CINQUIÈME SECTION. Requête no 22612/15 Marie CHARRON et Ewenne MERLE-MONTET contre la France introduite le 7 mai 2015 EXPOSÉ DES FAITS

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Transcription:

CINQUIÈME SECTION Communiquée le 19 janvier 2017 Requête no 22612/15 Marie CHARRON et Ewenne MERLE-MONTET contre la France introduite le 7 mai 2015 EXPOSÉ DES FAITS Les requérantes, M me Marie Charron («la première requérante») et M me Ewenne Merle-Montet («la seconde requérante»), sont des ressortissantes françaises nées respectivement en 1982 et en 1986, et résidant à Montauban. Elles sont représentées devant la Cour par M e Caroline Mécary, avocate à Paris. A. Les circonstances de l espèce Les faits de la cause, tels qu ils ont été exposés par les requérantes, peuvent se résumer comme suit. Les requérantes sont mariées depuis le 3 mai 2014. Elles indiquent que la première d entre elles a «un problème de fertilité». Souhaitant avoir un enfant dans le cadre d un projet parental qu elles ont conçu ensemble, elles décidèrent de se tourner vers la procréation médicalement assistée («PMA»), en vue de l insémination de la seconde requérante. À cette fin, elles adressèrent le 3 décembre 2004 la demande suivante au centre d assistance médicale à la procréation du centre hospitalier universitaire («CHU») de Toulouse : «(...) Nous nous sommes mariées le 3 mai 2014 et aspirons à devenir mères. Aussi nous sollicitons l accès à la procréation médicalement assistée proposée aux couples dans votre centre de PMA. À toutes fins utiles nous vous précisons que M me Charron ne développe pas d ovocytes de taille suffisante sans un cycle naturel (taille des ovocytes ne dépassant pas 10 mm). Nous vous remercions de bien vouloir nous faire part des démarches à entreprendre et des examens nécessaires pour pouvoir avoir accès à une insémination avec donneur ou une fécondation in vitro en fonction de l intervention que vous jugerez la plus adaptée. (...)». Le 15 décembre 2014, le Dr F.L. répondit qu il ne pouvait être donné suite à la demande, au motif que «la loi Bioéthique actuellement en vigueur en France n autorise pas la prise en charge des couples homosexuels».

2 EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS CHARRON ET MERLE-MONTET c. FRANCE B. Le droit et la pratique internes pertinents Dans sa rédaction issue de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, l article L. 2141-2 du code de la santé publique est ainsi libellé : «L assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l infertilité d un couple ou d éviter la transmission à l enfant ou à un membre du couple d une maladie d une particulière gravité. Le caractère pathologique de l infertilité doit être médicalement diagnostiqué. L homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer et consentir préalablement au transfert des embryons ou à l insémination. Font obstacle à l insémination ou au transfert des embryons le décès d un des membres du couple, le dépôt d une requête en divorce ou en séparation de corps ou la cessation de la communauté de vie, ainsi que la révocation par écrit du consentement par l homme ou la femme auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l assistance médicale à la procréation.» Dans une décision du 17 mai 2013 (n o 2013-669 DC ; 44), le Conseil constitutionnel, examinant un grief tiré de l inintelligibilité de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, a retenu qu il résulte de l article L. 2141-2 du code de la santé publique que l assistance médicale à la procréation «a pour objet de remédier à l infertilité pathologique, médicalement diagnostiquée d un couple formé d un homme et d une femme en âge de procréer, qu ils soient ou non mariés», que «les couples formés d un homme et d une femme sont, au regard de la procréation, dans une situation différente de celle des couples de personnes de même sexe», et que «le principe d égalité ne s oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes dès lors que la différence de traitement qui en résulte est en lien direct avec l objet de la loi qui l établit». Il a conclu que «par suite, ni le principe d égalité ni l objectif de valeur constitutionnelle d accessibilité et d intelligibilité de la loi n imposaient qu en ouvrant le mariage et l adoption aux couples de personnes de même sexe, le législateur modifie la législation régissant [cette matière]». Dans deux avis du 22 septembre 2014 (demandes n os 1470006 et 1470007), la Cour de cassation a indiqué que le recours à l assistance médicale à la procréation, sous la forme d une insémination artificielle avec donneur anonyme à l étranger, ne fait pas obstacle au prononcé de l adoption, par l épouse de la mère, de l enfant né de cette procréation, dès lors que les conditions légales de l adoption sont réunies et qu elle est conforme à l intérêt de l enfant. C. L avis du haut conseil à l égalité entre les femmes et les hommes et l avis du défenseur des droits Dans un avis du 26 mai 2015 (n o 2015-07-01-SAN-17), le haut conseil à l égalité entre les femmes et les hommes observe que la loi relative à la PMA est dépassée par la réalité des familles et des pratiques et pose des problèmes juridiques, sanitaires et sociaux, et que le droit encadrant la PMA et la parenté est discriminatoire et incohérent. Soulignant en particulier que limiter l accès à la PMA aux couples hétérosexuels constitue une discrimination en raison de la sexualité et de la conjugalité, il recommande

EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS CHARRON ET MERLE-MONTET c. FRANCE 3 notamment de l étendre à toutes les femmes, sans discrimination, indépendamment de leur sexualité ou conjugalité. Dans un avis du 3 juillet 2015 (n o 15-18), le défenseur des droits se prononce également en faveur de l accès de la PMA à toutes les femmes. Il souligne notamment ce qui suit : «(...) tous les pays européens ayant autorisé le mariage pour les couples de même sexe ont également ouvert la PMA à toutes les femmes, à l exception de l Autriche. Dans ce dernier cas de figure, la PMA n a été ouverte qu aux couples de femmes mais pas aux célibataires. Certains pays, comme la Belgique, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède, ont par ailleurs autorisé la PMA à toutes les femmes (couples de femmes et femmes célibataires) avant même d autoriser le mariage pour les couples homosexuels. Le Défenseur des droits observe que la France est donc isolée sur la question de l ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires. (...) la Cour de cassation considère (...) dans ses avis du 22 septembre 2014 que «le fait que des femmes aient eu recours à la PMA à l étranger ne heurte aucun principe essentiel du droit français», cette pratique étant autorisée en France. Le Défenseur des droits souligne ici combien la position de la haute juridiction apparaît différente en matière de PMA, par rapport à son positionnement à l endroit de la GPA réalisée à l étranger. Le Défenseur des droits relève qu un nombre important de femmes se rend aujourd hui à l étranger (Royaume-Uni, Belgique) pour bénéficier d une PMA (...). Le Défenseur des droits souligne que l interdiction actuelle expose les femmes qui se rendent à l étranger et celles qui pratiquent l insémination artisanale à des risques sanitaires (absence de suivi gynécologiques, manque d encadrement des pratiques). Elles peuvent faire appel à des banques de spermes commerciales qui n offrent pas les garanties éthiques et les critères sanitaires requis (exposition à des IST). En dépit des interdictions, il apparaît également que des praticiens accompagnent dans leur parcours médical les femmes qui se rendent à l étranger et s exposent ainsi à d éventuelles sanctions énoncées dans le cadre d une circulaire. En France, la PMA obéit aux trois principes éthiques qui sont inscrits dans le code civil (cf. loi n o 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l utilisation des éléments et produits du corps humain, à l assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal) : la non-patrimonialité (non rémunération du don), le consentement et l anonymat. En l état actuel du droit, le bénéfice de la PMA est réservé aux seuls couples hétérosexuels, mariés ou non, et vivants. Or, depuis la loi sur le mariage pour tous, les couples de femmes sont autorisées à adopter un enfant dès sa naissance, les femmes célibataires l étant depuis 1966. Permettre à ces mêmes femmes de s engager dans un projet parental dès la procréation, et non pas seulement par adoption, n est pas une question d éthique biomédicale, la technique médicale étant rigoureusement la même. L Académie nationale de médecine soulignait d ailleurs dans son rapport qu une telle décision ne relevait pas du corps médical. C est sous l angle de l égalité d accès à une technique médicale entre toutes les femmes que le Défenseur des droits appelle désormais à envisager la question de la PMA : l égalité entre toutes les femmes dans l accès à une aide médicale à la procréation. Le Défenseur des droits distingue la PMA intraconjugale de la PMA avec tiers donneur qui concerne les femmes en couple homosexuel et les femmes célibataires, même s il faut noter que dans les deux cas le recours à la PMA ne soigne pas l infertilité, de l un des partenaires ou des deux, mais la pallie.

