La dénitrification dans les réacteurs de méthanisation. Interactions entre les microorganismes impliqués et conséquences sur la conduite des procédés

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Colloque SFM. Physiologie microbienne et procédés industriels, Paris, 111 Avril 1997 La dénitrification dans les réacteurs de méthanisation. Interactions entre les microorganismes impliqués et conséquences sur la conduite des procédés N. BERNET, G. PERCHERON, M. CLARENS, N. DELGENES et R. MOLETTA INRA Laboratoire de Biotechnologie de l'environnement, Avenue des Etangs, 111 Narbonne La mise en œuvre d un procédé de dépollution associant la digestion anaérobie et la dénitrification dans un même réacteur pose deux problèmes majeurs. Le premier est l existence d une voie de réduction des nitrates en azote ammoniacal. Le second est l effet de la dénitrification qui stoppe l activité méthanogène. Les conditions favorisant une réduction des NNO x en N 2 ou en NH 3 sont liées à la nature fermentescible ou non de la source carbonée et au rapport C/N de l eau usée. Une étude sur Methanosarcina mazei a mis en évidence un effet inhibiteur du NO 2 et surtout du N 2 O sur son activité méthanogène alors que le nitrate est faiblement inhibiteur. Ces résultats ont été confirmés sur des réacteurs alimentés avec un effluent industriel. L activité méthanogène est cependant stoppée lors de la dénitrification, même lorsqu aucun de ces intermédiaires n est détecté. La dénitrification induirait une hausse du potentiel d oxydoréduction néfaste à l activité méthanogène. L utilisation de réacteurs à flux piston ou de réacteurs à alimentation séquentielle (type SBR) permet de séparer dans spatialement ou dans le temps, la dénitrification et la méthanisation, rendant réalisable la configuration proposée. Les effluents agricoles ou agroalimentaires riches en matière organique peuvent être traités par digestion anaérobie. Un écosystème transforme les composés carbonés en un biogaz constitué de CH 4 et de CO 2. La fraction azotée est réduite au cours de ce traitement en azote ammoniacal qui peut être ensuite transformé par nitrificationdénitrification en azote moléculaire gazeux N 2. La nitrification réalisée en aérobiose par des bactéries autotrophes oxyde l azote ammoniacal en nitrite, puis en nitrate. Ce nitrate est ensuite utilisé comme accepteur final d électrons en conditions anoxiques par des bactéries dénitrifiantes qui le réduisent en N 2. La réalisation de l ensemble de ces réactions biologiques nécessite classiquement la mise en œuvre de trois réacteurs selon la configuration présentée sur la Figure 1. Anaérobie Anoxique Aérobie Méthanisation Dénitrification Nitrification Figure.1. Configuration d un procédé classique de dépollution carbonée et azotée. Réaliser la dénitrification et la méthanisation dans un même réacteur permettrait une simplification du procédé selon le schéma de la Figure 2. Anaérobie Dénitrification/ Méthanisation Aérobie Nitrification Figure.2. Configuration du procédé de dépollution carbonée et azotée proposé. La réalisation d un tel système se trouve confrontée à deux difficultés : La dénitrification n est pas la seule voie de réduction biologique des oxydes d azote. En effet, la réduction des nitrates dans un écosystème anaérobie peut conduire à la formation d azote ammoniacal qui est à éviter absolument. Cette voie de réduction est même considérée comme prédominante dans les systèmes anaérobies tels que les réacteurs de méthanisation (13), l introduction de nitrate dans un écosystème de méthanisation entraîne un arrêt de l activité méthanogène jusqu à réduction complète des oxydes d azote présents dans le milieu (NO 3 ; NO2, N2 O) (48). Avant d envisager la mise en œuvre de ce procédé, sa faisabilité est à étudier par rapport à ces deux aspects. Etude de la réduction des nitrates et des nitrites dans un réacteur de méthanisation La réduction du nitrate et du nitrite a été étudiée en réacteurs continus parfaitement mélangés alimentés avec un milieu synthétique contenant du glucose (5 g.l 1 ) et différentes concentrations en nitrate ou nitrite (de 5 à 25 mg NNO x.l 1 ). A l exception des concentrations de 25 mg.l 1 qui se sont révélées inhibitrices, la réduction des NNO x a été totale et une dénitrification a pu être mise en évidence dans la plupart des réacteurs. Ce résultat est remarquable 1

