L Information psychiatrique 2008 ; 84 : 317-21 À PROPOS DE... Manuel de psychiatrie sous la direction de J.-D. Guelfi et F. Rouillon 1 Traité de psychiatrie de M. Gelder, R. Mayou et P. Cowen 2 Cristina Ababei Le manuel français J.-D. Guelfi et F. Rouillon nous apprennent en début de leur ouvrage que c est dans le but de favoriser «l ouverture, le dialogue et la réflexion» et de «décourager tous les dogmatismes» qu ils font appel à des nombreux spécialistes coordonnateurs et auteurs de différentes orientations pour réaliser un manuel «fédérateur» qui essaye de réunir tous les divers aspects de la psychiatrie actuelle. Le livre est composé dans sa totalité de quatre parties intitulées : généralités, examen en psychiatrie, psychopathologie et thérapeutique. La première partie commence par un chapitre d histoire qui rappelle l introduction des termes d «aliénation mentale» et «aliénés» par Pinel, puis l apparition du terme «psychiatrie» sous l influence de J.-C. Reil, en 1802, le débat organogenèse versus psychogenèse, l évolution nosographique de la psychiatrie au XIX e siècle et l élaboration des œuvres classificatoires athéoriques, commençant par le DSM I en 1952 jusqu au DSM-IV en 1994, en parallèle avec le développement de la classification CIM. Puis, l auteur de ce chapitre, J. Postel, revient sur le modèle explicatif biopsychosocial et finit par rappeler le progrès actuel des neurosciences et du cognitivisme. Dans le chapitre suivant, M.-C. Hardy-Baylé reprend les grands théories de la psychiatrie (psychanalytique, cognitivo-comportementale, systémique, neurobiologique), évoque le modèle intégratif de H. Ey, qui s inscrirait dans une épistémologie clinique, et propose plutôt l orientation vers une épistémologie thérapeutique et une théorie intégrative des pratiques de soins en psychiatrie. Dans Épidémiologie et nosographie psychiatrique, J.-D. Guelfi et F. Rouillon reviennent sur l histoire récente des classifications en psychiatrie en rappelant les innovations du DSM-III, du DSM-IV et du CIM-10, puis ils évoquent quelques notions d épidémiologie et des résultats des enquêtes épidémiologiques internationales. doi: 10.1684/ipe.2008.0312 Assistant, Service de psychiatrie B, hôpital Robert-Ballanger, Aulnay-sous-Bois <psy.b@ch-aulnay.fr> 1 Édition Elsevier-Masson, 2007. 2 Oxford University Press, 2001, Médecine-Science Flammarion, 2005. Traduction française coordonnée par le Dr Patrick Lemoine. L INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 84, N 4 - AVRIL 2008 317
C. Ababei Suit un longue chapitre concernant la recherche en psychiatrie coordonné par J.-M. Danion dans lequel sont évoqués d abord des notions d éthique : les principes généraux (le code de Nuremberg, la loi Huriet), la notion de consentement libre et éclairé, la balance bénéfice/risque, la protection des patients et l éthique personnelle du chercheur. Puis sont évoqués les modèles animaux en psychiatrie et la psychopathologie expérimentale, la recherche génétique, l épidémiologie avec ses trois fonctions principales (descriptive, analytique et préventive), la recherche en biologie (en neuroanatomie, en imagerie, en neuropharmacologie et dans les techniques à haut débit) et la recherche en science humaines et sociales. La sociologie des troubles psychiatriques est développée dans le chapitre suivant par A. M. Lovell. L auteur évoque les déterminants sociaux de la maladie mentale, les processus sociétaux de la construction de la maladie mentale et les effets de la désignation de la maladie et de la stigmatisation (les «étiquettes» seraient appliquées surtout à des personnes transgressant les règles et prendraient ensuite «une vie propre»). Dans un bref chapitre de psychiatrie transculturelle, M.-R. Moro essaye de favoriser «une pensée métissée et cosmopolite». Le dernier chapitre de la partie «Généralités», coordonné par H. Verdoux, traite des facteurs de vulnérabilité en commençant par les facteurs génétiques, puis les facteurs environnementaux (psychosociaux et biologiques) en finissant par les interactions gène-environnement. La deuxième partie du manuel, intitulée «L examen en psychiatrie», contient trois chapitres coordonnés par J.