saint-laurent de grenoble

Documents pareils
2ème OPERATION Travaux d'urgence de l'eglise paroissiale et intégration architecturale de la porte des morts

Préparation de la visite. Visite symbolique et spirituelle Groupes: 6 e, 5 e, 4 e et 3 e (collège) Visites éducatives de la Sagrada Família

le futur centre des congrès de Rennes Métropole Illustrations Labtop / Jean Guervilly Couvent des Jacobins

Une religion, deux Eglises

L ÉGLISE AU MOYEN ÂGE

Une religion, deux Eglises

Ouvrage d'entrée dit Tour de Moingt

Vocabulaire maisons Maisons Paysannes de Charente

ITIL. optimal. pour un service informatique. 2 e édition C H R I S T I A N D U M O N T. Préface de Patrick Abad

Les Éditions du patrimoine présentent La tenture de l Apocalypse d Angers Collection «Sensitinéraires»

Rapport préliminaire de la campagne de fouille 2003 à Qasr al-hayr al-sharqi et al-bakhra (Syrie)

Rochecorbon : l église Saint-Georges et sa charpente romane

L Eglise dans ses dimensions religieuse, économique, sociale et intellectuelle

Monastère de Sant Pere de Rodes. Visiter

22 Nous Reconnaissons la force du pardon

Eglise paroissiale Saint-Martin

CONNAISSANCE DU PATRIMOINE ARCHITECTURAL ET URBAIN RAPPORT DE PRÉSENTATION

Le Château de Kerjean est classé monument historique

communes du pays de brouilly. Four du hameau de Chardignon Saint-Lager

Le château de Versailles Architecture et décors extérieurs

Mesdames et Messieurs,

LES MOSAIQUES DU CREDIT AGRICOLE

Nouvel immeuble de bureaux pour la C.U.B - Groupe FAYAT

Désignation. Localisation. Description de l édifice. Historique, datation édifice. Protection / Statut juridique. Architecte, auteur

PROJET DE RESTAURATION DE L ANCIEN COUVENT DE LA VISITATION. Monument Historique. Place de la République LE MANS

Introduction. 1. Les engagements de McGill

École doctorale 124. «Histoire de l art et Archéologie» (ED VI) Formation doctorale obligatoire

La Règue Verte 54 logements THPE à structure béton et enveloppe à ossature bois

RÈGLEMENT CO CONSTITUANT LE CONSEIL LOCAL DU PATRIMOINE CHAPITRE I CONSTITUTION DU CONSEIL LOCAL DU PATRIMOINE

INVENTAIRE DES BÂTIMENTS AGRICOLES DE LA MRC DE CHARLEVOIX-EST. Le positionnement des bâtiments

Histoire de charpente

Venez tourner aux Gobelins

MAISON NATALE DE VICTOR HUGO

Groupe Eyrolles, 2004 ISBN :

PARTIE 1. Phénoménologie

Ordre du jour provisoire pour la COP12

Liste des règles 1. Texte original. (Etat le 1 er septembre 2008)

Dossier de Presse 5 juin L Oeuvre de Vauban à Besançon

PROGRAMME DES COURS DE LICENCE

Huygens et le ressort spiral Fiche professeur

AGORA 2014 Appel à idées Habiter les toits à Bordeaux Et pour compléter

Mario Botta (1943) Le Musée d'art moderne de San Francisco

PORTFOLIO ETUDES D ARCHITECTURE LOUISE LEONARD

Un état descriptif de 1776 nous permet de mesurer la qualité de la conservation du bâtiment conçu par Mathurin Cherpitel.

Maison, actuellement bureaux

ENREGISTREMENT COMPTABLE DE LA TVA

TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION...1 NATURE JURIDIQUE ET CONDITIONS DE FORMATION DU CONTRAT DE COURTAGE IMMOBILIER... 5

Etude technique et historique. Association Culturelle Pierre Abélard LE PALLET

La Mayenne, Archéologie, Histoire, 2011 Publié avec le concours des Archives départementales du Conseil général de la Mayenne

- A L'INTERIEUR DU SITE ARCHÉOLOGIQUE VOUS TROUVEREZ: CAFETERIA + RESTAURANT SELF-SERVICE TEL. 06/ ( ) LIBRAIRIE TOILETTES

L EAI. par la pratique. François Rivard. Thomas Plantain. Groupe Eyrolles, 2003 ISBN :

Bulletin d infos et de liaison destiné aux plongeurs-archéologues de l EST

Projet pour la création de nouveaux ateliers d artistes à Marseille, Association ART 13. I Etat des lieux

DISPOSITIONS APPLICABLES A LA ZONE N

Groupe Eyrolles, 2006, ISBN :

Virtualisation. du poste de travail Windows 7 et 8. avec Windows Server 2012

ISMH des façades et toitures des deux maisons constituant le logis de Marguerite de Valois.

