Hopiel Ebiatsa Des chutes de Nkoué-Mbali aux rives du fleuve Congo Définition géographique et historique du domaine royal de Mbè 2
Du même auteur : Conquêtes européennes et Pouvoir royal TEKE, Edi livre, Paris, Septembre 2010 Fondements de l identité et de l unité TEKE Du Stanley-Pool à la Leketi, L Harmattan, Paris, 2011 La France face à la traite et à l esclavage des noirs (1685-1795), Edi livre, Paris, Mai 2012 La monarchie de droit ancestral TEKE Sacralité et Autorité, L Harmattan, Paris, 2012 Le Congo sous domination coloniale au début du XX ème siècle Administrateurs, Marchands et indigènes, Paris, Edi livre, 2013. Le Traité Brazza-Makoko Occupation du Stanley-Pool et Naissance des colonies belge et française du Congo (188-1885), Paris, Edilivre, 2014. 2
A nos sœurs et frères du vieux monde teke, tournez ces pages et re-apprenez à marcher sur les pas de Nkoué-Mbali car, «Une logique veut qu on parvienne à mieux défendre la vie des hommes non là où des millions d hommes sont menacés, mais seulement là où la civilisation dans son ensemble est en jeu». Alioune DIOP, «Les religions africaines», in Colloque de Cotonou, 1970. 2 3
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Prologue De la pertinence de la mémoire rituelle dans la reconstitution du passé des sociétés de l oralité La mémoire rituelle teke est riche et variée. Sa typologie complète reste encore à faire. On classe les traditions orales ici ordinairement en plusieurs groupes, chacun ayant une fonction propre. Par le rite de fondation, le patriarche invite les esprits invisibles du lignage à venir peupler le village d abondance et de prospérité. Le rite propitiatoire dont l aîné est l officiant permet de maintenir l équilibre du groupe par le moyen des échanges continuels qui s opèrent quotidiennement entre les monde visible et invisible. Le rite expiatoire donne le châtiment de la mort à ceux qui sèment le mal autour d eux par leur activisme maléfique. La vie est un enchaînement de pièges qui n attendent que de vous prendre dans leurs filets. Les divers rites de passage permettent à chacun de pouvoir un temps s en échapper. Les rites funéraires par leurs multiples 2 5
facettes permettent d assurer au mort un bon repos et de réussir sa transmigration pour revenir un jour veiller sans dysharmonie sur les vivants du groupe. Les rites s inscrivent dans l ensemble de la civilisation teke. Ils forment tous comme la base de la morale, elle-même fondement de la vie sociale c est-àdire la coutume qui à travers les descriptions paraît comme une action réciproque entre les droits et les devoirs, entre les individus et la société et peut être aussi entre les différentes lignées. Le rite peut une fois encore paraître comme l ensemble des faits liés à la vie de l individu et qui concernent sa place dans la société. Il constitue à l origine ce qui est accompli conformément à l ordre et se définit comme une suite de gestes, répondant à des besoins essentiels qui doivent être exécutés suivant une certaine eurythmie. Ses origines se perdent dans la nuit des temps et restent inconnues même de ceux-là qui les pratiquent, bien qu ils en aient gardé le souvenir, sorte de mémoire héréditaire. Il est rendu sacré pour être transmis de génération en génération sans altération majeure. Le rite est un geste élémentaire mais sacré qui accompagne les manières de vivre, de marcher, de se vêtir, de manifester la bienveillance ou l hostilité. Il permet somme toute d unir les volontés, de diriger les choix, d harmoniser les âmes et d aboutir à un équilibre général des forces car la vie à travers le rite est la réalité d une totalité à travers laquelle s expriment clairement l économique, le politique, le 26
social et le religieux. Le rite se présente ainsi comme un discours, un savoir. Les rites dans leur ensemble visent tous le même but. Chaque rite en réalité assure la re-création de la société ou du groupe en faisant naître, selon les normes de sa pratique, de nouveaux personnages ou de nouveaux comportements que l initiation rituelle modèle. On peut alors comprendre que le rite n exprime ni ne façonne la soumission ; il ne cantonne pas la société dans la peur, le consentement et le contentement. Le rite est pour la société, une arme, un instrument de domination des forces de la nature. Les divers rites encore présents dans ce milieu recréent dans le temps présent, non la reconstitution d une scène des temps mythologiques, mais la connaissance vécue d une histoire complexe dont diverses leçons orientent de façon concrète l appréhension du futur. Le recours à ces représentations anciennes, leurs survivances actuelles manifestent assez clairement pour l individu et pour le groupe, le désir d apaisement, la quête de l identité, la volonté de se soustraire à la destruction, à la déstructuration et à la domination. Ils permettent de résister au suicide culturel d un groupe. Le rite est ainsi inséparable de la vie quotidienne et s enracine dans l histoire. Il exprime une coexistence des contraires qui permet de dépasser la dichotomie paralysante et de considérer la société comme prise dans son courant dynamique mis en œuvre par de nombreux couples 2 7
d opposition qui pour la plupart se résument aujourd hui dans le couple modernité/tradition. Le rite est chargé d un sens que ne possédaient peut-être pas les valeurs et les cultures qui l engendrèrent et le portèrent. Il apparaît clairement que les études depuis menées sur l histoire de la plupart des sociétés hiérarchisées sans écriture ne nous a pas encore permis de pénétrer les mystères si nombreux de nos civilisations enfouis dans les décombres du temps. Les sources orales longtemps utilisées ne nous l ont pas toujours permis. Il faut alors avoir recours à d autres traditions que nos peuples ont jusque-là bien conservées car ils continuent à en faire usage. Un peuple sans mémoire est dit-on un peuple sans histoire. C est cette mémoire de chacun de nos peuples qu il nous faut maintenant retrouver en allant à la recherche de leurs rites, de leurs légendes Il importe désormais pour l efficacité de nos travaux, de lier Histoire et mémoire. Pour ce faire nous devrions désormais des plus en plus convoquer les traditions orales rituelles depuis bien longtemps délaissées et surtout reléguées au rang d objet folklorique plus tôt que véritable objet d histoire. La cérémonie de l investiture royale en général et le rite de l eau sacrée que nous analysons en particulier disent bien les choses. Et comme conservateurs de certains faits d histoire, il n y a guère mieux. Le rite est bien le livre des civilisations de 28
l oralité et ce travail, un discours sur la pertinence de la mémoire rituelle dans la reconstitution du passé des sociétés sans écriture. Le rite est un regard sur l histoire, bâti sur le vécu. 2 9