Tribunal administratif Numéro 35916 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 février 2015 I re chambre Audience publique extraordinaire du 6 mars 2015 Recours formé par Monsieur...et consort,, contre deux décisions du ministre de l Immigration et de l Asile en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.8.2008) JUGEMENT Vu la requête inscrite sous le numéro 35916 du rôle et déposée le 25 février 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur..., né le... à... (Bosnie-Herzégovine), et de son épouse, Madame..., née le 13 août 1969 à... (Bosnie-Herzégovine), tous les deux de nationalité bosnienne, actuellement retenus au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l annulation de deux décisions du ministre de l Immigration et de l Asile du 12 février 2015 ordonnant leur placement au Centre de rétention pour une durée d un mois à partir de la notification ; Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2015 ; Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 mars 2015 par Maître Louis Tinti pour compte de ses mandants ; Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 4 mars 2015 ; Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ; Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l audience publique extraordinaire du 5 mars 2015. Par décision du 8 janvier 2014, le ministre de l Immigration et de l Asile, ci-après dénommé «le ministre», refusa de faire droit à la demande de protection internationale introduite par Monsieur...et son épouse, Madame..., ainsi que par leurs fils majeurs Messieurs et, dénommés ci-après «les consorts...», sur base de l article 20 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d asile et à des formes complémentaires de protection. La même décision ordonna aux consorts...de quitter le territoire dans un délai de trente jours à compter du jour où la décision en question est devenue définitive, à destination de la Bosnie-Herzégovine ou de tout autre pays dans lequel ils sont autorisés à séjourner. 1
Par jugement du 19 mars 2014 (n 33900 du rôle), le recours contentieux introduit par les consorts...contre la décision ministérielle précitée du 8 janvier 2014 a été rejeté pour ne pas être fondé. A la suite d une demande afférente lui adressée par le litismandataire des consorts...en date du 8 avril 2014, le ministre leur accorda, par décision du 31 juillet 2014, un sursis à l éloignement jusqu au 29 janvier 2015, et ceci en raison de l état de santé de Monsieur... Par décision du 16 janvier 2015, le ministre refusa de proroger le sursis à l éloignement précité du 31 juillet 2014, suite à une demande afférente lui adressée par le litismandataire des consorts..., au motif que l état de santé de Monsieur...ne justifiait plus une telle prorogation, et ceci au vu d un avis du médecin délégué du service médical de l immigration de la direction de la santé. Par quatre arrêtés séparés datés du 12 février 2015, le ministre informa les différents membres de la famille...que l entrée sur le territoire national leur était interdit pour une durée de trois ans. Par quatre arrêtés séparés du même jour, le ministre ordonna le placement de Messieurs, et...et de Madame... au Centre de rétention pour une durée d un mois à partir de la notification des arrêtés en question. Les deux arrêtés visant Monsieur...et son épouse, Madame..., notifiés en date du 25 février 2015, sont basés sur les considérations et motifs suivants : «Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ; Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ; Vu ma décision de retour du 8 janvier 2014, lui notifiée par courrier recommandé le 10 janvier 2014 ; Vu ma décision d interdiction de territoire du 12 février 2015 ; Attendu qu'au vu de la situation particulière de l'intéressé(e), il n'existe pas de mesure suffisante, mais moins coercitive qu'une mesure de placement alors que les conditions d'une assignation à domicile conformément à l'article 125 (1) ne sont pas remplies ; Attendu qu il existe un risque de fuite dans le chef de l intéressé(e) ; Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé(e) ont été engagées ; Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ( )». Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 février 2015, Monsieur...et son épouse, Madame... ont fait introduire un recours tendant à la réformation 2
