QUATRIÈME SECTION. AFFAIRE PAROISSE GRÉCO-CATHOLIQUE GLOD c. ROUMANIE. (Requête n o 53528/07) ARRÊT STRASBOURG. 4 juillet 2017

Documents pareils
TROISIÈME SECTION. AFFAIRE MATTEONI c. ITALIE. (Requête n o 42053/02)

Décrets, arrêtés, circulaires

Numéro du rôle : Arrêt n 167/2014 du 13 novembre 2014 A R R E T

Conférence des Cours constitutionnelles européennes XIIème Congrès

Commentaire. Décision n QPC du 29 janvier Association pour la recherche sur le diabète

Comment remplir le formulaire de requête. I. Ce qu il faut savoir avant de remplir le formulaire de requête

Cour européenne des droits de l homme DEUXIÈME SECTION ARRÊT STRASBOURG. 18 Octobre 2011

PROTOCOLE. Entre le Barreau de Paris, le Tribunal de Commerce et le Greffe. Le Barreau de Paris, représenté par son Bâtonnier en exercice,

SCP Thouin-Palat et Boucard, SCP Tiffreau, Corlay et Marlange, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Cour de cassation de Belgique

Commentaire. Décision n /178 QPC du 29 septembre 2011 M. Michael C. et autre

REPUBLIQUE FRANCAISE. Contentieux n A et A

Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, premier décembre deux mille onze.

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

REPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS. LA COUR DES COMPTES a rendu l arrêt suivant :

conforme à l original

Numéro du rôle : Arrêt n 121/2002 du 3 juillet 2002 A R R E T

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L HOMME EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L HOMME EUROPEAN COURTOFHUMAN RIGHTS

Copie Certifiée Conforme à l original

TABLE DES MATIERES. Section 1 : Retrait Section 2 : Renonciation Section 3 : Nullité

PROTOCOLE DE LA COUR DE JUSTICE DE L UNION AFRICAINE

SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Les Cahiers du Conseil constitutionnel Cahier n 24

Numéros du rôle : 4381, 4425 et Arrêt n 137/2008 du 21 octobre 2008 A R R E T

Numéro du rôle : 4767 et Arrêt n 53/2010 du 6 mai 2010 A R R E T

Rôle n A - Exercices d imposition 2001 et Intérêts sur un compte courant créditeur et requalification en dividendes

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Siréas asbl Service International de Recherche, d Education et d Action Sociale

LA COUR DES COMPTES a rendu l arrêt suivant :

Cour européenne des droits de l homme. Questions & Réponses

Cour. des droits QUESTIONS FRA?

CC, Décision n QPC du 23 novembre 2012

BELGIQUE. Mise à jour de la contribution de novembre 2005

CONSIDÉRATIONS SUR LA MISE EN ŒUVRE DES DÉCISIONS DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE

REPUBLIQUE FRANCAISE

Décision du Défenseur des droits MDE-MSP

DEUXIÈME SECTION. AFFAIRE GALLUCCI c. ITALIE. (Requête n o 10756/02) ARRÊT STRASBOURG. 12 juin 2007

La récente décision judiciaire en Alberta sur la limitation des dommages non pécuniaires

Décrets, arrêtés, circulaires

Composition Président: Roland Henninger Hubert Bugnon, Jérôme Delabays

Numéro du rôle : Arrêt n 151/2012 du 13 décembre 2012 A R R E T

Commentaire. Décision n QPC du 6 juin Société Orange SA

Quel cadre juridique pour les mesures d investigation informatique?

conforme à l original

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS. LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l arrêt suivant :

Décrets, arrêtés, circulaires

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS. LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l arrêt suivant :

DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE Division d appel Décision d appel

Procédure pénale. Thèmes abordés : Procédure par contumace/ Nouvelle procédure par défaut