-D. Guelfi. Le premier traite l examen clinique (les circonstances et la conduite de l examen). Le deuxième, intitulé «L examen psychométrique», présente quelques notions sur les échelles d évaluation (les différents types et les qualités métrologiques), évoque la «mesure de la subjectivité», insiste plus sur les tests d intelligence, l examen des fonctions cognitives et, surtout, sur les tests de personnalité (le MMPI2 publié en 1989 et le NEO-PI-R qui envisage la personnalité dans une perspective dimensionnelle avec un modèle à cinq facteurs). Il finit en mentionnant les instruments de la psychologie classique et les tests projectifs. Dans le dernier chapitre de cette partie, sont présentées les principales techniques utilisées pour l exploration fonctionnelle du cerveau : l électroencéphalographie, les techniques d imagerie de la morphologie cérébrale et d imagerie cérébrale fonctionnelle, ainsi que les marqueurs biologiques. La troisième partie, intitulée «Psychopathologie», est la plus importante du manuel qui confirme ce que J.-D. Guelfi et F. Rouillon disent en préambule : le fondement de la psychiatrie est «la clinique de la souffrance psychique». Elle traite toute la pathologie psychiatrique et contient douze chapitres qui ont des coordinateurs différents, chaque chapitre étant constitué de plusieurs souschapitres toujours écrits par des auteurs différents. Sont présentés : les troubles anxieux (J.-P. Boulenger), la schizophrénie et les autres troubles psychotiques (J. Daléry), les troubles de l humeur (J.-F. Allilaire), l organicité cérébrale et la psychopathologie (P.-H. Robert), les troubles somatoformes et les intrications médicopsychiatriques (P. Hardy), les troubles de la personnalité (J.-D. Guelfi), les paraphilies (B. Cordier), les addictions et les troubles des conduites (J. Adès), les troubles des conduites alimentaires (P. Jeammet), la psychopathologie de 318 L INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 84, N 4 - AVRIL 2008
Manuel de psychiatrie sous la direction de J.-D. Guelfi et F. Rouillon l adolescent (A. Braconnier), la psychopathologie du sujet âgé (J.-P. Clément) et le comportement suicidaire (P. Courtet). Malgré le fait qu elle soit rédigée par différents auteurs, sa présentation reste cohérente et apporte les résultats des recherches actuelles dans le domaine des théories cognitives, de la neurobiologie, de la génétique, et aussi du psychotraumatisme (et sa possible implication dans l étiologie des troubles de la personnalité). On peut remarquer l empreinte de l actualité sociopolitique dans des souschapitres comme le tabac et la psychiatrie, les addictions comportementales (avec l évocation des achats compulsifs, l addiction sexuelle et l addiction au travail, qui font l objet de nombreux travaux nord-américains) ou dans le chapitre concernant les paraphilies, qui insiste sur la pédophilie. Il est souvent fait référence au DSM IV, à la CIM 10, aux théories cognitives, quelquefois aux théories psychanalytiques et très peu à la nosologie classique française. On note aussi que, dans la description clinique de la schizophrénie, le terme de «dissociation» n est plus utilisé, étant remplacé par le terme de «désorganisation». Le mot «dissociation» apparaît dans le chapitre des troubles anxieux (amnésie dissociative, fugue dissociative, trouble dissociatif de l identité, dissociation péritraumatique). Parmi les facteurs étiopathogéniques de la schizophrénie sont préférées les hypothèses neurodéveloppementales, neurodégénératives et la vulnérabilité génétique. Puis, dans le même chapitre, on trouve une longue description des modèles cognitifs de la schizophrénie. Par contre, les autres troubles psychotiques (le trouble schizophréniforme ou bouffée délirante aiguë, le trouble psychotique bref du DSM, le trouble schizoaffectif, le trouble délirant paranoïaque, la paraphrénie et la psychose hallucinatoire chronique) sont présentés de manière très brève, serrés tous dans une seule page. La dernière partie du manuel aborde les traitements psychotropes (J.