Charlot serveur au restaurant Par Evelyne Larousserie Cette séquence (à 1h08 49 ) me paraît intéressante à étudier dans la mesure où elle est caractéristique du style de Chaplin. (Les premières scènes du film sont évidemment très importantes, mais vous pouvez facilement trouver des analyses toutes faites sur internet) Vous pouvez montrer la séquence aux élèves, en leur demandant d être particulièrement attentifs à la place de Charlot et aux mouvements de caméra. Ensuite, par petits groupes, les élèves doivent retrouver les éléments de la séquence : qu est-ce qui est raconté? dans quel ordre? où est Charlot? quels éléments retrouve-t-on? 1 er plan : Carton «That night» Mise en valeur de la scène : ce soir est un soir particulier qui pourrait changer le cours de l histoire. 2 plan : Plan d ensemble sur la salle de restaurant. Caméra en plongée sur les tables. Charlot dans un coin. A l autre coin, un homme passe avec un chien qu il tient en laisse. Charlot, qui porte un plateau, est gêné par la laisse. Le chien détaché s attaque à Charlot. Charlot tombe, mais tient toujours son plateau. Le comique visuel est renforcé : Charlot fait tout pour ne pas renverser son plateau. Chaplin joue avec l attente du spectateur qui attend que le plateau se renverse. A remarquer : - Chaplin joue sur les oppositions : Charlot est de face, tout de noir vêtu ; l homme au chien est de dos, tout de blanc vêtu. En revanche, les mouvements de leurs pieds sont les mêmes. - Le cadre est rigoureusement composé : o Charlot et l homme au chien se retrouvent exactement au centre du cadre, divisant verticalement le cadre en deux ; de chaque côté on retrouve les mêmes éléments. o La scène où sont les musiciens divise elle aussi le cadre en deux parties égales, de manière horizontale. o la chute de Charlot s effectue dans la partie basse du cadre, encore une fois pile au milieu 3 plan : Plan d ensemble sur la cuisine. On est en train de travailler. Charlot vient chercher du fromage. Pendant ce temps, d autres serveurs entrent et sortent. 1
Encore une fois, l image est rigoureusement composée : un menuisier est en train de scier du bois (scène incongrue dans une cuisine?) et est placé pile au milieu du cadre. Il est mis en valeur par sa tenue blanche qui tranche avec le reste de l image. Un panoramique suit Charlot dans son déplacement vers le fromage : c est qui est au centre de l action. A noter : - Charlot, encore une fois, contourne les obstacles. Il évite les personnages présents en les contournant dans une sorte de danse - Chaplin s amuse à détourner les objets de leur fonction première : l outil du menuisier sert à trouer le fromage. Le détournement d objets est un thème récurrent chez Chaplin. - Chaplin met en évidence le mouvement : pendant qu il agite frénétiquement sa main pour trouer le fromage, les portes de la cuisine s ouvrent et se ferment avec vigueur et rapidité. 4 plan : Dans la salle de restaurant. Un panoramique suit Charlot en train d arriver. Jeu sur le comique de répétition (par rapport au 1 er plan). Charlot rencontre une nouvelle fois un obstacle qu il va devoir contourner. Encore une fois, l obstacle se situe pile au milieu du cadre : un serveur, muni de son plateau, est en train de traverser. Son chemin croise celui de Charlot. Les deux hommes sont bloqués. Charlot contourne l obstacle d une manière inattendue : il passe sous le plateau du serveur. Chaplin joue sur le comique de répétition certes, mais en lui insérant une variante : on a un comique visuel. 5 plan : Plan rapproché sur Charlot en train de servir un client. Charlot est un peu décalé : au premier plan, un autre client se plaint avec véhémence (faire remarquer aux élèves le jeu du cinéma muet : les expressions sont nettement exagérées pour qu on les comprenne plus facilement, provoquant un effet comique). Panoramique vers la droite qui accompagne Charlot : montrer aux élèves comment ce mouvement de caméra montre un parti-pris : c est Charlot le héros, c est lui qu on a envie de suivre ; la caméra ne s attarde pas sur les autres personnages, sinon pour souligner le lien qu ils peuvent avoir avec Charlot. 6 plan : carton explicatif. Les propos du client en colère ont rapportés. On peut s interroger avec les élèves sur l utilité de ce carton. 7 plan : Le client est énervé Un panoramique accompagne le maître d hôtel vers Charlot : même commentaire que pour le plan n 4. 2
