Les violences faites aux femmes et l application de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences familiales



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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE LIBERTÉ - EGALITÉ - FRATERNITÉ DELEGATION AUX DROITS DES FEMMES ET A L EGALITE DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES Paris, le 24 avril 2013 Les violences faites aux femmes et l application de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences familiales Contribution en vue du projet de loi pour l égalité entre les femmes et les hommes présentée par Mmes Édith Gueugneau et Monique Orphé, députées I.- Les femmes victimes de violences : une réalité incontestable Les chiffres disponibles pour évaluer et quantifier le phénomène des violences faites aux femmes, proviennent de l enquête nationale sur les violences faites aux femmes en France (ENVEFF) réalisée en 2000. L enquête VIRAGE voulue par le ministère des Droits des femmes devrait apporter des chiffres plus récents en 2013 ou 2014. Pour l heure, les chiffres souvent cités, témoignent d une réalité ordinaire : 10 % des femmes sont victimes de violences au sein de leur couple, une femme meurt tous les deux jours et demi sous les coups de son conjoint, compagnon ou ex-partenaire. Si l on extrapole ces données à l ensemble de la population française, cela veut dire que 1,3 million de femmes vivent chaque jour dans la violence de leur conjoint. Certaines femmes subissent simultanément plusieurs types de violences : physiques, sexuelles et psychologiques. Les femmes handicapées semblent particulièrement concernées par les violences. L association «Femmes pour le dire, femmes pour agir» qui représente les femmes handicapées avance un chiffre effrayant : 70 % seraient concernées par les violences. L enquête montre que tous les milieux sociaux et tous les territoires sont concernés, même si la désaffiliation sociale semble être un facteur aggravant, ce qui signifie que les catégories sociales les plus touchées sont les plus désocialisées. Plusieurs moments de la vie de couple sont particulièrement à risque pour la manifestation des violences. La première grossesse est souvent le moment du passage à l acte. L alcoolisme intervient dans près de deux cas sur cinq. Les violences ne cessent pas avec la séparation du couple, bien au contraire. Les violences psychologiques représentent la face cachée du phénomène et s apparent souvent à des situations de harcèlement psychologique. Les psychologues mentionnent la fréquence de l emprise, ce qui ne facilite pas le dépôt de plainte. 1

Le coût annuel des violences a été estimé à 2,5 milliards d euros. L enquête VIRAGE, très attendue apportera des données actualisées, préalable indispensable à l action publique. II.- La réponse du législateur : la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants La loi de 2010 a adopté comme mesure centrale, la création de l ordonnance de protection. Celle-ci rendue par le juge aux affaires familiales, vise à fournir un cadre d ensemble aux femmes victimes de violences et à stabiliser leur situation juridique. La liste des mesures que peut prendre le JAF sur le fondement de l article 515-11 du code civil est particulièrement complète : Article 515-11 : L'ordonnance de protection est délivrée par le juge aux affaires familiales, s'il estime, au vu des éléments produits devant lui et contradictoirement débattus, qu'il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime est exposée. A l'occasion de sa délivrance, le juge aux affaires familiales est compétent pour : 1 Interdire à la partie défenderesse de recevoir ou de rencontrer certaines personnes spécialement désignées par le juge aux affaires familiales, ainsi que d'entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit ; 2 Interdire à la partie défenderesse de détenir ou de porter une arme et, le cas échéant, lui ordonner de remettre au service de police ou de gendarmerie qu'il désigne les armes dont elle est détentrice en vue de leur dépôt au greffe ; 3 Statuer sur la résidence séparée des époux en précisant lequel des deux continuera à résider dans le logement conjugal et sur les modalités de prise en charge des frais afférents à ce logement. Sauf circonstances particulières, la jouissance de ce logement est attribuée au conjoint qui n'est pas l'auteur des violences ; 4 Attribuer la jouissance du logement ou de la résidence du couple au partenaire ou au concubin qui n'est pas l'auteur des violences et préciser les modalités de prise en charge des frais afférents à ce logement ; 5 Se prononcer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale et, le cas échéant, sur la contribution aux charges du mariage pour les couples mariés, sur l'aide matérielle au sens de l'article 515-4 pour les partenaires d'un pacte civil de solidarité et sur la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants ; 6 Autoriser la partie demanderesse à dissimuler son domicile ou sa résidence et à élire domicile chez l'avocat qui l'assiste ou la représente ou auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance pour toutes les instances civiles dans lesquelles elle est également partie. Si, pour les besoins de l'exécution d'une décision de justice, l'huissier chargé de cette exécution doit avoir connaissance de l'adresse de cette personne, celle-ci lui est communiquée, sans qu'il puisse la révéler à son mandant ; 2