-P. Olié), les thérapeutiques psychologiques (D. Widlöcher), la sociologie et la réhabilitation (G. Vidon), l organisation de l offre de soins (D. Leguay), les aspects médicolégaux (F. Caroli), l avenir en psychiatrie (J.-D. Guelfi, F. Rouillon) et les conduites à tenir (J.-L. Senon, D. Sechter). Dans le premier chapitre sont décrits : les antidépresseurs, les thymorégulateurs, les antipsychotiques, les hypnotiques, les anxiolytiques et l ECT, mais aussi quelques traitements somatiques plus récents (la stimulation magnétique transcrânienne, la stimulation du nerf vague et la photothérapie). Puis sont présentées les thérapeutiques psychologiques (psychanalytiques, comportementales et cognitives, intégratives, familiales, à médiation artistique et la relaxation thérapeutique), la sociothérapie et la réhabilitation (la réhabilitation psychosociale, les thérapies institutionnelles, la prise en charge des exclus et les traitements psychosociaux), suivies par la présentation de l organisation de l offre de soins et un chapitre complet sur les aspects médicolégaux en psychiatrie. Dans l avant dernier chapitre intitulé «L avenir en psychiatrie» J.-D. Guelfi et F. Rouillon insistent sur la validité de l approche psychobiologique en rappelant «les illusions de la psychiatrie biologique des années 1960-1970» et en signalant le risque d une «nouvelle illusion», celle de l imagerie cérébrale. Ils concluent sur la nécessité d un «retour à la clinique». Le manuel finit par un chapitre qui aborde les conduites à tenir. L INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 84, N 4 - AVRIL 2008 319
C. Ababei Le traité anglais M. Gelder, R. Mayou et P. Cowen nous expliquent au début de leur livre qu il s agit de la quatrième édition réactualisée de l Oxford Textbook of Psychiatry. La première date de 1983 et a été conçue par ses auteurs comme un manuel de base pour les étudiants en psychiatrie, le thème général étant la pratique de la psychiatrie clinique. Dans ses éditions ultérieures ont été incorporés les derniers développements des systèmes de classification (en 1988) et d autres chapitres, comme ceux concernant les troubles de l adaptation liés au stress, les services psychiatriques (en 1995) et la médecine fondée sur la preuve, l éthique et le droit civil (en 2001). Dans la préface à l édition française, P. Lemoine considère que le lecteur qui souhaite apprendre la psychiatrie trouvera dans ce livre «la totalité de ce qu il doit ou devrait savoir». Le livre commence par un chapitre de sémiologie car, nous disent les auteurs, «l art d examiner un patient repose sur une solide connaissance de la manière dont les symptômes et les signes cliniques ont été définis. Sans ce savoir, le psychiatre risque, en répertoriant les phénomènes cliniques de façon erronée, de porter un diagnostic inexact». Suit un chapitre concernant l évaluation du patient qui décrit l entretien avec le patient (la manière de préparer l entretien, de l amorcer et de le poursuivre), l entretien avec les proches, l anamnèse psychiatrique, l examen de l état mental, l entretien en situation particulière (par ex. : en urgence, à domicile, avec la famille, avec un patient d une autre culture, etc.), la manière de rédiger l observation médicale, la communication avec les autres intervenants (l information donnée au patient, le courrier au médecin généraliste) et l évaluation standardisée à l aide des échelles. Le chapitre d éthique et de droit civil aborde la manière d appliquer les théories éthiques en pratique médicale, la question du mésusage de la psychiatrie et des abus pour des raisons politiques ou commerciales, les possibles raisons pour les médecins d être poursuivis, la question de la confidentialité, du consentement au traitement médical, l éthique dans la recherche et aussi d autres aspects du droit civil. La description des classifications en psychiatrie commence par quelques notions sur les concepts de maladie