Colloque «Senghor et la Méditerranée» Palais des Congrès de Perpignan Allocution de Son Excellence Monsieur Abdou DIOUF Secrétaire général de la Francophonie Perpignan, le 7 décembre 2006 Seul le texte prononcé fait foi www.francophonie.org
L année 2006 tire à sa fin. Cette année riche pour la Francophonie au cours de laquelle nous avons dans le monde entier célébré le centième anniversaire de la naissance de Léopold Sédar Senghor, et qui nous a permis de valoriser le fabuleux héritage qu il nous a légué. C est, vous l imaginez, avec un immense plaisir que j ai accepté votre invitation, et que je viens aujourd hui m exprimer devant vous, à l occasion de ce colloque que le prestigieux Centre Méditerranéen de Littérature organise dans le cadre de cette célébration. Par ce colloque «Senghor et la Méditerranée», c est à une fête de l esprit et du cœur que Perpignan la Catalane nous convie en ce jour. D éminents spécialistes, d ici et d ailleurs, vont se pencher sur la vie et l oeuvre de Léopold Sédar Senghor. Perpignan, fidèle à ses traditions et ancrée dans son histoire, est devenue aujourd hui Perpignan l Africaine, et j ose dire Perpignan la Sénégalaise. A travers ce colloque, vous honorez le plus illustre fils du Sénégal, un fils de l Afrique, un grand ami de la France. Vous honorez un homme multiple qui a réalisé une œuvre d élévation intellectuelle et morale égale à la noblesse de la vision du grand poète et de l homme d État exceptionnel. Des berges du Sine à celles de la Seine, des prestigieux établissements scolaires et universitaires sénégalais au Lycée Louis Le Grand et à la Sorbonne, du stalag au parlement français, de la Présidence de son pays à l Académie française, Léopold Sédar Senghor a connu un destin hors du commun, un destin qui a fortement marqué l histoire et enrichi les humanités universelles. Dans cette ville et sur ce terroir au patrimoine plein de couleurs, sur cette terre riche des influences grecques et latines, espagnoles et italiennes, pour ne citer que celles-là, vous allez évoquer, tout au long de cette journée, l itinéraire d un homme dont l œuvre intellectuelle nous apporte aussi le message fraternel des cultures et civilisations des peuples de l autre rive de la Méditerranée. 2
Paul Valéry ne disait-il pas que la Méditerranée fut d abord une machine à faire de la civilisation? Mais une civilisation c est à la fois une représentation du monde et une organisation matérielle et spirituelle de celui-ci. Léopold Sédar Senghor très tôt avait senti le lien entre les différentes civilisations mais très tôt également il avait remis en cause les théories établissant une hiérarchie entre elles. Il savait et proclamait que toute civilisation se définissait par ses dons, par ses emprunts et ses refus. Qu est-ce donc que la Méditerranée? Pour répondre à cette question, permettezmoi de donner la parole à un éminent spécialiste de cette mer première. «La Méditerranée», disait Fernand Braudel, «c est mille choses à la fois. Non pas un paysage, mais d innombrables paysages. Non pas une mer mais une succession de mers. Non pas une civilisation, mais des civilisations entassées les unes sur les autres. La Méditerranée est un très vieux carrefour. Depuis des millénaires tout a conflué vers elle, brouillant et enrichissant son histoire». En nous invitant à Perpignan autour de la pensée, de l œuvre et de l action de Léopold Sédar Senghor, le Centre Méditerranéen de Littérature, par le biais du dialogue des cultures et des civilisations si chère au poète de la Négritude, ne nous invite t-il pas, aussi, à nous interroger sur la Francophonie, «cet humanisme intégral qui se tisse autour de la terre, symbiose des énergies de tous les continents, de toutes les races qui se réveillent à leur chaleur complémentaire»? L idée maîtresse qui a animé Senghor tout au long de sa vie c est que toute grande civilisation est une civilisation de métissage et ici, mieux que partout ailleurs, nous pouvons montrer et démontrer que la diversité n est pas source de confrontation, mais de dialogue, de solidarité et d enrichissement dans le respect de la différence, c est-à-dire le respect de l autre. La diversité reste l un des grands enjeux de notre temps. Elle est un trésor de l humanité, un trésor qu il serait suicidaire de dilapider par une volonté 3