7 Prononcer l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle de la partie demanderesse en application du premier alinéa de l'article 20 de la loi n 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Le cas échéant, le juge présente à la partie demanderesse une liste des personnes morales qualifiées susceptibles de l'accompagner pendant toute la durée de l'ordonnance de protection. Il peut, avec son accord, transmettre à la personne morale qualifiée les coordonnées de la partie demanderesse, afin qu'elle la contacte. En plus de la création de l ordonnance de protection, la loi de 2010 a créé un article 222-14-3 au sein du code pénal transcrivant la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de violences. Désormais «les violences (.) sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris s il s agit de violences psychologiques». Le délit de violence psychologique pour le moment n a pas donné lieu à jurisprudence. Le législateur a également décidé de faire du mariage forcé une circonstance aggravante d infractions existantes, telles les menaces ou les violences. L existence de cette circonstance aggravante permet de considérer que la législation pénale française est conforme aux exigences du 1 er alinéa de l article 37 de la Convention du 11 mai 2011 dite convention d Istanbul, qui devrait être prochainement ratifiée par la France. En revanche la législation pénale française n est pas conforme aux obligations de l alinéa 2 de l article 37 qui prévoit d ériger en infraction pénale «le fait, lorsqu il est commis intentionnellement, de tromper un adulte ou un enfant afin de l emmener sur le territoire d une Partie ou d un Etat autre que celui où il réside avec l intention de le forcer à contracter un mariage». Le projet de loi transcrivant la convention d Istanbul prévoit donc la création dans le code pénal d un nouvel article 222-14-4 qui vise à y remédier (manœuvres dolosives). Par ailleurs, les associations ayant signalé que la médiation pénale ne devait pas être employée dans les situations de violences conjugales, l article 30 de la loi de 2010 a introduit dans le code de procédure pénale, une présomption de non consentement à la médiation pénale pour les personnes bénéficiant d une ordonnance de protection. Enfin, l article 16 de la loi a modifié le délit de dénonciation calomnieuse afin de ne pas rendre automatique la condamnation des personnes qui portent plainte pour violences conjugales quand elles ne parviennent pas à prouver la réalité des violences dont elles sont victimes et que les auteurs sont relaxés au bénéfice du doute. En janvier 2012, M. Geoffroy et Mme Bousquet ont déposé un rapport d information sur la mise en application de la loi du 9 juillet 2012 qui dresse un bilan nuancé : une loi mal connue, une ordonnance de protection dont la montée en régime est progressive et inégale sur le territoire, une mise en réseau des acteurs insuffisante. Aussi avant la prochaine loi sur les violences annoncée pour 2013 par la ministre des Droits des femmes, il est opportun de s interroger sur les possibles améliorations à apporter à la loi de 2010 et sur les points qui posent encore problème. 3

