POUR UNE MEILLEURE INDEMNISATION DES ENTREPRISES EN CAS DE DOMMAGES LORS DE TRAVAUX D AMENAGEMENT URBAIN



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Transcription:

POUR UNE MEILLEURE INDEMNISATION DES ENTREPRISES EN CAS DE DOMMAGES LORS DE TRAVAUX D AMENAGEMENT URBAIN - PROPOSITIONS DE LA CCIP - Rapport de Monsieur Gérald BARBIER présenté au nom de la Commission du commerce et des échanges et de la CADER et adopté à l Assemblée générale du 6 novembre 2008

- SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS - Les grands projets d aménagement participent pleinement au développement économique des territoires. Si, à terme, ces opérations profitent favorablement à l activité, les travaux nécessaires à leur réalisation se traduisent le plus souvent par un certain nombre de désagréments pour les entreprises (gênes d accès, pertes de clientèle, baisses de chiffre d affaires). Devant la multiplication des initiatives au sein de sa circonscription, la CCIP entend émettre plusieurs recommandations : - d une part, elle plaide pour un renforcement du dispositif légal existant afin d améliorer la prévention et la prise en charge des préjudices ; - d autre part, elle propose, pour chaque projet d envergure engagé, que soient mises en place des commissions de règlement amiable, dans le but de simplifier et d accélérer l indemnisation. Objectif 1 : Perfectionner le droit existant pour accroître le soutien aux entreprises affectées par des travaux d aménagement urbain. 1. Instaurer un cadre législatif pour l indemnisation des dommages de travaux publics : - affirmer un réel droit à indemnisation pour les entreprises fragilisées par la réalisation de vastes opérations d aménagement ; - clarifier les conditions actuelles retenues par les juridictions, afin d harmoniser les décisions rendues en la matière. 2. Mettre en place un dispositif d information et d accompagnement des entreprises : - établir l obligation pour le maître d ouvrage d informer les entreprises de l avancée des travaux à tous les stades de la mise en œuvre du projet d aménagement, par le biais de réunions publiques et sur la base d informations recueillies par des cellules d observation ; - redéfinir le rôle des CCI aux côtés de leurs ressortissants pour aider ceux-ci dans leurs démarches. 3. Renforcer la prise en charge de ces dommages par le FISAC : - veiller à la mise en œuvre de la possibilité ouverte par la loi de modernisation de l économie du 4 août 2008 d indemniser les gênes d accès liées à la réalisation de travaux publics, et l étendre à l ensemble des préjudices subis. 4. Aider les entreprises non directement riveraines des chantiers touchées par les travaux publics : 2

- les faire bénéficier des mêmes modes de réparation, en définissant des conditions d indemnisation propres à leur situation ; - développer des dispositifs de soutien alternatifs à leur profit, telles les avances à taux zéro. Objectif 2 : Privilégier les procédures amiables pour obtenir l indemnisation des dommages et, en particulier, la mise en place de commissions amiables. 1. Pour les travaux de faible ampleur, ou touchant seulement un nombre restreint d entreprises, favoriser les ententes de gré à gré avec les collectivités. 2. En cas de projet d aménagement lourd, encourager les collectivités maîtres d ouvrage à créer des commissions de règlement amiable pour gérer plus efficacement les demandes de réparation : - établir un cadre légal en faveur de ces commissions, qui fixerait les grandes lignes de leur organisation et de leur fonctionnement afin de garantir sécurité juridique et traitement impartial des demandes, et qui laisserait aux collectivités suffisamment de souplesse pour adapter ces instances aux spécificités locales. a) Mettre en place des commissions pluralistes, composées d acteurs présentant toutes les garanties de sérieux nécessaires à une résolution rapide et efficace des litiges : - resserrer la composition de ces commissions autour d un noyau dur d acteurs-clés représentant au mieux les intérêts des parties au litige (représentant(s) de la (ou des) collectivité(s) publique(s) initiatrices des travaux, représentants des chambres consulaires, DRCA en charge du FISAC, représentant de l administration fiscale) ; - prévoir la possibilité, pour la collectivité, d en compléter la composition en fonction des particularités propres à chaque projet (un représentant de la préfecture lorsque celui-ci intervient dans le cadre d un contrat de plan Etat-Région, un expert comptable, un représentant de fédération commerciale ou encore un représentant du régime social des indépendants) ; - placer ces commissions sous l autorité d un magistrat professionnel de l ordre administratif. b) Encadrer la recevabilité des demandes afin d éviter les requêtes abusives et garantir l efficacité et la rapidité de l instruction des dossiers : - établir clairement le périmètre d impact des travaux au sein duquel les entreprises pourront prétendre à une indemnisation et la période durant laquelle elles pourront déposer une demande ; - s assurer immédiatement du bien-fondé de la requête sur la base des documents comptables fournis par le demandeur (par exemple, les bilans des trois années précédant les travaux). c) Réaliser une juste évaluation du préjudice : 3

- faire estimer le montant du préjudice par un expert indépendant désigné par le tribunal administratif ; - respecter le caractère contradictoire de l expertise en permettant aux parties de participer à toutes les opérations et d accéder à tous les documents fournis à l expert ; - pour une plus juste réparation, mettre les honoraires d expertise à la charge de la collectivité publique à l origine des travaux dès lors que celle-ci accordera une indemnité au demandeur. d) Sécuriser l instruction des dossiers et la décision des commissions : - mener l instruction des demandes à la lumière des rapports d expertise et des documents fournis par le demandeur (bilans comptables ) ; - inciter le législateur à fixer des critères d indemnisation stables afin de faciliter le travail des commissions et de sécuriser leurs décisions ; - contraindre les commissions à motiver leurs décisions, et renforcer cette obligation lorsqu elles émettent une décision de refus ou de réévaluation à la baisse de l indemnité ; - permettre aux membres de la Commission d avoir accès au dossier dans son intégralité suffisamment de temps avant la séance (8 jours avant la réunion de la commission, par exemple) pour accélérer et optimiser le traitement des demandes. e) Clarifier les effets de la décision rendue par la commission : - dans l hypothèse où le demandeur acceptera la proposition de la Commission, formaliser l accord entre les parties par une convention, dans laquelle l entreprise s engage à renoncer à toute action contentieuse pour les mêmes faits ; - en cas de désaccord du demandeur avec la proposition de la Commission ou le rapport d expertise, permettre à ce dernier d engager une procédure contentieuse auprès de la Cour administrative d appel géographiquement compétente. f) Perfectionner le processus d indemnisation : - réaliser le versement effectif de l indemnité dans un délai maximal de deux mois à compter de la décision de la commission ; - organiser, parallèlement à cette procédure «ordinaire», des procédures accélérées permettant aux entreprises fortement menacées de bénéficier d indemnités provisionnelles. g) Mettre en place des dispositifs compensatoires alternatifs aux commissions : - promouvoir des négociations, menées conjointement par les collectivités et les CCI, avec les administrations concernées pour obtenir un échéancier fiscal permettant à l entreprise d étaler le paiement de l impôt sur le revenu, un moratoire sur les dettes fiscales et les cotisations sociales, ou encore une prise en charge totale ou partielle des loyers ; 4

