I. Preuve de la qualité de mandataire



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Transcription:

Une entreprise d assurance mandante ne peut se prévaloir d une quelconque cause d exonération s il est démontré que le mandataire avait agi dans le cadre de ses fonctions (A propos de Cass. 2 e civ., 20 nov. 2014, n 14-10.776) L. DE GRAEVE Intermédiaire Escroquerie organisée par l agent général Agissements en sa qualité et dans le cadre de ses fonctions de mandataire (oui) Responsabilité civile de l assureur mandant (oui) Suite à une escroquerie commise par un agent général à l occasion de la souscription de contrats d assurance sur la vie, la Deuxième Chambre civile réaffirme ici de façon limpide la sévérité qui est désormais la sienne quant aux moyens d exonération pouvant être avancés par une entreprise d assurance mandante suite aux agissements de son intermédiaire. Un jugement correctionnel avait déclaré M. Y, agent général de la société Aviva vie, coupable d'escroquerie, d abus de confiance, de faux et d usage de faux. Suite à cette déclaration de culpabilité, M. X, victime de l escroquerie suite à un démarchage opéré par M. Y, a décidé d assigner la société Aviva vie afin d'obtenir le remboursement de la somme qu il avait versée lors de la souscription de l un des contrats d assurance sur la vie mais qui fut subtilisée par les manœuvres frauduleuses de M. Y. La Cour d appel de Colmar, dans un arrêt du 5 avril 2013, a condamné la société Aviva vie à payer à M. X la somme de 50 000 correspondant au montant versé lors de la vraie-fausse souscription du contrat. Contestant sa mise en cause, la société Aviva vie entend mettre en évidence devant la Deuxième Chambre civile un mécanisme d exonération, bâti principalement sur le caractère extérieur aux fonctions de l acte ainsi accompli par M. Y. Considérée comme une question classique et récurrente (en ce sens, V. spéc. M. Robineau, «Note sous Cass. 2 e civ., 24 mai 2012», www.actuassurance.com, n 27, sept.-oct. 2012, act. jurisp.), la mise en jeu de la responsabilité de l assureur du fait des actes accomplis par son agent général donne lieu à de vifs débats devant les juridictions. L espèce en est encore un exemple évident. Pourtant, à la lecture du Code des assurances, les choses apparaissent de prime abord assez claires. Bien que peu nombreuses, les dispositions relatives aux intermédiaires semblent au moins poser l essentiel. L article L. 511-1, III du Code des assurances fixe ainsi les règles applicables et les conditions requises à l engagement de la responsabilité de l entreprise d assurance mandante dans le cadre de l activité d intermédiation. Suivant ces dispositions en effet, «l'employeur ou mandant est civilement responsable, dans les termes de l'article 1384 du code civil, du dommage causé par la faute, l'imprudence ou la négligence de ses employés ou mandataires agissant en cette qualité, lesquels sont considérés, pour l'application du présent article, comme des préposés, nonobstant toute convention contraire». On remarque donc que si le principe de la mise en jeu de la responsabilité civile du mandant est posé, cela reste néanmoins conditionné d une part à la démonstration de la qualité

d intermédiaire mandataire de l entreprise d assurance envers l auteur de la faute initiale et, d autre part, à la commission précisément d une faute, d une imprudence ou d une négligence dans le cadre de ses fonctions. En d autres termes, la responsabilité du mandant ne peut être retenue qu au regard de la preuve de la qualité de mandataire (I) lequel doit avoir nécessairement agi dans le cadre de son mandat (II). Par cet arrêt, la Cour de cassation écarte implicitement toute autre condition fondée sur l absence de faute de la victime (III). En cela, la Deuxième Chambre civile maintient la subordination de l exonération du mandant à la seule prise en considération du comportement de son mandataire et non de la perception par la victime de l acte commis. I. Preuve de la qualité de mandataire Agent général : mandataire de principe. La première condition tenant à la démonstration de la qualité de mandataire n est jamais véritablement discutée pour les agents généraux ; cela tient essentiellement au fait que la relation établie entre l agent général et l entreprise d assurance repose nécessairement sur une convention. Le traité de nomination assoit en effet la relation entre ces professionnels autour du mandat et fixe en conséquence le régime juridique applicable lequel s articulera lui-même autour de l article 1384 du Code civil en cas de faute du mandataire. En l espèce, la qualité même d agent général attribuée à M. Y ne posait pas de difficultés particulières. M. Y a effectivement démarché M. X en sa qualité d agent général d une entreprise d assurance qui ne conteste d ailleurs nullement le rapport contractuel qui l unit à lui. Pour renforcer cette démonstration, on retiendra avec intérêt que ce