NOTE HISTORIQUE. Non prolifération et désarmement : chronologie de la Force multilatérale (1960-1965)



Documents pareils
COMPRENDRE CE QU EST L OTAN

COURS D INSTITUTIONS EUROPEENNES Mme Catherine SCHNEIDER, Professeur, Chaire Jean Monnet. PLAN dossier 2 : LES INSTITUTIONS DE DEFENSE ET DE SECURITE

Sécurité nucléaire. Résolution adoptée le 26 septembre 2014, à la neuvième séance plénière

L Europe en marche vers la défense antimissiles?

Pourquoi et comment le monde se divise-t-il après 1945? I/DEUX BLOCS FACE A FACE ( p90/91)

Chapitre 8 Le projet d une Europe politique depuis 1948

Table des matières. PARTIE 1 Contexte des activités spatiales

Enquête sur LES RELATIONS INTERNATIONALES APR ÈS 1945.

De la Guerre Froide à un nouvel ordre mondial?( )

Rapport sommaire. Table ronde sur la mobilité des étudiantes et étudiants dans l hémisphère occidental

Rapport du Directeur général

ASSURANCE-LITIGE EN MATIÈRE DE BREVETS

NPT/CONF.2010/PC.III/WP.39

Ces efforts ont déjà contribué significativement à l atteinte des objectifs de l OTAN depuis 2014.

Qu est-ce que l OSCE?

Définition et exécution des mandats : analyse et recommandations aux fins de l examen des mandats

Nom. les. autres États. n de l aviation. Organisation. ATConf/6-WP/49 14/2/12. Point 2 : 2.2. Examen de. des accords bilatéraux. consultées.

LES NON-ALIGNÉS D HIER À AUJOURD HUI

Etablissant des exigences techniques pour les virements et les prélèvements en euros et modifiant le règlement (CE) n 924/2009

N 3039 ASSEMBLÉE NATIONALE PROJET DE LOI

Principaux partenaires commerciaux de l UE, (Part dans le total des échanges de biens extra-ue, sur la base de la valeur commerciale)

Coup d œil sur les inégalités de revenus au

TAFTA: Une attaque camouflée sur la démocratie et les normes de règlementation

Soixante ans de dissuasion nucléaire : bilan et perspectives

Cet article est disponible en ligne à l adresse :

lj~ion DE L'EUROPE_OCCIDENT ALE Plate-forme sur les interets europeens en matiere de securite La Haye, 27 octobre 1987

ECONOMIE GENERALE G. Carminatti-Marchand SEANCE III ENTREPRISE ET INTERNATIONALISATION

Où et quand cette photo a-t-elle été prise? Comment le devinez-vous?

Actifs des fonds de pension et des fonds de réserve publics

Engagement actif, défense moderne

LA RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL : UNE COMPARAISON DE LA POLITIQUE DES «35 HEURES» AVEC LES POLITIQUES D AUTRES PAYS MEMBRES DE L OCDE

243 La Belgique, le contrôle démocratique et la prolifération nucléaire

Leçon n 11 : «Géopolitique du monde actuel»

étude La mise en œuvre d un Traité sur le commerce des armes et son suivi P. LE MEUR

Les fusées Ariane. Par Jennifer MOULLET, 3 3

Le coût du rachat de trimestres pour carrière à l étranger multiplié par 4 au plus tard le 1 er janvier 2011

Nucléaire : l électricité ou la bombe? Les liens entre nucléaire civil et nucléaire militaire

Ordonnance sur l exportation, l importation et le transit des biens utilisables à des fins civiles et militaires et des biens militaires spécifiques

LES ENJEUX DES ARMES NUCLEAIRES

TRAITÉS ET PRINCIPES

Le marché de l assurance de protection juridique en Europe. Octobre 2013

Rapport au Parlement 2015 sur les exportations d armement de la France

Vers une Cour suprême? Par Hubert Haenel Membre du Conseil constitutionnel. (Université de Nancy 21 octobre 2010)

3URSRVLWLRQ UHODWLYH j OD ILVFDOLWp GH O psdujqh TXHVWLRQVVRXYHQWSRVpHV (voir aussi IP/01/1026)