NNOx dénitrifié (% de l'alimentation) Colloque SFM. Physiologie microbienne et procédés industriels, Paris, 111 Avril 1997 car les réacteurs ont été inoculés avec un écosystème anaérobie strict dans lequel la présence de bactéries dénitrifiantes peut sembler insolite. Ces bactéries ont en effet un métabolisme respiratoire et la présence d O 2 ou de NO 3 comme accepteur d électrons leur est indispensable. Ce phénomène a cependant déjà été observé (9, 1). Jorgensen et coll. (1993) l expliquent par une capacité de ces bactéries à développer un métabolisme fermentatif de maintenance dans des conditions anaérobies strictes. Les pourcentages de dénitrification sont présentés sur la Figure 3 en fonction du rapport DCO/NNO x du milieu d alimentation. La DCO, demande chimique en oxygène, représente la quantité de matière oxydable présente dans une eau ou un effluent. Elle peut être en général assimilée à la matière organique. On constate que les rapports élevés sont défavorables à la dénitrification en présence de glucose et se traduisent par une réduction des oxydes d azote en azote ammoniacal. Au contraire, aux rapports DCO/NNO x faibles, la dénitrification est favorisée (11). Ces résultats sont en accord avec Tiedje et coll. (12) qui ont constaté que le rapport donneur d électrons/accepteur d électrons du milieu (DCO/NNO x ) influence la voie de réduction du nitrate vers la dénitrification ou la réduction dissimilatrice en azote ammoniacal. En présence d un excès de donneurs d électrons, la réduction du nitrate suivrait la voie la plus consommatrice, la réduction en azote ammoniacal qui utilise 8 électrons par molécule de NO 3 contre 5 pour la dénitrification. Cette dernière est en revanche plus intéressante d un point de vue énergétique et serait favorisée lorsque les donneurs d électrons sont en quantité limitante. 7 6 5 4 3 2 1 2 4 6 8 1 12 Rapport DCO/NNOx Figure 3. Pourcentage de nitrate ( ) et de nitrite ( ) dénitrifiés en fonction du rapport DCO/NNO x de l alimentation. La dénitrification et l ammonification des nitrates et/ou nitrites n étant pas réalisées par les mêmes microorganismes, la nature de la source de carbone a sans doute également une influence sur le métabolisme des NNO x. Cinq sources de carbone ont donc été testées en cultures anaérobies discontinues en présence de nitrate ou de nitrite à des rapports DCO/NNO x homogènes variant entre 13 et 15 (13). Les résultats de cette expérience sont résumés dans le Tableau 1. En présence de substrats fermentescibles comme le glucose et le glycérol, l ammonification était prépondérante. Ce résultat va dans le sens d une activité ammonifiante des bactéries fermentatives et anaérobies strictes (2). En présence d acides acétique ou lactique, aucune ammonification n a été observée et les NNO x ont été rapidement dénitrifiés. Les acides organiques, en particulier l acide acétique, sont reconnus comme de bons substrats organiques pour les bactéries dénitrifiantes (1417). En revanche, ils ne peuvent vraisemblablement pas être utilisés par les bactéries responsables de la réduction dissimilatrice en azote ammoniacal, ou à des vitesses qui ne permettent pas à ces bactéries de concurrencer les organismes dénitrifiants. En présence de méthanol, la réduction des NNO x était très lente. Ce substrat est classiquement utilisé comme source de carbone pour la dénitrification d eaux usées mais son utilisation nécessite un enrichissement préalable en bactéries du genre Hyphomicrobium, les seules dénitrifiants capables d utiliser le méthanol (18). Ces bactéries n étaient probablement pas présentes en quantité suffisante dans notre écosystème. 2

