TITRE DE LA THÈSE : Raisonnement délibératif pour un système autonomique Application à une micro grille intelligente («micro smart grid») RESPONSABLES DE LA THÈSE : Ada Diaconescu - Jean-Louis Dessalles ÉCOLE DE RATTACHEMENT DU RESPONSABLE DE LA THÈSE : Télécom ParisTech ÉQUIPE(S) D ACCUEIL DE LA THÈSE : Dép. informatique & réseaux, équipe S3 (50%) Dép. informatique & réseaux, équipe DbWeb (50%) MOTS CLÉS : informatique autonomique, dialogue, intelligence artificielle, grille intelligente RÉSUMÉ : L approche autonomique vise à rendre les systèmes informatiques capables de s autogérer. Mais leurs décisions obéissent à une logique interne, qui n est pas communicable telle quelle aux utilisateurs. La thèse proposée a comme objectif principal de résoudre ce problème de communicabilité, tant au niveau pratique qu à un niveau théorique. La méthode consiste à insérer une couche de raisonnement symbolique de type délibératif au sein d'un système autonomique. Le domaine d'application ciblé est une micro grille intelligente («micro smart grid») connectée à plusieurs maisons intelligentes. L'objectif est de rendre ce système capable de s'autogérer, tout en permettant à l'humain de spécifier, de négocier et d observer le niveau de réussite des objectifs de haut niveau. L enjeu est scientifique : savoir comment reproduire les mécanismes de la pertinence dans une interaction entre l humain et un système autonome. L enjeu est aussi technique : l autonomisation des systèmes risque de les rendre incontrôlables. Mais le progrès de la reconnaissance de la parole et de son traitement de haut niveau laissent entrevoir une plus-value considérable si l on est capable d instaurer un dialogue naturel pertinent entre l humain et le système.
1. Motivation et objectifs L Informatique Autonomique («Autonomic Computing») vise à rendre les systèmes informatiques capables de s autogérer, de façon à minimiser le besoin d interventions humaines. De tels systèmes ont un inconvénient potentiel, qui est de prendre leurs décisions selon une logique interne, incompréhensible pour leurs utilisateurs. La thèse proposée a comme objectif principal de résoudre ce problème de communicabilité, tant au niveau pratique qu à un niveau théorique. La méthode consiste à insérer une couche de raisonnement symbolique de type délibératif au sein d'un système autonomique. Le domaine d'application ciblé est une micro grille intelligente («micro smart grid») connectée à plusieurs maisons intelligentes. L'objectif est de rendre ce système capable de s'autogérer, tout en permettant à l'humain de spécifier, de négocier et d observer le niveau de réussite des objectifs de haut niveau. Nous souhaitons parvenir à des dialogues humain-système comme celui-ci : H- Il fait trop froid ici. S- Je peux augmenter la température de la chambre dès maintenant, mais je devrai diminuer celle du séjour. H- Non. Monte la température dans la chambre, juste pour aujourd hui. [L utilisateur pense que le problème vient des limites de coût qu il a fixées] S- Je ne peux pas avant 18h, car le quartier est en pic de consommation. Sinon je baisse la température du séjour. H- Ok pour 18h. Ce type de dialogue est transposable à des situations professionnelles (par ex. conduite de processus de fabrication ou pilotage de centrale électrique). Notre point de départ, côté système autonomique, est une maquette de micro-grille intelligente développée à Télécom ParisTech, capable de gérer les équipements électriques d une ville. D un autre côté, les principes de base du raisonnement délibératif (procédure Conflit Abduction Négation ) ont déjà été appliqués à des cas de connaissances simples. L enjeu de la thèse est de démontrer que ces deux logiques de fonctionnement (autonomique et délibératif), que tout oppose a priori, peuvent fonctionner ensemble, ce qui permettra à l utilisateur d exercer un contrôle sur le système sans remettre en question son autonomie. Il s agira en outre de montrer que ce co-fonctionnement peut passer à l échelle. 2. Contexte scientifique 2.1 L informatique autonomique L'Informatique Autonomique («Autonomic Computing») vise à augmenter l autonomie des systèmes informatiques [1]-[6]. Ce courant de recherche résulte d une initiative lancée par IBM au début des années 2000 [1]-[3]. L'approche est motivée par la complexité croissante des systèmes informatiques actuels ; par les coûts de leur maintenance («total ownership cost») ; et leur importance croissante dans notre société qui en devient dépendante. La complexité des systèmes informatiques provient notamment de la multitude de leurs contraintes fonctionnelles et non-fonctionnelles, du nombre important des composants logiciels et matériels mis en jeu, de l hétérogénéité et du caractère distribué de leurs
