INFOS JURIDIQUES. Flash sur le Droit du Travail. Publication mensuelle éditée par la CSL Nr 6/10 Juin 2010

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INFOS JURIDIQUES Flash sur le Droit du Travail Publication mensuelle éditée par la CSL Nr 6/10 Juin 2010 1) Caractère abusif d'un licenciement motivé par l'interdiction prononcée à l'encontre du salarié par un tiers de donner accès à celui-ci au lieu de travail situé dans une surface commerciale suite à un vol y commis par le salarié page 2 2) Licenciement avec préavis: lorsque l'employeur fournit d'abord des motifs d'ordre économique, puis dans un second courrier de motivation reproche des faits inhérents au salarié, le caractère sérieux du licenciement fait défaut, ce qui le rend donc abusif page 4

INFOS JURIDIQUES page 2 Nr 6/10 Juin 2010 1. Caractère abusif d un licenciement motivé par l interdiction prononcée à l encontre du salarié par un tiers de donner accès à celui-ci au lieu de travail situé dans une surface commerciale suite à un vol y commis par le salarié. Arrêt du 10 décembre 2009 de la Cour d'appel, numéro 34548 du rôle Faits et rétroactes Par requête déposée le 25 avril 2007, la salariée a fait convoquer devant le tribunal du travail de Luxembourg son ancien employeur pour lui réclamer, suite à son licenciement (avec préavis) qu elle qualifia d abusif, des dommages et intérêts pour préjudice matériel et moral. L employeur s opposa à la demande, en expliquant que le 13 février 2007, la salariée avait quitté son poste de travail et franchi les caisses du magasin du supermarché avec un sachet contenant de la marchandise non payée. Elle fit valoir que la requérante ne s était pas conformée aux instructions et que la direction des supermarchés avait, suite à cet accident, tout de suite interdit l accès de la requérante à son poste de travail à l intérieur du supermarché, de sorte qu elle a dû procéder au licenciement. Position de la juridiction du premier degré Par jugement rendu contradictoirement le 14 novembre 2008, le tribunal du travail de première instance a ordonné la comparution personnelle des parties. Suite à cette mesure d instruction et estimant que le fait reproché à la salariée était établi, mais que le licenciement ne reposait pas suffisamment sur une cause réelle et sérieuse, le tribunal a, dans son jugement du 23 décembre 2008, déclaré le licenciement abusif et a condamné l employeur. Instance d appel A l appui de son recours en appel, l employeur relève que le tribunal, dans son jugement avant dire droit du 14 novembre 2008 ayant ordonné la comparution personnelle des parties, avait retenu qu un comportement malhonnête et irrespectueux par rapport aux instructions et règles internes claires et précises constitue en principe un motif légitime de licenciement avec préavis. Elle reproche aux juges de première instance d avoir admis que le fait reproché à la salariée était bien réel et sérieux, mais d avoir quand même conclu au caractère abusif du licenciement, ajoutant ainsi à l article L.124-11 du code du travail des conditions non prévues par le texte légal.

INFOS JURIDIQUES page 3 Nr 6/10 Juin 2010 La salariée demande la confirmation du jugement du 23 décembre 2008 en ce qu il a qualifié le licenciement d abusif en insistant sur le fait que l intention de voler la barquette c est-à-dire de ne pas payer le prix, n était pas établie, et en relevant que le prix de la barquette n était que de 1,74, de sorte qu il n y aurait une disproportion flagrante entre le préjudice et la sanction infligée. Décision de la Cour d appel La Cour d appel constate qu il apparaît à la lecture de la lettre de motivation du licenciement que, loin de considérer le fait reproché à la salariée comme une faute grave, la société appelante justifie le licenciement en insistant sur le fait que ce n est pas elle, mais la société gérant le supermarché qui a interdit l espace de vente de l employeur se trouvant à l intérieur de la surface commerciale du supermarché. Ce sentiment se traduit d ailleurs par le fait que l employeur a procédé à un licenciement avec préavis et non pas à un licenciement avec effet immédiat pour faute grave. Le fait reproché à la salariée constitue certes une faute, ou du moins une négligence qui aurait justifié un avertissement formel, mais cette faute n était pas assez grave pour justifier le licenciement, même avec préavis. La Cour d appel a donc confirmé le jugement de première instance en ce qu il a déclaré le licenciement abusif.