ACCORD RELATIF AU TRANSIT DES SERVICES AÉRIENS INTERNATIONAUX SIGNÉ À CHICAGO LE 7 DÉCEMBRE 1944

L Europe des consommateurs : Contexte international Rapport Eurobaromètre 47.0

CONVENTION DE PARTENARIAT ENTRE L AMF ET RTE

Le Conseil d administration. L Article VI du Statut du PAM définit comme suit les fonctions du Conseil:

Le régime clima0que exige un nouvel ordre de Gouvernementalité

LES RELATIONS INTERNATIONALES. du Conseil national de l Ordre des médecins

ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE EURO-MÉDITERRANÉENNE GROUPE DE TRAVAIL SUR LE FINANCEMENT DE L ASSEMBLÉE ET LA RÉVISION DU RÈGLEMENT DE L APEM

Thème 3 : La Seconde Guerre mondiale, une guerre d anéantissement ( )

Tribunes d experts. Sommaire

Le gaz de schiste «pertubateur» du marché de l électricité? Jacques PERCEBOIS Directeur du CREDEN Professeur à l Université de Montpellier I

L AGENCE INTERNATIONALE DE L ÉNERGIE ATOMIQUE ET LA MISE EN ŒUVRE DU TNP

27. Procédures de l Assemblée concernant la non-coopération (ICC-ASP/10/Res.5, annexe)

CCRRA. Québec, le 4 juillet 2002

Le flottement généralisé des monnaies

Comment sont nés les Etats-Unis?

Conseil d administration Genève, mars 2000 ESP. Relations de l OIT avec les institutions de Bretton Woods BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL


QUATRE-VINGT-DIXIÈME SESSION

Ce projet de loi fixe un plafond pour le budget de la Défense et un plancher pour le budget de l Aide internationale.

Les GU comme outil pour améliorer l accessibilité et la qualité des services. Alternative aux services publics existants?

TABLE DES MATIÈRES PREMIÈRE PARTIE L ENGAGEMENT D UNE PROTECTION CLASSIQUE DE L INDIVIDU À TRAVERS L ACTION EN PROTECTION DIPLOMATIQUE...

QUELLE REFORME DE L ASSURANCE-MALADIE AUX ETATS-UNIS? 1

Personne-ressource : Geoff Smith Directeur des Relations gouvernementales Tél. : Téléc. : smith@electricity.

3 ème CONFERENCE MONDIALE DES PRESIDENTS DE PARLEMENT

TROISIEME REUNION DU FORUM SUR L ADMINISTRATION FISCALE DE L OCDE

Chap. 5 : la 2 nd guerre mondiale : une guerre d anéantissement Pourquoi parle-t-on de la 2 nd guerre mondiale comme d une guerre d anéantissement

N 1470 ASSEMBLÉE NATIONALE

Les perspectives économiques

Saint-Marin Allemagne. Monaco. Saint-Siège Andorre. Norvège. Slovaquie Autriche. Pays-Bas. Slovénie Belgique. Pologne. Suède Bulgarie.

mai COMMENTAIRE DE MARCHÉ

ORGANISATION DES NATIONS UNIES POUR L ÉDUCATION, LA SCIENCE ET LA CULTURE

M. Jean-Yves Le Drian, Ministre de la défense. Discours pour les vingt ans du lancement du satellite Hélios IA

L Union européenne et la non-prolifération : vers un saut qualitatif?

La Commission. canadienne de sûreté nucléaire Présentation à la Conférence nationale sur l assurance au Canada. suretenucleaire.gc.

Recherche et relations internationales (RRI) Elisa Pylkkanen Directrice adjointe, partenariats internationaux

RÉÉVALUATION DE LA RÉPONSE À LA RECOMMANDATION EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ AÉRONAUTIQUE A Formation en gestion des ressources de l équipage

Le Ministre Pieter De Crem prend la parole

Le creusement des inégalités touche plus particulièrement les jeunes et les pauvres

Convention pour la reconnaissance mutuelle des inspections concernant la fabrication des produits pharmaceutiques.