composants, et des changements souvent imprévisibles qui interviennent tout au long du cycle de vie du système. Quelques exemples notables de systèmes informatiques complexes incluent les systèmes d'entreprise, les plates-formes de type «cloud», les grilles de calcul, les systèmes pervasifs et ubiquitaires et les systèmes pour la collecte, la transmission et le traitement massif de données. Les changements dynamiques (à l'exécution) d'un système soulèvent des défis d'administration importants. La sécurité, la sûreté et la disponibilité du système, et indirectement sa rentabilité, se retrouvent exposés au risque d une faille. La gestion manuelle de tels changements requiert des interventions rapides par des administrateurs experts, impliquant des coûts et des risques importants. Dans ce contexte, l'informatique Autonomique cherche à automatiser la plupart des tâches administratives de façon à éviter les interventions manuelles. Cette automatisation implique des tâches d'auto-surveillance, auto-analyse, auto-planification et auto-adaptation du système [7]. Le système autonomique a en outre besoin d'obtenir et de maintenir une base de connaissances, sur lui-même et sur son environnement d'exécution, pour permettre les différentes rétroactions. Les défis que l'informatique Autonomique doit surmonter pour introduire dans les systèmes informatiques des capacités automatisées d'analyse, de prise de décision, de planification et de gestion de connaissances rejoignent certains objectifs que le domaine de l'intelligence Artificielle [8] cible depuis longtemps. D'autres domaines de recherche sont à la fois pertinents et à la fois similaires à l'informatique Autonomique : l'informatique Organique [9] («Organic Computing»), l'informatique Amorphe («Amorphous Computing») [10] et les systèmes informatiques auto-adaptables. Cette thèse s'appuiera sur un système autonomique et une plate-forme de test déjà existants au sein de Télécom ParisTech [11]-[12]. Ceux-ci incluent un simulateur virtuel de maison et grille intelligente (http://adadiaconescu.there-you-are.com/research.html#mistigrid) et une maquette de maison intelligente (http://www.youtube.com/watch?v=ti6z9lgafty). 2.2 Le raisonnement délibératif Les prises de décision des systèmes informatiques, et surtout des systèmes autonomiques, ne sont pas conçues pour être aisément comprises par un utilisateur humain. Par exemple, des éléments qui s imitent mutuellement peuvent prendre une décision majoritaire sans que la notion de majorité existe de manière explicite dans le système. Cette situation se révèle problématique dans deux cas : - lorsque l utilisateur veut comprendre le comportement du système - lorsque l utilisateur veut influencer le comportement du système La modélisation cognitive du dialogue spontané menée à Télécom ParisTech [13]-[14] a conduit à un schéma minimal permettant l analyse et la génération d arguments pertinents. Il s agit de la procédure Conflit Abduction Négation (CAN). Cette modélisation diffère d autres systèmes de dialogue qui reposent pour l'essentiel sur des méthodes de planification (pour l'aspect raisonnement) et sur des techniques d'appariement («pattern matching») pour l interaction verbale [15]. Par exemple, les
concepteurs de systèmes d'aide se contentent souvent de sélectionner les interventions de la machine dans une liste de messages possibles prévus à l'avance. Ces techniques produisent des dialogues finalisés (orientés vers des tâches et des objectifs spécifiés à l'avance). Les arguments ainsi produits ont la garantie d être pertinents du point de vue de la machine. Ils ne le sont pas nécessairement pour l utilisateur. Les contraintes cognitives de l utilisateur imposent, dans le schéma CAN, de situer toute intervention de l utilisateur ou de la machine par rapport à une contradiction logique (le conflit). La contradiction peut opposer deux désirs (élever la température, baisser la facture d électricité) ou impliquer des croyances (la température extérieure va baisser). Toute intervention pertinente doit amener une nouvelle contradiction ou tenter de résoudre la contradiction courante. C est ce que réalise la procédure CAN. La procédure CAN est le fruit de plusieurs années de recherche visant à reproduire automatiquement la pertinence dans le dialogue. Les principaux résultats, notamment le lien entre CAN et le cadre théorique plus général de la Théorie de la Simplicité [16], sont exposés dans un ouvrage - La pertinence et ses origines cognitives [13]. L interface entre CAN et le système autonomique sera réalisée au niveau de la procédure abductive (le A de CAN). L abduction [17]-[19] a pour fonction de produire une cause plausible d un état de fait. Si cet état est observé (il fait froid dans la pièce), on parle d abduction diagnostique. S il s agit d un état souhaité (baisse du montant de la facture d électricité), on parle d abduction contrefactuelle. Le défi de l étude proposée consiste pour une bonne part à réaliser cette opération d abduction à partir de l auto-observation du système autonomique. 