Tribunal administratif N 34623 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juin 2014 3 e chambre Audience publique du 8 avril 2015 Recours formé par Monsieur..., contre des décision du ministre du Développement durable et des Infrastructures en matière de permis de conduire JUGEMENT Vu la requête inscrite sous le numéro 34623 du rôle et déposée le 4 juin 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Guillaume Lochard, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur..., demeurant à L-, tendant à l annulation : - d une décision du ministre du Développement durable et des Infrastructures du 26 mars 2014 portant retrait de 4 points du capital dont est doté son permis ; - d une décision du ministre du Développement durable et des Infrastructures du 1 er avril 2014 portant suspension pour une durée de 12 mois du droit de conduire ; Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 août 2014 ; Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ; Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück en sa plaidoirie à l audience publique du 18 mars 2015. Par un courrier du 31 août 2012, le ministre du Développement durable et des Infrastructures, ci-après désigné par «le ministre», informa Monsieur... que 8 points ont été retirés du capital dont est doté son permis de conduire, ceci suite à deux infractions au Code de la route commises le 26 janvier 2012, à savoir pour avoir circulé avec un taux d alcool d au moins de 0,55 mg/l d air expiré et pour avoir conduit un véhicule sans être titulaire d un permis de conduire valable, le retrait des points ayant eu lieu à la suite d un jugement du tribunal d arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, du 18 mai 2012. Par un courrier du 26 mars 2014, le ministre informa Monsieur... que 4 points ont été retirés du capital dont est doté son permis de conduire pour avoir commis le 6 juillet 2013 une infraction au Code de la route, à savoir pour avoir conduit un véhicule sans être titulaire d un permis de conduire valable, le retrait de points intervenant à la suite d un jugement du tribunal d arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, du 13 janvier 2014. 1
Par le même courrier, le ministre informa Monsieur... que le solde des points dont est doté son permis de conduire est devenu zéro. Par une décision du 1 er avril 2014, fondée sur les articles 2bis et 13 de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation routière sur les voies publiques, ci-après désignée par «la loi du 14 février 1955», et sur l article 90 de l arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après désigné par «l arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955», et en considérant que Monsieur... avait commis plusieurs infractions à la législation routière sanctionnées par une réduction du nombre de points dont son permis de conduire est doté, en considérant qu à chaque infraction ayant donné lieu à une réduction de points, l intéressé avait été averti du nombre des points retirés et du solde résiduel de points, en considérant que le capital de points affecté au permis de conduire de Monsieur... est épuisé, le ministre suspendit pour une durée de 12 mois le droit de conduire un véhicule automoteur délivré à Monsieur..., cette suspension valant également à l égard des permis de conduire internationaux délivrés à l intéressé sur le vu de son permis de conduire national. Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2014, Monsieur... a fait introduire un recours en annulation contre la décision du ministre du 26 mars 2014 portant retrait de 4 points du capital dont est doté son permis de conduire, et contre la décision du ministre du 1 er avril 2014 portant suspension de son droit de conduire pour une durée de 12 mois. Etant donné que ni la loi du 14 février 1955, ni l arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, ni d autres dispositions légales, ne prévoient de recours en réformation en la présente matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation. Ledit recours est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Par rapport à la décision du ministre du 26 mars 2014 portant retrait de 4 points du capital dont est doté son permis de conduire, le demandeur invoque une violation du principe du non bis in idem, en soutenant qu une même infraction ne pourrait pas entraîner deux peines différentes, alors que la décision de retrait de points aurait en réalité une nature pénale. Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen. Le principe du non bis in idem est inscrit à l article 4 du Protocole n 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ciaprès désignée par «la CEDH», aux termes duquel «1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat. [ ].». Cette disposition a pour but de «prohiber la répétition de poursuites pénales définitivement clôturées, en évitant qu une personne soit poursuivie ou punie pénalement deux fois pour le même comportement par les juridictions d un même Etat» (cf. arrêt du 21 septembre 2006, Maszni c/ Roumanie, considérant n 67, arrêt du 10 février 2009, Zolotoukhine c/ Russie, considérant n 107). Dans l affaire Malige c/ France (arrêt du 23 septembre 1998), la Cour européenne des droits de l homme a retenu que le système français du retrait de points du permis de conduire, ce système se caractérisant suivant la Cour européenne des droits de l homme par la circonstance que la perte de points résulte de plein droit d une condamnation prononcée par le juge pénal et 2