Encore une fois, Charlot est pile au milieu du cadre : mise en valeur du personnage, dépassé par les événements. Procédé comique : alors qu on s attend à ce que Charlot commette une gaffe, c est le maître d hôtel qui la fait. Chaplin s amuse à détourner l attente du spectateur : le client mécontent est arrosé par le maître d hôtel en colère. Le (sou)rire du spectateur est double : au-delà de la surprise provoquée par cet arrosage, Charlot «maltraité» est ainsi vengé. 8 plan : Charlot est ramené en cuisine. C est un travelling qui suit le mouvement de Charlot, qui reste toujours au centre de l image. Deux procédés comiques dans ce plan : - Gag visuel : comme au théâtre, c est un comique de geste, auquel sont sensibles les élèves : Charlot reçoit un coup de pied de la part du maître d hôtel. - Charlot troublé se trompe de porte et entre en cuisine par la porte de sortie. Il faut attendre le plan suivant pour connaître la chute (sans mauvais jeu de mots!) 9 plan : Conséquence de l erreur de Charlot Le serveur tombe, son plateau avec. A noter : - la chute du serveur se déroule au centre du cadre, dans la partie inférieure - La chute du plateau répond à la chute du plateau évitée par Charlot au plan n 1. 10 plan : Charlot est devant la mauvaise porte, l air gêné. Il s en va et attend qu un autre serveur entre en cuisine A noter : on a là un nouveau type de contournement d obstacle. 11 plan : Le serveur entre en cuisine. Celui qui est par terre le prend pour le fautif. Les deux hommes se disputent. Arrivée de Charlot. Il traverse la pièce et se retrouve au centre du cadre. Il se dirige vers la caméra qui l attend (officiellement, il se dirige vers un comptoir où il attend un plat) ; on distingue le cuisinier. Jeu avec le spectateur : Charlot attend, l air innocent ; la complicité se crée avec le spectateur : on rit d une bonne blague. En arrière-plan, les deux serveurs se battent. Plusieurs procédés comiques se mêlent : comique visuel, comique de situation Charlot repart avec son plateau. Encore une fois il parvient à détourner l obstacle devant lui (les deux hommes qui se battent). Ce contournement de l obstacle se clôt sur un autre procédé comique : Charlot manque de se tromper de porte une nouvelle fois. Chaplin joue sur la répétition détournée d un gag, il joue aussi avec l attente du spectateur. 12 plan : Charlot se retrouve dans la salle de restaurant noire de monde. Il est entraîné par la foule qui se met à danser. 3
Un travelling accompagne Charlot. C est encore une fois quand il arrive au centre de la pièce qu un nouvel obstacle se dresse. L espace est progressivement envahi par la foule qui vient danser. Charlot reste au centre. La musique change (elle a commencé à changer à la fin du plan précédent) : elle est plus forte, plus entraînante. La musique illustre le mouvement rapide dans lequel est pris Charlot. Un travelling vertical permet une plongée sur la foule. Charlot se déplace en mouvement circulaire. Bientôt, on ne distingue plus Charlot que par son plateau. Quand Charlot arrive au bord de la scène, le client mécontent l attend en faisant des gestes très expressifs pour le guider. 13 plan : Charlot arrive enfin à la table du client énervé. Il est toujours au centre de l image. Chaplin joue encore avec l attente du spectateur : alors qu on croit que Charlot va enfin parvenir à porter le canard, celui-ci est une nouvelle fois emporté par la foule (la répétition du gag est utilisée comme procédé comique). Ce gag est doublé par un autre gag visuel : un violent coup de plateau est donné au client énervé (cela rappelle la carafe d eau qu il s et prise sur le visage au plan 7. 