat français Europe Réalisation : GIP Seine-Aval LA CONTAMINATION CHIMIQUE : QUEL RISQUE EN ESTUAIRE DE SEINE? Malika LACHAMBRE & Cédric FISSON Octobre 2007

Les pesticides, parfois dénommés sous le terme plus restrictif de produits phytosanitaires, sont des substances chimiques minérales ou organiques, de synthèse ou naturelles, entre autres destinées à protéger les végétaux contre les organismes nuisibles aux cultures (insectes, «mauvaises herbes», champignons, ). Les pesticides sont épandus par pulvérisation, par application sur les sols ou par traitement des semences, et sont employés aussi bien pour le traitement des zones agricoles que pour celui des zones non agricoles : désherbage des axes routiers et des voies ferrées, des communes, des parcs publics et des propriétés privées (jardins, potagers, toitures, terrains de sport, ). Ils sont généralement composés d une ou plusieurs substances actives, associées à des adjuvants. Ces derniers sont chargés de favoriser la répartition du produit phytosanitaire sur les feuilles du végétal traité, et dans certains cas, sa pénétration dans la plante. [Institut Pasteur de Lille, 2003 ; De Wever, 2003] Les pesticides sont classés en familles, selon leur cible, ou leur structure chimique. Trois grandes familles (classement par cibles) sont couramment utilisées : Les insecticides : destinés à la lutte contre les insectes. Ils interviennent en les tuant ou en empêchant leur reproduction. Ce sont souvent les pesticides les plus toxiques et c est dans cette famille que l on trouve la plupart des polluants organiques persistants, dont le DDT et le lindane ; Les fongicides : destinés à éliminer les moisissures et parasites fongiques des plantes ; Les herbicides : destinés à lutter contre certains végétaux («mauvaises herbes») entrant en concurrence avec les plantes cultivées. Leur mode d épandage est différent puisqu ils sont déposés directement sur le sol, tandis que les autres produits sont plutôt pulvérisés sur la plante en croissance. Les herbicides constituent aujourd hui la famille la plus importante en nombre de molécules et la plus utilisée. Le classement par structure chimique (pesticides organiques) comprend : Les organochlorés : parmi les plus anciens et les plus persistants, surtout utilisés comme insecticides en agriculture et dans les métiers du bois ; Les organophosphorés : insecticides moins persistants que les précédents ; Les organoazotés : herbicides principalement, repérables par le suffixe «zine» ; Les urées substituées : herbicides et fongicides, repérables par le suffixe «uron» ; Les carbamates : fongicides et insecticides ; Les sulfonylurées : herbicides utilisés à des doses de quelques grammes par hectare seulement, contre quelques kilos pour les organoazotés par exemple ; La figure 1 présente l évolution de l utilisation des substances pesticides depuis le début du XX e siècle. Suite à la prise de conscience des problèmes posés par les pesticides sur l environnement et la santé humaine dans les années 1960, et dans un but de diminution des risques, chaque nouvelle génération de molécules mise sur le marché est d une part moins persistante (plus biodégradable) que la précédente, et d autre part, plus efficace et nécessite des doses plus faibles pour agir (selon l Union des Industries de la Protection des Plantes UIPP, il fallait 1 kg de matières actives par hectare en 1950, contre 100 g aujourd hui et 10 g dans dix ans). Cela fait de la présence des pesticides dans les eaux de surface (et l environnement en général) un problème particulier : des molécules interdites depuis plus de 30 ans (par exemple le DDE, métabolite du DDT) sont toujours retrouvées dans les écosystèmes aquatiques et portées sur les listes de substances prioritaires. Par ailleurs, des molécules récentes et actives à de très faibles doses (sulfonylurées par exemple) ne sont pas décelées du fait de limites de détection plus élevées que les concentrations du milieu. 2/6 Octobre 2007

Figure 1 : Evolution des familles de substances utilisées comme pesticides depuis le début du XX e siècle [UIPP, 2003] L UIPP (2000) estime à environ 100 000 t/an la masse de matières actives actuellement utilisée en France. Environ 55 % des produits sont des fongicides, 30 % des herbicides et moins de 5 % des insecticides. La France est en première place sur le marché européen, du fait de sa plus grande surface agricole plutôt que de traitements plus importants. 90,6 % du tonnage des substances utilisées sont destinés aux usages agricoles, 8,1 % aux particuliers et 1,3 % aux collectivités et sociétés exploitantes de réseaux de transport (statistiques de ventes de produits). Les apports de pesticides dans l environnement, et notamment dans les milieux aquatiques, sont, en dehors d accidents ponctuels, de natures diffuse et chronique. Une fois épandus, les pesticides se répartissent dans trois compartiments de la biosphère : l eau, l air et le sol (Figure 2). Le sol, recevant la plupart des traitements, peut à son tour contaminer l eau et l air. Les mécanismes de pertes sont variés. Lors de l application qui s effectue généralement sous forme de spray, une fraction importante des pesticides déposés sur les plantes ou le sol ruisselle ou s infiltre, pour atteindre et contaminer les eaux de surface ou les eaux souterraines. Une part importante des produits se retrouve dans l atmosphère sous l action de divers phénomènes : le phénomène de dérive lors de l application en période venteuse, la volatilisation après le traitement et l érosion éolienne des particules du sol. Avant de retomber sur le sol, les molécules peuvent être en partie décomposées. Certains pesticides ont ainsi une durée de vie de quelques jours mais d autres sont très stables et peuvent effectuer plusieurs centaines de kilomètres avant de retomber sur les sols, par déposition sèche ou lessivage de l atmosphère par les précipitations. [Institut Pasteur de Lille, 2003] 3/6 Octobre 2007