- en cas de très fortes difficultés, informer les entreprises de la possibilité de solliciter une autorisation de chômage partiel. 5

- SOMMAIRE - - I - CONDITIONS D INDEMNISATION DES DOMMAGES DE TRAVAUX D AMENAGEMENT URBAIN : AMELIORER LE DROIT EXISTANT 8 A. LA NOTION CASUISTIQUE DE «DOMMAGES DE TRAVAUX PUBLICS» 9 1. DEFINITIONS 9 2. LES DIFFERENTES FORMES DE DOMMAGES 10 B. LES CONDITIONS DE LA REPARATION 10 1. LES CRITERES D INDEMNISATION 11 2. LES PREJUDICES COMMERCIAUX INDEMNISABLES 12 C. PROPOSITIONS DE LA CCIP 14 1. INSTAURATION D UN CADRE LEGISLATIF D INDEMNISATION 14 2. MISE EN PLACE D UN DISPOSITIF D INFORMATION ET D ACCOMPAGNEMENT DES ENTREPRISES 15 3. PRISE EN CHARGE DES DOMMAGES PAR LE FISAC 16 4. AIDE AUX ENTREPRISES NON DIRECTEMENT RIVERAINES DES TRAVAUX 16 - II - RECOURS EN INDEMNISATION : PRIVILEGIER LES PROCEDURES AMIABLES 17 A. DES RECOURS JURIDICTIONNELS INAPPROPRIES? 18 1. UN RECOURS CONTENTIEUX CLASSIQUE INADAPTE 18 2. DES PROCEDURES D URGENCE PLUS EFFICACES? 18 B. LA SOLUTION A DEVELOPPER : LES PROCEDURES AMIABLES 19 C. PROPOSITIONS DE LA CCIP 20 1. SUR LA COMPOSITION DES COMMISSIONS 20 2. SUR LA RECEVABILITE DES DEMANDES ADRESSEES A LA COMMISSION 21 3. SUR L EVALUATION DU PREJUDICE 22 4. SUR LES CONDITIONS D OCTROI D UNE INDEMNITE 22 5. SUR LA DECISION DE LA COMMISSION 23 6. SUR L EFFET DE LA DECISION DE LA COMMISSION 23 7. SUR LE VERSEMENT DE L INDEMNITE 23 ANNEXE 25 6

- INTRODUCTION - La circonscription de la Chambre de commerce et d industrie de Paris assiste actuellement à la réalisation de plusieurs projets d aménagement d envergure (prolongement de diverses lignes de tramway, opérations de réaménagement de centres-villes ). La CCIP soutient ces projets qui constituent des facteurs importants de dynamisation de l économie. Si, à terme, ces travaux généreront indiscutablement des retombées positives sur l activité des quartiers concernés, leur exécution peut entraîner des difficultés d exploitation momentanées pour les entreprises riveraines des chantiers. Ces opérations se traduisent notamment par des gênes d accès qui impactent directement l activité, en particulier des commerces. Si ces pertes sont la plupart du temps limitées, l ampleur et la durée de certains travaux peuvent engendrer des baisses de chiffre d affaires telles qu elles conduisent l entreprise à cesser son activité. Afin de concilier l efficacité économique des territoires et le bon fonctionnement quotidien des entreprises existantes, la CCIP souhaite formuler plusieurs propositions 1. Elle appelle, d une part, de ses vœux une évolution du droit existant dans le sens d une meilleure prise en compte des préjudices affectant les entreprises (I). A l aune des actions menées par certaines collectivités publiques, elle entend, d autre part, encourager l institution de commissions de règlement amiable pour chaque projet d envergure entrepris, et émet, à ce titre, un certain nombre de recommandations concernant leur fonctionnement (II). 1 Voir antérieurement, un premier rapport de la CCIP du 19 février 2004. 7