Colloque SFM. Physiologie microbienne et procédés industriels, Paris, 111 Avril 1997 Tableau 1. Influence de la source de carbone sur la voie de réduction des NNO x. Substrat Forme Vitesse spécifique Ammonification Dénitrification carboné azotée moyenne de réduction (mg N.g MVS 1.h 1 ) Glucose Nitrate 2,7 5,9 + + Glycérol Nitrate 7,4 1,1 Acide acétique Nitrate 27,8 23,8 Acide Nitrate 27,8 lactique Méthanol Nitrate 23,8 Afin de préciser ces observations, une étude cinétique a été mise en oeuvre sur trois réacteurs de méthanisation alimentés en mode discontinu avec un milieu contenant du glucose (2,2 g.l 1 ) et du nitrate à différentes concentrations initiales (156, 312 et 635 mg NNO 3.l 1 ). Dans tous les cas, trois phases ont pu être mises en évidence : 1. Une réduction du nitrate en nitrite a d abord été observée. Elle était associée à une fermentation du glucose, principalement en acide acétique, et une acidification du milieu. Le nitrite était ensuite partiellement réduit en NH 4 + et en N 2. 2. Dans un deuxième temps, une dénitrification du nitrate et du nitrite était mise en évidence, ainsi qu une consommation des acides organiques issus de la fermentation du glucose et une augmentation du ph. 3. Enfin, après la réduction complète des oxydes d azote, la production de méthane, absente jusqu alors, redémarrait. Le Tableau 2 présente les bilans obtenus sur l azote pour les trois expériences (19). Tableau 2. Bilans de réduction des nitrates en réacteurs discontinus. DCO/NNO 3 (NNO 3 ) i (mg.l 1 ) (NNO x ) f (mg.l 1 ) Ammonification (% réduction) Dénitrification (% réduction) 15,7 156 18 82 7,8 312 1 4 96 3,9 635 291 3 97 Ces résultats montrent que la dénitrification est réalisable dans un méthaniseur et que sa mise en place est liée à la nature de la source de carbone présente et au rapport DCO/NNO x du milieu. Elle est aussi fortement dépendante du mode de conduite du réacteur. En effet, dans la dernière expérience réalisée en cultures discontinues, les pourcentages de dénitrification obtenus sont nettement supérieurs à ceux obtenus en culture continue présentés sur la Figure 3. (à rapport DCO/NNO x équivalent). Il est également important de noter que les écosystèmes anaérobies utilisés n étaient pas adaptés aux nitrates. Etude de l influence des oxydes d azote sur la méthanisation L arrêt de la méthanisation en présence d oxydes d azote est généralement attribué à une modification du potentiel d oxydoréduction induite par l ajout de ses composés, mais aussi à un effet direct, en particulier du nitrate, sur l écosystème méthanogène (4, 2). Afin d essayer d expliquer ce phénomène, une souche pure de Methanosarcina mazei S6 T, bactérie méthanogène acétoclaste, a été cultivée en présence de différentes concentrations de nitrate (NO 3 ), de nitrite (NO 2 ) et d oxyde nitreux (N 2 O). Le Tableau 3 présente les pourcentages d inhibition de l activité méthanogène de cette souche cultivée sur méthanol ou acétate, en présence de différentes concentrations en oxydes d azote. 3

Colloque SFM. Physiologie microbienne et procédés industriels, Paris, 111 Avril 1997 Tableau 3. Inhibition de l activité méthanogène de Ms. mazei par les oxydes d azote. Inhibition sur acétate (%) Inhibition sur méthanol (%) NNO 3 (mg.l 1 ) 2 4 7 1 35,1 4,6 65,2 83,3 45,7 51,1 NNO 2 (mg.l 1 ),5 28,9 63,8 2,5 N 2 O (%),8 2,5 96,6 95,2 1, Dans tous les cas, le milieu était réduit par l ajout de Lcystéine qui permet d abaisser le potentiel d oxydoréduction (E h ) à environ 3 mv. Les effets inhibiteurs observés seraient donc liés directement au composé azoté ajouté au milieu. On constate qu une concentration de 1g NNO 3.l 1 ne suffit pas à inhiber totalement l activité méthanogène de Ms. mazei, mais que la souche est beaucoup plus sensible aux intermédiaires de la dénitrification, nitrite et oxyde nitreux. Si l on ajoute à une culture de Ms. mazei réalisée en présence d acétate et de nitrate une souche dénitrifiante Pseudomonas stutzeri, on observe un arrêt immédiat de l activité de la souche méthanogène. 