Tribunal de Ière Instance de Bruxelles

FAILLITE ET RESTRUCTURATION

NOTE DES AUTORITES FRANÇAISES

FICHE N 8 - LES ACTIONS EN RECOUVREMENT DES CHARGES DE COPROPRIETE

DÉFINITIF 06/11/2009

R E P U B L I Q U E F R A N C A I S E

Responsabilité pénale de l association

M. Mazars (conseiller doyen faisant fonction de président), président

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

La chambre du conseil de la Cour d'appel du Grand-Duché de Luxembourg a rendu le douze février deux mille quatorze l'arrêt qui suit:

Droit du travail - Jurisprudence. Inaptitude médicale résultant de faits de harcèlement moral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE LA BANQUE AFRICAINE DE DÉVELOPPEMENT. QUORUM: Professeur Yadh BEN ACHOUR Président

DÉCISION DU TIERS DÉCIDEUR. SPRL LES COMPTABLES ET FISCALISTES ASSOCIES / SPRL EKITAS CONSULTING Affaire N : cfabelgium.be

Loi modifiant la Loi sur l assurance automobile

GROUPE DE RÉDACTION SUR LES DROITS DE L HOMME ET LES ENTREPRISES (CDDH-CORP)

Fiche d'information n 26 - Le Groupe de travail sur la détention arbitraire

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE SNC du Centre Commercial de Valdoly contre SA Bolden Litige n D

PROTOCOLE RELATIF À L ARRANGEMENT DE MADRID CONCERNANT L ENREGISTREMENT INTERNATIONAL DES MARQUES

Convention européenne des droits de l homme

Loi type de la CNUDCI sur l arbitrage commercial international

dans la poursuite pénale dirigée contre en présence du Ministère Public l arrêt qui suit :

Titre I Des fautes de Gestion

«LA PROTECTION DU SECRET DES SOURCES DES JOURNALISTES» U.I.A. - CONGRÈS DE FLORENCE (COMMISSION DU DROIT DE LA PRESSE)

Cour de cassation. Chambre sociale

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Vu l ordonnance n du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Me Balat, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Boulloche, SCP Odent et Poulet, SCP Ortscheidt, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat(s)

Aff 3958 Mutuelle Eovi Usmar services et soins c/ Centre hospitalier de Roanne (Renvoi du TA de Lyon)

LOI N DU 7 MARS 1961 déterminant la nationalité sénégalaise, modifiée

Président : M. Blin, conseiller le plus ancien faisant fonction., président REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Conseil d'état - 5ème et 4ème sous-sections réunies. Lecture du mercredi 30 mars Société Betclic Enterprises Limited

I. OUVERTURE D UNE PROCEDURE COLLECTIVE SUR ASSIGNATION DU CREANCIER

Arrêt n CAISSE DE CREDIT MUNICIPAL DE LYON

Le champ d application de l article 1415 du code civil

Article 1654 Le mariage est un contrat solennel entre deux personnes de sexe opposé qui souhaitent s unir et former une famille.

CEDH FRANGY c. FRANCE DU 1 ER FEVRIER 2005

Maximiser l utilisation des pertes lorsqu on jette l éponge

Cour du travail de Bruxelles (6e ch.) - Arrêt du 29 mai Rôle n 2011-AB-923

DÉCISION INTERLOCUTOIRE DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE Division générale Assurance-emploi

SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Numéro du rôle : Arrêt n 3/2014 du 16 janvier 2014 A R R E T

Délibération n du 27 septembre 2010

Décision du Défenseur des droits n MLD

Le nouveau critère de recevabilité inséré à l article 35 3 b) de la Convention : les principes jurisprudentiels deux ans après son introduction

Le stationnement irrégulier de véhicules appartenant à la communauté des gens du voyage.