- I - CONDITIONS D INDEMNISATION DES DOMMAGES DE TRAVAUX D AMENAGEMENT URBAIN : AMELIORER LE DROIT EXISTANT 8

A. LA NOTION CASUISTIQUE DE «DOMMAGES DE TRAVAUX PUBLICS» 1. Définitions Travaux publics La notion de «travaux publics» ne bénéficie pas d une définition légale. Ce sont les juridictions, principalement administratives, qui, au fil de leurs décisions, en ont dessiné les contours. Elles retiennent trois éléments constitutifs. Est un travail public une opération réalisée sur un immeuble, pour le compte d une personne publique, dans un but d utilité générale 2. Il a toutefois été admis que les travaux exécutés par une personne publique, pour le compte d une personne privée, dans le cadre d une mission de service public 3, pouvaient recevoir la qualification de travaux publics. Concrètement, il peut s agir de travaux d aménagement de la voirie, de réfection de la chaussée ou en encore d enfouissement de réseaux. Les opérations de rénovation de rues, les travaux de restructuration de centre-ville, ou les travaux d infrastructures et d équipement, comme la construction de lignes de métro ou de tramway, peuvent être très pénalisants pour les entreprises riveraines. Les nuisances causées par ces opérations se traduisent souvent par des pertes de revenus pour les commerçants. Les «dommages de travaux publics» En l absence de définition légale, la notion de dommages de travaux publics a été formalisée par la jurisprudence administrative. Celle-ci la définit comme une atteinte à une personne ou à un bien résultant : de l exécution ou de l inexécution d un travail public ; de la construction, de l existence ou de l absence d un ouvrage public ; ou encore des modalités d entretien ou de fonctionnement de ce dernier. On le voit bien, l appréciation au cas par cas est ici la règle. Les dégâts corporels subis par un enfant, tombé d une échelle utilisée dans le cadre de l exécution de travaux publics, seront, par exemple, considérés comme des dommages de travaux publics 4. De même, les préjudices matériels et commerciaux subis par les exploitants d un établissement hôtelier en raison d une avalanche, dont la trajectoire a été déviée du fait du mauvais positionnement des digues de protection, ont été analysés comme des dommages de travaux publics 5. En l espèce, la juridiction administrative a démontré que les dégâts étaient directement imputables aux digues, qui souffraient d un défaut de conception. Si la notion de «dommages de travaux publics» trouve à s appliquer dans des situations très hétéroclites, elles doivent toutes présenter la même caractéristique. Pour qu un dommage soit qualifié de dommage de travaux publics, il faut en effet toujours démontrer qu il existe un lien de causalité entre le dommage subi et le travail ou l ouvrage public. Ne seront qualifiés de «dommages de 2 CE, 10 juin 1921, Commune de Montségur, Rec Leb 573. 3 Tribunal des conflits, 28 mars 1955, Effimief, Rec Leb 573. 4 CE, 26 juin 1963, Seguinot, Rec. CE 1963, p 400. 5 CAA Lyon, 27 décembre 2001, n 95LY01357, M et Mme X. 9

travaux publics» que les dommages directement imputables à un ouvrage public ou à des opérations de travaux publics. 2. Les différentes formes de dommages Les dommages de travaux publics peuvent revêtir différentes formes. On distingue, en particulier, les dommages dits «permanents» des dommages accidentels de travaux publics. Si cette distinction peut paraître artificielle, elle est en réalité fondamentale puisqu elle conditionne le régime de responsabilité applicable. Les victimes de dommages permanents de travaux publics pourront attaquer la collectivité publique sur le fondement de la responsabilité sans faute. Les individus touchés par un dommage accidentel pourront, quant à eux, entreprendre une action sur le terrain de la responsabilité pour faute de la personne publique. Les dommages permanents Ce sont des dommages inhérents à la présence d un ouvrage public ou à l exécution de travaux publics. Ce sont des préjudices prévisibles, qui découlent logiquement, voire inéluctablement, de l existence de certains travaux ou ouvrages. Il peut s agir de dommages dus à la présence d un ouvrage, ou à son absence fautive. Ils résultent notamment de la mauvaise implantation de l ouvrage public, de sa mauvaise conception ou encore de son défaut d entretien. Cette catégorie englobe également les préjudices issus de l exploitation d un ouvrage public. En dépit de leur appellation, les dommages permanents de travaux publics pourront présenter un caractère provisoire. La durabilité du préjudice n est, en effet, pas le critère du caractère permanent d un dommage. Ainsi, les préjudices commerciaux, comme les diminutions de chiffres d affaires, résultant de la proximité travaux sur les voies publiques ou de grandes opérations d aménagement, seront assimilés à des dommages permanents. Les dommages accidentels Ces dommages résultent en principe d un événement imprévu ou imprévisible. Ils peuvent également être le fait d une erreur matérielle ou humaine. L incendie d une décharge qui, générant une épaisse fumée, entraine un accident sur une route nationale sera, par exemple, qualifié de dommage accidentel de travaux publics 6. Sans entrer dans les controverses juridiques, il faut savoir que la distinction entre ces deux formes de dommages, et la répartition du régime de responsabilité auquel elle donne lieu, ne font pas l unanimité au sein de la doctrine. B. LES CONDITIONS DE LA REPARATION Les conditions d indemnisation des dommages de travaux publics découlent du principe d égalité devant les charges publiques. 6 CE, 12 octobre 1983, Commune d Houdreville-sur-Eure. 10

Ce principe donne son fondement à la responsabilité sans faute des personnes publiques, qui peut être invoquée lorsque les personnes publiques font peser, au nom de l intérêt général, des charges particulières à certains membres de la collectivité. C est notamment ce qui se produit en cas de dommages permanents de travaux publics. En réalisant tel ou tel aménagement au nom de l intérêt de la collectivité, les personnes publiques font, en effet, peser sur les riverains des chantiers un certain nombre de nuisances que n auront pas à supporter les personnes vivant hors du périmètre impacté par les travaux. La rupture d égalité imposée par la collectivité publique exige qu une compensation soit accordée aux victimes. C est précisément le versement de cette indemnité qui permettra de rétablir l égalité entre les membres de la collectivité. L existence d un dommage ne suffit cependant pas à justifier une indemnisation. Pour ouvrir droit à réparation, un dommage de travaux publics doit présenter plusieurs caractéristiques. 1. Les critères d indemnisation Les critères de l anormalité et de la spécialité Pour justifier une compensation, un dommage permanent de travaux publics doit être anormal et spécial. Ces critères ont été posés par la jurisprudence 7 et font, depuis lors, l objet d une application constante. Par spécial, il faut entendre que le dommage ne doit concerner qu un nombre limité d individus. Ce critère provient directement de l application du principe d égalité devant les charges publiques. Il faut en effet que le dommage n affecte qu un groupe déterminé d individus, et non la collectivité dans son ensemble, pour qu il y ait rupture d égalité. Le critère d anormalité implique, pour sa part, que le dommage atteigne un certain degré de gravité. Ainsi, les sujétions mineures imposées à la collectivité, au nom de l intérêt général poursuivi par les travaux publics, ne sauraient ouvrir droit à réparation. Ces opérations n ont pas à être réparées car elles relèvent des inconvénients normaux de la vie sociale que sont tenus de supporter les administrés. Dans certains cas, l attitude du demandeur face au risque vient toutefois vient restreindre les possibilités d indemnisation. Une limite : le risque accepté Le caractère anormal et spécial d un dommage de travaux publics ne suffit pas toujours à garantir sa réparation. Il convient, en effet, que les dégâts subis n aient pas pu être prévus, anticipés par la victime. Comme l a rappelé le Conseil d Etat 8, «le préjudice résultant d une situation à laquelle la victime s est sciemment exposée ne lui ouvre pas droit à réparation». On parle d exception du risque accepté. 7 CE, 24 juillet 1931, Commune de Vic-Fizensac, Rec. CE 1931, p. 860. 8 CE, 10 juillet 1996, n 143487, Meunier, Rec. CE 1996, p 289, RDP 1997, p 246, concl. Stahl J.H. 11

