L expertise civile et la notion de discernement

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Transcription:

L expertise civile et la notion de discernement Jacques Gasser Département de psychiatrie du CHUV

La procédure menant à une interdiction civile Point de départ : une demande volontaire ou une dénonciation (famille, médecin, tout tiers, ) Le Juge de Paix enquête L expertise psychiatrique La décision

Pourquoi une expertise psychiatrique? Doute sur la capacité de discernement Attester de la présence d un trouble psychique (maladie mentale ou faiblesse d esprit) à l aide d un avis de spécialiste en la matière

La capacité de discernement Elle est définie par l art. 16 du Code civil C est la condition fondamentale de l exercice des droits civils Cela résulte de ce que le comportement d une personne ne doit avoir des conséquences juridiques que si cette personne «sait et veut» ce qu elle fait

Art. 16 CC : Discernement Toute personne qui n est pas dépourvue de la faculté d agir raisonnablement à cause de son jeune âge, ou qui n en est pas privée par suite de maladie mentale, de faiblesse d esprit, d ivresse ou d autres causes semblables, est capable de discernement dans le sens de la présente loi. Etat le 17 décembre 2002

La capacité de discernement Elle est supposée présente chez chaque citoyen jouissant de ses droits civils C est l incapacité de discernement qui doit être prouvée Cette incapacité est subordonnée à deux conditions cumulatives

Conditions de l incapacité de discernement 1. L absence de la faculté d agir raisonnablement 2. Cette absence doit être causée par le jeune âge, la maladie mentale, la faiblesse d esprit, l ivresse ou d autres causes semblables

La faculté d agir raisonnablement Elle comprend deux éléments Un élément intellectuel Un élément volontaire

L élément intellectuel Il s agit de la faculté d apprécier le sens et la portée d un acte déterminé. C est l aptitude d une personne à savoir et à comprendre ce qu elle fait.

L élément volontaire Il s agit de la faculté d agir en fonction de d une appréciation raisonnable d un acte déterminé, selon sa libre volonté. C est la capacité d une personne de résister normalement aux tentatives d influencer sa volonté

Les causes légales d altération de la faculté d agir raisonnablement Les causes durables : Le jeune âge La maladie mentale ou la faiblesse d esprit Les causes passagères : L ivresse ou les «autres causes semblables»

La maladie mentale au sens des art. 16, 369 et 397a du Code civil Affection qui se manifeste par la dynamique évolutive d une symptomatologie chronique «psychoses endogènes» : schizophrénie, psychose maniaco-dépressive troubles psychiques provoqués par des modifications organiques du cerveau démences manies

La faiblesse d esprit au sens des art. 16, 369 et 397a du Code civil Syndrome déficitaire (débilité mentale) Tendance constitutionnelle à une réactivité psychique particulière (trouble de la personnalité)

Les maladies psychiques au sens de l art. 397b du Code Civil Maladies mentales Alcoolisme Toxicomanie Grave état d abandon Faiblesse d esprit

La capacité de discernement est relative Le juge ou le médecin doit rechercher «in concreto» (dans tel cas précis et à tel moment) si le patient possédait ou possède ou non la capacité de discernement et non «in abstracto» (d une façon générale) La capacité de discernement ne possède pas de niveaux pour le Code civil, elle existe ou n existe pas

Conséquences d une absence de discernement Art. 17 CC «Les personnes incapables de discernement, les mineurs et les interdits n ont pas l exercice des droits civils» Art. 18 CC «Les actes de celui qui est incapable de discernement n ont pas d effet juridique; demeurent réservées les exceptions prévues par la loi»

La privation porte sur les droits de nature patrimoniale Les droits strictement personnels (mariage, reconnaissance d un enfant, testament,...) demeurent du ressort de l interdit, s il est capable de discernement L incapacité de discernement n est pas juridiquement synonyme d'interdiction

Qui peut représenter une personne incapable de discernement? Le représentant légal Tuteur, curateur Curatelle thérapeutique Les proches de la personnes Le représentant thérapeutique Le conseiller accompagnant Les directives anticipées (testament thérapeutique)

Choix de la mesure tutélaire Attention à respecter le principe de proportionnalité Toute mesure ne doit être instaurée que si aucune autre mesure, portant moins atteinte aux droits et libertés de l individu, ne peut être mise en place pour assurer une protection juridique et une assistance personnelle appropriée La mesure ne doit être appliquée que si elle permet vraiment d atteindre le but visé

La curatelle de représentation Art. 392 du Code civil L autorité tutélaire institue une curatelle soit à la requête d un intéressé, soit d office, dans les cas prévus par la loi et, en outre: 1. Lorsqu un majeur ne peut, pour cause de maladie, d absence ou d autres causes semblables, agir dans une affaire urgente, ni désigner lui-même un représentant; 2. Lorsque les intérêts du mineur ou de l interdit sont en opposition avec ceux du représentant légal; 3. Lorsque le représentant légal est empêché.