dernier, suite à ses malveillances, fit l objet d un licenciement pour faute lourde pour avoir commis de nombreux détournements de fonds. La question de la réalité du mandat se pose principalement pour les courtiers qui, à défaut de mandat explicite (sur la mise en jeu de la responsabilité de l entreprise d assurance mandante en présence d un tel mandat, V. toutefois Cass. 2 e civ., 22 oct. 1996, n 94-15613 ; Bull. civ. I, n 358) peuvent néanmoins se présenter comme les mandataires des assureurs. C est la théorie du mandat apparent qui doit alors ici être appliquée. La responsabilité de l assureur sera dès lors engagée s il est démontré que le courtier a agi comme son mandataire aux yeux des assurés lesquels ont pu légitimement croire en cette fonction de représentation (V. not. Cass. 2 e civ., 14 juin 2012, n 11-20534 ; Bull. civ. II, n 106). Certains indices suggèrent en effet l existence d un tel mandat comme par exemple l utilisation de l en-tête de l assureur (Cass. 1 re civ., 8 avril 2010, n 09-10790). Tel était précisément le mode opératoire suivi ici par M. Y qui avait utilisé un document à entête de la société Aviva vie. Mais la discussion en l espèce ne portait pas sur la reconnaissance à travers cet acte d un mandat apparent et dès lors de la qualité de mandataire. Puisque, par principe, l agent général est le mandataire de l assureur, le débat s est donc décalé vers l examen de la relation et de la corrélation entre la commission de l acte par M. Y et ses fonctions.

II. agissant dans le cadre de son mandat Qualité ou fonctions? L article L. 511-1, III du Code des assurances subordonne l engagement de la responsabilité de l entreprise d assurance mandante au fait que la faute, l imprudence ou la négligence soient commises par l agent général alors que celui-ci agit en sa qualité d intermédiaire. Si, on le voit, la condition posée par le texte repose donc sur une logique qualitative, il est intéressant de remarquer que la jurisprudence a déplacé l analyse vers une logique plus fonctionnelle. La Deuxième Chambre civile notamment dans l arrêt ici commenté conditionne ainsi la responsabilité de l assureur mandant à la preuve que l agent général «avait agi dans ses fonctions de mandataires», c est-à-dire dans le cadre de ses attributions. Bien qu extérieure à la lettre même de l article L. 511-1 III du Code des assurances, cette interprétation mérite une totale approbation. Cette substitution de condition d une qualité particulière, on retient désormais une fonction ne doit pas faire illusoire et laisser accroire que la Cour de cassation s engagerait dans une lecture praeter legem du texte. On peut certes considérer que la qualité d un agent général est une chose et que les fonctions en sont une autre. La première relèverait du statut de l agent général lequel est subordonné à une immatriculation (C. ass., art. L. 512-1 et ss.) et à la satisfaction de conditions d accès et d exercice (C. ass., art. L. 512-3 et ss.). Les fonctions quant à elles s assimileraient à la mise en œuvre de la qualité d agent général, c est-à-dire aux attributions liées à la représentation de l assureur mandant auprès des éventuels futurs assurés. En bref, la qualité renverrait à l être alors que les fonctions renverraient davantage au faire. Qualité et fonctions. Bien qu envisageable, cette démonstration trouve nécessairement ses limites ; il va de soit que la qualité et les fonctions d agent général vont de paire sans pour autant être synonymes. D autant que dans le cadre de l analyse de la mise en jeu de la responsabilité de cet intermédiaire et de l entreprise d assurance, l élément clé est constitué non pas simplement de la qualité donc de l être (cf. supra, I) mais également et surtout des fonctions, c est-à-dire du faire. En d autres termes, pour que la responsabilité du mandant soit engagée, il est nécessaire de démontrer que l agent général (qualité) a agi à l occasion de ses attributions (fonctions). C est donc dans l exercice ( faire ) de son activité de représentation de l assureur ( être ) que l agent général a commis ses malveillances. C est suivant cette dernière approche que la société Aviva vie a tenté de développer son moyen. Selon elle, ne peut être considérée comme un acte rentrant dans les fonctions d un agent général, «une opération frauduleuse menée exclusivement pour son enrichissement personnel» et dès lors que l intermédiaire «ne fait souscrire aucun contrat à son client, ne lui remet aucun document contractuel, le fait prétendument souscrire à un placement qui n'existe pas chez l'assureur et lui fait verser des fonds en dehors des conditions normales explicitement visées par la demande de souscription». En conséquence, selon elle, «cette opération ne revêt à aucun égard les conditions matérielles, objectives, d'un acte accompli dans le cadre des fonctions du mandataire». Séduisante, cette interprétation fut néanmoins rejetée par la Deuxième Chambre civile.