Par exemple, ne pourront être indemnisés les acquéreurs d un logement situé à proximité d une usine d incinération d où émanent des poussières et des gaz toxiques 9. De la même façon, le juge administratif estime que des exploitants ne sont pas fondés à réclamer une indemnité au titre des préjudices subis consécutivement à l implantation et la mise en circulation d une autoroute à proximité de leur propriété, ces derniers étant au courant du projet autoroutier lors de l acquisition des terrains 10. Faute pour la victime de pouvoir justifier que la gravité des dommages réellement subis dépasse celle à laquelle elle était normalement en droit de s attendre, l exception du risque accepté constitue une puissante limite à l indemnisation des dommages de travaux publics. 2. Les préjudices commerciaux indemnisables Les restrictions et modifications d accès Par principe, les préjudices découlant des modifications apportées à la circulation générale ne sont pas indemnisés 11. L idée est que les riverains de la voie publique sont tenus de supporter ces nuisances, sans indemnité, en contrepartie des aisances de voirie dont ils profitent en temps ordinaire. Lorsque le préjudice résultant des travaux revêt un caractère anormal, les juridictions nuancent toutefois l application de cette règle. Dans certains cas, les restrictions d accès constituent des préjudices anormaux et spéciaux ouvrant droit à réparation. Les difficultés d accès peuvent, lorsqu elles n empêchent pas totalement la clientèle de se rendre aux commerces, fortement l en dissuader. Ces préjudices font toutefois l objet d une analyse prudente de la part des juridictions administratives. Pour donner lieu à indemnisation, le juge administratif impose en effet que les travaux aient rendu l accès au commerce particulièrement malaisé pendant une certaine durée. Dans ces conditions, une indemnité a été accordée à : un cordonnier dont le local commercial a souffert de difficultés exceptionnelles d accès pendant près de deux ans 12 ; un commerce dont l accès a été rendu très difficile pendant six mois et quasi impossible pendant trois mois 13. 9 CE, 27 mai 1988, n 66 908, Société d exploitation thermique du Mirail. 10 CAA Douai, 5 avril 2005, n 03DA00875, MM et Mmes X et Y. 11 Les changements effectués dans l assiette ou la direction des voies publiques n ouvrent normalement pas droit à réparation (cf. CE 10 février 1905, Ministre des travaux publics et Cie du Midi, Rec. CE 1905, p 155). Il en va de même pour les troubles liés à la création de voies nouvelles (cf. CE 2 juin 1972, Sté les bateaux de la Côte Emeraude, Rec. CE 1972, p 414). 12 CE, 6 mars 1970, n 73035 73042, Ville de Paris. 13 CE, 20 novembre 1981, n 12402, Dame Rodal. 12

Le juge met notamment l accent sur les liens entre la gêne provoquée par les travaux, la baisse de fréquentation du commerce et la diminution de son chiffre d affaires 14. La gêne d accès doit être réelle et importante pour donner lieu à compensation. De plus, aucune indemnité ne sera accordée à la victime si celle-ci peut elle-même remédier à ces désagréments par de petits aménagements ou si des voies d accès alternatives ont été mises en place. Aussi, les juridictions ont été amenées à refuser une indemnisation au propriétaire d un restaurant, au motif que si les travaux ont rendu plus difficiles les conditions de circulation et de stationnement à proximité de son établissement, l accès à celui-ci a toujours été possible durant les chantiers 15. De la même manière, le juge administratif a rejeté la demande d indemnisation d une commerçante, au motif que les travaux incriminés n ont pas rendu l accès à son magasin exceptionnellement difficile ou impossible et ne l ont pas privé de l essentiel de sa visibilité 16. En revanche, lorsque les chantiers entraînent une impossibilité totale d accès, les règles sont simples : l octroi d une indemnité est automatique 17. La victime aura toujours droit à réparation car il s agit là d un préjudice anormal, portant atteinte d une part, au droit de propriété, et, d autre part, au principe d égalité devant les charges publiques 18. Enfin, lorsque les travaux ne restreignent ou ne bloquent l accès, ils peuvent entraîner un allongement de la durée de parcours. Pour être compensé, celui-ci doit cependant constituer une gêne d une intensité particulière 19. Les atteintes à l environnement Les pertes de revenus subies par les entreprises résultent enfin d atteintes portées à leur environnement. La réalisation de travaux publics peut, en effet, avoir pour conséquence d altérer l environnement des entreprises. Ces modifications s avèrent fortement préjudiciables lorsque la fréquentation d un l établissement dépend d éléments tels que la qualité du site, sa tranquillité ou encore sa vue. Pour justifier une indemnisation, il s agit cependant que le trouble causé soit réel et durable. Dans ces conditions, le juge administratif a reconnu le droit à réparation de l exploitant d un café restaurant dont l établissement, initialement situé en bord de mer, a perdu sa clientèle de pêcheurs et de baigneurs, suite à des travaux de comblement l ayant éloigné du front de mer 20. 14 CE, 4 octobre 1989, n 78555, Luciotti ; CAA Nancy, 2 mars 1995, n 93NT00801, M et Mme X. 15 CAA Nancy, 22 décembre 2005, n 05NC00499, Société Restostras. 16 CAA Paris, 9 octobre 2006, n 04PA01472, Mme X. 17 CE, 29 mai 1974, n 90058, Reyboz. 18 CE, 2 juillet 1969, n 70778, Leveel. 19 Le juge a ainsi reconnu le caractère anormal et spécial des préjudices découlant de la construction d un port militaire ayant eu pour effet de multiplier par cinquante la distance séparant une conserverie du lieu de débarquement du poisson (CE,19 février 1961, Société Fabrique française Honorat et Cie, Rec. CE 1961, p 140 ) ou la construction d un souterrain et l aménagement de la voirie empêchant les livraisons d un magasin de meubles et l arrêt des véhicules de la clientèle et contraignant ce dernier à la fermeture (CE, section, 4 octobre 1989, n 78555, Luciotti, Rec. CE tables 1989, p 924 et 931). 20 CE, 31 janvier 1968, n 70891, Société d économie mixte pour l aménagement de la Bretagne. 13