III.- L ordonnance de protection 1) Faut-il modifier le dispositif? le délai de délivrance Selon les chiffres établis par la Chancellerie, le délai moyen séparant la saisine du juge aux affaires familiales de la décision est de 26 jours, ce chiffre variant beaucoup d un tribunal à l autre. Or, l ordonnance de protection vise à répondre à des situations d urgence (article 515-9 du code civil) où des personnes sont en danger. Le délai envisagé par le législateur lors des débats parlementaires, mais qui n a pas été inscrit dans la loi était de 24 à 48 heures. Le législateur craignait que l inscription d un délai dans la loi fasse courir un risque, quant à la légalité de l ordonnance en cas de non respect, à l opposé de l objectif recherché. Mais aujourd hui, avec ce délai moyen de délivrance autour de 26 jours, la question se pose réellement d inscrire dans la future loi un délai maximal pour la délivrance d une ordonnance de protection. la durée de l ordonnance La loi de 2010 a retenu pour la durée de l ordonnance de protection, une durée maximale de quatre mois. L ensemble des personnes auditionnées par les rapporteurs considère cette durée comme trop courte pour stabiliser la situation juridique de la victime. La plupart des intervenants proposent de porter cette durée à six mois, renouvelable une fois sans qu il soit nécessaire de recommencer la procédure (tacite reconduction). Certaines associations souhaiteraient d emblée une durée d un an. On pourrait également envisager que dans le cas où une procédure pénale a été engagée, les dispositions prises dans le cadre de l ordonnance de protection soient prolongées. Le caractère temporaire de l ordonnance doit être conservé. le champ d application L ordonnance de protection vise les violences exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin mettant en danger la personne victime, un ou plusieurs enfants. Il s agit donc de violences intrafamiliales. Certaines associations souhaiteraient étendre le dispositif à toutes les formes de violences faites aux femmes et quel qu en soit le lieu, englobant par exemple les problématiques de traite des êtres humains. Cette approche n apparaît pas pertinente, ni cohérente avec l intention du législateur. le juge compétent Après avoir envisagé dans un premier temps le juge délégué aux victimes (Judevi), le législateur a décidé de reconnaître comme autorité compétente, le juge aux affaires familiales (JAF) pour la délivrance de l ordonnance de protection, ancrant cette mesure dans le droit de la famille. Certains considèrent que lorsqu une procédure pénale est engagée, il faudrait que le juge pénal puisse aussi rendre une ordonnance de protection. l autorité parentale et l intérêt de l enfant 4

Les violences au sein du couple posent la question des enfants témoins et parfois aussi victimes. Longtemps a prévalu l idée qu un mauvais mari pouvait être un bon père. Ce postulat doit aujourd hui être remis en cause. L enfant témoin est toujours victime au moins à titre secondaire. Toute décision le concernant devrait toujours faire prévaloir l intérêt de l enfant. Or, en première lecture à l Assemblée, les députés avaient prévu de donner dans l article 371-1 du code civil une définition de l intérêt de l enfant, définition qui a disparu du texte du Sénat. Néanmoins, l article 7 de la loi de 2010 a modifié l article 373-2-1 du code civil pour introduire une référence explicite à l intérêt de l enfant au 3 ème alinéa qui vise les exigences de «la continuité et de l effectivité des liens de l enfant avec le parent qui n a pas l exercice de l autorité parentale». Faut-il introduire une définition de l intérêt de l enfant dans le code civil, comme l avaient envisagé les députés? Le droit de visite est souvent l occasion de violences redoublées : la prochaine loi pourrait aller plus loin dans l encadrement du droit de visite et d hébergement et prévoir une évaluation systématique de la situation des enfants victimes directes ou indirectes, ainsi que le préconisent certaines associations. Plus généralement, dans un contexte de violences conjugales, le principe du maintien de l exercice conjoint de l autorité parentale et des droits de visite et d hébergement (garde alternée) peut légitimement être interrogé. L ordonnance de protection pourrait, durant la durée de son application, entraîner une suspension de l exercice de l autorité parentale pour l auteur des violences. Dans le cas où un homicide conjugal est commis, le parent auteur se trouve investi de l autorité parentale par l effet de la loi. L article 373-3 du code civil prévoit certes des exceptions dans l application de ce principe, mais il reste choquant que le parent auteur exerce seul l autorité parentale. L automaticité de l attribution de l exercice de l autorité parentale au parent vivant interroge. Mme Ronai, auditionnée par vos rapporteurs, imagine une solution inverse. Au moment de la décision de la Cour d assises, le retrait de l autorité parentale serait automatique pour le parent auteur sauf si l intérêt de l enfant le commande, dans des circonstances exceptionnelles (légitime défense). la médiation pénale Certaines associations préconisent la suppression de la médiation pénale dans les situations de violences conjugales, en dehors de l application d une ordonnance de protection. La loi de 2010 semble avoir néanmoins trouvé une solution d équilibre sur ce point. 2) Comment améliorer l application du dispositif? une application inégale sur le territoire Il apparaît que le nombre d ordonnances de protection délivrées est très variable d un tribunal à l autre et il semble même que certains tribunaux n utilisent pas ce nouvel outil. D une manière générale, le rapport Bousquet-Geoffroy de janvier 2012 considère que le nombre d ordonnances délivrées est trop faible. Certains juges aux affaires familiales semblent réticents pour utiliser ce dispositif nouveau mixant des mesures de droit civil et des mesures de droit pénal, et certains avocats se sont 5