Si l on dépasse en effet le débat sémantique entre qualité et fonctions, on remarque que la Cour d appel confirmée en cela par la Cour de cassation retient que le mode opératoire utilisé par M. Y s articulait autour de sa qualité et de ses fonctions. Il est donc mis en évidence une interaction entre d une part ces deux éléments et, d autre part, la réalisation des manœuvres frauduleuses. C est en faisant mention de son identité et de sa qualité d agent général de la société Aviva vie ainsi qu en utilisant les moyens offerts par ses fonctions (usage d un document à en-tête présentant une apparence d authenticité) que l escroquerie a pu être réalisée. Fonctions et abus de fonctions. Il n appartenait donc pas ici aux juridictions d identifier un quelconque mandat apparent dans la mesure où M. Y est demeuré dans le cadre des fonctions issues de son mandat. On peut donc retenir qu il n y a là aucun abus de fonction exclusif de la responsabilité du mandant (Cass. 2 e civ., 11 oct. 2007 : RCA 2008, comm. 35 ; RGDA 2008. 251, note D. Langé Cass. 2 e civ., 24 mai 2012, www.actuassurance.com, n 27, sept.-oct. 2012, act. jurisp., note M. Robineau). On relèvera simplement que la détermination de la frontière entre la fonction et l abus de fonction reste difficile. Comment en effet accepter qu il n y ait aucun abus des fonctions alors même que l intéressé a usé de celles-ci afin de commettre une infraction pénale? N y a-t-il pas nécessairement dépassement des fonctions initialement assignées à l intermédiaire? Il a bien agi sans autorisation, à des fins étrangères et hors de ses fonctions comme l exige l Assemblée plénière pour caractériser l abus de fonction (Cass. ass. plén., 19 mai 1988 : Bull. civ., n 5 ; D. 1988. 513, note C. Larroumet ; Gaz. Pal. 1988. 2. 640, concl. Dorwling- Carter ; Defrénois 1988. 1097, obs. J.-L. Aubert ; RTD civ. 1989. 89, obs. P. Jourdain). Si la réponse semble logiquement positive, celle-ci conduirait à exonérer assez facilement l entreprise d assurance mandante de sa responsabilité à moins de prouver «qu à la date de la conclusion du contrat et de la remise des fonds, [le client] ne pouvait légitimement croire que [le mandataire] n agissait pas à l occasion de ses fonctions» (Cass. 2 e civ., 7 févr. 2013, n 11-25582). III. indépendamment de toute faute commise par la victime L utilisation, pour commettre l escroquerie, d un document à en-tête présentant toutes les apparences de l authenticité pouvait laisser supposer, dans l esprit de M. X, que M. Y était non seulement le mandataire de la société Aviva vie mais qu il agissait dans le cadre de ses fonctions. Si la société Aviva vie entendait s exonérer de sa responsabilité par la démonstration vaine du caractère extérieur de l escroquerie par rapport aux fonctions, elle souhaitait également évincer sa responsabilité en rapportant la preuve de la crédulité fautive de la victime. Les juges du fond évacuent in concreto toute idée de faute : «il ne pouvait être reproché à un particulier non averti et profane dans le domaine, nonobstant son âge et sa qualité professionnelle d'informaticien, d'avoir manqué de vigilance en ne s'inquiétant pas, dans un

délai de quarante jours suivant la passation du prétendu contrat, de ne pas avoir reçu les documents y afférents ou de ne pas avoir détecté que la demande de souscription ne s'adossait pas à un placement financier proposé par Abeille vie ; qu'au demeurant, même si la victime avait pris attache avec l'assureur dans les quarante jours suivant la date de la pseudo-souscription, le détournement des fonds n'en aurait pas moins été consommé». La Cour de cassation, quant à elle, adopte un raisonnement beaucoup plus simple sans aucunement faire référence à l état d esprit de la victime. En substituant une analyse strictement objective à une analyse subjective, la Deuxième Chambre civile entend placer les mécanismes d exonération sur le seul plan des responsables. Objectivement donc, et indépendamment du comportement de