Lorsque la construction d un barrage, en réduisant le volume d eau, amoindrit l intérêt touristique d un site, et, ce faisant, porte atteinte à l activité de la société qui en organisait la visite, le juge accordera également une compensation 21. La transformation du site peut, dans certains cas, avoir pour effet d empêcher totalement l exercice d une activité jusqu alors en place. Les juridictions administratives ont ainsi permis l indemnisation de l exploitant d un garage contraint à fermer son établissement, suite à la création d un secteur piétonnier ayant rendu son emplacement impropre à l activité du commerce de vente et de réparation automobile et de vente de carburant à laquelle il se livrait 22. Que ce soit lorsque les travaux restreignent l accès à un commerce ou lorsqu ils dénaturent les conditions d exercice de son activité, le juge administratif examinera la perte de revenus invoquée par le demandeur. Ainsi, il a pu considérer qu une baisse de chiffre d affaires de 10% ne représentait pas une perte économique d une gravité suffisante pour excéder les sujétions normales résultant du voisinage de la voie publique 23. De plus, pour démontrer la réalité du préjudice commercial subi, il appartient au demandeur de fournir les justificatifs adéquats. Faute d être en mesure de produire une comptabilité sincère et probante, une société peut donc se voir refuser le réajustement à la hausse de son indemnité 24. D une manière générale, ces jurisprudences, très casuistiques, n emportent pas une grande sécurité juridique pour les entreprises subissant de tels dommages. Un minimum de principes généraux devrait donc être défini par la loi. C. PROPOSITIONS DE LA CCIP 1. Instauration d un cadre législatif d indemnisation L absence de cadre législatif et l imprécision des notions rendent l issue du contentieux des dommages de travaux publics particulièrement incertaine. Dans ces conditions, les juridictions ne peuvent faire qu une analyse au cas par cas des préjudices subis. Pour assurer une plus grande sécurité juridique, la CCIP propose : - que soit affirmé un véritable droit à indemnisation des entreprises à chaque fois que les travaux publics leur portent un préjudice tel qu il est susceptible de mettre en péril leur activité ; - que le législateur précise la notion de préjudice anormal et spécial en déterminant des critères stables qui permettraient d harmoniser les décisions rendues en matière de dommages de travaux publics. Il conviendrait ainsi d instaurer un droit systématique à indemnisation lorsque la privation d accès est avérée. 21 CE, 28 juin 1972, n 74177 74185, Société des gorges du pont du diable. 22 CE, section du contentieux, 16 octobre 1992, n 95152, Garage de Garches. 23 CAA Marseille 5 décembre 2005, n 03MA00097, SAS Max Guerin Garden Center. 24 CE, 13 novembre 1987, n 73920, Société d économie mixte du métropolitain de l agglomération lyonnaise. 14

Lorsque l accès est seulement restreint et non totalement empêché, l octroi de l indemnité pourrait être soumis à un ensemble de conditions cumulatives. Un droit à réparation pourrait, par exemple, être reconnu en cas de : - difficultés d accès importantes, - baisse sensible de la fréquentation du commerce, - pertes significatives de revenus Le législateur pourrait, dans ce cas, fixer un seuil au-delà du duquel la baisse de chiffre d affaires rendrait le commerce éligible à une indemnité (par exemple, une baisse de plus de 10% du chiffre d affaires). 2. Mise en place d un dispositif d information et d accompagnement des entreprises Il s agirait, tout d abord, d établir une obligation d information de la part du maître d ouvrage. Ce dernier devrait, pour chaque projet conséquent, informer les entreprises concernées du tracé des travaux comme de leur avancée et, une fois achevés, en assurer le suivi. Cette communication pourrait prendre la forme de réunions publiques organisées en amont des travaux, ainsi que durant leur exécution et postérieurement à leur réalisation. Ces réunions permettraient de rapprocher maître d ouvrage et entreprises afin de faire un point sur l avancement des travaux et les difficultés rencontrées. Elles seraient également l occasion de renseigner les professionnels sur les possibilités d indemnisation et de les sensibiliser aux démarches à effectuer pour en bénéficier. En parallèle, des cellules d observations, rassemblant maître d ouvrage, maître d œuvre, organismes consulaires et associations de commerçants, pourraient être mises en place. Ces structures auraient vocation à suivre l évolution des activités économiques situées en bordure des chantiers, notamment au moyen d enquêtes de terrain menées auprès des commerçants touchés par les travaux. La collectivité initiatrice des travaux disposerait ainsi d informations précises et actualisées sur l impact des chantiers qui lui permettraient de gérer plus efficacement les demandes d indemnisation. A partir de ces informations et analyses, le maître d ouvrage, en lien avec la collectivité, pourrait être en mesure de proposer des solutions concrètes aux désagréments causés par les chantiers (en termes de signalisation, de stationnement ) 25. Ce dispositif permettrait d assurer une évaluation et un suivi global de l impact des projets d aménagement. Il donnerait également à la collectivité publique initiatrice des travaux la possibilité de provisionner son budget en prévision des indemnités qu elle sera amenée à verser au titre des préjudices subis par les entreprises affectées par les chantiers. Lorsque la collectivité publique ne gère pas directement les travaux, dans le cadre d une concession de service public par exemple, il appartiendrait à son cocontractant d assurer cette mission d information. Pour plus de sécurité, et un partage des responsabilités plus clair, des dispositions relatives à cette obligation pourraient être insérées dans le contrat du concessionnaire. Aux côtés de ces acteurs, les CCI peuvent elles aussi jouer un rôle d accompagnement. En vertu de leur mission d appui aux entreprises, les instances consulaires peuvent légitimement prodiguer des conseils généraux sur les démarches à entreprendre en vue d une indemnisation (élaboration 25 Voir dispositifs déjà mis en œuvre en annexe. 15