Assemblée générale. Nations Unies A/AC.105/C.1/L.320

HISTORIQUE DE LA POSITION FNEEQ SUR LES ÉTABLISSEMENTS PRIVÉS

sommaire dga maîtrise de l information LA CYBERDéFENSE

Bienvenue. Procure.ch. Jeudi 26 avril Haute école de gestion Fribourg Haute école de gestion Fribourg

LA QUALITE, L ASSURANCE DE LA QUALITE ET LA CERTIFICATION ISO 9001

Marquage CE / Productions non en série / Projet de norme «portes et fenêtres» Position de EBC sur le projet révisé de «Guidance Paper M» (déc.

Nomination des membres du Comité consultatif indépendant d experts de la Surveillance

1. POLITIQUE NATIONALE EN MATIÈRE DE PPP

COM (2015) 289 final

Département des affaires de désarmement La vérification dans tous ses aspects, y compris le rôle de l Organisation des Nations Unies

1 Un peu d histoire. 1.1 La recherche opérationnelle : l outil mathématique

Le système de Bretton-Woods ( )

Première partie IMMUNITÉ ET JUSTICE : LES CONTRADICTIONS Titre 1 Contradiction des fondements et divergence des sources...

Réunion mondiale sur l Éducation pour tous UNESCO, Mascate, Oman mai 2014

Transcription:

NOTE HISTORIQUE Non prolifération et désarmement : chronologie de la Force multilatérale (1960-1965) par Benjamin Hautecouverture, Chargé de recherche au CESIM, juin 2007 Origines 1 L origine de l idée américaine de Force multilatérale (MLF) remonte au milieu des années 1950. Le lancement réussi du Spoutnik soviétique en 1957 s accompagna alors en Europe d une appréhension croissante à l égard des forces nucléaires soviétiques. L administration Eisenhower en place chercha à rassurer les pays alliés de l OTAN et dès la fin de l année 1957, à l instigation du Président des Etats-Unis, une réunion du Conseil atlantique se tint à Paris au cours de laquelle plusieurs idées de diffusion/partage de l arme nucléaire au sein de l Alliance furent émises. Un débat s instaura entre les pays alliés sur le sujet. La Force multilatérale (MLF) est un projet formulé à la fin de l année 1960 par les Etats-Unis pour doter l OTAN d une force stratégique intégrée. Après six années de débats à l intérieur des Etats-Unis, entre les Etats-Unis et les pays de l OTAN et entre les Etats-Unis et l URSS, le projet fut finalement abandonné à la fin de l année 1965. Selon les termes de Colette Barbier, «ce projet ambitieux, tout à la fois militaire et politique, isolé, seule tentative d intégration de l arme atomique, largement oublié, dont le nom ne suscite plus qu une réminiscence, celle de farce multilatérale, a été au centre des débats de l OTAN de 1960 à 1965.» 2 1 Noté réalisée avec le soutien de la Délégation aux affaires stratégiques du ministère de la Défense, dans le cadre d'une étude pilotée par le bureau non-prolifération et désarmement. 2 Colette Barbier, «La force multilatérale», in Maurice Vaïsse, dir. La France et l atome, études d histoire nucléaire, Bruylant, Bruxelles, 1994, p.163 1