sinon à l annulation des deux décisions ministérielles précitées du 12 février 2015 ordonnant leur placement au Centre de rétention pour une durée d un mois. Etant donné que l article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l immigration, dénommée ci-après «la loi du 29 août 2008», institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, seul un recours en réformation a pu être introduit en l espèce. Il s ensuit qu il n y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation. Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement sollicite la jonction du recours sous examen avec les recours introduits par les fils des demandeurs, à savoir par Messieurs et..., ceux-ci ayant introduit par requêtes séparées, inscrites sous les numéros 35917 et 35918, des recours contentieux contre les mesures de placement en rétention administrative précitées du 12 février 2015 les visant personnellement. Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs se rallient à la demande ainsi soulevée par le délégué du gouvernement. Une demande tendant à la jonction de deux ou de plusieurs affaires est justifiée dans la mesure où elles concernent les mêmes parties et qu elles ont trait au même objet. 1 En l espèce, il échet de constater que trois requêtes introductives d instance ont été introduites, d une part, par les époux et... et, d autre part, par chacun de leurs fils séparément. Il échet encore de relever que chacune de ces personnes s est vue adresser séparément une décision de placement en rétention administrative. Comme toutefois les parties figurant dans chacune de ces requêtes sont différentes, il n y a pas lieu de faire droit à la demande de jonction sollicitée par l Etat, et ceci dans l intérêt d une bonne administration de la justice. Il ressort encore du mémoire en réponse du délégué du gouvernement que les demandeurs ont été rapatriés le 26 février 2015 en Bosnie-Herzégovine, ce qui a d ailleurs été également admis par les demandeurs dans leur mémoire en réplique. L hypothèse du refoulement des demandeurs vers leur pays d origine avant qu un jugement dans le cadre de la présente instance ne puisse être rendu a d ailleurs été formellement prévue par les demandeurs dans leur requête introductive d instance, en ce qu ils ont déclaré vouloir limiter leur recours dans ce cas aux seuls moyens de légalité invoqués à l encontre des arrêtés ministériels litigieux, en soutenant qu ils garderaient même dans cette hypothèse un intérêt à agir. Dans la mesure où les demandeurs ne sont actuellement plus retenus au Centre de rétention, du fait de leur remise aux autorités bosniennes, le tribunal n est plus en mesure, au stade actuel de la procédure contentieuse, de faire droit à la demande tendant à leur libération du Centre de rétention voire à leur assignation à résidence. En conséquence, le contrôle du tribunal ne peut désormais plus que porter sur les moyens de légalité invoqués dans le cadre du recours en réformation. 2 1 v. trib. adm. 12 juin 2003, n 15385 du rôle, Pas. adm. 2012, V Procédure contentieuse, n 720 et autres références y citées 2 v. trib. adm. 22 octobre 2012, n 31533 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu 3
Au vu des considérations qui précèdent, le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable dans la limite des moyens d annulation invoqués par les demandeurs et doit être déclaré sans objet pour autant qu il conclut à la libération voire à l assignation à résidence de ces derniers. A l appui de leur recours, les demandeurs déclarent résider au Grand-Duché de Luxembourg depuis octobre 2013 sans y avoir troublé l ordre public, qu ils auraient manifesté le souhait d un retour volontaire pour autant que leur demande formulée sur base de l article 130 de la loi du 29 août 2008 serait rejetée et qu ils se trouveraient hébergés depuis lors au sein d un foyer géré «par l autorité ministérielle», de sorte qu il serait «disproportionné» d avoir recours à une mesure de rétention à leur égard, alors qu une assignation à résidence aurait été plus opportune au regard des considérations de fait et, ce d autant plus que leur lieu de résidence aurait été «officiellement connu» par les autorités publiques. Le délégué du gouvernement soutient que les demandeurs n auraient présenté aucune garantie de représentation, du fait d avoir été déboutés de leur demande de protection internationale et d avoir fait l objet d une décision de retour en date du 8 janvier 2014. En outre, dans la mesure où ils n auraient disposé d aucun domicile légal au Grand-Duché de Luxembourg, une assignation à résidence n aurait pas pu être prononcée à leur encontre. Le simple fait d être hébergé dans une structure gérée par l OLAI ne serait pas suffisant. L article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, tel que modifié par la loi du 1 er juillet 2011, est libellé comme suit : «Afin de préparer l exécution d une mesure d éloignement ( ) l étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins qu il ne soit assigné à résidence en application de l article 125, paragraphe (1) [de la même loi]. Une décision de placement en rétention est prise contre l étranger en particulier s