LA «GUERRE DES TANKERS» ENTRE L IRAN ET L IRAK : UNE GUERRE IRRÉGULIÈRE?



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Transcription:

LA «GUERRE DES TANKERS» ENTRE L IRAN ET L IRAK : UNE GUERRE IRRÉGULIÈRE? Lieutenant de vaisseau Laurent Suteau Messieurs les Officiers généraux, Messieurs les Officiers, Mesdames, Messieurs, Entre 1980 et 1988, dans le cadre de l affrontement qui les oppose, l Iran et l Irak s affrontent dans une guerre du pétrole qui intervient dès le début du conflit : les deux belligérants cherchent systématiquement à détruire les installations pétrolières de l adversaire. Sur mer, tous les moyens sont bons pour couper les relations économiques de l adversaire avec le reste du monde, y compris en attaquant les intérêts des pays neutres et tout particulièrement les pétroliers. Rapidement, les Iraniens acquièrent une totale maîtrise des mers sur la partie septentrionale du Golfe et l Irak subit un blocus maritime très efficace. Il n y a alors aucun prétexte pour intercepter le trafic maritime, ce qui explique que ce début de guerre ne voit pratiquement aucune activité offensive iranienne dans le domaine naval ou aéronaval. L Iran, soucieux de maintenir ses exportations de brut, se limite au contrôle des navires estimés suspects et à l établissement d une zone de guerre. La stratégie irakienne est toute autre. Bagdad n a de cesse de tenter de bloquer les exportations pétrolières dans le but d affaiblir économiquement Téhéran et de l obliger à accepter un cessez-le-feu. En arrière-pensée, l Irak souhaite, en poussant l Iran à réagir violemment, obliger les pays du Golfe et les Occidentaux à s intéresser au conflit, à protéger 1

les flux pétroliers et donc à peser sur l Iran pour mettre fin à la guerre. Ainsi, durant tout le conflit, l aviation irakienne s attaque aux terminaux pétroliers de la partie septentrionale du Golfe avec pour principale cible l île de Kharg, par laquelle transitent 90 % des chargements de brut iranien, et dans une moindre mesure celui de Bandar Khomeini. Bagdad décrète dès 1980 une zone de guerre autour de Kharg, transformée en zone d exclusion en août 1982. Dès lors, les neutres ne sont plus protégés. Néanmoins, Bagdad n a pas les moyens techniques de ses ambitions stratégiques et les attaques restent limitées en 1981 (une demi-douzaine) et 1982 (une douzaine). Le saut technologique s effectue en 1983 avec le prêt de cinq Super-étendard par la France à l Irak : l île de Kharg est désormais à portée de tir. Pour Bagdad, il ne s agit plus alors de conduire des actions tactiques, mais de soutenir une vision stratégique en lançant ce qui allait être appelé la «guerre des tankers». Les premiers raids significatifs sont menés à partir de février/mars 1984 : la simple présence dans le chenal de Khor Musa et à proximité de l île de Kharg justifie l attaque, en l espace de deux mois, de douze navires de cinq nationalités différentes dont un seul iranien. L Iran ne peut évidemment pas rester sans réagir et utilise pour la première fois la même stratégie que l Irak. Téhéran commence à harceler les navires sous pavillons neutres, essentiellement koweïtiens et saoudiens et ceux se rendant dans les ports de ces deux pays qu il tient pour des alliés de Bagdad. Par ailleurs, l Iran ne respecte pas les eaux territoriales et la zone géographique des attaques s étend désormais plus au sud jusqu au large de Bahreïn. C est le début de l escalade dans la guerre des tankers provoquant une soudaine dégradation de la sécurité dans le Golfe : «désormais on tire sur tout ce qui bouge y compris les neutres» pour reprendre une expression de l amiral Labrousse 1. 1 CA (CR) Henri Labrousse, «Les tensions dans la péninsule arabique», La nouvelle Revue Maritime, n 410, mai-juin 1988, p.8. 2