mentale puis aborde l histoire des classifications et les classifications actuelles (CIM 10 et DSM IV). Le chapitre d étiologie rappelle la complexité des causes en psychiatrie, le concept de stress et de réaction psychologique, puis développe les modèles étiologiques (l approche neuroscientifique, les modèles médicaux, le modèle comportemental, les modèles développementaux), l histoire des idées sur l étiologie et la contribution des disciplines scientifiques (études cliniques descriptives, épidémiologie, sciences sociales, psychologie expérimentale et clinique, génétique, études biochimiques, pharmacologie, endocrinologie, physiologie, neuropathologie). L «Approche de la psychiatrie fondée sur des preuves (EBM)» nous apprend la manière d évaluer de façon critique des revues systématiques et ensuite leur application dans la pratique clinique. 320 L INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 84, N 4 - AVRIL 2008
Manuel de psychiatrie sous la direction de J.-D. Guelfi et F. Rouillon La psychopathologie et le traitement sont abordés dans les chapitres : personnalité et troubles de la personnalité, réaction aux expériences stressantes, troubles anxieux et trouble obsessionnel-compulsif, troubles somatoformes et troubles dissociatifs, troubles de l humeur, schizophrénie et troubles schizophréniformes, symptômes et syndromes délirants, neuropsychiatrie et troubles du sommeil, troubles des conduites alimentaires, psychiatrie et médecine, suicide et tentative de suicide, abus d alcool et de drogues, problèmes liés à la sexualité et à l identité sexuelle, psychiatrie du sujet âgé, médicaments et autres traitements physiques, traitement psychologique, services psychiatriques, pédopsychiatrie, troubles invalidants des apprentissages (retard mental), psychiatrie médicolégale. La rédaction est toujours claire, rigoureuse et détaillée. Il est fait référence, en parallèle, aux classifications CIM 10 et DSM IV. Puis sont présentées de manière égale toutes les théories. Par exemple, dans l étiologie de la schizophrénie sont présentées l hypothèse neurodéveloppementale, la génétique, les modifications de la structure cérébrale et les modifications neurophysiologiques, mais aussi les anomalies biochimiques (l hypothèse dopaminergique, la sérotonine, les acides aminés), l abus de drogues, les facteurs développementaux (événements intra-utérins, développement durant l enfance), les théories psychodynamiques, la famille comme cause de schizophrénie et les facteurs étiologiques sociaux. Dans le chapitre «Symptômes et syndromes délirants» sont décrits les symptômes délirants, les causes des symptômes délirants, la personnalité paranoïaque et les troubles délirants (sous-chapitre qui aborde le contexte historique, l épidémiologie et les formes particulières de délire avec la précision, dans le cas de délire quérulent, que le diagnostic doit être fait «sur des bases psychiatriques claires, plutôt que sur des bases politiques»). Ensuite sont décrits aussi des délires associés à des contextes particuliers, l évaluation du diagnostic du délire et le traitement. On pourrait remarquer que, dans ce livre, les auteurs rappellent à plusieurs reprises le risque de l usage de la psychiatrie à des fins d abus politique. Conclusion Les deux livres s adressent principalement aux étudiants en psychiatrie, aux spécialistes débutants mais aussi aux praticiens en général. Si le manuel français semble axé plus sur la recherche et sur les tendances actuelles en psychiatrie et, au total, paraît assez complexe, le traité anglais semble plutôt orienté sur la pratique clinique, et la rédaction est toujours claire et compréhensible. Il commence d ailleurs par un chapitre de sémiologie psychiatrique, chapitre absent du manuel français. Les descriptions des divers troubles psychopathologiques sont en général similaires, à l exception peut-être de la schizophrénie et des autres troubles psychotiques, qui semblent mieux détaillés dans le traité anglais. L INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 84, N 4 - AVRIL 2008 321