Les enjeux du projet Le projet MLF n a jamais vu le jour pour au moins quatre raisons : il apparut d abord dans un contexte politique international en évolution très rapide ; la «coexistence pacifique» évoluait vers la «détente», France et Chine accèdaient au «club nucléaire», la non-prolifération devenait un objectif bilatéral prioritaire, les Etats-Unis s engagaient au Vietnam, etc. Ensuite, il ne fut soutenu de manière univoque ni aux Etats-Unis ni en Europe (refus français, atermoiements britanniques). Seule la RFA y trouva un intérêt constant. De plus, il eut du mal à être défini sur les plans opérationnel et politique. La question du contrôle des armes nucléaires déployées dans une MLF ne parvint pas à être résolue. Enfin, le projet rencontra trop d intérêts divergents outre-atlantique. La MLF fut au cœur de plusieurs enjeux : à la sécurité du continent européen s ajouta très vite l accès de la RFA aux armes nucléaires, la question de la construction politique européenne (et les divergences franco-germanobritanniques), et le dialogue américano-soviétique sur la non prolifération. Schématiquement, l histoire du projet peut se décomposer en trois phases : la première, de 1960 à 1962, vit l idée émise et discutée sur les plans technique et opérationnel aux Etats-Unis. Avec les accords de Nassau fin 1962, le projet bascula dans une phase politique durant laquelle se cristallisèrent peu à peu les enjeux internationaux. A la fin de l année 1964 et après le refus britannique de s associer à un traité entre les Etats-Unis et la RFA, la MLF cessa d être soutenue de part et d autre de l Atlantique, avant d être abandonnée sans bruit l année suivante. Première époque 16 décembre 1960 Contexte Les premières propositions (1960-1962) Réunion du Conseil atlantique à Paris. Le secrétaire d Etat Christian Herter propose la création d une force nucléaire sous le commandement de l OTAN. Les Etats-Unis fourniraient cinq sous-marins nucléaires munis de missiles Polaris. Les alliés feraient l acquisition de 100 missiles sous contrôle multilatéral. Peu de précisions sont fournies sur la nature réelle de ce contrôle. Novembre 1960 John F. Kennedy est élu à la présidence des Etats-Unis. Février, avril, La France procède à trois essais nucléaires 2

décembre 1960 (bombe A). 17 mai 1961 Discours du Président Kennedy au Parlement canadien à Ottawa. L offre de Christian Herter est reprise, dans le cadre d un appel au renforcement de l armement européen. La livraison de sous-marins Polaris serait conditionnée par un accord sur leur emploi et leur contrôle. Août 1961 Septembre 1961 4 décembre 1961 Seconde crise de Berlin L URSS reprend ses essais nucléaires interrompus depuis un moratoire décidé en 1958. Résolution AGNU 1665 (XVI) «Prévention d une plus large diffusion des armes nucléaires» (dite «résolution irlandaise») Avril 1962 Henry Owen, membre du Département d Etat, remet au Président Kennedy un rapport qui préconise l intégration des forces nucléaires d une future MLF au profit des Etats-Unis. Le rapport prévoit des modalités de partage de l information entre alliés. Cette question et celle du contrôle du lancement des futurs missiles ont été cruciales dans la négociation des résolutions sur la nondiffusion des armes nucléaires proposées par l Irlande à l Assemblée générale de l ONU (AGNU) entre 1958 et 1961. Sur ces plans, la «résolution irlandaise» satisfait à moitié les demandes américaines. 3 Le rapport Owen est officiellement adopté par le Président Kennedy qui demande le lancement d une étude sur les questions opérationnelles soulevées par la mise en place d une MLF. Octobre 1962 Crise de Cuba 3 Cf. Note historique du CESIM: Non prolifération et désarmement : le «Golden age» de la diplomatie irlandaise (1957-1961). Selon le premier paragraphe de la résolution 1665, «les Etats qui possèdent des armes nucléaires s engageraient à s abstenir de céder le contrôle de ces armes et de communiquer les renseignements nécessaires à leur fabrication à des Etats qui n en possèdent pas ( ).» (Nous soulignons.) 3

21 décembre 1962 Signature aux Bahamas des accords de Nassau entre le président américain Kennedy et le premier ministre britannique MacMillan. Une force stratégique OTAN est prévue sur une base multinationale et les deux pays s engagent à joindre leurs efforts pour mettre sur pieds une force multilatérale intégrée. Une offre similaire est faite à la France. Deuxième époque Janvier 1963 Contexte La phase politique (1963-1964) Un service chargé de la MLF est créé au Département d Etat, sous la direction de l ambassadeur Livingston Merchant, pour orchestrer une campagne de négociations auprès des partenaires européens de l OTAN. La France décline l offre américaine et ne sera plus associée aux discussions sur la MLF. Janvier 1963 La France oppose son veto à l entrée du Royaume-Uni dans le Marché Commun. Mars-juin 1963 Première phase de la campagne diplomatique américaine en Europe pour promouvoir la MLF. Celle-ci se solde par un échec. Seule la RFA accepte de se joindre au projet. 5 août 1963 Signature du Traité de Moscou sur l interdiction des essais nucléaires autres que souterrains (Partial Test Ban Treaty PTBT) Août décembre 1963 Seconde phase de la campagne diplomatique de l ambassadeur Merchant auprès de la RFA, l Italie, la Grèce et la Turquie, puis le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Les Etats-Unis proposent de conduire un exercice pratique naval dont les résultats pourraient être présentés au Congrès. Le Président Kennedy soutient le projet. 22 nov. 1963 Assassinat de J.F. Kennedy à Dallas 4