3-5 rue Jean-Quitout Montchat Lyon 3e Dossier IA réalisé en 2009

SOMMAIRE. Des dallages de caractère pour des piscines très exclusives RUSTIQUE BULLÉE 04 ABBAYE 12 PIERRE DU LOT 10 COLLÉGIALE 16

LA GRAND-PLACE DE BRUXELLES ET SES ABORDS UN PATRIMOINE MONDIAL

Ferme dite la Vieille Cour, actuellement maison

Technique de la peinture

Méthode du commentaire de document en Histoire

LE LAVOIR DE LA MONTAGNE - RAPPORT DE PRESENTATION - DOSSIER PHOTOGRAPHIQUE

TELEPHONE SANS FIL TELEFUNKEN TC 151. (avec répondeur) TELEFUNKEN TC 101 MODE D EMPLOI

TABLE DES MATIÈRES. Les auteurs. Préface par Walter Deffaa. Préface par André Kilesse

Le financement du projet

PROPOSITION DE BASE POUR LE NOUVEL ACTE DE L ARRANGEMENT DE LISBONNE SUR LES APPELLATIONS D ORIGINE ET LES INDICATIONS GEOGRAPHIQUES

Association «les Breumailles de la Bonne Eure» EHPAD de Bracieux 31, rue de Candy

Secrétaire de séance : O. GAGNE

Périodisation ou chronologie du développement de la littérature française. Tendances générales - époques. I. LE MOYEN AGE

Les tarifs T.T.C. Les salles. Les forfaits séjours séminaires. La restauration. Les conditions générales de vente

Immobilier : le point sur la stratégie de rénovation des bâtiments à Genève

ANNEXE 8b. Fig. 1 Les symboles utilisés dans l'analyse de susceptibilité des suivantes paragraphes

FORTERESSE ET CHAPELLE RUPESTRES DE SAINTE-CROIX Salon-de-Provence

Privatisation de nos salons. CHRISTIE S Paris 9 avenue matignon, Paris 8e

Qu est-ce que l Inventaire?

STATUTS DE L ASSOCIATION DE L ESPACE DE VIE ENFANTINE LES MOUSSAILLONS

TABLE DES MATIÈRES. Préface...xvii

Mobilité du trait de côte et cartographie historique

Marie-Anne Barbel ou l exemple d une femme d affaires du XVIIIe siècle Samantha ROMPILLON

avast! EP: Installer avast! Small Office Administration

ATTENDU QU un avis de motion AM a été dûment donné par Madame Sylvie Ménard lors de la séance régulière du 5 mai 2015;

LE LIVRE DES KINS L épopée Galactique du libre-arbitre.

Villa dite Saint-Cloud

Déploiement et migration Windows 8 Méthodologie Compatibilité des applications ADK MDT 2012 ConfigMgr 2012 SCCM 2012 Windows Intune MDOP

Charlemagne Roi des Francs et empereur d'occident ( ).

ARBRES BINAIRES DE RECHERCHE

Pourquoi enseigner le fait religieux à l école?

Histoire Le Moyen-âge La société féodale

Ci-après, la liste des masters proposés par les universités françaises pour se former, en 2 ans après la licence, à l un des métiers de la culture.

Monsieur l Adjoint délégué à la Culture et à la Tauromachie,

77-77b rue Etienne-Richerand Lyon 3e Dossier IA réalisé en Région Rhône-Alpes, Inventaire général du patrimoine culturel ; Ville de Lyon

Inrap / Les étapes de l archéologie préventive

Préfixe "MA" ALVEOLE VI

Sources de revenu et autonomie des immigrants âgés au Canada SOMMAIRE

BSM 9.0 ESSENTIALS. Nouveaux utilisateurs de Business Service Management (BSM) 9.0, parmi lesquels :

INTERVENIR SUR LE BATI ANCIEN

Manuscrits du Moyen Age

LA NOMENCLATURE DOUANIERE ET TARIFAIRE (Cameroun)

Transcription:

Renée Colardelle saint-laurent de grenoble De la crypte au musée archéologique Préface de Jean Guibal et Jean-Pascal Jospin