de plaquettes d information sur le montage des dossiers, par exemple). Il semble, en revanche, inopportun que les chambres proposent à leurs ressortissants une aide personnalisée au montage des dossiers. Une telle assistance risquerait fortement de faire obstacle à leur participation au sein des instances d indemnisation, les CCI ne pouvant être à la fois juge et partie. 3. Prise en charge des dommages par le FISAC La loi de modernisation de l économie du 4 août 2008 réorganise les interventions du FISAC (fonds d intervention pour la sauvegarde de l artisanat et du commerce). L article 26 de ce texte renforce notamment l action du fonds, en étendant son champ d intervention. Il introduit la possibilité pour les commerçants d obtenir des aides du FISAC lorsque l exécution des travaux publics réduit l accès de la clientèle à ces commerces. La CCIP salue ces dispositions qui participeront à la redynamisation des secteurs fragilisés par les travaux publics et faciliteront le retour à une activité normale après l achèvement des chantiers. Cette avancée s inscrit d ailleurs dans la logique de sa proposition d instaurer un droit à indemnisation au profit des entreprises impactées par les travaux publics. La CCIP regrette néanmoins que seuls les préjudices découlant de difficultés d accès puissent bénéficier d une prise en charge par le FISAC. En effet, les préjudices commerciaux susceptibles d affecter les entreprises ne découlent pas uniquement des restrictions d accès. Ils peuvent également provenir des altérations portées à leur environnement qui, lorsqu elles ne rendent pas le site impropre à son activité, peuvent en dégrader les conditions d exploitation. Il serait donc souhaitable que cette hypothèse soit intégrée aux dispositions légales afin de mieux réparer l ensemble des préjudices économiques pouvant affecter les commerçants, lors de l exécution de travaux publics. 4. Aide aux entreprises non directement riveraines des travaux La jurisprudence conditionne l octroi d une indemnité à la qualité de riverain direct des chantiers. En d autres termes, ce principe pénalise les commerçants non directement riverains des travaux mais dont l activité pâtit pourtant fortement des difficultés de circulation en résultant. Cela crée également des distorsions de concurrence injustifiées. Il conviendrait donc que le législateur élargisse les possibilités de réparation aux entreprises situées à proximité des travaux mais non directement riveraines. Il serait dans ce cas utile que la loi pose les critères correspondants, lesquels pourraient être renforcés par rapport à ceux exigés pour les commerçants riverains directs des chantiers. Le cas échéant, les dispositifs d aide mis en place par certaines collectivités 26, consistant en des prêts à taux zéro au profit de ces entreprises, pourraient être généralisés. Les conditions d éligibilité à de telles avances, et les modalités de remboursement, devraient toutefois être clairement précisées, afin qu elles ne tombent pas dans l interdiction des aides publiques directes aux entreprises. Pour ce faire, un périmètre d attribution devrait être strictement circonscrit, pour éviter toute généralisation. 26 Ce système a notamment été institué par la Communauté urbaine de Bordeaux dans le cadre des travaux d aménagement du tramway. Des prêts à taux zéro ont été consentis aux professionnels situés dans un périmètre d environ 150 mètres de part et d autre du tracé et justifiant une perte de chiffre d affaires de plus de 10% depuis le début des travaux. Ils ont pu bénéficier d une aide allant de 1 500 à 9 000 euros (seuil ultérieurement porté à 20 000 euros), selon la baisse de chiffre d affaires enregistrée. 16

- II - RECOURS EN INDEMNISATION : PRIVILEGIER LES PROCEDURES AMIABLES 17

A. DES RECOURS JURIDICTIONNELS INAPPROPRIES? 1. Un recours contentieux classique inadapté En vertu de la loi du 28 pluviôse an VIII, le contentieux des dommages de travaux publics est, en principe, confié au juge administratif. Ce dernier est compétent pour connaître les actions tendant à la réparation des dommages de travaux publics, quel que soit le défendeur (personne publique, concessionnaire, entrepreneur). On observe, qu en matière de contentieux lié aux dommages de travaux publics, la victime peut indifféremment attaquer l entrepreneur, le maître d ouvrage ou bien l un et l autre pris solidairement. Selon les situations, elle pourra également diriger son recours contre l architecte, le maître d œuvre, le sous-traitant ou encore l assureur du dommage. Il est néanmoins préférable de se retourner vers la collectivité publique, par nature plus solvable. En première instance, l action sera exercée auprès du tribunal administratif géographiquement compétent. Si le juge administratif détient en la matière une compétence de principe, il existe toutefois un certain nombre d exceptions législatives et jurisprudentielles. Par exemple, en cas d emprise irrégulière ou de voie de fait, c est à la juridiction judiciaire qu il conviendra de s adresser. S agissant de la procédure, le contentieux des dommages de travaux publics obéit à des règles particulières. En matière de travaux publics, le délai de recours de deux mois ne s applique pas. Puisque le recours n est, en principe, pas formé contre une décision administrative préalable, il est recevable sans limitation de délai. Toutefois, pour éviter de tomber sous le coup de la prescription quadriennale, applicable aux créances détenues à l égard des personnes publiques, il convient d initier une procédure dans un délai de 4 ans à compter de la survenance des faits 27. Si cette procédure présente indéniablement quelques éléments de souplesse, comme la possibilité de diriger le recours à l encontre de multiples acteurs et l absence de délai strict, elle n en demeure pas moins assez impropre à ce type de litige, son inconvénient majeur étant incontestablement sa longueur. On estime la durée moyenne entre le dépôt d une requête et l obtention d une décision à deux ans. Pour les entreprises dont la situation financière est sérieusement affectée, l indemnisation intervient, par conséquent, trop tardivement. C est notamment pour ces raisons qu ont été instituées des procédures d urgence. 2. Des procédures d urgence plus efficaces? Pour palier l inadéquation des procédures classiques à certaines situations litigieuses, des procédures d urgence ont été mises en place : les procédures de référé. Cependant, elles ne permettent pas de régler définitivement le litige avec l administration. Le juge ne statue pas sur la demande principale (une demande d annulation ou d indemnité, par exemple) mais statue provisoirement ou à titre conservatoire sur le litige. En matière de dommages de travaux publics, le référé-provision s avère particulièrement utile. Il permet au demandeur d obtenir une «provision», c est-à-dire une avance sur une indemnité que lui a refusée l administration, en attendant que le juge se prononce sur le montant exact de sa créance. 27 Délai de 4 ans à compter de la survenance des faits. 18

