Compte rendu Conférence de John Kempf @Regenacterre 22/09/2016 A l invitation de GreenFarm et de Regenacterre, John Kempf, agriculteur et consultant en agronomie est venu présenté son approche de la santé des plantes. La conférence s est tenue à la ferme des Noyers (Corroy-le-Grand) grâce à l accueil de Nicolas Brabant. www.green-farm.be www.regenacterre.be www.advancingecoag.com 1
Biographie / introduction John Kempf a grandi dans une ferme intensive de légumes et fruits dans l Ohio (état de l Est des USA). A 14 ans, il quitte l école pour intégrer la ferme où il devient rapidement le responsable des pulvérisations, de l irrigation et des fertilisations. En 2002, 2003 et 2004, les pluies importantes ne permettent pas de contrôler efficacement les maladies et la ferme accuse des pertes de 70% trois années de suite. En 2004, la ferme annexe une nouvelle parcelle (ancienne prairie) juste à côté d une parcelle conduite de manière intensive depuis 10 ans. La ferme y implante une culture de melons. Le développement de la culture sur ces 2 parcelles voisines attire l attention de John K : la culture est couverte de mildiou dans la parcelle cultivée alors que les melons sur l ancienne prairie pâturée ne présente pas de mildiou. John K entame des recherches pour comprendre comment la même variété peut se comporte si différemment face aux maladies. Il lit et rencontre des chercheurs spécialisés en physiologie végétale pour arriver à la conclusion que l immunité des plantes est influencée par sa nutrition. En 2005, ils réduisent de 70% l usage de pesticides sur la ferme. En 2006, ils arrêtent l utilisation de pesticides, mais ne subissent plus d attaques de maladies ou insectes. En 2006, il fonde «Advancing Eco Agriculture», une société de consultance qui conseille les agriculteurs en se focalisant sur l immunité des plantes. En 2016, AdvancingEcoAg (AEA) conseille plus de 4000 fermes aux USA et Amérique du Sud. Les cultures principales concernées sont des fruits et légumes, mais aussi le maïs, soja, céréales, luzerne. Au cours des dix années d activités de AEA, 2 observations qui ont marqué John Kempf sont que : - Des plantes en bonne santé sont résistantes aux maladies et insectes. De plus, elles sont de meilleure qualité nutritionnelle pour les hommes et augmentent ainsi l immunité et la santé humaine. - La croissance de plante en bonne santé permet de régénérer les sols. Bon nombre de personnes estiment que «un sol en bonne santé induit des plantes en bonne santé». John K avance un nouveau paradigme qui propose que «une plante en bonne santé induit un sol en bonne santé». Pour comprendre le fonctionnement de l immunité des plantes, il faut comprendre les besoins des maladies et des insectes. Si les plantes sont bien balancées au niveau nutritionnel (pas de carences, pas d excès), elles ne renferment pas les composés dont se nourrissent les maladies et les insectes (notamment les sucres libres, acides aminés libres). 2
Exemple : On a découvert que le développement de la tavelure du pommier est dépendant d un seul acide aminé, l Arginine. Si la plante ne contient pas d arginine libre, la tavelure ne se développe pas. Lorsqu on compare 2 variétés de pommiers, l une résistante, l autre pas, on remarque que la variété résistante n accumule pas d Arginine car cet acide aminé est rapidement métabolisé pour construire des protéines complexes. Il s est avéré que les voies métaboliques impliquées dans la consommation d Arginine nécessitent du cobalt comme co-facteur. AEA a proposé des applications foliaires de cobalt et ils ont réussi à complètement faire disparaître les symptômes de la tavelure sur les plantes ayant reçu un traitement de cobalt. Par ailleurs, on comprend à présent que les variétés résistantes sont en fait plus efficaces à puiser le cobalt du sol. Le lien direct entre résistance et nutrition de la plante est ici démontré à travers l exemple de la tavelure, et est, selon John Kempf, un mécanisme général. 3
4 piliers de l immunité des plantes Comprendre comment les maladies et insectes se nourrissent permet de trouver des stratégies pour ne pas leur donner ce dont ils ont besoin. L immunité de la plante s exprime à différents niveaux, du niveau de base simple au niveau plus complexe. Les piliers inférieurs demandent des niveaux de photosynthèse faible, mais plus on monte dans les niveaux, plus les molécules impliquées sont complexes et plus la photosynthèse doit être efficace. Pilier #1 : La photosynthèse produit des sucres simples qui sont libres dans la sève de la plante. Sur base d un cycle de 24h, les sucres produits doivent être rapidement transformés en hydrates de carbone, sucres plus complexes. Si cette transformation est déficiente, les sucres simples s accumulent dans la sève et ils permettent le développement des pathogènes