Numéro du rôle : Arrêt n 34/2015 du 12 mars 2015 A R R E T

SENTENCE ARBITRALE DU COLLEGE ARBITRAL DE LA COMMISSION DE LITIGES VOYAGES

(1re chambre - formation à 3)

Commentaire. Décision n QPC du 3 février M. Franck S. (Désignation du représentant syndical au comité d entreprise)

SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Transcription:

QUATRIÈME SECTION AFFAIRE PAROISSE GRÉCO-CATHOLIQUE GLOD c. ROUMANIE (Requête n o 53528/07) ARRÊT STRASBOURG 4 juillet 2017 Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

ARRÊT PAROISSE GRÉCO-CATHOLIQUE GLOD c. ROUMANIE 1 En l affaire Paroisse gréco-catholique Glod c. Roumanie, La Cour européenne des droits de l homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de : Faris Vehabović, président, Carlo Ranzoni, Péter Paczolay, juges, et de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section, Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 juin 2017, Rend l arrêt que voici, adopté à cette date : PROCÉDURE 1. À l origine de l affaire se trouve une requête (n o 53528/07) dirigée contre la Roumanie et dont une paroisse sise dans cet État, à savoir la paroisse gréco-catholique Glod («la requérante»), a saisi la Cour le 26 novembre 2007 en vertu de l article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l homme et des libertés fondamentales («la Convention»). 2. La requérante a été représentée par M e I. Vida-Simiti, avocat à Cluj-Napoca. Le gouvernement roumain («le Gouvernement») a été représenté par son agente, M me C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères. 3. Le 19 juin 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement. EN FAIT I. LES CIRCONSTANCES DE L ESPÈCE 4. La requérante est une paroisse qui appartient à l Église gréco-catholique (catholique de rite oriental ou uniate) et dont le siège se trouve à Glod. 5. Le 6 octobre 2005, se fondant sur l article 480 du code civil, la requérante saisit le tribunal départemental de Sălaj d une action contre la paroisse orthodoxe de Glod. Elle demandait la restitution de l église sise à Glod, qui lui appartenait avant la dissolution du culte gréco-catholique opérée sous le régime totalitaire. 6. À la suite de changements législatifs concernant la compétence des juridictions nationales, l affaire fut transférée au tribunal départemental de Zalău («le tribunal»). 7. Par un jugement du 23 juin 2006, le tribunal rejeta l action de la requérante pour défaut de fondement. Pour se prononcer ainsi, après avoir

ARRÊT PAROISSE GRÉCO-CATHOLIQUE GLOD c. ROUMANIE 2 rappelé la signification de la notion d église comme lieu de culte et brièvement résumé l histoire de l Église gréco-catholique, le tribunal releva que l objet du litige portait sur un bien immeuble dont la destination aurait été liée, par la nature même du bien en question, à la pratique d un culte par ses fidèles. Il indiqua ensuite que les dispositions légales qui régissaient la situation juridique des lieux de culte étaient distinctes de celles du code civil et qu elles faisaient prévaloir le lien existant entre le lieu de culte, la communauté religieuse et la volonté des fidèles, ce qu aurait d ailleurs énoncé l article 3 1 du décret-loi n o 126/1990 relatif à certaines mesures concernant l Église roumaine unie à Rome. 8. Le tribunal nota que la majorité des croyants de Glod appartenaient désormais au culte orthodoxe et que les anciens gréco-catholiques, propriétaires et utilisateurs de l église avant le régime totalitaire et forcés de devenir orthodoxes sous ce régime, n étaient pas revenus à leur culte initial alors que les dispositions légales en vigueur le leur auraient permis. Il jugea que, dès lors, les personnes qui alléguaient avoir subi le préjudice n avaient pas un intérêt à demander la restitution de l église, qu elles utilisaient déjà pour la pratique de leur culte. Il ajouta que la requérante aurait pu engager une action afin de se voir reconnaître le droit d utiliser le lieu de culte litigieux. 9. Sur appel et recours (recurs) de la requérante, par un arrêt du 27 décembre 2006 et par un arrêt définitif du 29 mai 2007 respectivement, la cour d appel de Cluj et la Haute Cour de cassation et de justice («la Haute Cour») confirmèrent le jugement rendu en première instance. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS 10. Le droit et la pratique internes pertinents sont présentés dans l affaire Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres c. Roumanie [GC], (n o 76943/11, 35 à 57, CEDH 2016 (extraits)). EN DROIT I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L ARTICLE 6 1 DE LA CONVENTION QUANT AU RESPECT DU PRINCIPE DE LA SÉCURITÉ JURIDIQUE 11. Invoquant l article 6 1 de la Convention combiné avec l article 14, la requérante reproche aux juridictions nationales d avoir tranché le litige en cause non pas en appliquant les règles du droit commun mais en imposant le critère énoncé à l article 3 du décret-loi n o 126/1990, alors que, selon elle,

