Gallia Analyse d'un appareillage gallo-romain en bois, découvert à Lattes (Hérault). Etude de botanique historique Jean-Louis Vernet Citer ce document / Cite this document : Vernet Jean-Louis. Analyse d'un appareillage gallo-romain en bois, découvert à Lattes (Hérault). Etude de botanique historique. In: Gallia, tome 25, fascicule 2, 1967. pp. 185-188. doi : 10.3406/galia.1967.2473 http://www.persee.fr/doc/galia_0016-4119_1967_num_25_2_2473 Document généré le 16/10/2015
Analyse d'un appareillage gallo-romain en bois, découvert à Lattes (Hérault). Étude de botanique historique Le bois, étudié à l'institut de botanique de l'université de Montpellier, est un fragment de planche issu lui-même d'un lot volumineux de débris charbonneux et ligneux, que nous nous proposons d'analyser plus complètement par la suite. La datation de la station de Lattes, d'où il provient1, présente peu de difficultés. D'après J. Arnal et H. Prades, elle daterait soit du Ier siècle av. J.-C, soit du Ier siècle ap. J.-C, avec un maximum de probabilités pour les environs de 502. Caractères anatomiques du bois Examiné au microscope, il se présente comme un bois de Gymnosperme. Il est homoxylé (fig. 1) et révèle, en outre, des caractères de Pinaceae. Les canaux résinifères font défaut. L'observation en lumière polarisée, sur une section transversale, montre que les rayons ligneux (fig. 2) sont occupés par des globules (1) Référence de localisation : sondage n 6 des fouilles de Lattes (été 1965). Nous devons les échantillons de bois à l'amabilité de M. H. Prades, Directeur de l'école Painlevé à Montpellier. Nous remercions également le Docteur J. Arnal qui a bien voulu nous communiquer des indications sur la préhistoire de la région. Ce travail fera partie d'une étude générale de la flore préhistorique et protohistorique de la région méditerranéenne française, en vue de laquelle l'auteur recevrait avec reconnaissance tout matériel dûment localisé et aussi bien daté que possible, en particulier susceptible de faire l'objet d'une datation au C14 en même temps que de l'étude botanique. (2) Les résultats archéologiques sont actuellement rassemblés par J. Arnal, R. Majurel et H. Prades. de résine. On remarque également, çà et là, des cellules parenchymateuses qui apparaissent en blanc par suite de leur contenu résineux. Les rayons sont homogènes, unisériés et élevés (fig. 3). La transition entre bois initial et bois final est graduelle. Les trachéides ne révèlent pas d'épaississements spirales. Dans le bois initial, les ponctuations de champs de croisement sont typiquement taxodioïdes (fig. 4). Il n'y a pas de trachéides transversales. Les cellules parenchymateuses des rayons ont les parois horizontales ponctuées (fig. 4) et les parois tangentielles noduleuses. Nous avons observé des indentures mais elles sont rares. Les caractères énumérés ci-dessus correspondent au genre Abies Link, le Sapin. Une détermination plus poussée est assez difficile, car le genre Abies comporte, rien qu'en Europe et en Afrique du nord, une douzaine de taxons à anatomie très voisine, parmi lesquels beaucoup sont endémiques. Par exemple, Abies Pinsapo Boiss. est spécial au Sud de l'espagne, Abies marocana Trab. ne pousse que dans le Rif, au Nord du Maroc. Il serait pourtant utile de savoir à quel taxon nous avons affaire. Dans les champs de croisement du bois initial, on note une à deux ponctuations taxodioïdes disposées côte à côte, de 4 à 6 microns de diamètre. Les taches plus floues de la photographie (fig. 4) sont des ponctuations situées dans un plan légèrement différent de celui de la coupe. Les rayons, homogènes et unisériés, comportent de 2 à 35 cellules parenchymateuses, parfois 40. Les parois horizontales des cellules du parenchyme ligneux sont ponctuées et non pas
186 NOTES 1 Coupe transversale d' Abies alba Mill., en lumière blanche ( x 34). 3 Les rayons élevés vus en coupe tangentielle ( x 125). 2 Coupe transversale en lumière polarisée montrant les rayons et cellules résinifères ( x 130). noduleuses (fig. 4). Ces caractères sont ceux d' Abies alba Mill., le Sapin blanc. Mais Abies spedabilis Spach de l'himalaya et Abies venusta K. Koch du Sud de la Californie ont une anatomie voisine. Si l'on veut bien admettre qu'au Ier siècle avant J.-C. le climat et la végétation de l'europe étaient sensiblement identiques à la végétation et au climat actuels, on peut conclure qu'il s'agit très probablement d'a bies alba3. (3) C'est un raisonnement analogue qui a permis à S. Santa (1958-1959) d'interpréter certains paysages forestiers quaternaires en Afrique du nord. 4 Coupe radiale : champs de croisement avec une à deux ponctuations taxodioïdes. Remarquer, également, les ponctuations des parois horizontales et tangentielles ( x 450). Écologie du Sapin blanc Abies alba Mill, n'est actuellement spontané, en France, que dans les Pyrénées, l'auvergne, les Alpes, les Vosges, le Jura (fig. 5 et 6) ainsi qu'en Corse et peut-être dans l'orne. On le rencontre dans les montagnes d'allemagne et dans la plaine de Silésie. Les stations les plus proches de la localité de Lattes sont dans les Corbières, au mont Ventoux, à l'aigoual où il est planté (fig. 6). Le Sapin blanc affectionne les climats humides montagnards à fortes précipitations annuelles et à minimums thermiques accentués.
