«HEUREUX QUI COMME ULYSSE» Joachim du Bellay Les Regrets, 1558
INTRODUCTION Joachim Du Bellay est un poète et auteur français du XVIème siècle. Il appartient au groupe de poètes de la Pléiade. Comme son titre l indique, son recueil de poèmes Les Regrets permet au poète de retracer sa vie en poésie, le tout avec tristesse et nostalgie. Dans ce poème, le poète parle d un séjour de quatre ans en Italie, temps pendant lequel son pays natal, la France, et sa région, l Anjou, lui ont cruellement manqué. Il se compare alors au héros de l Antiquité, Ulysse, qui a mis des années et des années avant de pouvoir rentrer chez lui après la Guerre de Troie.
«HEUREUX QUI COMME ULYSSE» Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, Ou comme cestuy-là qui conquit la toison, Et puis est retourné, plein d usage et raison, Vivre entre ses parents le reste de son âge! Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village Fumer la cheminée, et en quelle saison Reverrai-je le clos de ma pauvre maison, Qui m est une province, et beaucoup davantage? Plus me plaît le séjour qu ont bâti mes aïeux, Que des palais Romains le front audacieux, Plus que le marbre dur me plaît l ardoise fine : Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin, Plus mon petit Liré, que le mont Palatin, Et plus que l air marin la doulceur angevine. Joachim Du Bellay
ANALYSE DU POEME Comment le poète traite-t-il du thème du voyage? Comment le déclamer à voix haute?
HEUREUX QUI, COMME ULYSSE, A FAIT UN BEAU VOYAGE, OU COMME CESTUY-LÀ QUI CONQUIT LA TOISON, ET PUIS EST RETOURNÉ, PLEIN D USAGE ET RAISON, VIVRE ENTRE SES PARENTS LE RESTE DE SON ÂGE! Le poème commence par l adjectif «Heureux», ce qui montre que le poète commence par parler d une expérience positive: celle du voyage. Pour bien insister sur ce mot, on pourrait le dire très fort, à plusieurs. Il faudrait sentir une forme de joie dans la façon de le dire.
HEUREUX QUI, COMME ULYSSE, A FAIT UN BEAU VOYAGE, OU COMME CESTUY-LÀ QUI CONQUIT LA TOISON, ET PUIS EST RETOURNÉ, PLEIN D USAGE ET RAISON, VIVRE ENTRE SES PARENTS LE RESTE DE SON ÂGE! La personne qui est heureuse est comparée deux fois à des héros de l Antiquité, grâce à la préposition «comme». Il s agit d «Ulysse» et de Jason, «cestuy-là qui conquit la toison». Quand les héros sont évoqués, tout le monde peut prendre une posture héroïque et la personne qui en parle peut parler comme un chef sur un terrain de bataille: de façon sûre et affirmée.
HEUREUX QUI, COMME ULYSSE, A FAIT UN BEAU VOYAGE, OU COMME CESTUY-LÀ QUI CONQUIT LA TOISON, ET PUIS EST RETOURNÉ, PLEIN D USAGE ET RAISON, VIVRE ENTRE SES PARENTS LE RESTE DE SON ÂGE! Le poète oppose l aller et le retour: on a un «beau voyage» au vers 1 et l idée que le héros «est retourné» chez lui au vers 3. Tout le monde pourrait dire «a fait un beau voyage» lentement, en tournant la tête d un côté, puis faire la même chose, en sens inverse, sur «et puis est retourné», comme si chaque élève regardait le héros traverser la mer.
HEUREUX QUI, COMME ULYSSE, A FAIT UN BEAU VOYAGE, OU COMME CESTUY-LÀ QUI CONQUIT LA TOISON, ET PUIS EST RETOURNÉ, PLEIN D USAGE ET RAISON, VIVRE ENTRE SES PARENTS LE RESTE DE SON ÂGE! Au vers 3, le poète nous indique que ce voyage a transformé le héros, puisqu il est rentré «plein d usage et raison». La personne qui le dit pourrait prendre un air très sage, comme un ancien qui a beaucoup vécu.