ARRÊT PAROISSE GRÉCO-CATHOLIQUE GLOD c. ROUMANIE 3 les juridictions nationales ont appliqué les règles du droit commun dans des affaires similaires. 12. La Cour estime que, comme dans l affaire Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres ([GC], précitée, 168 et 169), les allégations de la requérante doivent être examinées exclusivement sous l angle de l article 6 1 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente en l espèce : «Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...), par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...).» A. Sur la recevabilité 13. Constatant que ce grief n est pas manifestement mal fondé au sens de l article 35 3 a) de la Convention et qu il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d irrecevabilité, la Cour le déclare recevable. B. Sur le fond 14. Renvoyant à des exemples de jurisprudence interne qu elle a versés au dossier, la requérante indique que la Haute Cour a appliqué, dans la présente cause, le critère prévu par l article 3 1 du décret-loi n o 126/1990 alors que, selon elle, elle avait appliqué les dispositions du droit commun dans d autres affaires similaires à la sienne. 15. Le Gouvernement soutient que l on ne peut déduire de la situation de fait de la présente affaire une divergence profonde et persistante de la jurisprudence nationale. 16. La Cour renvoie d emblée à son arrêt Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie ([GC], n o 13279/05, 49-58 et 61, 20 octobre 2011), dans lequel ont été posés les principes applicables aux affaires portant sur des divergences de jurisprudence, principes récemment résumés dans l arrêt Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres ([GC], précité, 116). Elle rappelle que, dans cette dernière affaire, elle a constaté que, de 2007 à 2012, il y avait eu, au niveau interne, y compris au sein de la Haute Cour, «une divergence de jurisprudence profonde et persistante» quant au droit matériel applicable aux actions en restitution des lieux de culte fondées sur le droit commun (Ibid., 112 et 126-128). Elle a également noté que le mécanisme d uniformisation de la jurisprudence le plus approprié n avait pas été mis en œuvre promptement par les autorités compétentes pour mettre fin à la divergence de jurisprudence en cause (Ibid., 132). 17. Compte tenu de l époque à laquelle l affaire de la requérante a été jugée par les juridictions nationales et eu égard au fait, plus particulièrement, qu il s agit d un arrêt rendu par la Haute Cour, la Cour considère que la même conclusion s impose en l espèce. Elle estime que,