Pour qui? Sont concernées les personnes majeures qui se trouvent dans l incapacité d agir elle-même ou de gérer une affaire d une manière conforme à ses intérêts à cause d une maladie physique, d une infirmité ou d une affection mentale légère ou passagère

Pour quoi? Elle est destinée, dans les cas urgents, à suppléer une carence légère ou passagère Elle permet d accepter ou de refuser un traitement thérapeutique chez une personne incapable de discernement

L expertise psychiatrique C est l art. 374 du Code civil qui institue la nécessité d une expertise psychiatrique pour prononcer une «interdiction pour cause de maladie mentale ou de faiblesse d esprit»

L expertise psychiatrique L expertise peut être demandée contre l avis de l intéréssé La forme de l expertise n est pas prescrite, elle doit simplement contenir les «constations nécessaires» Le juge n est pas lié par les conclusions de l expert

L expertise psychiatrique Faits /Affection actuelle Anamnèse Indications sujectives de l expertisé Status psychique Examens complémentaires Diagnostic Discussion Réponses formelles aux questions

Les questions 1. La dénoncée est-il atteint de maladie mentale ou de faiblesse d'esprit? Réponse : 2. Dans l affirmative, s agit-il d une affection momentanée et curable dans un laps de temps plus ou moins bref ou, au contrainte, d une maladie dont la durée ne peut être prévue? 3. Cette affection est-elle de nature à empêcher le dénoncé d apprécier sainement la portée de ses actes et de gérer ses affaires sans les compromettre? Réponse : S agit-il d une affection curable dans un délai plus ou moins bref ou d une maladie dont la durée ne peut être prévue? 4. L audition dela personne dénoncé, par les Autorités judiciaires, est-elle ou non admissible du point de vue médical? Réponse :

1. La dénoncée est-il atteint de maladie mentale ou de faiblesse d'esprit? Réponse : 2. Dans l affirmative, s agit-il d une affection momentanée et curable dans un laps de temps plus ou moins bref ou, au contrainte, d une maladie dont la durée ne peut être prévue? 3. Cette affection est-elle de nature à empêcher le dénoncé d apprécier sainement la portée de ses actes et de gérer ses affaires sans les compromettre? Réponse : S agit-il d une affection curable dans un délai plus ou moins bref ou d une maladie dont la durée ne peut être prévue? 4. L audition de la personne dénoncé, par les Autorités judiciaires, est-elle ou non admissible du point de vue médical? Réponse :

Mainlevée de la mesure art. 431-440 du Code civil L interdiction pour maladie mentale ou faiblesse d esprit (art. 369 CC) ne peut être levée que sur la base d une expertise attestant soit qu il n y a plus de maladie mentale, ou que s il elle existe, elle n a plus les effets prévus par la loi

Mainlevée de la mesure art. 431-440 du Code civil L interdiction à cause d un comportement déficient (art. 370 CC) ne peut être levé que s il est prouvé que le comportement qui a justifié la mesure n a plus fait l objet de plaintes depuis un an au moins

Les modalités d hospitalisation en milieu psychiatrique

L admission volontaire Absence de loi fédérale Grandes variétés dans les dispositions cantonales

L admission volontaire Eléments nécessaires: La volonté du patient Le certificat médical L accord du responsable médical de l établissement

L admission volontaire Modalités de sortie accord entre le patient et le responsable médical si désaccord, 2 possibilités : la sécurité du patient et de la société prédomine l autonomie du patient est privilégiée

L admission non volontaire Cadre juridique : Code Civil Suisse : «privation de liberté à des fins d assistance» Lois cantonales spécifiques

L admission non volontaire Conditions générales : Présence de troubles mentaux Le traitement et les soins doivent être faits dans un établissement psychiatrique La personne est considérée comme dangereuse pour elle-même ou pour les autres

L admission non volontaire Le certificat médical nécessaire à ce type d hospitalisation doit être rédigé par un médecin autorisé à pratiquer Le contenu du certificat est variable d un canton à l autre Le patient doit être informé des motifs justifiant la mesure et de son droit de recours

Privation de liberté à des fins Cadre juridique : d assistance Convention européenne des droits de l homme Code civil suisse (art 397a-f CC) Droit cantonal

Privation de liberté à des fins d assistance Permet de placer ou de retenir une personne dans un établissement approprié. La personne doit avoir besoin d «assistance personnelle» qui ne peut lui être fournie autrement. Cinq situations possibles: Maladie mentale, faiblesse d esprit, alcoolisme, toxicomanie, grave état d abandon

Privation de liberté à des fins d assistance Il faut encore tenir compte «des charges que la personne impose à son entourage» La personne doit être libérée dès que son état le permet La décision est prise par une autorité tutélaire du domicile de la personne en cause La personne doit être informée des motifs justifiant la mesure et de son droit de recours

Modalités d hospitalisation d une personne interdite Si la personne est interdite et qu elle a sa capacité de discernement, elle, seule, peut décider de son hospitalisation ou la refuser Si la personne n a pas sa capacité de discernement, le consentement à l hospitalisation est donné par le représentant légal. Si la personne n accepte pas cette décision, on se trouve dans le cas d une hospitalisation non volontaire ou d un PLAFA

Principales dispositions de la loi vaudoise sur la santé publique, au sujet de l hospitalisation dans un établissement psychiatrique type d admission à l hôpital décision d hospitalisation compétence médicale a l hôpital possibilité de recours volontaire (LSP art. 58) le malade demande lui-même l admission accepter ou refuser l admission accepter ou refuser d'autoriser la sortie à la justice de paix, en cas de refus d autoriser la sortie d office (LSP art. 59) l admission est ordonnée par un médecin extérieur à l hôpital autoriser la sortie à la justice de paix, contre la décision d'hospitalisation ou le refus d autoriser la sortie ordonnée par l autorité de tutelle (CC art. 397 a et b) l hospitalisation est un placement à des fins d assistance ordonné par la justice de paix informer le juge de paix à la chambre des tutelles du tribunal cantonal, contre l ordonnance de placement ou le refus de mainlevée imposée par un magistrat de l ordre judiciaire (CPP art. 233 et 313) l hospitalisation est ordonnée par un juge pour observation médicale renseigner le magistrat et signaler la fin des investigations au tribunal compétent en fonction de la procédure, contre l hospitalisation