INFOS JURIDIQUES page 4 Nr 6/10 Juin 2010 2. Licenciement avec préavis : lorsque l employeur fournit d abord des motifs d ordre économique, puis dans un second courrier de motivation reproche des faits inhérents au salarié, le caractère sérieux du licenciement fait défaut, ce qui le rend donc abusif Arrêt du 20 mai 2010 de la Cour d'appel, numéro 34697 du rôle Si un salarié est licencié avec préavis par son employeur, il appartient au salarié de demander les motifs de son licenciement, l employeur n étant pas tenu de les fournir d office. Pour ce faire le salarié dispose d un délai d un mois à compter du jour où le licenciement lui a été notifié. L employeur dispose ensuite à son tour d un mois pour répondre avec précision à la demande de motifs du salarié. Le salarié qui a demandé les motifs de son licenciement a l avantage que lors d un procès pour licenciement abusif, son employeur aura la charge de la preuve des faits qu il avance à l encontre de son salarié. Faits A a été au service de B à partir du 1 er novembre 2006 en qualité de femme de charge jusqu à son licenciement du 17 mai 2007 avec un préavis de 2 mois. La salariée A a fait convoquer la société B devant le Tribunal du travail de Luxembourg pour voir déclarer abusif son licenciement avec préavis du 17 mai 2007. Un jugement du Tribunal du travail de Luxembourg du 8 janvier 2009 a déclaré régulier le licenciement de A du 17 mai 2007. En mars 2009, A a relevé appel du jugement du 8 janvier 2009 et demandé à le voir réformé. Arguments de la salariée La salariée A conteste la précision des motifs de la lettre de motivation du 18 juin 2007 basé uniquement sur des motifs économiques non détaillés. Elle estime encore que par le courrier du 29 juin 2007, l employeur ne peut substituer d autres motifs, en l occurrence des motifs d absentéisme, aux motifs économiques indiqués précédemment le 18 juin 2007.

INFOS JURIDIQUES page 5 Nr 6/10 Juin 2010 Il conviendrait de réformer la décision entreprise en ce qu elle ne s est pas basée sur les motifs économiques, imprécis, indiquées à l appui du licenciement, mais sur des motifs d absentéisme fournis par après, sans aucune relation avec des motifs économiques. Aucune des deux lettres ne répondrait par ailleurs aux conditions légales de précision. A estime qu en l occurrence, seulement le licenciement pour motifs économiques peut être examiné et que le cumul entre motifs économiques et motifs personnels n est pas permis. Arguments de l employeur L employeur B par contre estime que pour justifier un licenciement, un employeur peut à la fois invoquer un motif personnel et un motif économique. L employeur B demande par conséquent la confirmation du jugement entrepris. Le raisonnement de la Cour : La Cour constate que A a été licenciée par courrier recommandé du 17 mai 2007 qui est formulé dans les termes suivants: «Par la présente, nous avons le regret de résilier votre contrat de travail conclu en date du 01.11.2006 avec notre entreprise. En fonction de votre ancienneté de service, votre préavis légal est de 2 mois. Veuillez agréer, Madame, l'expression de nos sentiments distingués.» Par un courrier du 7 juin 2007, A a demandé les motifs à la base de son licenciement. Par une lettre datée au 18 juin 2007, la société employeuse a communiqué à la requérante les motifs demandés. Ce courrier est rédigé comme suit ; «Suite à votre lettre de licenciement, nous avons le regret de vous informer que le motif de votre licenciement est de raison économique. En effet, votre poste de femme de charge ne sera plus occupé.» Par lettre recommandée du 29 juin 2007, l employeur a communiqué de nouveaux motifs de licenciement à A en réponse à sa demande de motifs du 7 juin 2007. L employeur reproche à la salarié son grand absentéisme pour cause de maladie. La Cour rappelle que «L employeur est tenu d énoncer avec précision par lettre recommandée, [ ], le ou les motifs liés à l aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondées sur les nécessités du fonctionnement de l entreprise, de l établissement ou du service qui doivent être réels et sérieux.»

INFOS JURIDIQUES page 6 Nr 6/10 Juin 2010 Le principe qu il convient de retenir en l espèce, est que les motifs doivent être énoncés avec précision et notamment, qu ils doivent être sérieux. Une fois les motifs du licenciement énoncés par l employeur à la demande du salarié, ces motifs doivent répondre au critère de précision requis par la loi et définis par la jurisprudence. La lettre du 18 juin 2007 qui énonce laconiquement que «le motif de votre licenciement est de raison économique» est imprécise. Le licenciement basé sur les motifs énoncés dans la lettre 18 juin 2007 doit par conséquent être déclaré abusif. Après consultation de son avocat, le mandataire de l employeur a fait parvenir à la salariée la lettre du 29 juin 2007, dans laquelle il est essentiellement question d absences pour cause de maladie et non pas de problèmes économiques précis, corroborés par des chiffres et des bilans. La loi sur le contrat du travail et les dispositions afférentes du Code du travail ont mis l accent sur le caractère sérieux du licenciement. En énonçant dans la lettre du 18 juin 2007 des motifs exclusivement économiques pour, dans la lettre du 29 juin 2007, motiver le licenciement par des problèmes inhérents à la personne de la salariée, le caractère sérieux du licenciement requis par la loi n est pas donné en l espèce. En conséquence, le licenciement de A du 17 mai 2007 doit être déclaré abusif.