d uniformisation dont le revers est le repli identitaire, porteur de désordre et d intolérance, générateur d incompréhension et de violence. La Francophonie a mis au rang de ses priorités le respect et la promotion de la diversité culturelle pour la défense des droits culturels des communautés et de tous les peuples épris de paix et de justice. La culture reste incontestablement liée à l économie, à la politique et à toutes les activités matérielles et spirituelles de la société. Elle est au début et à la fin de tout processus de développement, pour reprendre cette formule si chère au poète Président. Les avancées technologiques enregistrées dans les domaines de l information et de la communication et les progrès de la science ont considérablement élargi les dimensions de la culture en rendant plus pertinentes les questions liées à la diversité culturelle et linguistique et partant, à la conservation de l héritage culturel. Parce qu elle est le fait d hommes et de femmes d horizons très divers, vivant sous des latitudes diverses, dans des cultures diverses, œuvrant dans des espaces économiques différents, la Francophonie est familière de la diversité. Il n est donc pas surprenant que notre communauté, très tôt, ait pris conscience aussi bien des promesses de la mondialisation que des menaces qu elle fait peser sur sa diversité. Aux côtés de nombreux partenaires, dont ceux des autres aires linguistiques et culturelles avec lesquelles elle chemine et coopère, la Francophonie s est investie à fond en faveur de l adoption d un instrument juridique garantissant la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles affirmant ainsi qu aucune logique marchande ne devrait mettre en péril ce qui constitue l âme et la dignité des peuples. La mondialisation, acceptée et subie sans inventaire dans ses formes actuelles, constitue un risque majeur pour les identités faibles et les citoyennetés rétives. 4
Héritiers de l action de celui qui nous a richement inspirés et nourris de sa pensée, nous savons que l Homme ne se conçoit, et en définitive ne se réalise, que dans son altérité, c est-à-dire dans la conscience aiguë que l autre est un autre moi, autre que moi. C est par la reconnaissance de l autre dans sa différence, que se définit l humanité mais aussi l avenir de l humanité. L originalité de ce colloque réside dans le fait qu il est l initiative d intellectuels et d écrivains désireux de rendre un hommage particulier à un des leurs mais aussi, et surtout, qu il se tient ici à Perpignan sur les bords de ce bassin tout autour duquel, langues et cultures, depuis la nuit des temps, ont dialogué les unes avec les autres. Réunis ici, nous le sommes aussi autour d un thème qui, en analysant des éléments tirés du passé, nous donne un nouvel éclairage dans la perception du futur. Tout autour de cette mer et bien au-delà d elle, voici que hispanophonie, lusophonie, arabophonie et francophonie, conviées au Banquet de la Négritude, sous la bonne étoile du Centre Méditerranéen de Littérature, tendent leurs mains pour enlacer le monde d une ceinture de mains fraternelles, pour créer un lieu habitable par tous parce que construit de la pierre de chacun. Dans un monde livré à toutes sortes de confrontations et où l homme s inquiète et s interroge encore, la Méditerranée me semble plus que jamais sommée de renouer avec les lumineuses leçons de son glorieux passé. C est en plongeant dans son passé et en restant fidèle à ce passé que la Méditerranée saura qu elle ne peut être un espace de replis identitaires et d antagonismes exacerbées. Je ne saurais terminer sans féliciter le Centre Méditerranéen de Littérature qui, avec conviction et passion, mène sa belle et noble mission qui est une action décisive en faveur de notre langue partagée et avec elle, toutes les valeurs qu elle 5
porte et qu elle transmet si admirablement par le génie de la littérature qui, en son expression si riche et si diverse, reste un lieu privilégié de construction de l être. Les littératures, nous dit-on, ont toujours été amoureuses les unes des autres, tout au long des siècles. C est cela le génie de l échange, du brassage et du dialogue des cultures, autant de vertus si représentatives de l histoire de la Méditerranée mais aussi de la vie et de l œuvre de Léopold Sédar Senghor. Je vous remercie de votre aimable attention et souhaite un plein succès à ce colloque prometteur. 6