Mai 1964 Exercice mené sur un destroyer américain conjointement avec un équipage britannique, ouest-allemand, italien, néerlandais, turc, et grec. Malgré des résultats jugés positifs, ceuxci ne sont pas soumis au Congrès. 12 juin 1964 Communiqué du président Johnson et du chancelier allemand Erhard prévoyant la conclusion d un accord sur la MLF avant la fin de l année 1964 Juin 1964 Le Royaume-Uni propose une solution alternative à la MLF, fondée sur une seule force aérienne basée à terre. Août 1964 «Incident du golfe du Tonkin». Lyndon Johnson renforce le corps expéditionnaire américain au Vietnam et ordonne des bombardements sur le Nord-Vietnam par les bombardiers B-52. Début de «l engrenage» américain au Vietnam 4 octobre 1964 Le chancelier ouest-allemand Erhard déclare avoir proposé au Président Johnson la signature d un premier traité bilatéral entre les deux pays, permettant la mise en œuvre d un embryon de MLF en attendant que ne se joignent d autres pays membres de l OTAN. Cette déclaration provoque une crise au sein de l OTAN et de l Europe. 16 octobre 1964 Explosion de la première bombe A chinoise (annonce) Automne 1964 Destitution de Nikita Krouchtchev. Arrivée au pouvoir de Leonid Brejnev 8 décembre 1964 Le Royaume-Uni propose une seconde solution alternative au projet de MLF, avec la mise en place d une Force nucléaire atlantique (ANF) dont la MLF serait un élément parmi d autres et dont le contrôle serait soumis à un double droit de veto américain et européen. 5

Troisième L abandon du projet MLF (1965) époque Contexte 31 mai 1965 Conseil atlantique : le secrétaire à la Défense Mc Namara propose l établissement d un «special Committee». Il donnera lieu à la création du «Nuclear Planning Group» et du «Nuclear Defense Affairs Committee». Tous les pays membres de l OTAN en feront partie à part l Islande, le Luxembourg et la France. Avril-juin 1965 La Commission du désarmement de l AGNU se réunit à la demande de l URSS. Elle est le théâtre d une opposition sur la question de l accès aux armes nucléaires dans le cadre d alliances militaires. 17 août 1965 Les Etats-Unis soumettent un projet de TNP au Comité des dix-huit puissances sur le désarmement. 24 septembre 1965 19 novembre 1965 L URSS soumet un projet de TNP à l Assemblée générale de l ONU. (Dans un Mémorandum qui accompagne le texte, l URSS dénonce les projets MLF américain et ANF britannique). Résolution AGNU 2028 (XX) «Nonprolifération des armes nucléaires» 19-21 décembre 1965 Le projet MLF, moribond depuis la fin de l année 1964, ainsi que la seconde contreproposition britannique sont abandonnés par les Etats-Unis et la RFA à l occasion des entretiens entre le Président Johnson et le Chancelier Erhard. Néanmoins, la question du statut de la RFA et le problème du partage nucléaire au sein de l OTAN restent encore au cœur de la négociation bilatérale américano-soviétique d un traité de non prolifération des armes nucléaires au cours de l année 1966. 6