il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d éloignement ( )». L article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, tel que modifié par la loi du 1 er juillet 2011, régit l assignation à résidence comme suit : «Dans les cas prévus à l article 120, le ministre peut également prendre une décision d assignation à résidence à l égard de l étranger pour lequel l exécution de l obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l article 111, paragraphe (3) [de la même loi] ( )». Les dispositions précitées des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008 sont à interpréter en ce sens qu en vue de la préparation de l exécution d une mesure d éloignement, l assignation à résidence est à considérer comme mesure proportionnée bénéficiant d une priorité par rapport à une rétention pour autant qu il est satisfait aux deux exigences posées par l article 125, paragraphe (1) pour considérer l assignation à résidence comme mesure suffisante et que la rétention ne répond à l exigence de proportionnalité et de subsidiarité que si une assignation à résidence n entre pas en compte au vu des circonstances du cas particulier. 3 3 cf. Cour adm. 23 décembre 2011, n 29628C du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu 4
Il y a encore lieu de souligner que l article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit que le ministre peut prendre une décision d assignation à résidence à l égard d un étranger pour lequel l exécution de l obligation de quitter le territoire est reportée pour des motifs techniques, à condition que l intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l article 111, paragraphe (3) c) de la même loi. Il n en demeure pas moins qu il s agit d une simple prérogative pour le ministre et qu il existe une présomption légale d un risque de fuite dans le chef du demandeur,- présomption simple pouvant être renversée-, 4 que celui-ci doit renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes. En l espèce, c est à bon droit que le délégué du gouvernement soutient que les demandeurs ne présenteraient pas suffisamment de garanties de représentation effective, en ce que l hébergement précaire dans un foyer étatique n est pas à considérer comme un domicile légal au Luxembourg, qu ils y séjournent de manière illégale depuis le refus de leur demande de prorogation d un sursis à l éloignement sans se manifester pour le retour volontaire dans leur pays d origine et qu ils ne font pas non plus état d une vie familiale et privée stable, respectivement d attaches particulières au Luxembourg. Dans ces conditions, le tribunal est amené à conclure que les garanties de représentation effective propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l article 111, paragraphe (3) c) de la loi du 29 août 2008 ne sont pas vérifiées en l espèce. Partant, le moyen afférent laisse d être fondé. En deuxième lieu, les demandeurs reprochent une absence de diligences de la part du ministre. Ainsi, ils estiment qu il n aurait pas accompli toutes les démarches nécessaires en vue d assurer que la mesure d éloignement prise à leur encontre puisse être exécutée dans les délais les plus brefs. C est à bon droit que le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce deuxième moyen en considération de ce que les demandeurs ont été placés en rétention administrative en date du 25 février 2015 et qu ils ont été rapatriés le lendemain dans leur pays d origine, de sorte à avoir été libéré du Centre de rétention dans les 24 heures. Il s ensuit qu aucun manque de diligences ne saurait être reproché au ministre, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé. Il suit de l ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous examen est à rejeter pour ne pas être fondé. Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l égard de toutes les parties ; rejette la demande de jonction du présent recours avec les recours introduits sous les numéros 35917 et 35918 du rôle ; 4 cf. doc. parl. n 6218, avis du Conseil d Etat, page 5; rapport de la commission des Affaires Etrangères et Européennes, de la Défense, de la Coopération et de l Immigration, page 7 5
déclare le recours principal en réformation recevable dans la limite des moyens de légalité invoqués et le déclare sans objet pour le surplus ; au fond, le déclare non justifié et en déboute ; dit qu il n y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ; condamne les demandeurs aux frais. Ainsi jugé par : Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l audience publique extraordinaire du 6 mars 2015 à 10.00 heures par le premier vice-président, en présence du greffier Michèle Hoffmann. s. Michèle Hoffmann s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l original Luxembourg, le 6/3/2015 Le Greffier du Tribunal administratif 6