Syriza : un espoir pour une Europe solidaire? Dans le cadre de notre cycle de «Bar à débats», nous recevions le 25 février dernier Constant Koumbounis (Président de la communauté grecque de Verviers), Jérémie Cravatte (CADTM) et Nicolas Croes (PSL) pour évoquer la situation en Grèce et les enjeux pour la Gauche européenne de l arrivée au pouvoir de Syrisa. Une histoire accablante Sans entrer dans le détail de son Histoire, nous avons mis en évidence, combien la Grèce, depuis l Antiquité (empire byzantin, domination latine puis ottomane) et, bien plus encore, depuis le 19 ème siècle (Guerre d Indépendance, Occupation nazie, Guerre civile, Dictature des colonels) avait eu à souffrir des exactions commises par les puissances d occupation successives ou par son propre pouvoir politique et religieux L avènement de la gauche radicale au pouvoir C est dans ce contexte d une nation grecque endettée dès sa naissance que nous avons évoqué ensuite le processus long et lent d émergence de Syriza à partir de 2004 (Programme politique permettant de constituer une alliance électorale entre différents partis de Gauche) jusqu aux élections législatives anticipées de janvier 2015 qui ont vu le parti l emporter, après 5 ans de politique d austérité (avec 36,34% des suffrages et 149 sièges de députés, manquant la majorité absolue au Parlement de 2 sièges, tout en devançant Nouvelle Démocratie, le parti d Antónis Samarás, de plus de 8,5 points). Une dimension symbolique très forte L accession de Syrisa au pouvoir a été marquée par une série de gestes symboliques très forts destinés à marquer l imagination du Peuple grec, alors même que celui- ci était 1
massivement exposé à la campagne de propagande orchestrée par la Troïka, visant à influencer le résultat des urnes et à radicaliser une opinion publique européenne effrayée par la perspective de devoir assumer la dette grecque et inquiète de la percée des mouvements anti- austérité en Espagne, au Portugal et en Irlande. Discours d investiture laïc destiné à marquer une certaine distance vis- à- vis des autorités religieuses, hommage rendu aux victimes communistes du nazisme, «Le gouvernement n'a pas peur du peuple!» C est ainsi que s est exprimé Giannis Panousis, vice- ministre de l'ordre public et de la protection civile en enlevant, le 28 janvier 2015, les barrières qui ceinturaient le Parlement Grec et le monument au Soldat Inconnu. Elles avaient été placées là en 2011 pour endiguer les manifestations populaires qui n en finissaient pas de secouer le centre d'athènes, et y étaient restées depuis lors Pratiquement au même moment, le nouveau ministre des Finances, Yanis Varoufakis, annonçait le réengagement des 595 femmes de ménage chargées de l entretien des locaux du ministère et qui avaient été mises à la porte sans préavis en 2013. Dans la foulée, le gouvernement annonçait son intention de réouvrir l ERT, la radiotélévision publique grecque, qui avait connu une fermeture soudaine en 2013, provoquant un tollé de protestations sur le plan international. (Refondation de l audiovisuel public grec.) Ces gestes forts vont très certainement contribuer au changement de regard du peuple grec sur la vie politique pour autant qu ils s accompagnent d un certain nombre de mesures concrètes destinées, dans le contexte de misère humaine et sociale sans équivalent que connaît la Grèce aujourd hui, à améliorer significativement la vie quotidienne de ses habitants et à lui rendre sa dignité. Mesures mises en œuvre depuis les élections. Le 13 septembre 2014, à l exposition de Thessalonique, Alexis Tsipras prononçait un discours historique, en détaillant un ensemble de mesures économiques et sociales destinées à faire face à la crise humanitaire qui sévissait en Grèce. Ces mesures étaient regroupées selon quatre axes : le traitement de la crise humanitaire le redémarrage de l économie réelle la restauration de l emploi (avec les garanties d un droit du travail revigoré et consolidé) la refonte citoyenne des pouvoirs de l Etat. Quelles sont aujourd hui les dispositions qui ont été effectivement adoptées par le gouvernement Tsipras alors que la Grèce vient d obtenir la prolongation de son plan d aide, moyennant un certain nombre de réformes touchant à la politique fiscale, la lutte contre l évasion fiscale et un meilleur contrôle de ses dépenses publiques? 2
Le moins que l on puisse dire, c est que le gouvernement Tsipras est face à un défi colossal : remettre l économie grecque sur pieds en respectant les promesses faites avant les élections tout en ménageant Bruxelles et en s assurant du soutien de la population 1, alors que la dette publique atteint aujourd hui des sommets historiques (175% du PIB) Les mesures envisagées concernent un certain nombre de chantiers essentiels dont l agenda va être négocié avec Bruxelles dans les prochains mois : La fourniture de l électricité nécessaire gratuite à 300.000 foyers sous le seuil de pauvreté Remise en place des conventions collectives de travail. Affranchissement fiscal pour les revenus des personnes physiques à hauteur de 12.000 soins médicaux et pharmaceutiques accessibles à l ensemble de la population par l augmentation du remboursement et la gratuité pour les plus défavorisés. Instauration d un impôt progressif sur la fortune immobilière destiné à protéger les petits propriétaires. Rétablissement du salaire minimum à 752 EUR pour tous les salariés. Plan global de règlement de la dette privée impliquant un échelonnement du paiement des traites. Suspension