Simulation numérique de la circulation du vin dans des cuves de différentes géométries. R. Guillaument 1, J.P. Caltagirone 2 1 : Celsius, bureau d étude et conseil en mécanique des fluides et thermique (Bordeaux) 2 : Institut de Mécanique et d Ingénierie de Bordeaux (I2M) Auteur correspondant R.Guillaument (rguillaument@celsius.ph) Introduction Depuis 2004, des amphores, plus généralement appelés jarres, font leur entrée dans les chais. Celles-ci sont en terre cuite ou en béton, favorisant micro-oxygénation et autres interactions physico-chimiques du vin. Ces amphores ne datent pas de 2004 mais bien de l époque gallo-romaine, où de multiples jarres à géométries variables et complexes servaient à la conservation des aliments. Dans l article «le retour des vins élevés en amphores» de la Revue des Vins de France de Novembre 2011[4], il est dit que «tous les praticiens soulignent le potentiel d oxygénation ménagée de ces contenants, lié à leur plus ou moins grande porosité [ ] Leurs formes galbées, censées être propices à la circulation du liquide, à la création de courants internes, sont également mises en avant.» Le constat est pour l instant de l ordre de la supposition. En effet, les cuves de stockage ou de vinification sont des lieux où l observation est difficile. La mesure est intrusive, ce qui rend la simulation numérique essentielle afin de déterminer la circulation du vin dans ces cuves de géométries variables. Ainsi, dans ce papier nous nous sommes intéressés à la circulation du vin dans trois cuves bétons particulières : cuve Dolia, œuf et cuve elliptique. Pour réaliser ces simulations, la méthode choisie est la modélisation des cuves, suivie d une simulation numérique directe par résolution des équations de Navier-Stokes. Les résultats recueillis au cours de cette étude montrent que les caractéristiques intrinsèques du fluide et du matériau sont pertinentes, sans pour autant prendre en compte la chimie. Cette étude permettra de montrer la circulation naturelle du vin dans ces cuves, sans agitation mécanique, afin de permettre une optimisation des méthodes existantes. La simulation numérique apparaît donc aujourd hui comme la solution la mieux adaptée à la création de solutions novatrices. Modélisation L étude porte sur des géométries de référence [1,2] en cours d utilisation au sein de quelques domaines viticoles à travers le monde. Elle consiste à démontrer, par le biais d une simulation numérique, les courants internes qui s opèrent dans ces contenants en béton. Les géométries de référence utilisées correspondent à des objets présentant une courbure bien définie. Dans le cas de la cuve Dolia, qui représente un exemple d amphore utilisée à
l époque romaine, il s agit d une courbure définie de manière empirique. Dans le cas des cuves ovoïde et elliptique, la courbure est calculée à partir d équation connues. Les courbures ainsi formées présentent une complexité à la résolution des équations de Navier-Stokes. Il est donc nécessaire de développer un maillage raffiné à la paroi, afin d obtenir des résultats précis. Figure 1 : représentation et modélisation des cuves étudiées La modélisation est réalisée sur un logiciel de CAO, puis le maillage est réalisé à partir d un logiciel industriel (figure 1). Cela permet de prendre en compte précisément à la fois de la forme de l objet et la couche limite proche de la paroi. L équation de l énergie (température) est résolue en fonction des caractéristiques intrinsèques du fluide et du matériau (Table 1). Table 1 : Paramètres des simulations Général Gravité 9.81 m.s -2 Gradient de température 3 C Fluide Masse volumique 998 kg.m -3 Viscosité 10-3 kg.m -1.s -1 Conductivité thermique 0.5 W.m -1.k -1 Matériau Masse volumique (béton) 2200 kg.m -3