sommaire préface 4 introduction 8 des origines à l an mil 10 La naissance du sanctuaire chrétien de Saint-Laurent 10 Construction d un grand mausolée, memoria d un évêque? 14 L église funéraire cruciforme (vi e siècle) 16 Un effort continu d embellissement : la seconde église cruciforme (vii e siècle) 20 L église carolingienne (ix e siècle) 22 l âge d or du prieuré 24 L église Saint-Laurent devient prieuré (xi e siècle) 24 L église romane (xii e siècle) 26 L apogée du prieuré médiéval (xiii e -xv e siècles) 30 un prieuré vers le déclin (xvi e -xviii e siècles) 40 Les transformations du xvi e siècle 40 La fin du prieuré de la rive droite (xvii e siècle) 44 Dernières mésaventures à Saint-Laurent (xviii e siècle) 48 le monument livre son histoire (xix e -xxi e siècles) 52 Grenoble ville frontière jusqu en 1862 (xix e siècle) 52 Un monument historique tôt identifié 56 Archéologie, histoire : étude complète du site (xx e et xxi e siècles) 57 L église devient le MAG : Musée archéologique Grenoble, Saint-Laurent 58 Maquette intérieure : Nathalie Gremeaux-Tragni Couverture : Jean-Jacques Barelli Photographie de couverture : Frédérick Pattou Presses universitaires de Grenoble, juin 2013 5, place Robert-Schuman BP 1549 38025 Grenoble cedex 1 Tél. 04 76 29 43 09 pug@pug.fr / www.pug.fr annexes 60 Glossaire 60 Repères chronologiques 61 Bibliographie indicative 61 Plan du musée 62 Remerciements et crédits 64 ISBN 978-2-7061-1752-7

histoire de l église Saint-Laurent L est un cas exceptionnel en Europe. Simple église paroissiale au début du xx e siècle, elle est devenue le musée archéologique de Grenoble, à la fois musée et objet de ce musée. Cette particularité tient à la richesse de son soussol : la crypte Saint-Oyand, repérée dès 1803 par Jacques-Joseph Champollion- Figeac, le frère de l égyptologue, est l un des premiers monuments à avoir été classé monument historique en France. Cette crypte est aussi l un des très rares monuments du vi e siècle conservé en élévation. Son histoire nous est aujourd hui connue de ses origines à nos jours. Il a fallu pour cela mener des recherches archéologiques d une grande ampleur sur l ensemble du site. Dès 1980, l ensemble est classé monument historique tandis que l église est désaffectée par décision du conseil épiscopal. Fait également remarquable, il est décidé de conserver en l état toutes les structures maçonnées mises au jour, sans rajout ni démontage d aucune sorte. Le site est livré au public dans toute sa complexité, mais aussi toute son authenticité. Quelle que soit leur époque, les vestiges font l objet du même traitement. C est l édifice lui-même, ses particularités, l histoire et les comportements culturels et sociaux dont il témoigne qui ont guidé ce choix. Aujourd hui, le monument donne à lire toutes ses racines. Cette complexité est source de questionnement pour le visiteur mais aussi source aussi d émotion, de sentiment devant l épaisseur du temps dont témoigne une architecture aussi souvent modifiée, adaptée, transformée. L atmosphère des lieux s en ressent, le visiteur y est sensible. Vingt ans de fouilles et d études archéologiques à Saint-Laurent de Grenoble ont apporté une abondante moisson de données nouvelles. L église Saint-Laurent, avec sa «crypte» à l ornementation somptueuse, était jusqu ici essentiellement un magnifique objet artistique. Elle le demeure, bien sûr, elle l est même davantage encore, dans la mesure où le décor en place s enrichit d une compréhension architecturale plus complète. Mais elle devient, pour une ville presque dépourvue de sources textuelles avant le Moyen Âge, un irremplaçable document d histoire urbaine, en particulier pour les «siècles obscurs», l Antiquité tardive et le haut Moyen Âge, temps de christianisation et de transformations politiques 1. Décryptons ensemble l histoire de Grenoble! 1. Colardelle, 2008. 8

9

des origines à l an mil Construction d un grand mausolée, memoria d un évêque? Plan et situation du grand mausolée (B) construit au début du v e siècle. C est dans cette zone de la nécropole qu est érigé, avant 450, un grand mausolée dont l architecture interpelle. Ses dimensions sont d une tout autre ampleur. Il comporte plusieurs niveaux dont une salle hypogée* voûtée, bien conservée aujourd hui sous le clocher roman, à laquelle on accède par des escaliers situés dans l angle sud-ouest de l édifice. Le sol est constitué d épaisses dalles de calcaire. Une banquette est partiellement préservée le long du mur oriental de la salle, à droite en entrant. Face à l entrée, une niche est bien visible. Au-dessus, une fenestella* mettait en relation cet espace avec la pièce située au nord, au niveau supérieur. Une seconde, en face, le reliait à la pièce située au sud. Ces étroits conduits ne permettaient pas de voir les tombes depuis le niveau supérieur. En revanche, l atmosphère imprégnée de la vertu des défunts pouvait ainsi circuler dans tout l édifice. En ce qui concerne les tombes, on peut restituer deux formae* dans la salle rectangulaire. L une des deux, à la maçonnerie enduite d un mortier de tuileau*, est bien conservée. Elle abritait deux corps, inhumés dans des coffres en bois avec ferrures. Les vestiges de la seconde sont plus ténus. Ils se limitent à des restes de maçonnerie enduits d un mortier semblable, au fond d une fosse creusée pour construire un des piliers de l église romane. Une tombe maçonnée, dont les parois intérieures sont également enduites d un mortier de tuileau, est conservée dans la pièce située au sud du vestibule d entrée. L ampleur de ce monument pose question. Aucun édifice aussi complexe n a été mis au jour en Europe. Est-ce la tombe d une riche famille? Un martyrium*? Le plan évoque des martyria connus par ailleurs, mais les preuves manquent : en effet, nous n avons pas de martyrs attestés à Grenoble. Aucune inscription n a été découverte dans les niveaux contemporains de l utilisation de l édifice. Le texte de 1012, le plus ancien qui nous soit parvenu, est bien postérieur à sa construction. Toutefois, la façon dont ce monument sera pris en compte par les architectures postérieures apporte des éléments de réponse. Au fil du temps, des églises verront le jour, l architecture s adaptant à l évolution de la liturgie tout en respectant ce grand mausolée primitif. Grâce à lui, Grenoble possède certainement, à l instar de nombreuses villes épiscopales 14

