J. Localisation des zones d activité de la pêcherie artisanale marocaine sud Atlantique à partir d une base de connaissances Abdellah Belkhaouad, INRH - Casablanca (Maroc) Marc Taconet, FAO Rome (Italie) M. Bahadda, INRH Casablanca (Maroc) Alors qu elle n était qu une activité marginale jusqu en 1988, confinée dans la bande côtière de 4 à 5 miles et limitée à l'exploitation des sparidés, courbine, langouste verte, ramassage des algues, pied de biche et coquillages, la pêche artisanale dans la zone sud Atlantique marocaine revêt en 1994 une toute autre importance : avec environ 652 unités basées dans une quinzaine de sites, elle met en oeuvre 345000 pots à poulpe sur des zones de pêche s étendant sans cesse plus au large à la recherche de rendements meilleurs. Le parc d embarcation de la pêche artisanale est très homogène sur la région étudiée. Les barques ont une taille de 4 à 5.5 m, propulsées par des moteurs hors bord de 8 à 18 cvx. L'activité des petits métiers est caractérisée par une saisonnalité marquée dans l'utilisation des engins de pêche. Le mouvement de la flotte artisanale entre les différents sites de la région est conditionné par la recherche des espèces cibles et par le niveau des prix accordés par les mareyeurs. Les 8 engins de pêche répertoriés dans la région sont : les engins de capture du poulpe : le poulpier (pot à poulpe), et le Kerracha Le pot à poulpe est l engin le plus utilisé. La période principale de pêche de cet engin au niveau de la zone maritime de la région de Dakhla se situe entre Novembre et Mars. Une barque largue en moyenne 600 poulpiers par marée. En fin 1994, l'activité de pêche du poulpe a connu l'introduction d'un nouveau type d'engin appelé localement 'Kerracha' (engin actif) utilisé en raison de son faible coût et dont les risques de perte sont moindres par rapport au pot à poulpe. les engins de capture des poissons de fond : la palangre de fond, le filet maillant pour la pêche des sparidés et autres espèces, et la ligne à main Le filet droit pour la pêche de la courbine Le filet trémail pour la pêche de la langouste La turlutte pour la pêche au calmar et à la seiche La méthodologie appliquée pour localiser l activité de la flottille artisanale est basée sur la combinaison d une connaissance experte (pour les zones accessibles et d activité) et d une analyse statistique (pour les zones d exploitation) (1). 1. Connaissance experte et détermination des zones accessibles et d activité L information sur la localisation de l activité de pêche est issue d enquêtes réalisées dans les 11 sites situés entre Oued Elkraa (24 30N) et Corvero (22 N) en 1994. L enquête a consisté à interviewer dans chaque site de débarquement un certain (1) voir description de ces trois concepts en présentation I
nombre de pêcheurs de manière à avoir une bonne représentation des différentes techniques de pêche utilisées. L espace maritime accessible à partir de chaque site de débarquement a été théoriquement divisé en trois iso-secteurs Nord, Large (ou centre) et Sud. Pour chaque personne interrogée, et pour une technique de pêche donnée, on s est efforcé de localiser son activité en collectant les informations suivantes : les temps de route minimaux et maximaux, la direction de navigation (c est à dire le secteur), les profondeurs minimales et maximales de mise en œuvre de l engin, ainsi que la nature des fonds ; une hiérarchie entre ces facteurs a été définie le cas échéant : la profondeur de pêche peut par exemple être un facteur limitant ayant plus de poids que la distance maximale ; enfin, l enquête s est efforcée de répertorier les repères susceptibles d aider à la délimitation des zones aussi bien en mer qu à la côte. Par ailleurs, un embarquement réalisé en Baie de Dakhla a permis de mesurer la distance parcourue en une heure : 5,5 miles. Cette information combinée au temps de route permet de calculer la distance parcourue. Ces enquêtes ont ainsi révélé que les barques ont un rayon d action maximal de 22 miles. L'information recueillie est utilisée pour modéliser sous SIG la zone accessible et la zone d'activité d'une flottille basée dans un port et pratiquant une technique de pêche : zones accessibles aux barques motorisées : ce sont les régions maritimes délimitées par le cercle centré sur chacun des sites de débarquement et de rayon 22 miles (c est à dire le rayon d action estimé pour ce type d embarcation) ; zones d activité par technique de pêche, et site de débarquement : délimiter les contours des différentes zones d activité revient à transcrire en termes géographiques les informations temps de route, profondeur de pêche, nature des fonds collectées par site, engin, secteur auprès des pêcheurs : - L espace maritime du site est d abord subdivisé en 3 iso-secteurs nord/centre/sud du site. - On dessine ensuite au sein de chaque secteur un arc de cercle centré sur chaque site de débarquement, et de rayon proportionnel au temps de route pour accéder au site de pêche dans ce secteur (figure 1b) ; - Grâce à une carte de bathymétrie, on sélectionne dans chaque secteur visité l intervalle de bathymétrie correspondant à la profondeur de pêche annoncée (figure 1c) ; - On superpose enfin une carte de nature des fonds, et on filtre en fonction du type de fond déclaré par le pêcheur (figure 1d). Le résultat pour chaque port consiste en une carte de la zone d activité par technique de pêche (figure 1e).