Conductivité thermique (béton) 1 W.m -1.k -1 Masse volumique (inox) 7500 kg.m -3 Conductivité thermique (inox) 26 W.m -1.k -1 Masse volumique (bois de chêne) 800 kg.m -3 Conductivité thermique (bois de chêne) 0.16 W.m -1.k -1 Le gradient de température correspond ici à l écart de température qui existe entre le haut et le bas de la cuve, généralement rencontré dans les cuves de vinifications mais aussi dans les cuves d élevage selon la qualité d isolation des chais. Résultats Les simulations sont réalisées en 3D par calcul, permettant ainsi d obtenir en quelques heures des résultats, présentés dans la figure 2. Figure 2 : simulation numérique (Aquilon [3]) des cuves, la vitesse verticale est représentée dans le sens de la gravité (en rouge : positive, en bleu : négative). Le référentiel de l expérience est terrestre, faisant ainsi intervenir la gravité. De ce fait, la couleur rouge indique une vitesse positive (haut vers le bas), et la couleur bleue une vitesse négative (du bas vers le haut), par rapport à ce référentiel. Le courant interne est représenté en 3D par les lignes de courant, qui mettent en avant le mouvement instationnaire du vin dans ces cuves. Le gradient thermique sur l axe de la gravité reste quasiment constant, et n est donc pas moteur de la circulation. Cette circulation provient donc du faible gradient thermique, qui s opère de la paroi vers le centre de la cuve (Figure 3), créant une vitesse. Ce mouvement dépend essentiellement de la courbure et de l écart de conductivité thermique entre le vin et le matériau.
Figure 3 : simulation numérique (Aquilon) de la cuve ovoïde, la vitesse radiale est représentée dans le sens de la paroi vers le centre (en rouge : positive, en bleu : négative). Par conséquent, le vin se déplace naturellement, sans aucun apport mécanique, à des vitesses de l ordre du micromètre par seconde, représentées par la couleur sur les images ci-dessus. A l échelle d une journée, la distance parcourue par le vin est de 86,4 cm pour l amphore, 51,9 cm pour l œuf et 17,3 cm pour la cuve elliptique. La courbure apparaît donc comme le paramètre clé à prendre en compte afin de maîtriser la circulation du vin dans les cuves à géométries variables. Ovoïde Inox Ovoïde Bois de chêne Ovoïde Béton Figure 4 : simulation numérique (Aquilon) de la cuve ovoïde pour trois matériaux, la vitesse est représentée par les couleurs (en rouge : positive, en bleu : négative). Dans le cas de la figure 4, nous avons fixé une forme de cuve (ovoïde) et modifier le matériau. Pour chaque matériau, nous avons pris des épaisseurs représentatives aux cuves réelles, une épaisseur de 1 mm pour l inox, 4 cm pour le bois de chêne et 10 cm pour le béton. A l échelle d une journée, la distance parcourue par le vin est de 69.12 cm pour l inox, 51,9 cm pour le béton et 17 cm pour le bois de chêne. Plus le matériau est conductif plus le déplacement est grand, cependant une agitation thermique importante ne définit pas à une homogénéisation rapide.