HEUREUX QUI, COMME ULYSSE, A FAIT UN BEAU VOYAGE, OU COMME CESTUY-LÀ QUI CONQUIT LA TOISON, ET PUIS EST RETOURNÉ, PLEIN D USAGE ET RAISON, VIVRE ENTRE SES PARENTS LE RESTE DE SON ÂGE! Le bonheur est dans le voyage, mais également dans le retour: le dernier vers se termine par un point d exclamation, ce qui montre bien que l on est heureux quand on est parmi les siens. Une personne peut essayer d attraper toutes les personnes qui l entourent et dire très fort le dernier vers avec beaucoup de bonheur.
QUAND REVERRAI-JE, HÉLAS, DE MON PETIT VILLAGE FUMER LA CHEMINÉE, ET EN QUELLE SAISON REVERRAI-JE LE CLOS DE MA PAUVRE MAISON, QUI M EST UNE PROVINCE, ET BEAUCOUP DAVANTAGE? L adverbe «hélas» montre qu ici, on ne parle plus de bonheur: la joie d Ulysse a fait place à la tristesse du poète, puisqu on est passé de la troisième personne du singulier à la première. Pour s opposer au «heureux» du premier vers, on peut dire «hélas» tous ensemble, en chuchotant, en étant très triste.
QUAND REVERRAI-JE, HÉLAS, DE MON PETIT VILLAGE FUMER LA CHEMINÉE, ET EN QUELLE SAISON REVERRAI-JE LE CLOS DE MA PAUVRE MAISON, QUI M EST UNE PROVINCE, ET BEAUCOUP DAVANTAGE? Deux constructions se répètent pour bien insister sur la tristesse du poète: «reverrai-je» est présent deux fois, et les groupes nominaux «mon petit village» et «ma pauvre maison» se ressemblent beaucoup. Les mêmes élèves peuvent dire exactement les mêmes groupes de mots en faisant semblant de pleurer.
QUAND REVERRAI-JE, HÉLAS, DE MON PETIT VILLAGE FUMER LA CHEMINÉE, ET EN QUELLE SAISON REVERRAI-JE LE CLOS DE MA PAUVRE MAISON, QUI M EST UNE PROVINCE, ET BEAUCOUP DAVANTAGE? Dans les deux derniers vers, le poète insiste sur le fait que sa simple maison est en fait un véritable pays pour lui: il y un effet d exagération, allant du plus petit au plus grand. On pourrait dire ces deux derniers vers de plus en plus fort.
PLUS ME PLAÎT LE SÉJOUR QU ONT BÂTI MES AÏEUX, QUE DES PALAIS ROMAINS LE FRONT AUDACIEUX, PLUS QUE LE MARBRE DUR ME PLAÎT L ARDOISE FINE : PLUS MON LOIR GAULOIS, QUE LE TIBRE LATIN, PLUS MON PETIT LIRÉ, QUE LE MONT PALATIN, ET PLUS QUE L AIR MARIN LA DOULCEUR ANGEVINE. Pour bien montrer que le poète est mieux chez lui qu en voyage, les deux dernières strophes sont construites en opposition; il oppose ce qu il voit en voyage et ce qui est chez lui avec la construction «plus que». La moitié des élèves peuvent parler d un lieu avec bonheur, l autre avec rejet.
CONCLUSION Dans ce poème, Joachim du Bellay parle avec nostalgie de sa terre natale, qui lui manque beaucoup. Pour nous le montrer, il utilise l image du poète Ulysse, qui comme lui, a dû attendre longtemps avant de pouvoir rentrer. Il oppose la joie du voyage et la tristesse de ne pas pouvoir rentrer dans les deux premières strophes. Dans les deux dernières, il oppose ce qui lui plaît chez lui à ce qui ne lui convient pas à l étranger. Dans ce poème, on peut dire que le voyage n est pas forcément vécu de façon positive: il est plus vécu comme un exil. Ces registres dominants sont donc lyriques, car le poète parle de lui-même, et pathétique, car la tristesse, du moins la nostalgie, y règne.