du sol qui s en nourrissent. Un faible taux de sucres simples dans la sève permet d éviter des infestations par les pathogènes du sol. Pilier #2 : L azote assimilé par la plante sert à la synthèse des acides aminés. Lorsque la plante fonctionne bien, ces acides aminés sont incorporés pour construire des protéines complexes. Les insectes au tube digestif simple (pucerons, mouche blanche, ) se nourrissent de ces acides aminés car ils n ont pas la capacité de digérer des protéines complexes. Une déficience de la photosynthèse induit plus d acides aminés libres et donc plus de nourriture pour ces insectes. Pilier #3 : Lorsque la photosynthèse est efficace, le surplus d énergie va être utilisé pour construire des lipides (stockage d énergie). On observe que les plantes qui photosynthétisent bien, contiennent jusqu à 3x plus de lipides que des plantes avec une nutrition défaillante. Ces lipides interviennent dans la résistance plantes contre les pathogènes aériens. Par exemple, les champignons comme le mildiou s attaquent aux plantes en sécrétant des enzymes peptidolytiques (peptidases) qui détruisent la membrane cellulaire. Les plantes en bonne santé présentent des couches de cires 4
lipidiques plus importantes sur leurs feuilles, ce qui empêche les champignons d atteindre les membranes cellulaires de la plante. Pilier #4 : Lorsque le niveau de photosynthèse est optimal, la plante sécrète des composés spécifiquement impliqués dans son immunité, les métabolites secondaires (huiles essentielles telles que les terpènes, phénols, flavonoïdes, ). Ces composés sont fondamentaux pour l immunité contre les pathogènes, les insectes, mais aussi pour se protéger des UV ou des aléas climatiques (sécheresse). Quel levier pour améliorer l immunité des plantes? Le facteur principal influençant la santé des plantes est l efficacité de la photosynthèse. Sur un cycle de 24h, on considère que les plantes de culture ne photosynthétisent que 15 à 20% de leur potentiel génétique. Une des limitations de ce potentiel est une mauvaise balance nutritionnelle des plantes. L application de nutrition foliaire de minéraux ciblés permet d atteindre entre 60 et 80% d efficacité de la photosynthèse. 5
La répartition des produits de la photosynthèse La répartition des sucres produits par la photosynthèse n est pas uniforme au cours de la vie de la plante. ç Lors de la germination et élongation de la plantule, la plante consacre principalement son énergie à la croissance de ses parties aériennes. è Plus tard, de plus en plus d énergie (sucres issus de la photosynthèse) vont être redirigés dans les exsudats racinaires. ç Au stade pré-floraison, la majeure partie des ressources sont ré-injectée dans le sol via ces exsudats. è A maturité, la presque totalité de l énergie est consacrée aux fruits. 6
L application foliaire de minéraux essentiels à la nutrition de la plante permet d améliorer l efficacité de la photosynthèse. La plante va augmenter sa biomasse, mais aussi la ré-injection des produits de la photosynthèse dans le sol. Lorsque la photosynthèse est inefficace, la répartition va principalement être consacrée aux parties aériennes (feuilles et fruits). Cette observation pose la question suivante : Pourquoi la plante investirait autant de produits de la photosynthèse dans le sol? La compréhension des interactions entre la plante et les micro-organismes du sol permet de nous éclairer. Les processus de digestion dans le sol Pour comprendre les processus de nutrition de la plante, il faut s intéresser au fonctionnement de la biologie du sol. Les produits de la photosynthèse se retrouvent dans les exsudats racinaires sous la forme de sucres. Ce sont les bactéries du sol qui vont digérer ces sucres pour croitre en population (digestion bactérienne). Lors de sa croissance, chaque cellule bactérienne va incorporer des minéraux du sol. Lorsque les bactéries meurent, les 7
minéraux sont re-largués dans la rhizosphère sous la forme de chélates 1 (par exemple, un complexe entre un élément minéral et un acide aminé), c est le processus de minéralisation. Ces formes sont beaucoup plus facilement assimilables par la plante. La nutrition de la plante avec des éléments très assimilables permet à la plante de consacrer plus d énergie à la synthèse de molécules complexes comme des métabolites secondaires et des lipides (voir plus haut la pyramide de la photosynthèse). On note par exemple qu une plante qui photosynthétise bien va produire jusqu à 3x plus de lipides que ce qui serait nécessaire pour ses besoins. Les exsudats racinaires dans le sol vont à ce stade contenir une plus grande concentration de lipides. Ce sont sur ces lipides qu un second processus de digestion va avoir lieu, la digestion fongique. Les champignons du sol vont assimiler ces lipides dans leur membrane et les