la victime, des éléments laissaient-ils supposer que M. Y avait agi en dehors de ses fonctions? Non, donc l exonération doit être rejetée et le fait que la victime ait pu croire à juste titre que l agent général agissait dans le cadre de ses fonctions ce qui était effectivement le cas n est pris en considération à aucun titre. La solution émise ici par la Cour de cassation confirme l engagement de la responsabilité de l assureur mandant sur la preuve essentielle de la commission de la faute de l agent général dans le cadre de ses fonctions de mandataire. La protection des assurés est au prix de la sévérité exprimée une nouvelle fois ici à l encontre des entreprises d assurance mandantes. Loïc de GRAËVE L arrêt : Sur le moyen unique : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 5 avril 2013), que M. X..., qui a été démarché par M. Y..., agissant en qualité d'agent général de la société Abeille vie, aux droits de laquelle vient la société Aviva vie, a souscrit par son intermédiaire deux contrats d'assurance sur la vie soit le 15 mars 2002 pour un montant de 45 734,71 euros, par chèque libellé à l'ordre de la société Abeille vie, et le 8 avril 2002 pour un montant de 50 000 euros par chèque à l'ordre de la Société générale, le document remis faisant référence à un placement sur un support financier Victoire Asset Management, qui n'était pas proposé par la société Abeille vie ; que M. Y..., mandataire de l'assureur, lui a seulement fait parvenir la première demande de souscription ; qu'il a ensuite été licencié pour faute lourde pour avoir commis de nombreux détournements de fonds ; qu'un jugement correctionnel l'a déclaré coupable d'escroquerie, abus de confiance, faux et usage de faux, et sur l'action civile, le 24 août 2010, l'a condamné à payer à la société Aviva vie les sommes de 1 258 300,82 euros au titre de son préjudice matériel et de 20 000 euros au titre de son préjudice commercial ; que M. Y... a également été condamné à indemniser les victimes qui s'étaient constituées parties civiles ; que M. X... a alors assigné la société Aviva vie afin d'obtenir le remboursement de la somme investie le 8 avril 2002 par l'intermédiaire de M. Y... ;

Attendu que la société Aviva vie fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. X... la somme de 50 000 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 24 novembre 2009, alors, selon le moyen : 1 / que dans l'activité d'intermédiation, l'employeur ou mandant est civilement responsable, dans les termes de l'article 1384 du code civil, du dommage causé par la faute, l'imprudence ou la négligence de ses employés ou mandataires agissant en cette qualité, lesquels sont considérés comme des préposés ; qu'il en est ainsi lorsque le mandataire a trouvé dans ses fonctions l'occasion et les moyens de réaliser le détournement à son profit personnel des sommes confiées ; qu'agit en revanche hors de ses fonctions le mandataire qui, lors d'une opération frauduleuse menée exclusivement pour son enrichissement personnel, ne fait souscrire aucun contrat à son client, ne lui remet aucun document contractuel, le fait prétendument souscrire à un placement qui n'existe pas chez l'assureur et lui fait verser des fonds en dehors des conditions normales explicitement visées par la demande de souscription, de sorte que cette opération ne revêt à aucun égard les conditions matérielles, objectives, d'un acte accompli dans le cadre des fonctions du mandataire ; qu'en jugeant dès lors que le mandataire avait agi dans le cadre de ses fonctions, en engageant la responsabilité de l'assureur, après avoir constaté qu'aucun contrat n'avait été conclu, qu'aucun document afférent n'avait été remis dans les quarante jours, que la demande de souscription ne «s'adossait» à aucun placement proposé par l'assureur, et que le règlement avait été effectué dans des conditions exclues par les conditions d'engagement, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conditions légales de ses constatations, a