95,7 Figure 4. Coculture de Ms. mazei et Ps. stutzeri en présence de nitrate et d acétate. : CH 4 dans la culture pure témoin de Ms. mazei, : CH 4, : NNO 3, s : NNO 2, : N 2 O dans la coculture. L ajout de la bactérie dénitrifiante se traduit par l apparition rapide de nitrite, puis d oxyde nitreux, issus de la réduction du nitrate par cette souche (Figure 4). On peut donc attribuer à la dénitrification et non au nitrate l arrêt de la méthanisation qui ne peut redémarrer en raison de la forte teneur en N 2 O, alors qu il reste de l acétate dans le milieu. Ces résultats ont été corrélés à des observations faites dans des écosystèmes complexes (21). Une production de méthane en présence de nitrate, équivalente à celle d un réacteur témoin sans nitrate, a en effet pu être mise en évidence pendant environ quarante heures dans un réacteur, sans réduction de ce nitrate (Figure 5). 4

Colloque SFM. Physiologie microbienne et procédés industriels, Paris, 111 Avril 1997 Production totale de CH4 (mmol) 6 5 4 3 2 1 24 22 2 18 16 14 12 1 8 6 4 2 2 4 6 8 1 12 14 16 Temps (heures) NNO x (mg.l 1 ) 3 35 4 45 5 Potentiel d'oxydoréduction (EAg/AgCl 3MmV) Figure 5. Méthanisation dans un digesteur anaérobie avec ou sans nitrate. Digesteur avec nitrate : : CH 4, : NNO 3, s : NNO 2, : E. Digesteur témoin : : CH 4, : E. Une forte concentration en sulfure (8 mm), liée à la teneur élevée en sulfate de l alimentation, a eu pour effet d inhiber de façon transitoire les bactéries réductrices de nitrate et de maintenir le potentiel d oxydoréduction à une valeur très basse malgré la présence de ce nitrate. Ce résultat confirme le faible effet inhibiteur du nitrate sur la méthanisation. Après quarante heures, la réduction du nitrate en nitrite s est mise en place, accompagnée d une forte hausse du potentiel d oxydoréduction. Ces deux phénomènes ont entraîné un arrêt immédiat de la production de méthane dans le réacteur. L inhibition des bactéries méthanogènes serait donc due, non pas à la présence de nitrate, mais bien à la dénitrification. Celleci se traduit par la production de nitrite et d oxyde nitreux et par une augmentation transitoire mais importante du potentiel d oxydoréduction. Conséquences des interactions observées sur la conduite du procédé Une meilleure connaissance des écosystèmes intervenant dans le procédé et des interactions entre ces écosystèmes permet d envisager des solutions technologiques pour mener à bien la dénitrification et la méthanisation dans un même réacteur. Les caractéristiques de l effluent à traiter (rapport C/N, nature du carbone organique) sont déterminantes pour le bon déroulement de la dénitrification. Dans le cas d un effluent «à risque», c estàdire à rapport DCO/N élevé et riche en carbone fermentescible, une fermentation préalable pourra être réalisée. Elle permettrait d enrichir l effluent en acides organiques (acides gras volatiles) et de favoriser ainsi la dénitrification par rapport à la réduction dissimilatrice en azote ammoniacal. Cette opération est habituellement effectuée dans les procédés de méthanisation diphasiques où l on sépare dans deux réacteurs l étape d acidogenèse de la méthanisation. En raison de l effet inhibiteur de la dénitrification sur la méthanogenèse, il apparaît nécessaire de séparer ces deux processus. Leur combinaison dans des réacteurs parfaitement mélangés alimentés en continu a mis en évidence une importante ammonification du nitrate, même à des rapports DCO/N faibles (cf. Fig. 3). La première possibilité est l utilisation d un réacteur à lit fixe à flux ascendant de type piston schématisé sur la Figure 6. 5