ARRÊT PAROISSE GRÉCO-CATHOLIQUE GLOD c. ROUMANIE 4 comme dans l affaire Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres [GC], précitée, l incertitude jurisprudentielle dans le cadre de laquelle a été examinée l action formée par la requérante, à laquelle s ajoute l absence d utilisation prompte du mécanisme prévu par le droit interne pour assurer la cohérence des pratiques au sein même de la plus haute juridiction du pays, a porté atteinte au principe de la sécurité juridique et que, en cela, elle a eu pour effet de priver la requérante d un procès équitable. 18. Partant, la Cour estime qu il y a eu violation de l article 6 1 de la Convention à raison de la méconnaissance du principe de la sécurité juridique. II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L ARTICLE 6 1 DE LA CONVENTION QUANT AU DROIT D ACCÈS À UN TRIBUNAL, PRIS SEUL ET EN COMBINAISON AVEC L ARTICLE 14 DE LA CONVENTION 19. La requérante se plaint d une atteinte discriminatoire à son droit d accès à un tribunal, fondée, selon elle, sur son appartenance à un culte minoritaire dans le pays. Elle invoque l article 6 1 de la Convention précité, pris seul et en combinaison avec l article 14 de la Convention, lequel se lit ainsi : «La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l origine nationale ou sociale, l appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.» 20. La requérante dénonce une atteinte à son droit d accès à un tribunal, reprochant aux juridictions nationales d avoir tranché son litige non pas en appliquant les règles du droit commun mais selon le critère énoncé par le décret-loi n o 126/1990, à savoir la volonté des fidèles de la communauté détentrice du bien. Se référant aux mêmes faits, elle soutient avoir subi une discrimination dans la jouissance de son droit d accès à un tribunal en raison de son appartenance à un culte minoritaire dans le pays. 21. Le Gouvernement combat ces thèses. 22. La Cour fait référence aux principes généraux en matière d accès à un tribunal et de traitement discriminatoire, tels qu ils ont été récemment rappelés dans l arrêt Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres ([GC], précité, 84-90 et 162-164). Dans cette affaire, elle a estimé que le critère de la volonté des fidèles ne pouvait être considéré comme une quelconque limitation de la compétence des tribunaux pour trancher les actions en restitution concernant des lieux de culte, mais comme un tempérament à un droit matériel qui n empêchait pas l examen au fond du litige par un tribunal (Ibid., 99 et 101). Elle a également jugé dans cet arrêt que, en l absence d une telle limitation, il n était pas établi que le critère de la volonté des

ARRÊT PAROISSE GRÉCO-CATHOLIQUE GLOD c. ROUMANIE 5 fidèles eût créé une différence de traitement entre les paroisses gréco-catholiques et les paroisses de l Église orthodoxe dans l exercice du droit d accès à un tribunal (Ibid., 172-174). 23. En l espèce, la Cour ne voit aucune raison de parvenir à une conclusion différente : en effet, le critère prévu par l article 3 du décret-loi n o 126/1990 n est pas un obstacle procédural entravant l accès de la requérante à la justice, mais une disposition matérielle dont l intéressée conteste l applicabilité et les effets sur son droit d accès à un tribunal. Par ailleurs, le tribunal a examiné le bien-fondé de l action engagée par la requérante, a expliqué quel était le droit applicable et a pris en compte les structures initiale et contemporaine de la communauté religieuse de Glod afin de décider de la situation juridique du lieu de culte litigieux (paragraphes 7 et 8 ci-dessus). En outre, aux fins d application de l article 14 de la Convention, la Cour ne décèle pas de différence de traitement entre la requérante et la partie défenderesse quant à la possibilité de saisir le juge et d obtenir une décision judiciaire relativement à l action en restitution du lieu de culte (Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres [GC], précité, 173). 24. Il s ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et qu ils doivent être rejetés, en application de l article 35 3 a) et 4 de la Convention. III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L ARTICLE 1 DU PROTOCOLE N o 1 À LA CONVENTION, PRIS SEUL ET EN COMBINAISON AVEC L ARTICLE 14 DE LA CONVENTION 25. La requérante estime que le refus des juridictions internes d ordonner la restitution de l église a porté atteinte à son droit au respect de ses biens et qu il s agit d un traitement discriminatoire fondé sur l appartenance à une religion. Elle invoque à cet égard l article 1 du Protocole n o 1, seul et en combinaison avec l article 14 de la Convention. L article 1 du Protocole n o 1 à la Convention est ainsi libellé : «Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu ils jugent nécessaires pour réglementer l usage des biens conformément à l intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d autres contributions ou des amendes.» A. Les arguments des parties 26. Le Gouvernement invite d abord la Cour à ne pas statuer sur ce grief, estimant que celui-ci concerne une absence de protection procédurale