également montrés réticents à la sollicitation d une ordonnance de protection, préférant orienter les victimes vers une procédure pénale ou une ordonnance de non conciliation. Des instructions de la part de la Chancellerie et un effort de formation destiné aux différents acteurs semblent donc nécessaires pour faire décoller le dispositif. D autre part, le succès obtenu par le département de la Seine-Saint-Denis dans l application de l ordonnance de protection indique la voie à suivre. C est le partenariat entre les différents acteurs, la mise en réseau qui est la clé du succès. La mise en œuvre d un protocole formalisant ce partenariat a permis la réussite de l application de l ordonnance de protection. Ces protocoles devraient être généralisés. une articulation civil/ pénal insuffisante L amélioration de la coordination entre les magistrats passe moins par une juridiction spécialisée (solution souhaitée par certaines associations) que par une coordination effective des procédures judiciaires. Le manque de coordination entre les procédures et les décisions au civil et au pénal a des conséquences importantes et est relevé régulièrement par les personnes entendues par la Délégation. Cette coordination doit devenir systématique et il conviendrait que la circulaire du 19 avril 2006 soit modifiée : la désignation dans chaque TGI d un magistrat du parquet spécialisé dans le suivi des violences faites aux femmes doit devenir systématique et non facultative. la situation particulière des femmes étrangères L instruction du ministère de l Intérieur du 9 septembre 2011 vise à une meilleure application de la loi de 2010, qui prévoit qu en cas de présentation d une ordonnance de protection, la durée de la carte de séjour délivrée ne soit pas inférieure à un an. Il faut veiller à l application de cette instruction dans les différentes préfectures. Souvent, du fait de rendez-vous tardifs dans les préfectures, les femmes reçoivent leur titre de séjour après l expiration des quatre mois de l ordonnance de protection. IV.- Quelques autres points à considérer pour une lutte efficace contre les violences faites aux femmes le traitement des auteurs La question se pose aussi du suivi de l auteur des violences. Des études montrent que le taux de récidive diminue significativement, lorsqu une prise en charge psychologique, sociale, éducative voire médicale de l auteur a lieu rapidement. Le suivi des auteurs ne doit pas être regardé comme secondaire par rapport à la nécessité de prendre en charge les victimes. Or, le nombre de structures de suivi semble être trop faible par manque de moyens alloués, comme l a constaté dès 2009 le rapport d information de la mission d évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes. Il est indispensable de prendre en charge les auteurs de violences et de prescrire une période d accompagnement thérapeutique et psychologique, afin d éviter les récidives ultérieures et de faire prendre conscience de ses actes. La question se pose de savoir s il faut aller plus loin en envisageant une obligation de soins. 6

l accompagnement social des victimes Il s agit ici notamment des logements mis à disposition pour les victimes ainsi qu il est prévu dans la loi de 2010 (conventions avec les bailleurs sociaux et les CROUS) et des subventions aux associations actives dans ce domaine. les actions de prévention et la lutte contre les stéréotypes. Les personnels médicaux qui sont susceptibles de repérer en premier lieu les femmes victimes de violences doivent être mobilisés dans la lutte contre ce fléau. La prévention des violences suppose également d agir en amont, en luttant contre les stéréotypes sexistes présents dès l école et en veillant aux contenus diffusés par les média. Cet aspect apparaît également important pour modifier à moyen terme les comportements et les représentations. 7