par la circonstance que la perte de points peut entraîner à terme la perte de la validité du permis de conduire, de manière que la Cour a retenu que le retrait de points revêt un caractère punitif et dissuasif et s apparente ainsi à une peine accessoire (cf. considérants n 38 et 39), relève de la matière pénale, de sorte que l article 6 de la CEDH trouve application. Dans la mesure où la Cour européenne des droits de l homme retient que les termes de «procédure pénale» employés dans l article 4 du Protocol n 7 de la CEDH doivent être interprétés à la lumière des principes généraux applicables aux expressions «accusation en matière pénale» et «peines» figurant respectivement à l article 6 et à l article 7 de la CEDH (cf. affaire Sergueï Zolotouhkine c/ Russie du 10 février 2009, considérant n 52), de sorte que les conclusions dégagées par la Cour européenne des droits de l homme sur cette question par rapport à l article 6 de la CEDH sont transposables au principe du non bis in idem consacré par l article 4 du Protocole n 7 de la CEDH, et comme le système du retrait de points en vigueur au Luxembourg a les mêmes caractéristiques que celles relevées par la Cour européenne des droits de l homme pour retenir la qualification de matière pénale, il convient de retenir que l article 4 du Protocole n 7 de la CEDH trouve application en matière de retrait de points du permis de conduire suivant la législation luxembourgeoise. Si, en suivant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l homme quant à la qualification de la notion de poursuite pour une même infraction («idem») et suivant laquelle l article 4 Protocole n 7 de la CEDH doit être compris comme interdisant de poursuivre et de juger une personne pour une seconde «infraction» pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes (cf. affaire Zolotoukhine c/ Russie, précitée, considérant n 82), il convient de retenir qu en l espèce, la condamnation pénale et le retrait de points relèvent des mêmes faits, à savoir le fait d avoir le 6 juillet 2013 conduit un véhicule sans être titulaire d un permis de conduire valable, le tribunal relève néanmoins que la Cour européenne des droits de l homme a retenu dans différentes affaires que si la mesure portant sur le permis de conduire à la suite d une condamnation pénale n est que la conséquence directe et prévisible de la condamnation pénale et que s il y a une étroite connexion entre les deux sanctions, la mesure portant sur le permis de conduire intervenue en second lieu s apparente à une peine complémentaire à la condamnation pénale, la circonstance que les deux mesures sont prises par deux autorités différentes n étant pas relevante à cet égard, de sorte qu elle n a pas retenu une violation du principe du non bis in idem (cf. affaire Maszni c/ Roumaie, précitée, considérants n 68 et 69 ; arrêt du 17 février 2015, affaire Boman c/ Finlande, considérants n 41 à 43). Force est de constater qu en matière de retrait de points du capital dont est doté le permis de conduire, le retrait de points est la conséquence automatique de la condamnation pénale sans que le ministre n ait un pouvoir d appréciation à cet égard. Par référence à la jurisprudence précitée de la Cour européenne des droits de l homme, le tribunal est dès lors amené à retenir qu en l espèce, une violation du principe du non bis in idem ne peut pas être retenue, le retrait de points s inscrivant dans une même procédure au sens de l article 4 Protocole n 7 de la CEDH. Le moyen fondé sur une violation du principe du non bis in idem est partant à rejeter. D autre part, le demandeur conteste que la réduction du nombre de points ait été inscrite sur l avertissement taxé, de sorte qu il y aurait violation de forme. Tel que cela a été relevé à juste titre par le délégué du gouvernement, ce moyen repose sur une prémisse erronée, à savoir celle que le retrait de points ferait suite à un avertissement 3
taxé. Or, il ressort de la décision du ministre du 26 mars 2014 que le dernier retrait de 4 points est intervenu suite à une condamnation par un jugement du tribunal d arrondissement de Luxembourg, chambre correctionnelle, du 13 janvier 2014 et non pas sur le fondement d un avertissement taxé. Dans la mesure où la contestation du demandeur repose sur un constat factuel erroné et à défaut d autres explications fournies par lui relatives au sens à donner à son moyen par ailleurs, le tribunal ne peut que rejeter la contestation afférente du demandeur. Par rapport à la décision du ministre du 1 er avril 2014 portant suspension du droit de conduire, le demandeur reproche au ministre d avoir pris cette décision à un moment où la décision du 26 mars 2014 ayant réduit à zéro le capital de points dont est doté son permis de conduire n aurait pas encore été exécutoire, puisqu elle aurait encore été susceptible d un recours en annulation endéans un délai de trois mois. Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen. Force est au tribunal de constater que la décision du ministre du 26 mars 2014 portant retrait des derniers 4 points du capital dont est doté le permis de conduire du demandeur est, comme tous les actes administratifs, en application du principe du privilège du préalable et d exécution d office, exécutoire dès sa notification, nonobstant tout recours jusqu à ce qu une décision contentieuse coulée en force de chose jugée en ait prononcé l annulation, sauf hypothèse où le recours contentieux a d office un effet suspensif, ce qui n est pas le cas en la présente matière, et celle d une ordonnance de référé ayant ordonné l effet suspensif d un recours. Il s ensuit qu en l espèce, à défaut d ordonnance du président du tribunal administratif ordonnant l effet suspensif d un recours introduit préalablement à la décision de suspension du droit de conduire, le ministre a valablement pu suspendre le droit de conduire du demandeur à la suite de sa décision du 26 mars 2014, même avant l expiration des voies de recours ouvertes contre cette dernière. Le moyen afférent est partant à rejeter. Il suit de l ensemble des considérations qui précèdent et à défaut d autres moyens soulevés par le demandeur que le recours est à rejeter comme étant non fondé. Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l égard de toutes les parties ; reçoit le recours en annulation en la forme ; au fond, le dit non justifié et en déboute ; condamne le demandeur aux frais. Ainsi jugé par : Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Jackie Maroldt, attaché de justice, 4
et lu à l audience publique du 8 avril 2015 par le vice-président en présence du greffier Judith Tagliaferri. s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l original Luxembourg, le 9 avril 2015 Le greffier du tribunal administratif 5