En 2000, les règles de ces procédures ont été profondément réformées. Depuis cette date, il n est plus nécessaire de déposer une demande principale préalablement ou simultanément à la saisine du juge des référés. La disparition de cette exigence a pour avantage d éviter la saisine du juge du fond chaque fois que l octroi de la provision peut suffire à résoudre le litige. Pour démarrer la procédure, il appartient au demandeur de démontrer la réalité de la créance qu il détient sur la collectivité publique 28, en fournissant notamment tous les documents susceptibles de justifier l existence de cette obligation (bons de commande, devis, contrats, conditions générales de vente, bons de livraisons, lettres de relance, mises en demeure, etc.). Il faut en général compter un délai d une semaine pour que le juge des référés examine la requête. Une fois prise, la décision est normalement exécutoire de plein droit. Cela permet au créancier de signifier la décision au débiteur dans les 24 heures, sans attendre l expiration du délai d appel 29. Le créancier peut, par ailleurs, demander une saisie sur les biens du débiteur, si celui-ci ne s exécute pas. L intérêt principal de cette procédure réside dans sa rapidité. Elle permet au demandeur de recevoir une avance sur des sommes qui ne lui seraient allouées que bien plus tard, dans le cadre d une procédure contentieuse classique. Elle présente également l avantage de ne pas nécessiter le concours d un avocat. Si le référé permet d obtenir une première décision de justice parfois vitale pour une entreprise dans un délai de moins de 15 jours, il ne permet pas d obtenir une décision sur le fond. Par exemple, des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ne peuvent être demandés par la voie du référé mais doivent faire l objet d une demande principale. B. LA SOLUTION A DEVELOPPER : LES PROCEDURES AMIABLES L encombrement des juridictions administratives et la longueur des délais de jugement ont favorisé l émergence de modes non juridictionnels de règlement des litiges. On observe toutefois, dans la pratique, que ces techniques sont encore insuffisamment mises en œuvre, tant par les collectivités locales que par les entreprises cocontractantes. Elles offrent pourtant de nombreux avantages. Sur le fond, par exemple, la recherche d une solution juridique prend en compte les attentes des parties afin de trouver un compromis acceptable pour les deux. L arrangement est recherché non seulement sur le terrain du droit mais également sur celui de l équité. Ces nouvelles procédures consacrent donc une justice consensuelle qui suppose l adhésion des parties à la solution trouvée. Parmi ces méthodes, la transaction, qui a été initialement inventée pour mettre fin aux contentieux privés, est parfois utilisée en droit public. Le Code Civil 30 la définit comme «un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître». La transaction rend irrecevable un recours contentieux sur le même objet 31 et rend infondé un recours déjà engagé. Ce 28 Article R. 541-1 du Code justice administrative : «Le juge des référés peut, même en l absence d une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l a saisi lorsque l existence de l obligation n est pas sérieusement contestable». 29 Le débiteur dispose en effet d un délai 15 jours à compter de la notification de la décision pour la contester. 30 Article 2044. 31 CE. 11 janvier 1961, Gugenheim. 19

procédé peut être utilisé par les collectivités publiques dans toutes les matières dans lesquelles les collectivités publiques ont le pouvoir de contracter. Dans le cadre de vastes opérations de travaux publics, comme la construction d un tramway, ou la restructuration d un centre-ville, de nombreuses collectivités publiques ont toutefois privilégié une autre méthode : la mise en place de commissions chargées d instruire les demandes d indemnisation des professionnels riverains des travaux. Cette solution apparaît, à plusieurs titres, comme la plus satisfaisante. L instauration de ces commissions permet en effet aux collectivités de centraliser le traitement de leurs litiges et de les gérer de façon plus souple et plus rapide, loin du formalisme des actions contentieuses. Ces dernières années, de nombreuses commissions ont ainsi été créées, sur la base de règles d organisation et de fonctionnement très variées, parfois source d insécurité juridique. Convaincue de l efficacité de ces structures dans le cadre de tels litiges, la CCIP souhaite émettre plusieurs recommandations. C. PROPOSITIONS DE LA CCIP Lorsque les travaux sont de moindre ampleur, où lorsqu ils se limitent à un périmètre très réduit, la mise en place de commissions de règlement amiable peut s avérer trop lourde. Dans ce cas, il peut être judicieux de recourir à des dispositifs plus informels, tels des négociations de gré à gré permettant à l entreprise de réclamer directement une compensation à la collectivité, sans l entremise d un tiers. En revanche, il semble indispensable d encourager la création de commissions lorsque les collectivités entreprennent des projets d aménagement plus importants. Pour promouvoir ce mode alternatif de règlement des litiges, il conviendrait, tout d abord, que le législateur établisse un cadre légal, général et stable, en faveur de ces commissions, dès lors que la collectivité publique décide d y recourir. Il ne s agit ici pas de poser des règles strictes et figées mais, au contraire, des principes fondamentaux garantissant, d une part, aux acteurs publics suffisamment de liberté pour instaurer des commissions d indemnisation adaptées aux spécificités locales et aux entreprises concernées, et assurant, d autre part, sécurité juridique et traitement impartial de leur affaire. La CCIP insiste tout particulièrement sur les aspects suivants : 1. Sur la composition des commissions La CCIP estime que la composition pluraliste de ces instances est fondamentale. Elle doit permettre de défendre au mieux les intérêts divergents, et parfois contradictoires, des parties. Les personnalités y siégeant doivent présenter toutes les garanties de sérieux nécessaires à la résolution du litige. Ces instances devraient systématiquement réunir certains acteurs : un ou plusieurs représentants de la ou des collectivités publiques initiatrices des travaux (communes, départements, régions, EPCI ), des représentants des instances consulaires (CCI et Chambres des métiers), le DRCA en charge du FISAC, 20