MLF, non-prolifération et désarmement Le projet MLF survint en pleine négociation d une résolution sur la non prolifération des armes nucléaires à l Assemblée générale de l ONU (AGNU). 4 Telle qu adoptée en 1961, la «résolution irlandaise» ne s opposait pas au déploiement d armes nucléaires sur le territoire des pays de l Alliance atlantique mais les Etats-Unis s engageaient, au moins dans le cadre de l AGNU, à ne pas en céder le contrôle. En revanche, la question du contrôle d une force de frappe intégrée au sein de l OTAN ne put être abordée de front au cours des négociations entre alliés et demeura, tout au long des six années de débats, la pierre d achoppement principale. La diplomatie américaine, contrainte d un côté par les exigences des alliés européens, en particulier de la RFA, fut inversement contrainte par les exigences soviétiques après l adoption de la «résolution irlandaise» : «Not surprisingly, écrit Michael Wheeler, Moscow violently opposed any nuclear sharing arrangements with West Germany, whatever the mechanism, and by the start of the Kennedy administration this had become the greatest stumbling block to Washington and Moscow agreeing on a common approach to a negotiated non-proliferation treaty.» 5 Ainsi, la MLF fut véritablement l enjeu central et déterminant du débat bilatéral américano-soviétique sur la non prolifération au début des années 1960. Elle explique principalement l absence d avancées des négociations entre «les deux Grands» sur ce sujet entre 1960 et 1965. La négociation bilatérale put véritablement débuter à partir de 1966, quand les soviétiques acquirent la certitude que l administration américaine avait abandonné le projet. Cela étant, la rapidité avec laquelle Américains et Soviétiques parvinrent alors à s accorder sur un projet de traité puis à mener à bien les dernières négociations qui menèrent à la conclusion du TNP en 1968 ne s explique pas uniquement par l issue apportée à la MLF. Entre temps, la négociation d un TNP avait acquis une dimension multilatérale (à l AGNU, au Comité des dixhuit puissances sur le désarmement, lors des Conférences des pays nonalignés) et la portée de l instrument s était considérablement élargie : de la résolution 1665 à la résolution 2028 de l AGNU, un lien était né entre les obligations de non prolifération et de désarmement. Il devenait urgent pour les «deux Grands» de conclure un traité ménageant la priorité à la non prolifération et cantonnant leurs engagements en matière de désarmement aux termes les plus généraux. 4 Cf. Note historique du CESIM : Non prolifération et désarmement : le «Golden age» de la diplomatie irlandaise (1957-1961) 5 Michael O. Wheeler, «International Security Negotiations : Lessons learned from Negotiating with the Russians on Nuclear Arms», INSS Occasional Paper 62, February 2006, USAF Institute for National Security Studies, USAF Academy, Colorado, p.39 7

Ainsi, le débat transatlantique et américano-soviétique sur la MLF fournit le meilleur exemple de ce qui qualifie la négociation du TNP et la genèse du lien entre la non prolifération et le désarmement nucléaires : Négociation originellement bilatérale, elle fut d abord focalisée sur une problématique de sécurité régionale : la place du continent européen et, singulièrement, la «menace» ouest-allemande (vis-àvis de l URSS mais aussi d autres Etats européens tels que la France ou la Suède 6 ). La MLF a accaparé les préoccupations bilatérales américano-soviétiques. Cette origine ne laissait pas de place au désarmement dans le dialogue bilatéral, question traitée à part via la question de l arrêt des essais nucléaires en particulier (le Traité de Moscou de 1963 est l aboutissement d un processus qui ne doit rien à la thématique de la non prolifération naissante à la fin des années 1950). Le blocage des négociations sur un traité de non prolifération qu expliquent les péripéties du débat sur la MLF laissa une place et un temps suffisants aux Etats non dotés de l arme nucléaire, Etats non-alignés au premier chef, pour imposer un lien entre non prolifération et désarmement au sein même des négociations sur le TNP. C est donc l impossibilité de résoudre une question régionale de non prolifération qui explique pour une part importante l éclosion du lien entre la non prolifération et le désarmement nucléaires sur le plan global. Au total, l événement historique que constitue la MLF, événement court qui, bien que complexe, reste clôt et identifié, fournit un enseignement majeur quant à l origine du lien entre la non prolifération et le désarmement (tel que cristallisé par le TNP) : celui-ci survint à l ombre du dialogue bilatéral stratégique auquel il finit par s imposer de manière exogène. Péripétie dans un dialogue de blocs issus de la Seconde guerre mondiale, la MLF afficha ses contradictions dans un monde en passe de devenir multipolaire. 6 Cf. Note historique du CESIM : Non prolifération et désarmement : le désarmement nucléaire et les politiques de sécurité en Suède (1946-1975) 8