Discours de M. Koïchiro Matsuura, Directeur général de l UNESCO, à l occasion de la conférence «L Eau pour la Paix, la Paix pour l Eau» organisée conjointement par l UNESCO, la fondation Chirac et l Agence Française de Développement UNESCO, le 13 novembre 2008 Monsieur le Président de la République, Excellences, Je suis très heureux de vous accueillir au Siège de l UNESCO à l occasion de cette conférence internationale sur l eau et la paix, co-organisée par l UNESCO et la Fondation Chirac, avec le soutien de l Agence Française de Développement. Pour ouvrir cette conférence, je suis très honoré d accueillir Monsieur le Président Jacques Chirac. Monsieur le Président, presque quatre ans après votre vibrant discours prononcé ici même, en janvier 2005, sur les questions de biodiversité et de gouvernance internationale, c est une réelle satisfaction de constater combien votre engagement au service de la paix et du développement durable continue de nous inspirer au quotidien. C est également un grand privilège de recevoir ici pour la première fois Monsieur Salam Fayyad, Premier Ministre de l Autorité Palestinienne, qui nous rejoindra plus tard dans la matinée. Enfin, je souhaite la bienvenue aux nombreux représentants des organismes d aide au développement, parmi lesquels Jean-Michel Severino, Directeur général de l Agence française de développement, agence partenaire de la rencontre d aujourd hui avec laquelle nous menons une coopération très fructueuse dans de DG/2008/104 Original : français
nombreux domaines. Alors même que nous traversons une crise financière sans précédent, permettez-moi de vous redire combien votre soutien et mobilisation est aujourd hui plus indispensable que jamais. Monsieur le Président, A quelques mois du cinquième Forum Mondial de l Eau, qui se tiendra à Istanbul du 16 au 22 mars 2009, il était particulièrement opportun de nous retrouver ici pour aborder deux questions placées au cœur des préoccupations de la communauté internationale : celle des eaux transfrontalières et de la coopération, et celle de l accès à l eau dans les Etats fragiles. Aujourd hui, près de la moitié de la population mondiale dépend de ressources en eau provenant des 263 bassins transfrontaliers répertoriés sur Terre, et plus de 2 milliards de personnes dans le monde dépendent pour vivre des 274 aquifères transfrontaliers identifiés jusqu à présent. Ceci signifie que plus de 90 % de la population mondiale vit dans des pays qui partagent leurs ressources en eau avec d autres pays. La question du partage de l eau est donc décisive. Or, alors même que la quantité globale d eau sur la terre reste inchangée, le nombre d utilisateurs augmente de manière dramatique, ce qui diminue d autant la quantité disponible par personne. Plus encore, la compétition pour les ressources transfrontalières en eau, source de tensions et de confits potentiels, risque de s intensifier dans les années à venir. Il serait naturellement crucial que les pays puissent se référer, lors de l utilisation de cours d eau partagés, à des règles communes de gouvernance internationale, définissant les droits et devoirs de chacun. Comme vous le savez, l Assemblée générale des Nations Unies a adopté, après 27 ans de négociations et de discussions, la Convention du 21 mai 1997 sur l utilisation des cours d eau internationaux à des fins autres que la navigation. Cette Convention marque un réel pas en avant, puisqu elle codifie les principes généraux du droit international coutumier des cours d eau internationaux. A ce jour, cependant, seuls 16 instruments de ratification ont été déposés, alors qu il en faudrait 35 pour que cette Convention entre en vigueur. Il est donc DG/2008/104 - Page 2