Le mausolée construit au début du v e siècle. La salle souterraine voûtée qui abritait les tombes considérées comme les plus importantes par la communauté chrétienne naissante. d Orient comme d Occident, son église funéraire épiscopale autour de laquelle se presseront les sépultures des habitants de la cité. L image idéale de la communauté des chrétiens assemblée autour de son pasteur sera ainsi respectée dans la mort comme dans la vie. C est en tout cas la volonté de bénéficier de l intercession du corps saint que manifeste la géographie des tombes ultérieures. Durant la deuxième moitié du v e siècle, quatre nouveaux édifices funéraires viennent s ajouter aux précédents et les tombes ordinaires, non abritées par une architecture, continuent à s installer sur les anciens lieux d inhumation, tout en se rapprochant progressivement de la zone des mausolées. Tout se passe donc comme si cette région de la nécropole, initialement réservée aux tombes des familles les plus notables de Grenoble, perdait insensiblement son statut exclusivement «aristocratique», l attraction des corps saints ayant raison des barrières sociales et initiant peu à peu le regroupement cimétérial qui s achèvera, à la période suivante, avec la première église proprement dite. 15

des origines à l an mil L église funéraire cruciforme (vi e siècle) Plan et situation de l église funéraire construite au début du vi e siècle. La mosaïque. Elle recouvre une tombe d enfant en coffrage de tuiles liées au mortier, de section rectangulaire. Les édifices contemporains du vi e siècle. Si le mausolée du v e siècle et l ensemble des petits monuments funéraires qui l entouraient nous apparaissent déjà comme très exceptionnels en Gaule, la première église construite au début du vi e siècle est quant à elle unique par son plan et son organisation comme par son décor. Il s agit d une église funéraire cruciforme à plan centré, destinée à accueillir des sépultures. Elle comporte quatre branches qui s articulent autour d un espace carré. Chaque branche présente trois absides*, sauf la branche occidentale qui n en comporte que deux du fait de l accolement au mausolée préexistant. On entre donc dans cette église par le grand mausolée primitif. Compte tenu des niveaux de sols observés, on peut conclure que les espaces en sous-sol ne sont pas voûtés. L originalité du plan et du volume de cette basilique qui se développe sur deux niveaux superposés ne doit pas occulter l importance que conserve, durant cette phase, le monument du v e siècle. Celui-ci est en effet réaménagé, une seconde volée d escaliers étant installée au nord, sans nul doute pour faciliter la circulation. L église cruciforme est évidemment l édifice le plus spectaculaire de cette phase. Le symbolisme triomphant de son plan (la croix, la Trinité) est assez évident, de même que sa fonction funéraire, les absides multipliées étant destinées à recevoir des tombes importantes. L étagement sur deux niveaux et les longs couloirs d accès répondent aux nécessités de la visite des tombes vénérées par des fidèles de plus en plus nombreux, qui viennent prier pour les défunts en même temps qu implorer leur intercession. Les tombes sont installées dans l église et les absides qui constituent autant de petits mausolées. Dans la salle rectangulaire du grand mausolée primitif, les tombes sont recouvertes dans un premier temps par un sol de mortier comportant des panneaux de mosaïque. L un d entre eux est encore conservé malgré sa destruction progressive par la mise en place de nombreux sarcophages au vii e siècle. Quatorze inscriptions funéraires chrétiennes peuvent être mises en relation avec la première église et celle qui suivra. En dehors des grands sanctuaires lyonnais et viennois, aucun site régional même Genève, dont on connaît pourtant maintenant l importance durant le haut Moyen Âge n en a livré 16

17