transformer en composés humiques stables = processus d humification. Cette double digestion des exsudats racinaires est considérée comme un des processus les plus rapides pour former de la matière organique stable dans les sols et ceci uniquement en utilisant la photosynthèse des plantes en place. On ne parle pas ici d apport de fumier, lisier ou autre amendement organique extérieur. Application : Lorsqu on comprend les processus décrits ci-dessus, 2 buts peuvent être recherchés par l installation d un couvert végétal: - Soit on utilise des couverts végétaux avec beaucoup d azote, on favorise la minéralisation par l action des bactéries et on obtient un effet fertilisant plus immédiat. - Soit on utilise dans ses couverts des espèces aux taux de C/N plus important et avec des concentrations en lipides plus importantes, on favorise l action des champignons et la formation de matières humiques stables. 1 molécule complexe issue de la liaison entre un ion métallique et une autre molécule (souvent organique). 8
Les points critiques d influence Lorsqu on considère l expression du potentiel génétique de la plante, on se rend compte que certains stades de la plante représentent des points critiques. Par ses travaux sur le maïs, John Kempf a identifié 3 stades : entre 9 et 12 jours, le nombre d épis futurs est fixé. Entre 14 et 21 jours, c est le nombre de rangs par épis, et entre 42 et 49 jours, c est le nombre de grains par épi qui sont déterminés. Ceci signifie que chaque stress (excès ou carence en un élément nutritif, manque d eau, manque de soleil, ), à un des ces stades, va diminuer l expression du potentiel génétique. L approche à adopter ici est que les actions qu on pose en tant qu agriculteur n augmentent pas le rendement de la plante, on ne fait que diminuer les pertes par rapport au potentiel génétique de la plante. Prévenir les stress aux stades critiques est la meilleure façon d atteindre des rendements supérieurs. 2 remarques sont importantes sur l exemple du maïs: - les fenêtres d intervention sont très étroites. (3 à 6 jours) - la plus grande influence sur les pertes de rendement sont déterminées très tôt dans la croissance de la plante. Le stade 9-12 jours est plus crucial que le stade 42-49 car il détermine le nombre d épis. Les moyens d intervention Pour accéder à l expression du potentiel génétique, il faut focaliser son attention sur la nutrition des plantes aux stades critiques identifiés. Pour cela, la méthode est de réaliser des analyses foliaires (analyse de sève et non de tissu entier) pour identifier les déséquilibres (excès ou carences) en minéraux. Une expression clé de la démarche de John Kempf est : «ce qu on ne mesure pas, on ne peut pas le contrôler». Depuis 4 ans, Advancing EcoAgriculture envoie des centaines d échantillons dans un laboratoire des Pays-Bas pour réaliser des analyses de sève. L interprétation se fait en se basant sur le diagramme de Mulder (http://nutriag.com/article/mulderschart). Une version simplifiée est présentée ci-dessous. 9
L interprétation des analyses se fait sur base des groupes de minéraux qui peuvent être antagonistes ou stimulants de l absorption d autres minéraux. Par exemple, un déficit observé en Ca (Calcium) peut provenir d un excès de K (Potassium) ; inutile dans ce cas de rajouter du Calcium, la première action à poser et de réduire l apport de Potassium. Le meilleur moyen de répondre de manière rapide à des carences en minéraux dans la plante est de le faire via des applications foliaires car dans le sol, les minéraux se complexent à certains composés du sol et ne sont disponibles immédiatement pour la plante, au moment où elle est à un stade critique. 10
Conclusions La démarche de John Kempf est d améliorer la qualité de la plante, via une compréhension des processus de nutrition de la plante (photosynthèse, digestion bactérienne et fongique, stades clés de la croissance). La maximisation du rendement est un objectif secondaire. Pourtant, depuis 10 ans, leurs résultats montrent que les rendements sont directement liés à la qualité de la plante. Les actions qu ils posent pour rétablir une nutrition appropriée des plantes provoquent directement des hausses de rendement. http://www.advancingecoag.com Pour aller plus loin : http://www.advancingecoag.com/johns-posts 11
Suivi au sein de Regenacterre De premières analyses ont été réalisées au cours de la saison 2016 sur maïs, betterave et froment. Un exemple des résultats est présenté ci-dessous. 12
La volonté de Regenacterre est de réaliser une campagne d analyses de sève au sein de son réseau. Nous collaborerons avec Advancing Eco Agriculture pour l interprétation des résultats. Notre but est de créer un référentiel d analyses de sève pour les cultures courantes en Belgique (maïs, betterave, céréales, pomme de terre). 13