ARRÊT PAROISSE GRÉCO-CATHOLIQUE GLOD c. ROUMANIE 6 qui, selon lui, doit être examinée sous l angle de l article 6 1 de la Convention. Il excipe ensuite de l irrecevabilité ratione materiae de ce grief. À cet égard, il indique que les juridictions internes n ont pas reconnu, par une décision définitive, le droit de propriété de la requérante sur l église en litige. Il estime enfin que la requérante n a pas démontré avoir fait l objet d un traitement discriminatoire en l espèce. 27. La requérante allègue avoir eu au moins une «espérance légitime» d obtenir la restitution de l église, au motif que la loi interne prévoit la possibilité d engager des actions devant les juridictions nationales à cette fin. Selon elle, la jurisprudence contradictoire des juridictions internes en la matière prouve l existence de cette «espérance légitime». La requérante soutient également que le rejet de son action visait à protéger la majorité orthodoxe du pays et qu elle constituait une discrimination fondée sur son appartenance à un culte minoritaire. B. L appréciation de la Cour 1. Sur la violation alléguée de l article 1 du Protocole n o 1 à la Convention 28. La Cour se prononcera sur l applicabilité à la présente espèce de l article 1 du Protocole n o 1 à la Convention (paragraphe 26 ci-dessus) et, pour ce faire, elle renvoie à sa jurisprudence constante concernant cet article (voir, par exemple, Gratzinger et Gratzingerova c. République tchèque (déc.) [GC], n o 39794/98, 69, CEDH 2002-VII, et Kopecký c. Slovaquie [GC], n o 44912/98, 35, CEDH 2004-IX). 29. La Cour note que, en l espèce, la requérante a perdu la possession et la propriété de l église qu elle revendique en 1948, soit avant la ratification de la Convention par la Roumanie le 20 juin 1994. Malgré la réhabilitation judiciaire du culte gréco-catholique en 1990, aucune disposition légale n ordonne la restitution automatique des lieux de culte de cette Église toujours détenus par l Église orthodoxe (voir, a contrario, Archidiocèse catholique d Alba Iulia c. Roumanie, n o 33003/03, 82-88, 25 septembre 2012), même si le décret-loi n o 126/1990 a introduit une procédure spécifique par laquelle les intéressés peuvent demander la restitution d un tel bien. La Cour relève que l espoir de restitution était dès le départ une créance conditionnelle, dans la mesure où le décret-loi n o 126/1990 énonce le critère selon lequel la situation juridique des lieux de culte doit être tranchée. 30. En l occurrence, la requérante a cherché à obtenir la restitution du lieu de culte par voie judiciaire. La question de la situation juridique de l église revendiquée a été tranchée dans le cadre d une procédure judiciaire qui bénéficiait de la plénitude de juridiction pour appliquer le critère prévu par le décret-loi n o 126/1990. Les juridictions internes ont jugé en définitive