Colloque SFM. Physiologie microbienne et procédés industriels, Paris, 111 Avril 1997 Hauteur Sortie M D NNO x Alim Figure 6. Schéma d un réacteur à lit fixe à flux piston avec gradient de concentration en NNO x. La colonne, garnie d un support inerte sur lequel vont se fixer les microorganismes, se compartimente naturellement au cours de son fonctionnement en une zone de dénitrification à la base du réacteur (D) et une zone de méthanisation dans la partie supérieure (M). On a alors une séparation physique naturelle des deux réactions dans le réacteur grâce à la création d un gradient de concentration en NNO x en fonction de la hauteur de réacteur (22). Une autre solution, actuellement testée pour le traitement du lisier de porc, est l utilisation de réacteurs à alimentation séquentielle ou «sequencing batch reactors» (SBR) (23). Les réacteurs sont alimentés en mode discontinu. Dans ce cas, la séparation des deux processus se fait dans le temps. La dénitrification se déroule rapidement dans les premières heures suivant l alimentation en effluent riche en carbone et en effluent nitrifié. On observe alors une augmentation importante du potentiel d oxydoréduction qui redescend après quelques heures. Le reste du cycle permet une méthanisation de la matière organique disponible lorsque les oxydes d azote ont été complètement réduits. Dans tous les cas, l avantage de ce procédé intégré en deux étapes (Fig. 2.) par rapport au procédé classique (Fig. 1.) est l utilisation optimale du carbone organique disponible dans l effluent. En effet, le carbone le plus facilement disponible est d abord utilisé comme donneur d électrons pour la dénitrification. Le reste est ensuite transformé en biogaz avec une faible production de biomasse. Références 1. Garcia, J. L. (1982). Relations between acidogenesis and the utilization of lactate, sulfate, and nitrate during anaerobic digestion. In Simposio Internacional "Avances en Digestion Anaerobia", (pp. 23). Mexico. 2. Tiedje, J. M. (1988). Ecology of denitrification and dissimilatory nitrate reduction to ammonium. In A. J. B. Zehnder (Eds.), Biology of Anaerobic Microorganisms (pp. 179244). New York : John Wiley and sons. 3. Pohland, F. G. (1992). Anaerobic treatment : fundamental concepts, applications, and new horizons. In J. F. M. a. F. G. Pohland (Eds.), Design of Anaerobic Processes for the Treatment of Industrial and Municipal Wastes (pp. 14). Lancaster, Pennsylvania, U.S.A., Technomic Publishing Company, Inc. 4. Balderston, W. L., and Payne, W. J. (1976). Inhibition of methanogenesis in salt sediments and wholecell suspensions of methanogenic bacteria by nitrogen oxides. Appl. Environ. Microbiol., 32(2), 264269. 5. Winfrey, M. R., and Zeikus, J. G. (1979). Anaerobic metabolism of immediate methane precursors in lake Mendota. Appl. Environ. Microbiol., 37(2), 244253. 6. Winfrey, M. R., and Zeikus, J. G. (1979). Microbial methanogenesis and acetate metabolism in a meromictic lake. Appl. Environ. Microbiol., 37(2), 213221. 7. Mountfort, D. O., Asher, R. A., Mays, E. L., and Tiedje, J. M. (198). Carbon and electron flow in mud and sandflat intertidal sediments at Delaware Inlet, Nelson, New Zealand. Appl. Environ. Microbiol., 39(4), 686694. 8. Allison, C., and Macfarlane, G. T. (1988). Effect of nitrate on methane production and fermentation by slurries of human faecal bacteria. J Gen. Microbiol., 134, 1397145. 9. Kaspar, H. F., Tiedje, J. M., and Firestone, R. B. (1981). Denitrification and dissimilatory nitrate reduction to ammonium in digested sludge. Can. J Microbiol., 27, 878885. 1. Jorgensen, K. S., and Tiedje, J. M. (1993). Survival of denitrifiers in nitratefree, anaerobic environments. Appl. Environ. Microbiol., 59(1), 3297335. 6

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