2.3 Principes mis en jeu dans la thèse L interfaçage entre un système symbolique utilisant la logique, comme la procédure Conflit Abduction Négation, d une part, et d autre part un système subsymbolique (un réseau de neurones, un système collectif à base d agents) ou un système utilisant des règles de fonctionnement implicites (tout système informatique) est un problème ancien. Les tentatives de couplage sont rares. Il est bien plus facile, techniquement, de renoncer au couplage ou de renoncer à l un des deux systèmes. Ainsi, la plupart des systèmes d aide fonctionnent sur la base de requêtes, sans analyse de la situation problématique en cours. Inversement, la plupart des systèmes informatiques, y compris les systèmes autonomiques, fonctionnent selon des schémas réactifs, sans raisonnement logique explicite. Le principe de base qui sera mis en jeu dans la thèse est celui de l abduction (recherche de cause). L abduction suppose que trois mécanismes soient mis en place au niveau du système sous-jacent : Auto-observation, capable de traduire un état en prédicat observable (par exemple : «la température est de 14 C», ou «la température est anormalement basse»). Auto-observation des corrélations et des dépendances causales entre états (par exemple un lien entre la température de la pièce, la température extérieure et la consommation d électricité).
Expression des contraintes strictes (ne pas dépasser un ampérage donné) ou graduelles (consommer le moins possible) à l aide de prédicats observables. Le premier enjeu de l étude est de systématiser ces principes pour les rendre génériques (indépendantes du système considéré). Le deuxième enjeu est de profiter des capacités d auto-observation des systèmes autonomiques pour automatiser les trois mécanismes cidessus, qui assurent l interface avec le système délibératif. Du côté délibératif, on sait déjà que la procédure Conflit Abduction Négation, dans son implémentation de type «laboratoire» (en Prolog), est capable de produire les mêmes arguments que ceux qui sont observés dans des dialogues réels, en utilisant un nombre réduit d'étapes. L'un des atouts majeurs de la procédure Conflit Abduction Négation est sa plausibilité cognitive et sa capacité à assurer la pertinence. L enjeu est de démontrer que la procédure passe à l échelle, lorsque la taille de la connaissance augmente. Ceci est techniquement possible, car la procédure abductive est dirigée par les données. 3. Innovations attendues La sophistication des systèmes et, dans le cas qui nous occupe, leur autonomisation, les rend de plus en plus opaques à leurs utilisateurs. Cette situation laisse craindre une perte de contrôle, qui est dommageable non seulement pour la satisfaction des utilisateurs, mais également pour la sûreté et la sécurité. D un autre côté, le progrès de la reconnaissance vocale (que chacun peut constater concrètement sur son smartphone) rend la perte de contrôle d autant plus insupportable. La machine comprend les mots, mais ne sait pas les interpréter. L étude proposée peut se révéler exemplaire à plusieurs titres. En tant que preuve de principe. Il s agit de montrer que les capacités d autoobservation d un système autonome, en l occurrence la micro-grille intelligente, peuvent se prêter à une traduction symbolique sur laquelle le raisonnement humain a prise. Par la généricité des principes mis en jeu. Nous voulons contraindre l étude à n utiliser que des principes génériques (auto-observation, abduction, révision ) qui sont transposables à toute autre interaction entre l humain et un système sophistiqué. Par son exemplarité. Le progrès dans le contrôle dialogique des systèmes est lent en partie parce que de nombreux chercheurs pensent qu un contrôle réaliste et acceptable est hors de portée. Le fait de montrer une application réelle dans laquelle le dialogue permet de contrôler facilement un système présentant un certain degré de sophistication peut susciter une nouvelle voie de progrès technologique. 4. Ouverture à l'international Participation à des conférences internationales. Les conférences visées sont celles des communautés de l'intelligence Artificielle et de l'informatique Autonomique comme IJCAI, ECAI, AIA pour l'ia et ICAC, SASO ou SEAMS pour l'autogestion.