un représentant de l administration fiscale (Trésorier payeur général). Ils constitueraient le noyau dur des commissions. En fonction des projets, d autres acteurs viendraient en compléter la composition. Pourraient, par exemple, y siéger : un représentant de la préfecture, notamment lorsque le projet intervient dans le cadre d un contrat de plan Etat-Région, un expert comptable, un représentant de fédération commerciale ou encore un représentant du régime social des indépendants. La CCIP recommande, en outre, que ces commissions soient présidées par un magistrat professionnel dont l indépendance ne pourra être mise en cause. Si la compétence du juge judiciaire pourrait se justifier, dans la mesure où ce dernier est le gardien du droit de propriété, il semble toutefois plus pertinent que ces instances soient placées sous l autorité du juge administratif. Sauf exceptions, le contentieux des dommages de travaux publics relève, en effet, principalement des juridictions administratives et les demandes sont, le plus souvent, examinées à l aune des principes dégagés par la jurisprudence du Conseil d Etat. 2. Sur la recevabilité des demandes adressées à la Commission Pour éviter que les commissions ne soient submergées par des demandes abusives, et garantir l efficacité et la rapidité de l instruction des dossiers, il est essentiel que leur recevabilité soit encadrée. L instauration de critères de recevabilité impose cependant que les entreprises soient informées des conditions d éligibilité à l octroi d une indemnité. Les CCI pourraient alors jouer un rôle important d information. Cette première vérification permettrait d opérer un tri entre les demandes, en écartant les requêtes injustifiées. Les dossiers éligibles pourraient quant à eux être instruits par ordre d urgence ou de gravité. Il serait, par ailleurs, utile que les membres de la commission bénéficient d un droit d accès au dossier dans son intégralité suffisamment de temps avant la séance (8 jours avant la réunion de la Commission, par exemple) afin d accélérer et d optimiser le traitement des demandes. Conditions de forme Pour s assurer de la recevabilité formelle des demandes, deux points semblent tout d abord à privilégier : Il serait, d une part, opportun que la Commission définisse clairement le périmètre d impact des travaux, dont la délimitation est en principe arrêtée dans la déclaration d utilité publique (DUP) à l origine de l opération d aménagement. Toute modification du tracé des aménagements devrait faire l objet d une nouvelle communication de part de la commission. Dans ces conditions, les commerçants éligibles à l octroi d une indemnité seront ceux qui se trouvaient en activité lors de l adoption de la DUP. Ceux qui se seraient installés sur le site un peu avant le début des travaux, alors même que l opération d aménagement et son tracé définitif étaient connus, ne pourraient prétendre à réparation. 21

Il serait, d autre part, utile que la période d instruction des demandes soit clairement déterminée. Celles-ci pourraient être formulées durant toute la durée des chantiers et pendant 6 mois minimum à compter de l achèvement des travaux. Conditions de fond Avant même de décider de l octroi d une indemnité, les Commissions pourraient s assurer du bien-fondé de la requête sur la base des documents comptables fournis par le demandeur (par exemple, les bilans des trois années précédant les travaux). Le requérant ne pourra prétendre à indemnisation que si ses justificatifs attestent d une baisse significative de son chiffre d affaires. Les CCI devront, à cet égard, faire œuvre de pédagogie auprès de leurs ressortissants, en les sensibilisant à la nécessité de tenir une comptabilité minutieuse, et notamment de faire valider régulièrement leurs comptes afin de pouvoir prouver ces pertes. Faute d être en mesure de présenter des documents probants, les entreprises s exposent en effet à un refus d indemnisation. Pour sécuriser la décision des commissions, il serait, par ailleurs, souhaitable que le législateur fixe le seuil chiffré à partir duquel les travaux ont porté une atteinte anormale à l activité du demandeur. Par exemple, une baisse de plus de 10% du chiffre d affaires. 3. Sur l évaluation du préjudice Il est indispensable que l estimation du préjudice tant matériel que financier subi par l entreprise soit réalisée par un expert présentant toutes les garanties d indépendance. Il semble ainsi peu approprié que le diagnostic soit mené par un agent de la collectivité publique à l origine des travaux. La désignation d un expert par le Tribunal administratif, à la demande de la Commission, apparait comme la meilleure garantie de l indépendance de ce dernier. La CCIP insiste sur le caractère contradictoire de l expertise. Les parties doivent être en mesure de participer à toutes les opérations et avoir communication de tous les documents fournis à l expert. Il pourrait être établi que les coûts de l expertise incomberont à la collectivité publique à l origine des travaux dès lors que celle-ci accordera une indemnité au demandeur. Cela permettrait une meilleure compensation du préjudice subi par l entreprise, dès lors que l existence de tels dommages est reconnue par la Commission. Cette répartition serait conforme au principe posé par l article R. 761-1 du CJA qui prévoit que les frais d expertise figurent au nombre des dépens, en principe mis à la charge de la partie perdante 32. 4. Sur les conditions d octroi d une indemnité Les requêtes seraient examinées à l appui des rapports d expertise et des documents fournis par le demandeur (bilans comptables ). Si le législateur instaure un droit à indemnisation pour les entreprises victimes de travaux publics et fixe des critères d indemnisation stables, il appartiendra seulement à la commission de s assurer que le requérant répond bien à ces différents critères. Cette solution aurait pour avantage de sécuriser les décisions rendues par ces instances. 32 CE, 10 décembre 1975, n 92270, Groupement de défense des Clamartois. 22