violé les articles L. 511-1 du code des assurances et 1384 du code civil ; 2 / que la croyance légitime en la régularité d'une opération suppose que cette dernière en présente les apparences ; qu'en l'espèce, la cour a relevé que M. X... avait souscrit trois semaines plus tôt à une opération ayant donné lieu à remise de contrat «validé par la compagnie» et à paiement régulier; que, relativement à l'opération litigieuse, elle a constaté que, n'ayant reçu ni contrat ni «documents y afférents», M. X... était pourtant demeuré silencieux pendant quarante jours après la passation du prétendu contrat et avait procédé au versement d'une somme de 50 000 euros selon des modalités qu'il savait contraires au mode de règlement impératif figurant en gras sur l'exemplaire du contrat et antérieurement respecté ; que la cour a ainsi caractérisé, d'une part, l'irrégularité objective de l'opération, et, d'autre part, corrélativement, la crédulité de M. X..., sa négligence et son acceptation d'un risque incompatibles avec la croyance légitime en la régularité d'une opération dont il avait déjà l'expérience ; qu'en retenant pourtant qu'aucune faute ne lui était imputable et qu'il avait pu légitimement croire que son interlocuteur agissait dans l'exercice de ses fonctions d'agent général, de sorte que l'assureur devait répondre de «l'inexécution» (sic) du contrat, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles L. 511-1 du code des assurances et 1384 du code civil ; Mais attendu que l'arrêt retient que M. Y... avait démarché M. X..., en sa qualité d'agent général de la société Abeille vie, avait fait signer au client une demande de souscription à un contrat d'assurance vie "Selectivaleurs" avec support financier "Victoire Asset Management"

pour un montant de 50 000 euros et que ce document était établi à l'en-tête de la société Abeille vie et présentait une apparence d'authenticité, renforcée par la mention de son identité en qualité d'intermédiaire de la société Abeille vie dans ce document ; que le règlement par chèque à hauteur du montant souscrit à l'ordre de la Société générale, et non à l'ordre de M. Y..., n'était certes pas conforme au mode de règlement indiqué en gras sur l'exemplaire du contrat mais que cette banque était tout de même expressément désignée comme l'établissement habilité pour percevoir des règlements en espèces jusqu'à 3 000 euros et qu'une relation de confiance s'était instaurée entre le client et l'intermédiaire du fait de la souscription trois semaines auparavant d'un premier contrat du même type pour un montant de 45 734,11 euros, qui avait été validé par la compagnie ; que M. X... pouvait difficilement envisager que la banque accepterait de verser à un tiers le produit d'un chèque libellé à son ordre et que l'ensemble de cette opération s'était déroulée dans le contexte particulier d'un démarchage ; qu'il ne pouvait être reproché à un particulier non averti et profane dans le domaine, nonobstant son âge et sa qualité professionnelle d'informaticien, d'avoir manqué de vigilance en ne s'inquiétant pas, dans un délai de quarante jours suivant la passation du prétendu contrat, de ne pas avoir reçu les documents y afférents ou de ne pas avoir détecté que la demande de souscription ne s'adossait pas à un placement financier proposé par Abeille vie ; qu'au demeurant, même si la victime avait pris attache avec l'assureur dans les quarante jours suivant la date de la pseudo-souscription, le détournement des fonds n'en aurait pas moins été consommé ; Que, de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu déduire, sans encourir le grief du moyen, que M. Y... avait agi dans ses fonctions de mandataire et que la société Aviva vie ne s'exonérait pas de sa responsabilité civile en tant que mandant ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Condamne la société Aviva vie aux dépens ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Aviva vie, la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;