14 plan : Charlot est emporté par la foule. Un plan s ensemble en plongée permet de voir l étendue de la foule. Il est impossible de distinguer Charlot (cela insiste sur sa faiblesse) ; seule façon de savoir où il est : repérer son plateau. On peut noter le mouvement circulaire de ce plateau. La musique s arrête. Encore une fois, il y a un jeu avec l attente du spectateur qui imagine que Charlot va enfin réussir sa mission. Mais la musique reprend, et Charlot est de nouveau emporté par la foule. Chaplin joue sur la répétition du gag. 15 plan : le client énervé monte sur sa chaise On peut noter le jeu très expressif de l acteur. Le muet permet de renforcer le comique de cette expression. Un léger panoramique vertical (de haut en bas puis de bas en haut) accompagne le mouvement du client A noter : pour la première fois, Charlot est absent de l image : cela permet d insister sur le fait qu il est perdu au milieu de la foule. 16 plan : le plateau tourne autour du lustre. Le gros plan sur le lustre permet de mettre en valeur le gag. Les piques du lustre apparaissent nettement et préparent le gag. Le canard finit embroché sur le lustre. On a un nouvel exemple du détournement comique d objets. 17 plan : la foule continue de danser, au-dessous du canard embroché. 4
Le cadrage s est élargi. Au premier plan, la foule ; en arrière-plan, le canard embroché, au milieu des cotillons. La musique s arrête. Charlot apparaît enfin, son plateau vide à la main. Encore une fois, il est au centre de l image. Le son est à faire commenter par les élèves. On n a plus seulement un son qui accompagne la scène, mais un son diégétique. On entend les applaudissements de la foule : Les Temps modernes jouent sur un va-et-vient entre un film muet et un film parlant. 18 plan : Charlot retrouve le client énervé. La musique change : elle devient plus douce, mais aussi presque ironique : charlot n a que partiellement réussi sa mission. L ironie est aussi rendue possible par le fait que le spectateur a une longueur d avance sur les personnages. Gag visuel : l énervement du client est à son paroxysme, pendant que Charlot cherche le canard dans des endroits improbables! Le maître d hôtel arrive. 19 plan : Charlot est malmené par le maître d hôtel. Un travelling accompagne Charlot, poussé par le maître d hôtel. Le canard embroché apparaît au-dessus de leurs têtes, pile au milieu de l image. Les cotillons séparent le plan en deux parties égales. Un travelling ramène Charlot vers le client énervé. 20 plan : reprise de la fête On retrouve tous les personnages qui ont semé des obstacles sur la route de Charlot. Charlot reste en arrière-plan, signe d un nouvel obstacle : l espace va encore être envahi à ses dépens. 21 plan : Charlot et les sportifs alcoolisés. Le plan commence avec les sportifs en train de s entraîner. Premier gag : leur présence est incongrue dans un restaurant, leur activité aussi. Chaplin joue sur l opposition entre les sportifs et Charlot (opposition par leur nombre, leur stature physique et les couleurs qu ils portent). La maladresse de Charlot provoque un autre gag inattendu : le canard devient un ballon de rugby. Chaplin joue encore sur le détournement ; on peut remarquer aussi que le jeu avec la nourriture est récurrent dans Les Temps modernes. 22 plan : on joue avec le canard Une course s engage : il s agit de récupérer le canard. La nourriture sert encore de jeu et de gag. La course s effectue de manière circulaire (le thème circulaire est récurrent dans Les Temps modernes). Un panoramique accompagne Charlot. 5
23 plan : Chute de l histoire Encore une fois, la chute de la séquence peut être prise au premier degré : Charlot s affale sur la table du client énervé. Le client se retrouve avec son canard sur les genoux. Charlot quitte la salle. 6