La stratégie de Bagdad reste cependant un échec. Alors que pour l Irak il s agissait par ces attaques de démontrer à Téhéran les potentialités de sa menace pour l amener à une désescalade, les Iraniens interprétèrent les raids contre les tankers comme le niveau maximal de la menace irakienne, révélatrice de sa faiblesse puisqu elle ne parvenait pas à interdire l accès à ses terminaux. Cependant, Bagdad circonscrit sa stratégie au cadre de la guerre entre les deux pays : jusque-là les raids irakiens ne soulèvent guère de protestation auprès des pays du Golfe, de l Occident, voire de l URSS. Néanmoins, l absence de réaction violente de la part de l Iran tend à démontrer que le principe d une escalade mesurée prônée par Bagdad pour mener à un cessez-le-feu est un échec. L année 1985 marque un deuxième tournant dans la guerre des tankers, cette fois dans la stratégie iranienne. La pression irakienne commence à peser. Bagdad poursuit ses raids sur l île de Kharg, parvenant ponctuellement à réduire de moitié les capacités du terminal. La réaction iranienne a été clairement exprimée par Hachemi Rafsandjani dès 1983 : «si nous devons être privés de notre pétrole, les autres pays impliqués dans la guerre le seront aussi» 2. Téhéran menace alors de fermer Ormuz, élargit la guerre des tankers jusqu au détroit d Ormuz et démultiplie les contrôles, pas moins de 300 en octobre 1985. Parallèlement, les Iraniens mettent en place une tactique de contournement de la stratégie irakienne pour maintenir tant bien que mal le niveau de leurs exportations. Le terminal de chargement est déplacé à Sirri, soit à près de 800 kilomètres des côtes irakiennes, des convois assurant le transfert entre les deux terminaux. 2 L Iran menace à nouveau de bloquer le détroit d Ormuz», Le Monde, jeudi 13 octobre 1983, p.3. 3

Les Irakiens parviennent cependant en juin 1986 à attaquer Sirri et les convois, remettant en cause toute la stratégie pétrolière iranienne. Par ailleurs, ils incluent toutes les installations pétrolières de Téhéran dans leur zone d exclusion maritime. Bagdad parvient ainsi rapidement à faire chuter de moitié les exportations iraniennes. C est de nouveau l escalade : dans un geste d impuissance, les Iraniens attaquent en août 1986 un pétrolier en chargement dans les eaux émiraties. Ils accentuent leur pression sur le trafic commercial dans la partie méridionale du Golfe et continuent leurs représailles à l encontre des navires soupçonnés de ravitailler l Irak. Les interceptions pour contrôle augmentent jusqu à une vingtaine par jour. Selon la Lloyd s, 1986 se caractérise par la perte d un navire par semaine et une centaine d attaques, soit environ le tiers des attaques depuis le début du conflit. La guerre des tankers s accélère de nouveau en 1987. Les offensives terrestres conduites par les deux pays se révèlent coûteuses et sans bénéfice apparent. Le conflit ne peut donc se gagner que par une stratégie indirecte : interrompre les exportations de pétrole de brut iranien ou menacer les pays arabes soutenant Bagdad d une interdiction du trafic maritime. 1987 est marquée par une recrudescence des attaques à l encontre du trafic maritime qui se révèle être avant tout du fait des Iraniens, de plus en plus isolés sur la scène internationale. Pour Téhéran, le temps de la discrimination des navires et du choix des cibles soupçonnées de servir indirectement Bagdad est révolu. Désormais, Téhéran frappe indistinctement et sans identification l ensemble du trafic maritime naviguant dans le Golfe. Le panel des moyens militaires s élargit : après la mise en œuvre des hélicoptères à partir de plates-formes à proximité d Ormuz et de sa marine en 1986, les mines et les missiles complètent l arsenal iranien. Les pasdarans mènent, par ailleurs, leurs premières attaques au moyen d embarcations rapides, moyens conventionnels mais agissant selon les procédures de la guérilla navale. Ces attaques tous azimuts entraînent une internationalisation du conflit et le 4