ANALYSE DE BOIS GALLO-ROMAIN 187 Illustration non autorisée à la diffusion Illustration non autorisée à la diffusion 5 Aire géographique du Sapin (Abies alba Mill.) (d'après Rubner, dans L. Emberger, 1960 : 419). 6 Aire du Sapin (Abies alba Mill.) en France continentale (d'après Rol, dans L. Emberger, 1960 : 419). Puisque le Sapin blanc n'était pas spontané dans notre région au Ier siècle, il a bien fallu que son bois soit amené d'ailleurs, car l'appareillage de Lattes (radeau, trémie, ponton?) a de toute évidence été fabriqué sur place. C'est là un fait intéressant car F. Benoit4 indique que ce sont «les forêts de chênes et les pinèdes qui fournissaient les bois de construction des bateaux». Les Gaulois ont sans doute choisi le Sapin blanc pour la bonne tenue de son bois, de préférence aux essences locales. Il serait des plus intéressants de savoir si cet usage était ou non plus répandu. Quelle est la provenance de ces bois de Sapin? F. Benoit5 montre que depuis l'âge du bronze le littoral échangeait ses produits avec la montagne. D'autre part, il faut noter que la configuration du littoral était fort diiïérente de ce qu'elle est aujourd'hui. La navigation se faisait, plus ou moins aisément, de Narbonne jusqu'à Arles. «Le Rhône et l'aude constituaient des zones d'attraction comme les deltas du Pô et du Danube6.» Plus tard, au Moyen Age, les matières pondéreuses comme le bois seront convoyées par le Rhône. Il est possible que ce procédé de transport par flottage existât au Ier siècle sur un Rhône plus ou moins navigable. Le Sapin blanc, ayant fourni le bois nécessaire à la construction de l'appareillage découvert à Lattes, proviendrait alors de la région alpine ou, en tous cas, de montagnes situées au moins dans un rayon de cent kilomètres de son lieu d'utilisation. Jean-Louis Vernet (4) F. Benoit, 1965, p. 124. (5) Ibid., p. 164. (6) Ibid., p. 111.
188 NOTES Bibliographie F. Benoit, 1965 : Recherches sur Vhellénisation du R. Krausel, H. Merxmuller et H. Nothdurft, Midi de la Gaule, 335 p. (Aix-en-Provence). s. d. : Flore d'europe, II, 2 (Lausanne, Payot; Paris, Soc. Fr. du Livre). E. Boureau, 1956 : Anatomic vegetate, II, 524 p. (Paris). A. Mathieu, 1897 : Flore forestière, 705 p. (Paris- M. Chadefaud et L. Emberger, 1960 : Traité de Nancy, 4* édition). Botanique systématique, II, p. 419 (Paris). L pardej ig37. Us ConifèreS) 304 p. (PariS) La E.-F. Debazag, 1964 : Manuel des Conifères, 172 p. Maison Rustique). (Nancy). S. Santa, 1958-1959 : Essai de reconstitution des pay- P. Greguss, 1955 : Identification of living Gymnosperms sages végétaux quaternaires d'afrique du nord, on the basis of xylotomy, 253 p. (Budapest). dans Libyca (Préhistoire), 6-7, p. 37-77.