Ce mécanisme lent permet le renouvellement de la couche limite*, favorisant ainsi la microoxygénation due à la porosité du matériau. *Lorsqu'un fluide s'écoule le long d'une paroi fixe, les vitesses sur la paroi sont nulles. La variation de son épaisseur dépend de la viscosité du fluide qui induit un frottement entre les couches voisines : la couche la plus lente tend à freiner la couche la plus rapide qui, en retour, tend à l'accélérer. Discussion - D un point de vue de la vinification La géométrie est importante pour la formation du chapeau de marc. Pour une forme ovoïde, qui est étroite en haut, crée un chapeau épais avec peu de surface de contact ainsi l échange entre le vin et le marc est faible, demandant un remontage plus important pour imprégner le chapeau et extraire les tanins. A contrario, une géométrie plus large en haut de type amphore Dolia, crée une épaisseur plus faible pour une même quantité de matière du chapeau, ainsi en augmentant la surface d échange. Cependant, lors du remontage, la répartition du liquide s effectue sur toute la surface car le temps de pénétration est plus faible. Concernant la circulation du liquide, la vitesse est plus importante dans l amphore que dans l œuf. De ce fait, les échanges sont optimisés entre le liquide et la paroi et aussi entre le liquide et le dessous du chapeau de marc. Sur le choix des matériaux, l inox dû à sa forte conduction thermique est sensible à toutes les variations thermiques créant directement des courants internes. Alors que le bois de chêne ayant une conduction 200 fois plus faible que l inox possède un temps de réaction suffisamment long pour que les variations thermiques proches de ce contenant n interfèrent pas les procédés en cours. Le béton est l intermédiaire entre les deux, il est peu sensible aux variations rapides de températures mais un gradient constant lui permet d enclencher un mouvement du liquide dans la cuve. - D un point de vue de l élevage La géométrie de la cuve est sélectionnée en fonction de l intensité du mouvement du vin que l on souhaite dans la cuve sans apport mécanique et doit être combiné avec le choix du matériau. L apport d oxygène est l élément à maitriser lors de l élevage. De ce fait, les cuves inox ne sont pas poreuses et le vin n est jamais statique. Donc consacrons nous aux deux autres matériaux, le béton et le bois de chêne. Le béton créant un mouvement dans la cuve qui renouvelle la couche limite donc une interaction plus importante entre l oxygène et le vin. Alors que le bois apporte une certaine quantité d oxygène à son interface qui ensuite diffuse dans le milieu.
Vin O2 Vin O2 Intérieur Extérieur Intérieur Extérieur Bois de chêne Béton Figure 5 : Schématisation de l entrée de l oxygène dans le vin en fonction des matériaux, à gauche l oxygène pénètre par diffusion (bois de chêne) et à droite l oxygène intègre par convection (béton). Des domaines viticoles commencent à développer la vinification et/ou l élevage en béton dans les cuves types œuf ou amphore. Leurs choix portent sur un point de vue gustatif évitant de trop boisé leur vin en utilisant ces méthodes. Ils vinifient en foudre puis élevage en amphore béton (Château Pontet Canet [2]) et certains tentent la vinification et l élevage en œuf béton afin de garder tous les arômes des fruits ou en amphore en terre cuite* (Domaine de Viret [5]) *La conductivité thermique de la terre cuite est de l ordre de 0.3 W.m -1.k -1 avec une forte porosité. Conclusion Lors de la conception d une cuve à géométrie variable, il est donc essentiel de considérer à la fois sa courbure et les caractéristiques intrinsèques du matériau utilisé (densité, porosité, conductivité thermique), afin de maîtriser ses interactions avec le fluide, aussi bien thermiquement que chimiquement. D un point vu physique, le béton semble présenter un bon compromis, par rapport au chêne où à l inox. Ainsi, selon l utilisation que l on veut faire de la cuve, l équilibre entre géométrie, physique et chimie est indispensable. Le choix de cuve est défini par les méthodes de vinification, les cépages et le terroir. Perspectives Les simulations numériques sont un outil moderne et flexible qui permet de modifier très rapidement la courbure de comprendre les mécanismes physiques qui s opèrent à l intérieur des cuves. Elles peuvent prendre en compte bien d autres phénomènes, cinétique chimique, interactions fluide-fluide, interactions fluide-particules, hydraulique... Ainsi, elles peuvent également être utilisées pour optimiser des procédés tels que la mise en bouteille ou la filtration.
Remerciements Avec la participation de Jean Michel Comme pour la photo de l amphore et sa discussion technique, et d Alice Shaw pour les nombreuses discussions qui ont inspirées ce papier. Référence: 1 http://www.cuves-a-vin.com/ 2 Châteaux Pontet Canet (http://www.pontet-canet.com/) 3 Aquilon, logiciel de simulation numérique développé par J.P. Caltagirone 4 Modernité, le retour des vins élevés en amphores, RVF N 556, Novembre 2011, PP.30-36. 5 Domaine de Viret (http://www.domaine-viret.com/)