Figure 2 : Cycle des pesticides dans l environnement Les pesticides non agricoles (herbicides principalement) sont utilisés dans les zones urbaines ou sur les voies de communication, ce qui représente environ 5 % du territoire national seulement. Mais le désherbage chimique sur des zones bitumées ou du sable tassé peut entraîner des transferts vers l eau de l ordre de 10 à 40 % du produit épandu, tandis que les pertes agricoles vers les eaux sont estimées entre 1 et 3 %. [Boulet, 2005] Au-delà du rôle de ces pesticides en matière de lutte contre les organismes nuisibles, leur utilisation peut engendrer des risques directs ou indirects pour l Homme et les écosystèmes et constitue aujourd hui un enjeu de société majeur. En effet, les études montrent une contamination préoccupante et généralisée des eaux françaises par les pesticides. Leur présence est détectée dans 80 % des stations de mesure en eau superficielle (précisons que l extension des listes de molécules recherchées a contribué à accroître la fréquence de détection ces dernières années par rapport aux années 1980). Or les pesticides, utilisés pour leurs propriétés toxiques envers une cible particulière, sont susceptibles d exercer une activité toxique vis-à-vis d organismes non ciblés initialement. Ils sont synthétisés pour altérer des mécanismes indispensables au développement ou à la survie, mécanismes retrouvés chez la plupart des organismes vivants. De plus, leurs effets peuvent parfois être combinés. Ainsi, la toxicité vis-à-vis du plancton est peu visible mais néfaste pour les écosystèmes, le phytoplancton représentant la base essentielle des chaînes alimentaires en milieu aquatique. Cette action a été démontrée de façon très claire pour des produits comme l atrazine, le lindane et le DDT [Quiniou et al., 2003]. D autre part, des effets potentiels sur la 4/6 Octobre 2007

santé humaine ont été constatés au travers d études épidémiologiques : malformations congénitales, cancers, mais sans qu il soit systématiquement possible de prouver le lien de causalité [MEDD, 2006]. L idée couramment avancée par les fabricants et les utilisateurs de pesticides est que les volumes globaux utilisés ont tendance à diminuer au cours des ans. Cela part du constat qu avec les exigences réglementaires, les doses efficaces des matières actives sont de plus en plus faibles (meilleure efficacité et spécificité des nouveaux produits commercialisés). Dans les faits, l évolution n est pas si nette. En France, les tonnages utilisés sont stables, voire en augmentation. Cela est lié à la progression de l artificialisation du territoire (les villes sont les plus grosses consommatrices de désherbants à l hectare), et potentiellement à l adaptation des espèces aux produits utilisés. [Miquel, 2003] Seules trois familles de pesticides sont traitées dans le cadre de la présente étude : les organochlorés, les triazines (organoazotés) et les urées substituées. Ce sont en effet des familles connues et étudiées depuis longtemps en raison de leurs effets sur l environnement et la santé humaine, et pour lesquelles des informations sont disponibles sur l estuaire de Seine. Les autres familles ne sont pas traitées par manque de données (mesures en Seine majoritairement en dessous des limites de détection et absence d études les concernant sur l estuaire de Seine). Cette situation est paradoxale, car les pesticides étudiés sont généralement interdits et le risque qu ils représentent est en cours de disparition, tandis que les nouvelles familles qui ne sont pas étudiées suscitent l inquiétude quant à leurs effets sur l environnement et la santé. L importance relative des flux de pesticides (toutes substances confondues) arrivant à l estuaire de Seine est indiquée figure 3. Figure 3 : Importance relative des flux de pesticides arrivant à l estuaire de Seine 5/6 Octobre 2007

Références bibliographiques Boulet A., 2005. Lutte contre la pollution des eaux par les pesticides utilisés en zones non agricoles : analyse et synthèse des actions engagées et recommandations. Mémoire de stage d ingénieur agronome, 131 p. De Wever S., 2003. Apports diffus d origine agricole. Rapport de DESS «Environnement, Sols, Eaux Continentales et Marines», Université de Rouen. 31 p. Institut Pasteur de Lille, 2003. Produits phytosanitaires dans les eaux de pluie de la région Nord-Pas-de-Calais, 59 p. Ministère de l Ecologie et du Développement Durable (MEDD), 2006. Plan Interministériel de Réduction des Risques liés aux Pesticides 2006-2009 [en ligne]. http://www.ecologie.gouv.fr/article.php3?id_article=6005 Miquel G., 2003. Rapport sur la qualité de l eau et de l assainissement en France. Office parlementaire d évaluation des choix scientifiques et technologiques. Rapport 195 p. et annexes 293 p. Quiniou F., Cueff G. et Caisey X., 2003. Etude de la toxicité de l eau et des sédiments de la Seine : comparaison des réponses d espèces dulçaquicoles et marines. Rapport Seine-Aval 2002, thème 1, 99 p. Union des Industries de la Protection des Plantes, 2003. La recherche, source d innovation. Brochure, 8 p. 6/6 Octobre 2007