extrêmement important que les Etats ratifient cette Convention afin d améliorer la gouvernance internationale en la matière. Par ailleurs, il est à noter qu en complément de la Convention de 1997 et après un travail qui a duré cinq ans, la Commission de Droit International a adopté cette année un projet d articles relatifs au droit des aquifères transfrontaliers, qui devrait déboucher aux Nations Unies sur une nouvelle Convention internationale L UNESCO, à travers son Programme Hydrologique International (PHI) a participé très activement à ce travail de rédaction. Les défis auxquels nous devons faire face requièrent la mise en place de nouvelles stratégies, qui passent par une coopération et un dialogue approfondi entre tous les acteurs concernés. Il faut, pour cela, savoir tenir compte des spécificités géographiques, socioéconomiques, culturelles et politiques des situations considérées. C est dans cette perspective que nous avons lancé cette année deux études de cas sur la coopération engagée autour du bassin du fleuve Mono, partagé par le Togo et le Bénin, et l aquifère de l Ostua Metapan, partagé par le Guatemala et le Salvador. Ces études invitent toutes les parties prenantes, grâce à des forums de discussion, à élaborer une vision commune de la gestion des cours d eau en question. Par le biais de son projet ISARM (Internationally Shared Aquifer Resources Management), l UNESCO invite également des experts à identifier des aquifères transfrontaliers, et à échanger leurs données. C est dans cet esprit que l UNESCO vient de publier la première carte mondiale des réserves d eau souterraines transfrontalières. Des signes tangibles de coopération existent donc. C est notamment le cas de la coopération scientifique autour des aquifères transfrontaliers, qui s organise par exemple avec les pays partageant un des aquifères les plus importants au monde, celui de Nubie. L UNESCO, aujourd hui, soutient la mise en place d une Autorité conjointe pour gérer dans cette région les ressources en eau souterraines. Pour soutenir de tels projets de coopération, il nous faut impérativement mener, de façon conjointe, des activités de formation et de renforcement des capacités. C est DG/2008/104 - Page 3
de la sorte que nous saurons en effet former les cadres supérieurs en gestion de l eau, capables de négocier, à un niveau technique et politique, la paix de demain. Je suis d ailleurs très heureux de voir que la deuxième table ronde portera sur la question de l accès à l eau dans les Etats fragiles, car c est précisément dans de tels Etats qu il nous faut faire porter tous nos efforts éducatifs. La semaine dernière, douze professionnels et éducateurs venant de plusieurs Etats fragiles du Moyen- Orient ont ainsi participé à un cours de haut niveau organisé dans le cadre du programme de l UNESCO «Du Conflit Potentiel au Potentiel de Coopération» sur la coopération autour des ressources en eau de leur région, destiné notamment à améliorer leurs compétences en matière de formation et d enseignement. L UNESCO est pleinement engagée dans cette voie, qui doit renforcer notre axe de coopération Nord-Sud. Je tiens ainsi à rappeler que c est là également l une des missions principales de l Institut UNESCO-IHE de Delft pour l éducation relative à l eau, qui a formé pas moins de 15 000 diplômés depuis sa création, dont 95% sont issus des pays du Sud, et dont la plupart retournent ensuite dans leur pays d origine pour travailler dans le secteur de l eau. Promouvoir la paix autour de l eau par l éducation, la science et la culture, nécessite des processus inclusifs et ouverts, menés en coopération étroite avec tous les acteurs concernés. Une telle discussion aura donc besoin de se poursuivre dans un cadre élargi. C est pour cela que je me réjouis de voir cette table-ronde s intégrer dans le processus de discussion politique qui nous mènera jusqu au 5 e Forum mondial de l eau organisé à Istanbul en mars prochain, au cours duquel je lancerai le 3 e rapport mondial sur la mise en valeur des ressources en eau, intitulé «L eau dans un monde qui change». En conclusion, permettez-moi de vous remercier à nouveau d être venus partager avec nous vos réflexions et suggestions sur l avenir d une gestion partagée de l eau. Nous suivrons avec la plus grande attention les suggestions et recommandations qui émaneront de cette matinée de débats. DG/2008/104 - Page 4
Je souhaite également remercier à nouveau le Président Chirac d être parmi nous ce matin. Je ne doute pas que la Fondation Chirac sera amenée à jouer dans les années à venir un rôle d explication et de mobilisation très important sur la scène internationale. L UNESCO, pour sa part, est d ores et déjà disposée à poursuivre sa coopération avec vous sur ces enjeux qui touchent à l avenir de la planète. Je vous remercie de votre attention. DG/2008/104 - Page 5