Opportunités éventuelles de participer à des projets de recherche Européens. 5. Modalités pratiques La thèse se déroulera dans les locaux du LTCI/INFRES sous la codirection de Ada Diaconescu (http://adadiaconescu.there-you-are.com), spécialiste en Informatique Autonomique, et de Jean-Louis Dessalles (www.dessalles.fr), expert en Intelligence Artificielle. Les travaux pourront amener le doctorant à interagir avec plusieurs acteurs industriels tels qu'edf ou Orange Labs. Références [1] P. Horn, Autonomic Computing: IBM's Perspective on the State of Information Technology, IBM T.J. Watson Labs, NY, October 2001. [2] J. O. Kephart and D. M. Chess, The vision of Autonomic Computing, IEEE Computer, Jan. 2003, pp 41-50 [3] A. G. Ganek and T. A. Corbi, The dawning of the autonomic computing era, IBM Systems Journal, Vol. 42, No. 1, 2003, pp 5-18 [4] M. G. Hinchey and R. Sterritt, Self-managing software, Computer, 39 (2), 2006, pp. 107-109. [5] Philippe Lalanda, Julie A. McCann and Ada Diaconescu, "Autonomic Computing - Principles, Design and Implementation", Undergraduate Topics in Computer Science Series, Springer, due: May 31, 2013 (ISBN 978-1-4471-5006-0), texbook (298 pages) [6] An architectural blueprint for autonomic computing, IBM Whitepaper, June 2005, Third edition. [7] M. Parashar and S. Hariri, Autonomic Computing: Concepts, Infrastructure, and Applications, CRC Press, Taylor and Francis Group, 2007 [8] S. Russell and P. Norvig, Artificial Intelligence: A Modern Approach, Prentice Hall, 3rd edition, December 2009, ISBN-10: 0136042597, ISBN-13: 978-0136042594 [9] H. Schmeck, C. Müller-Schloer, E. Çakar, M. Mnif and U. Richter, Adaptivity and Selforganisation in Organic Computing Systems, (pp. 5 37) in Organic Computing - A Paradigm Shift for Complex Systems, C. Müller-Schloer, H. Schmeck, T. Ungerer (Editors), Springer Basel AG, 2011. [10] H. Abelson, D. Allen, D. Coore, C. Hanson, G. Homsy, T. F. Knight, Jr., R. Nagpal, E. Rauch, G. J. Sussman, and R. Weiss, Amorphous computing. Communications of the ACM Vol. 43, Issue 5, May 2000, pp. 74-82. [11] Sylvain Frey, Ada Diaconescu, David Menga and Isabelle Demeure, "Towards a reference model for multi-goal, highly-distributed and dynamic autonomic systems", 10th International Conference on Autonomic Computing (ICAC), Self-aware Internet of Things (Self-IoT) track, San Jose, Ca, USA, Juin 2013. [12] S. Frey, A. Diaconescu and I. Demeure, "Architectural Integration Patterns for Autonomic Management Systems", 9th IEEE International Conference and Workshops on the Engineering of Autonomic and Autonomous Systems (EASe 2012), Novi Sad, Serbia, 11-13 April 2012, (10 pages) [13] J.-L. Dessalles, "La pertinence et ses origines cognitives", Hermès-Sciences, Paris, 2008.
[14] J.-L. Dessalles, "A computational model of argumentation in everyday conversation: a problem-centred approach". In P. Besnard, S. Doutre & A. Hunter (Eds.), Computational Models of Argument - Proceedings of COMMA 2008, 128-133. IOS Press, Amsterdam, 2008. [15] Bouchet F., Sansonnet J. P., "Agents conversationnels psychologiques : Modélisation des réactions rationnelles et comportementales des agents assistants conversationnels", Revue d'intelligence Artificielle, Vol. 27(6), pp 679--708, 2013. [16] J.-L. Dessalles. Simplicity Theory (Web Site). Accessible at: www.simplicitytheory.org. [17] H. C. Bunt, W. Black, "Abduction, belief and context in dialogue". John Benjamins Publishing Comp., Amsterdam, 2000. [18] L. Magnani, "Abduction, reason and science - Processes of discovery and explanation". Kluwer Academic, New York, 2001. [19] J. R. Hobbs, M. Stickel, P. Martin. Interpretation as abduction. Artificial Intelligence, 63 (1-2), 1993, pp. 69-142.