déploiement de plus en plus conséquent des marines occidentales pour assurer la libre circulation du trafic maritime. L attaque de l USS Stark en mai 1987 par les Irakiens ne change pas la donne : ces déploiements visent à protéger le trafic maritime contre les agissements iraniens. Cependant, les déploiements massifs ne permettent pas d interrompre les attaques qui triplent entre août et septembre 1987. L Iran mène alors une double stratégie : la poursuite des raids contre les intérêts koweïtiens et une confrontation indirecte avec les Américains de manière à les embarrasser et à les forcer à quitter le Golfe. Par ailleurs, les actions iraniennes ne se limitent plus au Golfe : un tanker heurte en août une mine en mer d Oman. Bagdad participe également à la dégradation de la sécurité maritime à partir de la fin de l été en reprenant ses raids trois mois à peine après l «affaire» du Stark. L année 1987 marque ainsi le paroxysme de la guerre des tankers avec un total de 181 attaques, 92 attribuées à l Iran, 89 à l Irak. La guerre des pétroliers se poursuit en 1988, mais, en avril, l USS Samuel Roberts heurte une mine dans le Golfe. Le gouvernement américain décide de mener des missions de rétorsion qui tournent à un affrontement avec la marine iranienne entraînant la destruction de la quasitotalité de cette dernière. Cette catastrophe navale s accompagne d un recul terrestre face aux troupes irakiennes. Les attaques diminuent et le cessez-le-feu met de fait un terme à cette guerre des tankers. On estime que près de 550 attaques ont été perpétrées par les deux belligérants, quasi exclusivement contre des pavillons neutres dans le cadre d ailleurs d un conflit sans état de guerre déclaré. Le fondement de cette guerre des tankers est finalement un exercice du droit 5

de blocus, opération de guerre licite, pratiquée par l Iran et l Irak d une manière anarchique qui fait éclater tout cadre juridique. Soit une pratique irrégulière. Les zones d exclusion ne sont pas des zones de guerre permettant la mise en garde de la navigation neutre contre les dangers du conflit. Il s agit plutôt d une disposition qui permet d en exclure toute navigation neutre qu il est alors possible d attaquer sans préavis. Ainsi peu à peu la pratique du blocus s étend à l ensemble du Golfe sans tenir compte des droits des pays riverains, en intervenant même dans leurs eaux territoriales. Tout acte d hostilité dirigé contre les neutres, à l instar du droit de visite dans leurs eaux territoriales, constitue de fait une violation de la neutralité. De même, la pratique du droit de visite qui vise à lutter contre la contrebande de guerre exclut, à la différence de l interprétation irakienne, les exportations par voie maritime, ce en dépit des revenus qu ils engendrent pour son effort de guerre. Pour sa part, l Iran s est arrogé la compétence exclusive de déterminer quelles sont les marchandises concernées par le blocus, se permettant d exercer sur une très large échelle le droit de visite. Les belligérants mettent ainsi à profit le caractère nébuleux du concept de neutralité pour apporter des limites de plus en plus importantes à la libre navigation du pavillon neutre dans le Golfe, limites dont la légitimité est loin de faire l unanimité et qui justifient les déploiements des marines occidentales. Les circonstances militaires, économiques et diplomatiques, de plus en plus défavorables, poussent l Iran à une escalade permanente de la violence, le plus souvent provoquée et/ou suivie par Bagdad dont les premières victimes sont les neutres. 6

Le lieutenant de vaisseau Laurent Suteau est entré dans la marine en 1998. Après avoir enseigné au lycée naval et à l école de Maistrance, il rejoint la division études du département Marine du service historique de la Défense en 2004. Il y dirige une recherche missionnée par le chef d état-major de la Marine portant sur l histoire des opérations extérieures de la Marine des années 1970 à 2000. Il s est particulièrement spécialisé dans les opérations en océan Indien et dans le golfe Arabo-persique. 7