ARRÊT PAROISSE GRÉCO-CATHOLIQUE GLOD c. ROUMANIE 7 que la condition prévue par le décret-loi précité donnait gain de cause à la partie défenderesse. Dès lors, la créance de la requérante ne pouvait pas être réputée suffisamment établie pour s analyser en une «valeur patrimoniale» appelant la protection de l article 1 du Protocole n o 1 à la Convention. 31. Pour autant que la requérante dénonce une jurisprudence divergente des juridictions internes quant au droit applicable aux affaires concernant la restitution de lieux de culte, la Cour rappelle que la persistance de divergences dans l interprétation par les juridictions nationales du droit interne ne donne pas lieu à une «espérance légitime» (voir, en ce sens, Albu et autres c. Roumanie, n o 34796/09, 47, 10 mai 2012, et Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres c. Roumanie, n o 76943/11, 154, 19 mai 2015). 32. Il s ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l article 35 3 a) et qu il doit être rejeté, en application de l article 35 4. 2. Sur la violation alléguée de l article 14 de la Convention en combinaison avec l article 1 du Protocole n o 1 à la Convention 33. Tout en renvoyant à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir, par exemple, Stec et autres c. Royaume-Uni (déc.) [GC], n os 65731/01 et 65900/01, 39 et 54, CEDH 2005-X, et Carson et autres c. Royaume-Uni [GC], n o 42184/05, 64, CEDH 2010), la Cour rappelle avoir déjà examiné un grief similaire dans l affaire Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres (précité, 156 à 158). Dans cette dernière affaire, après avoir constaté que l article 14 de la Convention était applicable, elle a jugé qu il n y avait pas de différence de traitement discriminatoire entre les requérants et la partie orthodoxe dans la procédure. Pour ce faire, la Cour a considéré que la législation mise en cause visait à protéger la liberté de ceux qui avaient été forcés sous le régime totalitaire de quitter la religion gréco-catholique de manifester leur volonté quant à la religion à suivre, tout en gardant la possibilité d utiliser le lieu de culte qu ils avaient construit. Elle avait également accordé de l importance au fait que les intéressés avaient eu accès à un tribunal qui avait examiné leur affaire en fait en en droit (Ibid., 158, et les renvois qui y sont mentionnés). 34. Dans la présente affaire, la Cour estime qu elle ne dispose pas d éléments lui permettant d arriver à une conclusion différente. En effet, comme il ressort d ailleurs du libellé du jugement du 23 juin 2006 rendu par le tribunal, la loi applicable vise à protéger les intérêts de la communauté religieuse dépossédée de son lieu de culte sous le régime totalitaire (paragraphe 7 ci-dessus). En outre, la Cour constate que les juridictions roumaines ne se sont pas limitées à constater le refus de la partie défenderesse de restituer l église, mais qu elles ont pris en compte un ensemble d éléments factuels concrets relatifs aux circonstances historiques entourant l utilisation de l église et l évolution des communautés

ARRÊT PAROISSE GRÉCO-CATHOLIQUE GLOD c. ROUMANIE 8 religieuses, y compris l obligation imposée à l époque aux fidèles gréco-catholiques de passer au culte orthodoxe, et au choix opéré par ces fidèles après la réhabilitation de leur culte (paragraphe 8 ci-dessus). Après un examen approfondi de la situation de fait, les juridictions internes ont rendu des arrêts détaillés et motivés, dont le raisonnement s inscrivait dans la ligne constante de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle (voir, pour la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, Paroisse Gréco- Catholique Lupeni et autres [GC], précité, 55 à 57). 35. Il s ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu il doit être rejeté, en application de l article 35 3 a) et 4 de la Convention. IV. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES 36. Dans une lettre du 20 juin 2013, s appuyant sur l article 9 de la Convention, pris seul et en combinaison avec l article 14 de la Convention, la requérante se plaint d une atteinte discriminatoire à son droit à la liberté de religion en raison du rejet de son action tendant à la restitution de l église. La Cour note que ce grief a été soulevé plus de six mois après la décision interne définitive rendue le 29 mai 2007 par la Haute Cour (paragraphe 9 ci-dessus). Il s ensuit que ce grief est tardif et qu il doit être rejeté, en application de l article 35 1 et 4 de la Convention. V. SUR L APPLICATION DE L ARTICLE 41 DE LA CONVENTION 37. Aux termes de l article 41 de la Convention, «Si la Cour déclare qu il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d effacer qu imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s il y a lieu, une satisfaction équitable.» 38. La requérante n a présenté aucune demande de satisfaction équitable. Partant, la Cour estime qu il n y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L UNANIMITÉ, 1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l article 6 1 de la Convention en raison de la méconnaissance du principe de la sécurité juridique, et irrecevable pour le surplus ;

ARRÊT PAROISSE GRÉCO-CATHOLIQUE GLOD c. ROUMANIE 9 2. Dit qu il y a eu violation de l article 6 1 de la Convention. Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 juillet 2017, en application de l article 77 2 et 3 du règlement de la Cour. Andrea Tamietti Greffier adjoint Faris Vehabović Président