de la politique de privatisation (même si l accord précise qu on ne reviendra pas sur les accords déjà conclus). Réforme du syndicalisme Création d une commission sur la dette publique Composition du gouvernement grec Certain(e)s participant(e)s au débat se sont ému(e)s de la présence d un représentant d ANEL (Grecs indépendants) au sein du gouvernement d Alexis Tsipras. Parti souverainiste de droite né d une scission de La Nouvelle Démocratie, ANEL passe aux yeux de certains observateurs pour un parti populiste, xénophobe et antisémite. Syriza jouerait- il avec le feu en s alliant avec lui? Comment réagira ANEL lorsque seront abordés les débats relatifs à l impôt sur la fortune, la nationalisation des banques ou les programmes d investissement public? Syriza est incontournable avec ses 149 sièges et le représentant des Grecs Indépendants au gouvernement, le ministre de la Défense, Panos Kammenos, semble muselé par la présence à ses côtés d un représentant de la gauche radicale de Syrisa, Kostas Ysichos. Tant que Tsipras ne touche pas aux pouvoirs de l Eglise, Il semble bien qu AMEL s aligne derrière les positions gouvernementales actuelles 1 Un sondage réalisé le 27 février dernier par Metron Analysis pour le site Parapolitika donne Syriza en tête avec plus de 47% d'intentions de vote. La progression du parti d'alexis Tsipras est donc constante 3
Rapport de force entre Bruxelles et Athènes Le rapport de force entre Syriza et l establishment européen est- il si défavorable à Tsipras qu on pourrait dans un premier temps l imaginer? Quelle est la marge de manœuvre réelle du gouvernement grec dans le cadre des négociations avec la Troïka et l Eurogroupe? Quelle est la part de fantasme et de réalité qui se cache derrière l évocation d un éventuel «Plan B» et de la possibilité d un «Grexit» (Sortie de la Grèce de la zone euro voire de l Union Européenne)?... Autant de questions qui, dans le cadre du débat, ne pourront recevoir de réponse définitive mais appelleront un certain nombre de remarques de principe et de compléments d analyse. Il faut effectivement se méfier de tout ce que, vu de Belgique, nous projetons comme espoirs, frustrations et déceptions par rapport à l application du programme de Syrisa et l émergence d un front des gauches en Europe. Nous sommes loin d avoir une perception claire de la réalité grecque et des enjeux qui se cachent derrière les négociations avec Bruxelles. Par ailleurs, si on souhaite réaliser une analyse stratégique des rapports de force actuels, il faut nécessairement évoquer le contexte géopolitique dans lequel s inscrivent les négociations concernant l octroi d un nouveau plan d aide à la Grèce. Au même titre qu Ankara, Athènes pourrait jouer un rôle diplomatique non négligeable dans le rapprochement de l Europe et de la Russie à la faveur de la crise ukrainienne et du projet de construction du gazoduc «Turkish Stream». Par ailleurs, en dépit du coup d arrêt porté aux privatisations des ports en Grèce, La Chine continue à marquer un intérêt certain pour les investissements en Grèce Fort de ces éléments, ne peut- on pas affirmer que la Grèce a déjà gagné son bras de fer avec les autorités européennes?...face au risque d effondrement de l Europe que fait planer sa sortie éventuelle, même Mario Draghi, le Président de la Banque Centrale Européenne, semble vouloir assouplir ses positions Alors que le monde capitaliste peine à faire face à la plus grande crise de son histoire, il semble bien que la peur ait déjà changé de camp Cela marquerait le début de la fin des politiques d austérité? On peut le croire en entendant le chef du gouvernement espagnol, le conservateur Mariano Rajoy, dans son dernier discours sur l Etat de la Nation, se porter garant de l Etat Providence et évoquer les premières mesures sociales destinées à la classe moyenne espagnole. La dette publique grecque 2 Impayable, la dette grecque n est pas la dette des Grecs. Consentie durant la dictature des Colonels, aggravée par des dépenses militaires démesurées, le gouffre financier des jeux olympiques de 2004, la corruption de la classe dirigeante, l absence de politique fiscale, la spéculation des banques privées et l austérité elle- même, elle présente un caractère illégitime et se révèle en partie illégale et odieuse. 2 Notes librement inspirée d un article disponible sur le site du CADTM : «Non, les Belges ne perdront pas 1000 EUR si la Grèce annule sa dette». 4
Par ailleurs, plus de trois quart de l argent public injecté dans les plans de sauvetage successifs est allé directement dans les caisses des banques privées européennes, privant ainsi l économie grecque de toute possibilité d investissement et ouvrant la voie aux mesures d austérité en provenance de Bruxelles Et le contribuable belge dans tout ça?...la perte à envisager en cas d annulation unilatérale de la dette grecque serait de 2 EUR par personne, une somme dérisoire somme toute et qui ne tient pas compte du fait que tous les contribuables belges n ont pas «profités» de la même manière de la spéculation sur la dette grecque Comme l expérience des pays du tiers monde l a suffisamment montré, la dette est avant tout un outil de domination politique dont l objectif inavoué, à travers les mesures d austérité, est d imposer à toute l Europe, un régime ultralibéral sans concession. D où l importance de soutenir le peuple grec dans la remise en cause de sa dette et la dénonciation des politiques d austérité dont tous les européens sont victimes aujourd hui 5