Figure 1 : Modélisation des zones accessibles et zones d activité d'une flottille artisanale opérant depuis un port et pratiquant une technique de pêche à partir d une connaissance experte Le SIG permet ensuite d agréger ces zones d activité par port sur l ensemble de la région, pour ainsi obtenir pour chaque technique de pêche une cartographie régionale des zones d activité (figure 2). Figure 2 : Zones d activité de différents engins de pêche artisanale de l Atlantique Sud-Marocain
2. Approche statistique et validation des zones d exploitation Cette analyse utilise les statistiques de capture de poulpe par site de débarquement fournies par les services de la Marine Royale, présents au niveau de ces sites. Ces statistiques sont transformées en densité de capture au niveau des zones d activité poulpier : les tonnages débarqués dans un site donné pour une saison d activité sont affectés aux zones d activité poulpier fréquentées à partir de ce site; cette zone d activité peut être composée de plusieurs polygones, auquel cas le tonnage global est réparti sur chaque polygone proportionnellement à sa surface; la densité est enfin calculée au niveau de chaque polygone comme quotient du tonnage par la surface. On génère ainsi l indicateur spatial densité de capture exprimé en Kg/Mn². Le poulpier ciblant essentiellement le poulpe adulte, les densités de capture décrites ci-dessus pourraient donc être assimilées à des indicateurs d abondance des poulpes adultes. Afin de tester la validité de cette hypothèse, les cartes d indice d abondance des poulpes adultes obtenues par campagne de chalutage sont superposées aux cartes de densité de capture des poulpiers. L analyse des relations spatiales entre ces deux cartes est décrite dans les paragraphes qui suivent. Il faut d abord noter que l absence de zones d activité poulpier au sud de Cintra est parfaitement cohérente avec une localisation offshore des zones de concentration d adulte, au-delà donc des rayons d action des barques. - au niveau global (à petite échelle) : la carte de la figure 3 montre qu il y a bonne cohérence entre densité de capture et abondance des adultes de poulpe. On parvient ainsi à relire, à travers les déplacements saisonniers de densité de capture et leur intensité, les schémas généraux de déplacement des centres d abondance des adultes : centre de gravité des densités les plus fortes localisé au sud hors des saisons de reproduction (hiver et été), et déplacé vers le nord durant les saisons de reproduction (automne et printemps). Au printemps, l absence de zones à forte densité de capture correspond bien à une situation offshore des zones de concentration d adultes dans la région centrale, tandis que les zones d exploitation du nord (où l on observe en cette saison les débarquements les plus importants) sont les seules à être superposées à des zones de concentration d adultes à fort potentiel. - plus localement (à grande échelle) au niveau de certaines zones d exploitation, des incohérences apparaissent de manière répétitive d une saison à l autre. Les densités de capture étant calculées comme quotient de statistiques saisonnières par une surface de zone d activité modélisée à résolution annuelle, ces incohérences peuvent résulter : de statistiques erronées, ou de l usage prioritaire d autres engins ; de zones d activité à contour mal défini ; de la nécessité de scinder les zones d activité (annuelles) en sous-zones d activité (saisonnières) : ainsi, la plus vaste des zones d activité au poulpier décrite (celle de N Tiref) pourrait découler d une situation géographique où la localisation des concentrations d adultes est très variable d une saison à l autre : en hiver, les barques basées dans le site de débarquement doivent se rendre à l extrême nord de la zone d activité, au printemps sur l ensemble de celle-ci, en été dans sa partie côtière, et en automne à l extrême ouest ou tout à la côte. Il est donc probable que seules des fractions de la zone d activité annuelle soient fréquentées de façon saisonnière : une connaissance plus fine de la localisation saisonnière de l activité dans ce site aboutirait probablement à la mise en évidence de zones d exploitation
moins étendues mais à plus forte densité, plus cohérentes avec la localisation des concentrations d adultes ; des particularités annuelles de la distribution du poulpe, que la carte de synthèse ne fait pas apparaître ; du ciblage de juvéniles. Ces différentes remarques montrent l intérêt d une approche de type SIG dans le processus de validation des informations collectées. Globalement, la bonne cohérence renforce les conclusions tirées de l analyse de la distribution du poulpe obtenue par les campagnes océanographiques. Elle confirme aussi que la pêche artisanale ne fonctionne pas au hasard : les perspectives de trouver une bonne corrélation entre indices d abondance campagne et densités de capture pêche artisanale sont donc réelles. Localement, les incohérences montrent le besoin de retourner sur le terrain pour remettre en cause soit les statistiques collectées, soit la définition des contours des zones de pêche, ou encore pour comprendre d éventuels facteurs contraignant la pratique de pêche au pot à poulpe : bathymétrie trop importante, éloignement des lieux de commercialisation, non-disponibilité des services à terre (glace, approvisionnement en matériel,...), autres techniques de pêche privilégiées,...
Figure 3 : Activité de la pêche artisanale au poulpier 1994-95 et localisation des zones de concentration du poulpe adulte sur la période 1984-95