4 EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS CHARRON ET MERLE-MONTET c. FRANCE La PMA avec tiers donneur permet de répondre au projet parental d un couple dans l impossibilité de procréer lui-même. La finalité de la PMA avec tiers donneur est d aider la femme à devenir enceinte puis mère lors de l accouchement. Il apparaît donc au Défenseur des droits que la condition d infertilité médicalement attestée prévue par la loi ne peut justifier cette différence de traitement entre les femmes. Tout d abord, le caractère pathologique de l infertilité n est en effet pas toujours établi, l infertilité étant parfois inexpliquée, dans 10% des cas environ. La femme en couple hétérosexuel peut néanmoins accéder à la PMA. Surtout, la stérilité et le souhait de s engager dans un projet parental ne sont pas réservés aux seules femmes hétérosexuelles, la loi française autorisant d ailleurs l adoption par les couples homosexuels et les personnes célibataires. Un couple de femmes comme une femme célibataire peut donc avoir un projet parental. Ces femmes peuvent ainsi adopter un enfant dès sa naissance alors même qu on leur refuse l accès à la PMA. Dans le cas de la PMA avec tiers donneur, celui ou celle qui ne procrée pas participe tout autant au projet parental, il est autant parent que l autre. Un père infertile dont la compagne a eu recours à un don de sperme, n est pas considéré comme moins père que celui qui a procréé sans don. Tout comme une femme dont la compagne aurait recours à un don de gamètes. De fait les conditions actuelles d accès à la PMA créent une inégalité d accès entre femmes selon leur orientation sexuelle. Il en résulte également une inégalité d accès selon la situation de famille, une femme célibataire n ayant pas le droit d accéder à la PMA alors qu elle peut s engager seule dans un projet parental à travers l adoption. Aussi le Défenseur des droits considère-t-il la PMA comme une réponse à un «projet parental», et non seulement comme une alternative à la condition d infertilité, conformément aux positions adoptées par les pays ayant ouvert la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires (cf. Royaume Uni, Espagne, Belgique...) : ils ont placé l accent sur «la réalisation d un projet parental» pour garantir l autonomie personnelle des individus, que ces personnes soient mariées ou non, seules ou en couple, hétérosexuelles ou homosexuelles. Le fait que la PMA ne soit accessible aux femmes que si le projet parental est construit avec un homme, constitue donc une inégalité, d une part, entre femmes en couples hétérosexuels et femmes en couples homosexuels et, d autre part, entre femmes célibataires et femmes en couple (...)». D. Éléments de droit comparé Il ressort d un document publié en mai 2016 par l organisation non gouvernementale International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association («ILGA») et intitulé ILGA-Europe Rainbow Map, que l insémination artificielle est possible pour les femmes célibataires dans vingt-quatre États membres du Conseil de l Europe (Arménie, Belgique, Bulgarie, Croatie, Chypre, Danemark, Estonie, Finlande, Géorgie, Grèce, Hongrie, Islande, Irlande, Lettonie, Luxembourg, ex-république yougoslave de Macédoine, Moldavie, Monténégro, Pays-Bas, Russie, Espagne, Suède, Ukraine et Royaume-Uni ; elle est également possible en Biélorussie). S y ajoute l Autriche, où elle est possible pour les couples de femmes mais pas pour les femmes seules. Dans onze États membres, elle est possible à la fois pour les femmes célibataires et pour les couples de femmes (Belgique, Croatie, Danemark, Finlande, Islande, Irlande,

EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS CHARRON ET MERLE-MONTET c. FRANCE 5 Luxembourg, Pays-Bas, Espagne, Suède et Royaume-Uni) (voir aussi les données figurant dans l avis du défenseur des droits susmentionné, ainsi que dans le document intitulé «réponses des États membres au questionnaire sur l accès à la procréation médicalement assistée (PMA) et sur le droit à la reconnaissance de ses origines pour les enfants nés après PMA», publié le 9 février 2012 par le Comité directeur de bioéthique du Conseil de l Europe (CDBI/INF7FEV2)). GRIEF Invoquant l article 8 de la Convention pris isolément et combiné avec l article 14 de la Convention, les requérantes se plaignent du fait que leur demande tendant à bénéficier d une insémination artificielle a été rejetée au motif que la loi française n autorise pas la prise en charge des couples homosexuels. Elles dénoncent une violation de leur droit au respect de leur vie privée et familiale ainsi qu une discrimination dans l exercice de ce droit fondée sur l orientation sexuelle. Sur ce dernier point, elles font en particulier valoir que la situation d un couple de femmes au regard de l insémination artificielle est comparable à celle d un couple hétérosexuel au sein duquel l homme est infertile.

6 EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS CHARRON ET MERLE-MONTET c. FRANCE QUESTIONS AUX PARTIES 1. Les requérantes ont-elles épuisé les voies de recours internes s agissant de leurs griefs tirés de l article 8 pris isolément et/ou combiné avec l article 14 de la Convention? 2. Dans l affirmative, (a) Quelles conditions pose le droit français quant à l accès à l assistance médicale à la procréation? En particulier, l assistance médicale à la procréation peut-elle être pratiquée dans des cliniques privées et, dans l affirmative, dans quelles conditions? Est-il avéré qu à la différence des couples hétérosexuels, les couples homosexuels n y ont pas accès, pas même dans des cliniques privées? (b) Le refus opposé à la demande des requérantes tendant à faire bénéficier la seconde requérante d une insémination artificielle au motif que la loi française n autorise pas la prise en charge des couples homosexuels emporte-t-il violation du droit au respect de la vie privée et familiale de cette dernière et/ou des requérantes en tant que couple? En particulier, ce refus s analyse-t-il en une ingérence dans l exercice de ce droit, au sens du second paragraphe de l article 8 de la Convention, prévue par la loi, et nécessaire dans une société démocratique pour atteindre l un des buts énumérés par cette disposition? (c) Ce refus révèle-t-il une distinction fondée sur l orientation sexuelle dans l exercice par la seconde requérante et/ou par les requérantes en tant que couple du droit au respect de la vie privée et familiale, contraire à l article 14 de la Convention? En particulier, y a-t-il en l espèce une différenciation dans le traitement de personnes placées dans des situations comparables? Le cas échéant, cette différenciation poursuitelle un but légitime et y a-t-il un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et ce but?